Les Palestiniens  réévaluent le sens et  les tactiques de leur  résistance. Opter pour la force des armes ou pour celle de la morale ?  interroge Saleh Al-Naami.         
                   
9 janvier 2009 - A Baqa Ash-Charqiya en  Cisjordanie occupée, de jeunes manifestants palestiniens rassemblés en  soutien à la population de Gaza martyrisée, lancent des pierres en  direction des troupes israéliennes d’occupation
 
  
Lors d’une marche conduite par des étudiants pour  protester contre les activités d’implantation de colonies dans les  faubourgs de Bethlehem, les reporters palestiniens, partis pour assurer  la couverture médiatique, ne s’attendaient pas à voir les forces de  l’ordre du gouvernement Fayyad les attaquer, les assaillir et les  empêcher de couvrir la marche, pendant que les forces de l’occupation se  contentaient d’observer. Dans le bureau local d’une organisation de  presse, les reporters se sont regroupés et ont demandé des explications   au gouvernement et  à la police. Cependant, pour beaucoup de  Palestiniens, il n’était aucunement nécessaire de fournir  d’explications : « empêcher les manifestations et  mobilisations en  masse contre l’occupation israélienne » telle est la mission du  Gouvernement Fayyad.
 
De hauts responsables au sein de l’Autorité  Palestinienne (AP) et de l’Organisation pour la Libération de la  Palestine (OLP) ne semblent pas être embarrassés quant au refus d’une  action populaire qui risquerait de provoquer une troisième Intifada. Le  porte-parole du Département  de la Sécurité du Gouvernement Fayyad,  Adnan Al-Damiri,  a présenté comme argument de l’intervention  sécuritaire la volonté d’éviter davantage de manifestations par  différents mouvements populaires protestant contre les actions  israéliennes. Al-Damiri en a choqué plus d’un en interdisant des  protestations en Cisjordanie après que les forces de l’occupation soient  parties.
 
Néanmoins, et au moment où le Cabinet Fayyad s’oppose à  de pareilles expressions de mécontentement populaire vis-à-vis des  actions israéliennes, le Premier Ministre lui-même, en compagnie de  plusieurs membres de son cabinet ainsi que des membres influents du  Fatah, participent à des évènements de protestation sous contrôle contre  les politiques et lois d’Israël.  Notant que le Gouvernement Fayyad a  choisi deux  régions pour les manifestations, à savoir les villages de  Naalyn et Balaayn, situés à l’Est de Ramallah, les critiques décrivent  cette politique comme « sélective ». Ces deux sites ont été sélectionnés  pour les protestations s’opposant à la construction, par Israël, du mur  de l’Apartheid alors que toute autre forme de protestation, en dehors  des lieux cités plus haut, est interdite.
 
Des militants pacifistes étrangers et israéliens, ainsi  que des figures emblématiques dans l’Autorité Palestinienne, participent  à ces rassemblements pré-orchestrés. En effet,  Fayyad décrit le  mouvement comme étant un modèle de « résistance pacifique » devant être   appliqué partout. Toutefois, Gaber Suleiman, qui habite près de  Balaayn, estime qu’après plus d’une année de la mise en place de cette  forme de « résistance », Israël n’a cessé de s’accaparer des terres des  villageois dans le but de poursuivre la construction du mur, d’implanter  de nouvelles colonies et d’étendre les anciennes.
 
« Le plus décourageant », se plaint Soleiman, « concerne  le conseil de certains de manifester auprès des cours israéliennes  comme forme de résistance pacifique. Vaine est cette tentative étant  donné que la Cour Suprême Israélienne légalise toute action entreprise  par l’Etat ».
 
Il convient de noter qu’il y a eu, à Gaza, plusieurs  tentatives pour organiser de telles activités de « résistance  pacifique » ; cependant, les porte-paroles du Hamas et du Djihad  Islamique  considèrent que les sponsors de ces évènements œuvrent à  faire appliquer le programme sélectif de Fayyad. Au lendemain de la fin  de la guerre israélienne sur Gaza, certains cercles palestiniens ont  pris la responsabilité  de la « résistance pacifique » dans certaines  zones à Gaza, dont les récentes protestations contre le cordon  sécuritaire imposé le long de la ligne de démarcation entre Gaza et  Israël. L’armée israélienne interdit aux Palestiniens d’approcher de 300  à 500 mètres de la limite de la ligne du côté palestinien. En effet,  cette zone représente la plus grande partie restante des terres  agricoles de Gaza, surtout que les constructions ont empiété la région  rurale à cause de la grande densité populaire.
 
A l’instar des marches en Cisjordanie, ces  manifestations comptent des centaines de protestataires associés à des  dizaines de militants étrangers venus à Gaza pour ce même objectif. Les  manifestants brandissent le drapeau Palestinien et scandent des slogans  contre l’occupation, mais, contrairement à la réaction en Cisjordanie,  cette nouvelle forme de résistance a soulevé un débat politique intense  dans la Bande de Gaza. Certaines personnes soutiennent ardemment ce  modèle, alors que d’autres demeurent sceptiques quant aux mobiles  implicites de ce type de résistance.
 
Ce dernier type, selon Mahmoud Al-Zaq, Coordinateur du  Comité Populaire Contre le Cordon Sécuritaire (Popular Committee to  Confront the Security Belt) et Organisateur de ces évènements, a vu le  jour après que l’armée israélienne ait tué plusieurs fermiers pendant  qu’ils travaillaient. Les forces de l’occupation avaient averti les  fermiers de ne pas accéder aux champs situés à l’ouest de la ligne de  démarcation entre Gaza et Israël. Détenu dans les prisons israéliennes  pendant 15 ans, Monsieur Al-Zaq a affirmé que les actions d’Israël ont  empêché des milliers de familles palestiniennes d’accéder à leur  gagne-pain. Les champs abandonnés par les fermiers, a-t-il révélé, sont  devenus stériles.
 
Par ailleurs, Monsieur Al-Zaq a essayé, pendant  longtemps, de convaincre d’autres personnes d’adhérer à la résistance  pacifique. Finalement, une large tranche de la société palestinienne  s’est rendue compte des avantages de cette méthode. Monsieur Al-Zaq  demeure déterminé à poursuivre ses efforts en dépit des pertes  palestiniennes causées par la participation à de telles activités de  résistance.  Aussi, il existe d’autres divergences parmi les organisateurs de la  « résistance pacifique » à Gaza et en Cisjordanie. Telle qu’établie par  Al-Zaq, cette méthode ne remplace pas la résistance armée, soulignant  que des factions, autres que le Hamas et le Djihad Islamique,  soutiennent cette manière de résister.
 
Le Président du Comité Politique au sein du parlement  Palestinien et membre éminent du Fatah,  Abdullah Abdullah, proche du  Président Palestinien Mahmoud Abbas, estime qu’il s’agit du meilleur  modèle de résistance pacifique et qu’il  doit être généralisé. Ce type  de résistance, a-t-il déclaré à « Al Ahram Weekly », est plus efficace  que les autres formes, car il démontre qu’Israël est l’auteur des  violences et que les Palestiniens en sont victimes. « Nous  poursuivrons  cette méthode de résistance jusqu’à ce que nos légitimes objectifs  politiques soient atteints » a-t-il déclaré, et d’ajouter « Assurément,  le nombre de sympathisants dans le monde augmentera grâce à une telle  formule ».
 
Le membre de la direction du Hamas, Salah Al-Bardawil, a  déclaré  à ce même journal que son groupe ne rejette aucune forme de  résistance tant qu’elle ne couvre pas d’autres types de résistance. Al-  Bardawil a mis en garde contre la limitation de la résistance à ce cadre  car elle pourrait servir les intérêts d’Israël et a, par ailleurs,  accusé les parties qui sponsorisent ces manifestations. Estimant  qu’elles exécutent le programme de Fayyad, ainsi que celui des  dirigeants du Fatah en Cisjordanie.
 
Al-Bardawil a décrit cette forme de résistance comme  « une résistance télévisée qui présente l’armée israélienne sous un  aspect civilisé car elle utilise des méthodes anti-émeute  appliquées  dans les quatre coins du monde, alors que, derrière les caméras, elle  fait appel aux méthodes les plus atroces ». Le dirigeant du Hamas met  l’accent sur les différents traits caractérisant les diverses formes de  résistance, en l’occurrence les marches en direction de la ligne de  démarcation et la résistance populaire en masse à travers la  confrontation directe, tel que le jet de pierres. « C’est une résistance  sélective, géographiquement limitée, qui cible une catégorie  spécifique » conclut-il.
 
D’autre part, Ibrahim Abrash, ancien ministre de la  Culture du gouvernement Fayyad et Professeur de sciences politiques à  l’université d’Al-Azhar à Gaza,  se dit sceptique  à propos des deux  formes actuelles de résistance, quelle soit armée ou bien pacifique,  soutenue par son ancien chef. Il rapporte au Weekly que,  malencontreusement, la résistance palestinienne fait face à un dilemme  car elle ne répond pas à un programme national approuvé par toutes les  factions. Quand elle était seulement armée, méconnaissant tout autre  forme, la résistance se limitait finalement au lancement des missiles,  ce qui est devenu un sérieux problème.
 
En parallèle, la « résistance pacifique » l’exaspère car  elle est sélective. « C’est de l’hypocrisie et des manœuvres  politiques » réplique-t-il en ajoutant « A travers cette action, Fayyad  et son gouvernement donnent une impression trompeuse de résistance ». Il  révèle que le gouvernement Fayyad ainsi que son  Département de  Sécurité interdisent une participation en masse dans ces marches et  manifestations de peur que cette démarche ne devienne une véritable  résistance populaire. Il a également rejeté l’idée de désigner, au  préalable, des lieux pour protester. Abrash trouve une explication selon  laquelle Fayyad parraine cette résistance pour justifier l’interdiction  des autres formes de résistance, en ajoutant que l’efficacité d’une  résistance pacifique repose sur les milliers de participants qui y  prennent part.
 
Enfin, qu’il s’agisse d’une résistance armée ou  pacifique, il est tout à fait clair que les Palestiniens sont en train  de reconsidérer le modus operandi de leur  résistance. Le résultat  de cette réévaluation teintera  certainement  les développements à venir.