Au fil des ans, j’ai reçu moult messages de chrétiens  fondamentalistes pro-sionistes et j’ai toujours trouvé leurs idées  abracadabrantesques. Cet article me permettra de mettre en ordre mes  idées et mes sentiments, tout en leur répondant.         
                   
 Au fil des ans, j’ai reçu moult messages de chrétiens fondamentalistes  pro-sionistes et j’ai toujours trouvé leurs idées abracadabrantesques.  Cet article me permettra de mettre en ordre mes idées et mes sentiments,  tout en leur répondant. Récemment, j’ai écrit un article dans lequel je  comparais Gaza au ghetto de Varsovie. Parmi les réponses que cet  article a suscitées, il y avait, bien sûr, la collection habituelle des  messages chrétiens fondamentalistes. Je ne commenterai pas leur croyance  littéraliste au Livre des Révélations, ni leurs idées sur l’Armageddon  et la fin des temps, qui nous pendraient au nez. Je laisse cela aux  sociologues et aux psychologues sociaux, qui étudient les sectes  religieuses et leur fascination par les scénarios apocalyptiques de fin  du monde...
Mais je suis réellement dérangée par ces messages parce  que plus que tout autre chose, ils montrent à quel point ces factions  croissantes du monde fondamentaliste chrétien ont fait peu de progrès,  depuis le Moyen Age. Je suis née dans une famille juive. Je suis née en  Israël, où j’ai passé les vingt-sept premières années de ma vie. Je n’ai  jamais souffert personnellement de l’antisémitisme, mais l’on m’en a  parlé, et l’on m’a enseigné à quoi il avait pu aboutir, à savoir la  tentative délibérée et systématique d’anéantir tous les juifs, partout.  Depuis le Moyen Age, les juifs européens ont souffert toutes sortes de  maux, allant de la discrimination et la ségrégation à l’expulsion, en  passant par les pogromes. Et cette haine systématique a atteint un  sommet historique, durant la Seconde guerre mondiale. Mes grands-parents  maternels avaient survécu à la Shoah, et en dépit de tous leurs efforts  pour reconstruire leur vie, après la guerre, je ne pense pas qu’ils ne  se soient jamais remis véritablement des horreurs qu’ils avaient  traversées.
La haine et la peur qu’avaient les Européens des juifs,  une haine débattue, prêchée, étudiée, compilée et promue durant des  générations, atteignit finalement un crescendo durant les années 1930 et  1940. Vous ne pouvez pas bâtir un bûcher et l’attiser ainsi sans qu’il  ne finisse par tout consumer. Après avoir été nourris d’un tel régime  d’antisémitisme depuis si longtemps, les nazis en conclurent que le  monde irait bien mieux sans juifs. Ils étaient persuadés que les juifs  étaient à ce point misérables, tellement inférieurs, tellement  différents d’eux qu’ils se sont chargés de « nettoyer » le monde des  juifs, de les exterminer de la manière dont on le fait d’une vermine.  Ils étaient persuadés que le monde serait plus en paix et plus sûr sans  juifs. Je sais que l’idéologie nazie rejetait le christianisme, mais  l’antisémitisme était une création chrétienne, et c’étaient des siècles  d’antisémitisme chrétiens qui avaient conduit, en fin de compte, à ce  résultat hideux.
 
Aujourd’hui, je reçois des messages de personnes qui se  considèrent chrétiennes, et qui me disent que lorsque je critique  Israël, je ne sais pas ce dont je parle. Ils affirment que les musulmans  et les Arabes sont tous des gens vraiment mauvais et que j’aurais bien  mieux à faire que critiquer la manière dont Israël maltraite les  Palestiniens. Ils disent qu’Israël est tout bon, tout noble, tout  démocratique et même sacré, comparé aux méchants pays musulmans et  arabes qui l’entourent. Ces généralisations sont confondantes. Des  cultures qui sont extrêmement différentes entre elles sont mises dans le  même paquet : le nouveau groupe des « mauvais » que tellement de gens  diabolisent aujourd’hui, le nouveau groupe des gens qui n’ont pas l’heur  de nous ressembler.
Cette sorte de généralisation indiscriminée et ignorante  est une des marques de fabrique du racisme authentique. Je suis  d’accord pour dire que tout pays qui ne protège pas les droits humains  de ses propres citoyens doit être critiqué. Mais ce que l’on ne cesse de  me dire, c’est qu’Israël ne doit pas être critiqué, parce que les pays  arabes sont infiniment pires. Je réponds, à cela, au moyen d’une  analogie : « Supposons que votre enfant ait fait quelque chose de pas  bien, et qu’après que vous l’ayez houspillé, il vous rétorque que ce  qu’il a fait n’était pas si grave, après tout, parce que son copain a  fait pire : vous lui lâcheriez les baskets, sans rien dire ? Vous  laisseriez votre gamin échapper à une punition bien méritée uniquement  parce que son copain a fait pire ?
 
Cet argument est tellement absurde que je pense qu’il  s’agit, de fait, d’une manière de couvrir le racisme. La question n’est  pas que des pays arabes soient pires qu’Israël. Il n’y a aucun pays  innocent, dans le monde, et si nous voulions réellement critiquer les  pays violant les droits de l’homme, la liste serait passablement longue.  Il faudrait y inclure les pays occidentaux qui violent de manière  routinière les droits humains de gens et de groupes, y compris au-delà  de leurs frontières.
 
Mais ce que ces gens qui m’écrivent veulent vraiment  dire, de fait, c’est que les pays musulmans et les pays musulmans et  arabes sont, d’une certaine manière, moins civilisés que les peuples et  que les sociétés de l’Occident. Ils me disent que je devrais me tenir  épaule conter épaule avec eux et soutenir leur haine des musulmans, des  Palestiniens et des Arabes, de manière générale. Souvent, ils m’accusent  de mentir, au sujet de mes origines juives. Certains de ceux qui  m’écrivent ne peuvent concevoir l’idée que je puisse être née dans une  famille juive et soutenir les Palestiniens. Ils me traitent même de  Palestinienne (pour eux, c’est une injure...) Soit ils pensent  sérieusement que je devrais en être offensée, soit ils pensent que je  suis Palestinienne, en réalité, et que je ne fais que prétendre être qui  je suis.
J’imagine que ces étranges fanatiques religieux pensent  qu’Israël rend un service insigne au monde en le débarrassant de gens  appartenant au groupe qu’il est aujourd’hui tellement à la mode et de  plus en plus légitime de haïr. Cela ne vous rappelle rien ? Je trouve  incroyable que les mêmes personnes qui, il n’y a pas si longtemps,  prêchaient une telle haine venimeuse des juifs, tournent aujourd’hui  cette même haine, ce même venin, contre d’autres personnes et peu  importe, à mes yeux, de qui il peut bien s’agir. Ces fondamentalistes  religieux sont en train de promouvoir la haine d’un groupe de personnes  dont ils sont persuadés qu’elles sont moins humaines, ou moins  précieuses, moins civilisées qu’eux-mêmes.
 
N’ont-ils rien retenu de ce à quoi la haine et le  racisme contre un groupe humain peuvent conduire ? Un christianisme  capable de penser comme eux ne diffèrent en rien du christianisme qui,  il n’y a pas si longtemps, accusait les juifs d’avoir assassiné des  bébés chrétiens afin d’en boire le sang ; d’un christianisme qui  torturait et brûlait les gens sur des bûchers, qui, de manière  routinière, massacrait ceux qu’il n’aimait pas. Leur christianisme est  un faux christianisme qui, exactement comme ses faux prédécesseurs, a  tout oublié du « Aime ton prochain » C’est un christianisme sans  compassion et sans capacité à réfléchir à ses propres croyances ou à en  voir les prolongations logiques. Que veulent-ils, en réalité ?  Veulent-ils vraiment que les musulmans soient exterminés ? Si tel est le  cas, ils ont vraiment besoin de réfléchir à ce qu’ils sont en train de  promouvoir et à ce à quoi cela pourrait conduire.
C’est une version du christianisme qui est fondée sur la  peur et sur la haine, et non pas sur l’amour et sur l’inclusion. Ce  christianisme-là n’apporte rien à la paix du monde et à ce dont  l’humanité a le plus besoin, la camaraderie, le respect et la  coopération, toutes ces qualités dont je suis persuadée que Jésus les  prônait. Le ton de certains des courriers que je reçois me fait redouter  qu’ils ne soient frappés en retour par la haine et la peur qu’ils  expriment. Ils ont l’air d’aimer ça.
 
