mercredi 2 juin 2010

Déraison d’État

02/06/2010
Où s'arrête la brutale arrogance, où commence la stupidité ? Sept idiots dans le gouvernement, ministres minables et inutiles, fiasco en pleine mer, le prix d'une politique erronée : avec un rare ensemble, la presse israélienne n'avait pas de mots trop durs hier pour répondre à la question. Et pour s'effarer des retombées calamiteuses pour Israël du raid de commandos mené la veille contre la flottille d'aide humanitaire qui tentait de forcer le blocus de Gaza.
De fait, les planificateurs de cette opération se seraient appliqués à accumuler erreur sur erreur, échec sur échec, qu'ils n'auraient pu faire mieux. Échec des services de renseignements d'abord, qui n'ont pas évalué à sa juste mesure, en effet, la détermination, en tout point héroïque, des militants à se défendre avec tout ce qui leur tombait sous la main. Échec de l'état-major ensuite, lequel a opéré dans les eaux internationales, se plaçant délibérément ainsi en situation de piraterie, exposant de surcroît ses commandos héliportés à des risques superflus en les lâchant comme à la parade sur le navire-amiral. Débandade politique interne pour Benjamin Netanyahu, comme déjà constaté plus haut. Et désastre diplomatique avec la réaction-éclair du Conseil de sécurité de l'ONU, avec le tollé international que ne pouvait manquer de susciter la sanglante bourde, laquelle a offusqué même les amis les plus favorablement disposés d'Israël.
Tous ces dégâts réunis n'égalent guère en gravité, toutefois, la colossale erreur stratégique qui a consisté pour Israël à s'aliéner par le sang, peuple et gouvernement, la Turquie, seule puissance musulmane de la région qui ne lui était pas foncièrement hostile, qui passait même naguère pour son allié. Car si l'État hébreu n'a pas eu trop de mal à embrigader une bonne partie du globe contre l'Iran, si les outrances verbales du président Ahmadinejad l'y ont même aidé, c'est avec un partenaire privilégié d'une Alliance atlantique prompte à se solidariser hier avec Ankara, avec une Turquie frappant avec insistance à la porte de l'Europe, une Turquie pénétrée désormais du rôle central qui lui est dévolu au Moyen-Orient, qu'il vient de se mettre sérieusement à mal.
D'autant plus remarquable d'ailleurs est cette double montée en puissance, musulmane mais non arabe, laquelle engage des populations considérables, tout autant sunnites que chiites, qu'elle vient combler le vide désespérant laissé par la désespérante inconsistance des puissances traditionnelles arabes, qu'illustre la performance purement oratoire à laquelle s'est livrée la Ligue, réunie d'urgence au Caire. Du moins aura-ton vu l'indignation planétaire porter l'Égypte, partie prenante pour ne pas dire complice du blocus infligé depuis un an et demi à Gaza, à abandonner une position devenue soudain intenable et à rouvrir à la circulation des vivres et des médicaments le passage terrestre de Rafah.
Ainsi se trouve enfoncé le second clou dans le cercueil du blocus, cette scandaleuse asphyxie qui frappe une population civile, vivant déjà bien au-dessous du seuil de pauvreté et qui aura été livrée des semaines durant à un barbare pilonnage d'artillerie avant que d'être affamée et coupée du monde extérieur. Le premier clou, c'est l'État juif lui-même qui l'aura planté par sa folle équipée de lundi. Quant au coup de grâce, c'est la communauté internationale qui est tenue de l'asséner en ordonnant la levée d'une mesure inhumaine, immorale, improductive et dangereuse pour la stabilité régionale.
Contraindre à la raison un Israël assuré de son impunité et qui a érigé en politique le culte de la force brute ; mais prévenir aussi cette forme suprême de folie que serait la fuite en avant, c'est-à-dire le torpillage définitif du processus de paix ou, pire encore, la guerre : écrasante à cet égard sera la responsabilité d'une Amérique excédée par les excès israéliens, inquiète pour ses propres intérêts vitaux et néanmoins tenue de manipuler avec la plus grande prudence la grenade Netanyahu.
Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb