4 octobre 2010
Dans toutes les prisons israéliennes, des milliers de  prisonniers palestiniens ont entrepris le 25 septembre une grève de la  faim symbolique, le temps d’une journée. Dans un communiqué, les  prisonniers déclarent que « l’assaut brutal contre les prisonniers  d’Ofer [une des prisons d’occupation militaire israélienne en  Cisjordanie], l’usage excessif de la force et de moyens féroces de  répression, y compris des chiens, des bâtons et des gaz lacrymogènes,  sans motif particulier, sont révélateurs d’un plan ciblant les droits  des prisonniers ». Nous avons interrogé Ahmed Frasini, qui a connu les  prisons israéliennes et dont le témoignage nous éclaire sur les  conditions carcérales affectant depuis des décennies des milliers de  Palestiniens…
  La question des prisonniers palestiniens  est cruciale, d’une part en raison de graves violations des droits  humains élémentaires, allègrement bafoués par l’occupation israélienne,  et d’autre part dans la mesure où presque toutes les familles  palestiniennes comptent parmi elles au moins un membre ayant été ou  étant détenu dans les geôles israéliennes. Dans un climat médiatique  mettant en avant un « processus de paix » dont on connaît bien  l’hypocrisie, c’est malheureusement une question qui n’est pas abordée  et peu connue. 
  Quelle est donc la réalité de ces  milliers de Palestiniens, jeunes ou âgés, femmes ou hommes, détenus par  des policiers et des militaires d’une puissance coloniale ? Dans le  livre de Michel Collon, Israël, parlons-en ! , nous  avions pu interroger Ahmed Frasini, un Palestinien ayant connu la  terrible réalité de ces prisons. Nous l’avons rencontré à nouveau. A  travers son témoignage, c’est la réalité de milliers de Palestiniens que  l’on découvre… 
 
    Tout commence souvent par une  arrestation, brutale et violente. « Dans mon cas, ils sont venus en  nombre, vers deux heures du matin », nous confie A. Frasini. « Ils sont  entrés dans le village en causant un vacarme inouï. Faisant irruption  chez moi, ils ont crié à mes parents qu’ils venaient me chercher. Mes  parents et ma famille se sont interposés, je n’étais qu’un enfant ! Le  soldat qui dirigeait l’opération a rétorqué que même si j’étais né en  1975 (nous étions alors en 1988) il décidait que j’avais 21 ans, et il  affirma que c’était lui qui commandait. Ma mère a été frappée, ma tante,  enceinte, blessée au ventre par un couteau, et même mon grand-père, qui  avait soixante-cinq ans à l’époque, n’a pas été épargné par la  brutalité des soldats ! ». En effet, jouissant d’un statut de quasi  impunité, les soldats israéliens conjuguent arbitraire et brutalité lors  de leurs opérations. En témoignent clairement certaines photos prises  lors d’arrestations. En outre, les humiliations sont monnaie courante…
  A 12 ans, Ahmed Frasini a donc été  arrêté par les soldats, et est emmené devant les agents chargés des  interrogatoires. « Dans leur jeep, il n’y avait presque pas de place, se  souvient-il. Nous avons donc été jetés dans la voiture, sous les  sièges, les yeux bandés et les mains menottées, et les soldats posaient  les pieds sur nous ». 
 
   Aujourd’hui encore, on compte plusieurs  centaines de mineurs détenus dans des prisons israéliennes. On connaît  même des cas d’enfants nés dans les prisons pour femmes. « Ces  arrestation brutales sont un moyen de pression permanent sur nous,  Palestiniens. Elles permettent de ne pas alléger le poids de  l’occupation, de terrifier enfants et parents, et d’opérer toutes sortes  de chantages ». Lors de l’interrogatoire, les coups pleuvent, sans  arrêts. Les menaces les plus horribles sont assénées en permanence.  « Nous allons détruire ta maison, nous allons arrêter tes parents, me  disaient-ils. Ils voulaient que je réponde à des questions insensées,  sur une éventuelle participation à des assassinats d’Israéliens, sur des  attentats à la bombe ! Lorsqu’ils ont branché des fils électriques à  mes oreilles, un rire nerveux m’a parcouru. Le responsable de  l’interrogatoire a alors redoublé de violence, il était très en colère,  et les décharges électriques me brûlèrent cruellement ». Après, ce sont  les « salles de collaboration » : des cellules que les Palestiniens  partagent avec de faux prisonniers qui tentent de gagner la confiance et  de soutirer des confidences. Une loi israélienne permet d’utiliser des  éléments de cette conversation comme preuves pour des actes  d’accusation. « Mais leurs techniques infernales ne s’arrêtent pas là,  poursuit Ahmed. Ils vont ensuite faire miroiter toutes sortes  d’avantages fabuleux si vous accepter de collaborer. Quand ils ne  parviennent à rien, ils vous mettent dans la même cellule que des  prisonniers israéliens de droit commun, et ce sont ces derniers qui  deviennent les nouveaux bourreaux… » 
 
  
   Le calvaire peut durer longtemps. La loi  israélienne prévoit de faire passer le détenu devant le juge au maximum  huit jours après l’arrestation, mais un juge militaire peut prolonger  la détention pour trois mois supplémentaires, sur simple « suspicion ».  Quant aux arrestations lors d’opérations militaires en Cisjordanie,  l’arbitraire le plus scandaleux caractérise les juridictions militaires,  la Knesset n’ayant pas à se prononcer sur ces cas-là. 
  Il est donc évident qu’Israël ne  respecte pas les règles prévues par la Quatrième Convention de Genève.  Autre exemple : beaucoup de prisonniers de Cisjordanie sont emmenés dans  des prisons de l’Etat israélien, ce qui les empêche de recevoir la  visite de leur famille. Mais Israël rétorque que, la Haute Cour  israélienne de Justice ayant approuvé ce type de détention, les lois sot  respectées... Le droit de visite est un droit continuellement bafoué  par l’Etat hébreu. « Nous étions toujours traînés d’un centre de  détention à l’autre, sans que nos proches puissent savoir où nous sommes  exactement, témoigne A. Frasini. Un jour que je me trouvais à l’arrière  d’un commissariat, pour une énième arrestation, ma mère est venue car  elle me cherchait désespérément. Je l’ai aperçue, mais un policier m’a  rapidement bâillonné de façon à ce que je ne puisse l’appeler… Ma mère  est partie sans même savoir que j’étais là ». A. Frasini ajoute  ensuite : « Les geôliers poussaient le vice jusqu’à inviter à notre insu  des membres de notre famille en les encadrant de policiers israéliens,  et nous faisaient croire qu’ils ont été arrêtés en les faisant passer  devant nos fenêtres… Nous étions terrifiés, et nos proches repartaient  bredouilles ». 
  Le nombre de prisonniers palestiniens  fluctue dans le temps, au gré des opérations israéliennes, entre huit  mille et douze mille généralement, et on compte parfois quatre cent ou  cinq cent enfants derrière les barreaux. Plusieurs centaines  d’arrestations sont dites « administratives », ce qui empêche les  prisonniers d’avoir droit à un procès et ce qui permet de garder les  informations censées justifier ces arrestations hors de portée des  avocats… Difficile dès lors de protester contre l’injustice de la  détention. De plus, une loi prévoit que le témoignage concordant de deux  soldats israéliens suffi à établir des actes d’accusation. 
  Ahmed Frasini continue son récit : « A  toutes ces injustices s’ajoutent les horribles conditions d’hygiène et  sanitaires. Certaines cellules étaient parcourues par des eaux  pestilentielles et des rats, et nous avions moins de lits qu’il n’y  avait de prisonniers. Pour éviter de devoir se coucher à même les  excréments, nous devions nous relayer sur des couches minuscules,  souvent à deux. Je suis un jour tombé de la couche du haut : aujourd’hui  encore, j’en ressens des douleurs au dos. En matière de soins, très  souvent, la seule chose qu’on reçoit, c’est une aspirine. J’ai été  témoin de la souffrance d’un prisonnier, dont la plaie ouverte s’était  infectée, purulente, sans que des soins ne lui soient apportés. Ce sont  des scènes qui vous marquent ». Ces mauvais traitements peuvent mener  jusqu’à la mort, dans des circonstances parfois troubles.
  A cela s’ajoutent les tortures  psychologiques, les détentions prolongées dans l’obscurité, la mise en  isolement de certains prisonniers, les traitements humiliants et  dégradants.
 
  
   « Je comprends évidemment cette grève de  la faim. Un jour, avec mes compagnons de cellule, nous nous étions  résolus à en entamer une pour le prisonnier dont la plaie s’était  infectée. Il faut savoir que, dans ce cas, certaines équipes  d’intervention israéliennes sont chargées de rétablir l’ordre. Nous  avons été jetés dans des cellules inondées d’eau glacée sur plusieurs  centimètres de hauteur, plusieurs heures durant, en plein mois de  janvier ». 
  Aujourd’hui, les prisonniers  palestiniens protestent face aux reculs de leurs droits, droits qu’ils  ont chèrement acquis, arrachés même, au fil des luttes de ces dernières  années. Le droit de voir ses proches, que ces derniers ne soient pas  humiliés lorsqu’il viennent rendre visite (récemment, deux femmes venues  voir un prisonnier ont été forcées d’accepter une fouille à nu !), de  lire, de suivre les actualités, de passer le baccalauréat… Tous ces  droits arrachés par les luttes citoyennes  palestiniennes, et qui ne sont rien d’autres que des revendications pour  le respect des chartes et traités internationaux, tendent à être remis  en cause par Israël, rendant la vie des prisonniers encore plus  difficile qu’elle ne l’est déjà. « Quand je consulte certaines listes de  prisonniers palestiniens, je reconnais les noms de certains amis qui  ont été arrêtés à la même période que moi, et qui y sont encore. »  souligne A. Frasini. « Il faut absolument faire connaître cette  situation et relayer les revendications des prisonniers ! ».
  Ces revendications sont simples :  l’appel à la communauté internationale pour l’adoption de résolutions  visant à protéger les droits des prisonniers palestiniens en Israël. 
  A l’heure où médias et politiques se  focalisent continuellement face aux dizaines d’ « arrestations ou  détentions de prisonniers politiques à Cuba » et affichent des mines  indignées, y aura-t-il une prise en compte de la réalité et du calvaire  permanent que subissent plusieurs milliers de prisonniers politiques, et  parmi eux des enfants, dans les geôles israéliennes ? Mettra-t-on un  terme à une injustice jusqu’à ce jour tolérée par les dirigeants  occidentaux ? Rien n’étant moins sûr, les prisonniers palestiniens  reposent leur espoir sur l’action des mouvements citoyens pour relayer  les revendications et appeler à la mobilisation.

  Abdellah Boudami est co-auteur, avec Michel Collon et Aurore Van Opstal, du livre Israël, parlons-en !
    Source : michelcollon.info
 
 
 