Je sais que beaucoup de juifs, en Israël, trouvent très  amusant et un peu stupéfiant que, tout soudain, ils soient devenus la  coqueluche de certaines branches du fondamentalisme chrétien, alors  qu’hier encore, ils étaient les « déicides »... Les juifs israéliens ne  comprennent pas vraiment pourquoi ils sont ainsi soudainement aimés,  mais ils comptent les bénédictions qu’ils reçoivent, pour le moment, et  ils en profitent pour pousser un soupir de soulagement.
Voici qu’enfin, ils ont des alliés qui les soutiennent  dans leur occupation et dans leur destruction à bas bruit du peuple  palestinien. Et c’est génial, parce qu’ils peuvent mettre en scène leur  colonisation et leur occupation de la Palestine à la lumière d’un combat  entre « le bien et le mal », entre « l’Occident civilisé » (dont ils  sont persuadés faire partie) et les « musulmans rétrogrades ». C’est  ainsi qu’ils parviennent à occulter la vraie réalité du conflit avec les  Palestiniens, qui n’a rien à voir avec un affrontement entre le  judaïsme et l’Islam, et tout à voir, en revanche, avec la colonisation  et l’épuration ethnique (j’ai une précision presque amusante à apporter  ici, qui est que l’identité juive est tellement basée sur la peur de  l’antisémitisme que lorsque des chrétiens se mettent du jour au  lendemain à aimer les juifs, cela ne manque pas de poser problème à  l’Etat juif...).
 
On a appelé cela anti-islamisme, anti-arabisme, mais peu  m’importe la manière dont les gens choisiront de nommer ce phénomène.  C’est exactement la même haine que celle qui était dirigée contre les  juifs. Elle a les mêmes symptômes. C’est le racisme, fondé sur  l’opposition entre « eux » et « nous », avec sa diabolisation et son  venin, et ce racisme risque de conduire à un génocide.
Je suis très heureuse de savoir que de très nombreux  juifs, dans le monde et en Israël, sont en train de prendre une position  de plus en plus affirmée contre ce phénomène et n’ont pas peur de  critiquer Israël. Ils considèrent qu’il est de leur devoir de s’insurger  non pas en dépit, mais bien à cause de ce que le peuple juif a subi.
 
Je souhaiterais simplement que toute personne qui se  considère juif (ou juive) puisse trouver en elle-même le courage de  faire ce qu’il convient de faire. Tous les juifs doivent protester, tous  ensemble, quand un nouveau groupe de victimes est en train d’être créé  sous nos yeux et quand la haine et le racisme sont, à nouveau, prêchés  et promus.
Soupirer de soulagement en disant : « Merci, mon Dieu,  cette fois-ci, ça n’est pas pour nous » set immoral et irresponsable.  Prendre le parti des fondamentalistes chrétiens fomentateurs de haine -  même si c’est « bon pour Israël » - c’est choisir le mauvais camp.
 
« Plus jamais ça ! », ça ne veut pas dire « plus jamais  ça ! » pour nous, les juifs ; cela doit vouloir dire : « Plus jamais  ça ! Point barre ».
 
 
Psychothérapeute, Avigaïl Abarbanel est la présidente de  l’association Deir Yassin Remembered de Canberra (capitale politique de  l’Australie), où elle vit avec son mari, Ian Barnes et « deux chats  très mal élevés ». Son site : 
http://www.avigailabarbanel.me.uk/
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier