Esther Benbassa
L’historienne Esther Benbassa, auteur en 2006 d’« Etre juif après Gaza », réagit ici à l’assaut meurtrier donné, lundi au large de Gaza, par un commando israélien sur une flottille humanitaire pro-palestinienne. Celle qui a signé « l’Appel à la raison » du collectif J-Call condamne « le pas de plus d’Israël vers le pire ».
Les commandos de la marine israélienne ont donné l’assaut lundi contre six bâtiments de la « flottille humanitaire pour Gaza » à bord de laquelle se trouvait des militants pro-palestiniens et du matériel de construction et de santé. Cette flottille naviguait dans les eaux internationales. On compte des dizaines de blessés et entre dix et dix-neuf morts selon un bilan provisoire.
Même si cette flottille avait peu de chances d’atteindre son objectif, à supposer même qu’elle ait provoqué les commandos israéliens et qu’elle ait, comme le suggèrerait une source officielle israélienne, manifesté une « violente résistance physique », Israël s’est attaqué à un symbole, à un symbole « humanitaire ».
Son image, déjà dramatiquement entamée par l’offensive contre Gaza en décembre 2008 et janvier 2009, ne pourra que se détériorer davantage, et comme il est d’usage, suivra une hostilité accrue des opinions publiques à son endroit.
D’autant plus que le symbole visé est celui de l’aide apportée à des civils palestiniens étouffés par le blocus israélo-égyptien, décimés par l’offensive contre Gaza, réduits à la misère et vivant au milieu des ruines. Ce sont ceux-là même qui convoyaient cette aide qui ont perdu leur vie en raison de leur engagement humanitaire.
Quelle qu’ait pu être leur éventuelle « résistance » à des militaires israéliens les attaquant hors des eaux territoriales d’Israël, aucune rhétorique ne saura fournir des arguments pour justifier cette barbarie, ni bien sûr aucune propagande pro-israélienne.
Ni la menace terroriste ni le fantôme régulièrement invoqué du méchant Iran travaillant à l’élimination d’Israël ne pourront justifier l’arrogance de ce dernier, qui tire honteusement parti de l’immunité que lui confère la Shoah.
Du Struma à l’Exodus, Israël perd de vue son histoire
Israël a oublié ce passé même qu’il rappelle pourtant sans cesse au monde pour couvrir ses propres méfaits. Rappelons-nous ces bateaux remplis de juifs fuyant l’Europe meurtrière qui tentaient d’accoster ici ou là pour échapper au massacre, et qui étaient refusés, repoussés ou torpillés comme le Struma en Mer Noire en 1942.
Même si ce qui s’est passé ce 31 mai à l’aube avec la « flottille humanitaire pour Gaza » n’a pas de points communs avec ces précédents tragiques, l’image du bateau, cible de violences, à l’approche des côtes israélo-palestiniennes, l’image, elle, est prégnante.
Qui ne se souvient encore de l’Exodus, qui transportait en 1947 des juifs émigrant clandestinement d’Europe vers la Palestine, à l’époque sous mandat britannique ? Un grand nombre d’entre eux étaient des réfugiés ayant survécu à l’Holocauste. La marine britannique s’empare du navire, et la Grande-Bretagne décide de renvoyer ses passagers en France et finalement jusqu’en Allemagne. Cet épisode, témoignage de la dureté de la répression britannique, donnera un coup de pouce à la création de l’État d’Israël.
Il est à espérer que ce qui s’est passé ce 31 mai précipitera les pourparlers israélo-palestiniens et la fondation d’un État palestinien. Mais quand bien même cette issue se confirmait (ce dont on peut tout de même douter dans l’immédiat), l’histoire d’Israël aura été une fois de plus terriblement entachée.
À qui oublie son histoire, il n’est pas d’avenir possible. Les Israéliens ont oublié leur histoire et poussent les diasporas juives à faire de même au nom de l’amour inconditionnel qu’Israël exige d’elles.
Le raid est un signal d’alarme pour l’Europe et les Etats-Unis
La « flottille humanitaire pour Gaza », hélas dans le sang, est un signal d’alarme non seulement pour Israël mais aussi pour l’Europe et les États-Unis. Le premier cédant aux démons d’une droite intransigeante. Les seconds, dans leur légèreté et leur tolérance excessive, se révélant incapables de mettre le premier au pied du mur. Cette fois, le moment est venu.
Au premier anniversaire de l’offensive contre Gaza, c’est à peine si les médias ont évoqué le souvenir de cette catastrophe. Le rapport de Richard Goldstone, accusant Israël et le Hamas de crimes de guerre, a été enterré. Et comme pour récompenser Israël (mais de quoi ? ), on lui a ouvert les portes de l’OCDE.
Un Etat palestinien dans les plus brefs délais, par l’intervention directe et autoritaire de l’Europe et des États-Unis, voilà ce qu’il faut désormais.
Et ce non seulement pour que les Palestiniens sortent de leur cauchemar, mais pour éviter aussi à Israël de poursuivre une politique suicidaire qui risque de le mener à court terme vers la disparition. La Turquie, victime collatérale de la politique suicidaire d’Israël
N’oublions pas que le syndrome de Massada est inhérent à Israël. Dans l’Antiquité, à Massada, des Judéens assiégés préférèrent se suicider plutôt que de négocier avec l’ennemi d’alors, les Romains.
Après l’affaire de la flottille rouge du 31 mai 2010, Israël, s’il n’en est pas empêché par des tiers, pourrait bien se refermer davantage sur lui-même, essuyant de manière autiste les retombées internationales, et continuant de rationaliser à ses propres yeux et dans sa propre prison jusqu’aux actions les plus inhumaines.
Songe-t-on seulement aux juifs de la diaspora qui pâtiront eux aussi des retombées de cette affaire ? Le ressentiment contre Israël se confondra un peu plus avec un antisémitisme de moins en moins rampant.
À ce propos, a-t-on suffisamment relevé que la plupart des victimes sont turques ? La Turquie, dans les années 1930, est aussi le pays qui a accueilli nombre d’intellectuels juifs allemands persécutés, qui, pendant les années noires, a autorisé le passage de militants sionistes fuyant l’Europe pour la Palestine, et qui a été longtemps le seul Etat musulman à reconnaître Israël. Osons espérer que nulles « représailles » ne viendront toucher, désormais, les 20 000 juif s qui y vivent encore. Le J-Call saura-t-il condamner l’égarement d’Israël ?
Ce 31 mai est une épreuve test pour le collectif « J-Call », ce mouvement né d’un « Appel à la raison » lancé il y a peu par des juifs européens qui, bien qu’attachés à Israël, entendent exercer leur droit de libre critique de la politique de ses gouvernants. J-Call saura-t-il se démarquer clairement et courageusement des positions radicales d’institutions juives comme le Conseil représentatif des instituions juives de France (CRIF), attachées à Israël de façon nombriliste et prêtes à tout admettre de lui, y compris le pire ?
Certains d’entre nous ont signé cet appel, malgré leurs réserves. J-Call tiendra-t-il ses promesses ? Agira-t-il sans délai ? Condamnera-t-il, sans réserve, lui, ce qui est arrivé ? Exigera-t-il l’ouverture immédiate d’une enquête internationale indépendante ?
L’heure est grave pour toutes les organisations juives de la diaspora. [1] Au nom des morts de la flottille, victimes de l’impunité israélienne, au nom de l’histoire que nous portons, nous, juifs de la diaspora et d’Israël, pour que les souffrances des Palestiniens puissent prendre fin, et qu’un Etat palestinien puisse enfin voir le jour, recouvrons notre simple humanité et disons non à l’égarement d’Israël.
[1] voir le communiqué de l’UJFP :
C’EST LE BLOCUS DE GAZA QUI EST ILLEGAL !!
L’assaut de commandos tirant à balles réelles pendant la nuit sur les militants des bateaux en route pour Gaza constitue un acte de piraterie dans les eaux internationales. On parle pour l’instant de 16 morts et d’une trentaine de blessés .Les bateaux capturés sont remorqués vers Haïfa, pour éviter les journalistes massés à Ashdod .La censure est imposée à toute la presse israélienne.
Cette agression meurtrière visant des centaines de militants non violents venus du monde entier dénoncer le blocus de gaza qui dure depuis plus de trois ans ajoute un cran à l’horreur de la politique israélienne. Une politique qui vise en particulier, ces derniers mois, les militants des droits humains et non violents des Territoires Occupés comme d’Israël.
Les commandos envoyés sur ces bateaux dont le « Rachel Corrie » (du nom de la jeune militante écrasée par un tank à Gaza alors qu’elle essayait d’empêcher la destruction d’une maison) avaient les mains libres ! Comme lors de l’invasion de Gaza de janvier 2009. Pas de limites ! tout est permis !
Il appartient aujourd’hui à la communauté internationale de tirer toutes les conséquences de ses tolérances, de ses soutiens, et même de ses encouragements à Israël, qui amènent à cette tragédie. Il lui appartient d’arrêter Israël, D’arrêter la terreur et le crime.
SANCTIONS IMMEDIATES CONTRE ISRAEL ! - LEVEE DU BLOCUS SUR GAZA !http://www.ujfp.org/modules/news/ar...
voir aussi le communiqué de l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide (héritière de la "Naie Presse" et de la résistance juive communiste) relayé par le MRAP :
Assaut de la flottille pour Gaza par Israël L’UJRE condamne la tuerie
Dans la nuit du 30 au 31 mai 2010, la marine israélienne a donné, dans les eaux internationales, l’assaut à une flottille de six bateaux acheminant du matériel humanitaire en direction de Gaza, en raison du blocus décrété par Israël depuis la fin de son attaque destructrice contre ce territoire en janvier 2009. Cet assaut a entraîné une vingtaine de morts et des blessés parmi les militants pacifistes, passagers de ces bateaux.
L’UJRE est profondément indignée par cet assaut meurtrier, contraire, tout à la fois, au droit international et à toutes les valeurs humaines portées par la tradition juive.
L’UJRE rend hommage au courage des militants pacifistes passagers de ces bateaux et exprime toute sa compassion et sa solidarité aux victimes de l’agression de la marine israélienne.
Dans l’immédiat, l’UJRE exige que toute la lumière soit faite sur les conditions de l’assaut contre la flottille d’aide à Gaza et que les responsables de cet acte barbare soient sanctionnés.
L’UJRE exige également la levée de l’injuste blocus de Gaza qui motivait l’existence de cette flottille.
L’UJRE est convaincue que l’action des principaux Etats de la communauté internationale, dont la France et l’Europe, pour ramener Israël dans le chemin du respect du droit international est déterminante. C’est pourquoi elle appelle tous ceux qui considèrent qu’il est urgent de sortir de la tragique situation actuelle, notamment la population juive de France, à manifester auprès du gouvernement français leur volonté d’une action internationale permettant d’imposer une paix juste et durable au Proche-Orient.
Plus que jamais, l’UJRE rappelle la justesse de ses positions concernant le conflit du Proche-Orient :
1) L’affirmation du droit à l’existence et à la sécurité d’Israël et la reconnaissance de l’État palestinien,
2) L’exigence de la reconnaissance et de la réparation des préjudices subis par les populations palestiniennes du fait du gouvernement israélien,
3) L’exigence de négociations fondées simultanément sur ces deux points, comme seul moyen de rétablir la Paix dans la région.
Paris, le 31 mai 2010
► Esther Benbassa a récemment publié « Etre juif après Gaza » (CNRS Editions, 2009) et « Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations » (Larousse, 2010).
publié par Rue 89
http://www.rue89.com/passage-benbas... ajout de notes : C. Léostic, Afps