Malgré les  appels de la communauté internationale exhortant Israël à prolonger son  moratoire sur les nouvelles constructions dans les colonies, la  colonisation a repris en Cisjordanie alors que c’était la condition  exigée par l’Autorité palestinienne du « dialogue de paix » avec Israël.  Quelles réflexions vous inspirent cette situation ?
La notion de « dialogue de paix » est totalement  infirmée par la réalité. La colonisation n’a jamais cessé. Déjà entre la  signature des accords d’Oslo (1993) et l’assassinat d’Itzhak Rabin, un  an et demi plus tard, 60000 nouveaux colons avaient été installés.  Aujourd’hui, il y a 500000 colons en ajoutant ceux de Jérusalem Est et  ceux de Cisjordanie. La colonisation n’est pas rampante, elle se veut  définitive. La communauté internationale est d’une hypocrisie totale. Au  lieu de dire : « puisqu’Israël continue la colonisation, nous allons  sanctionner ce pays », elle exige, comme toujours une capitulation  palestinienne sur ses droits fondamentaux. Si ces discussions continuent  alors que la colonisation se poursuit, de quoi va-t-on discuter ? De la  « sécurité » de l’occupant ? De la taille des bantoustans ?
On sait qu’au moins 500.000  constructions existent déjà en Cisjordanie. Pouvez-vous nous retracer ce  processus et les enjeux à la fois géostratégiques et même mythologiques  qui l’entourent ?
La colonisation était prévue avant la guerre de 1967.  Immédiatement après les conquêtes de 1967, le gouvernement de l’époque  (Mapaï, c’est-à-dire travailliste) a décidé la colonisation. C’est le  plan Igal Allon (du nom d’un ministre de l’époque) qui est appliqué. Il  prévoyait l’annexion de nombreux territoires dont la vallée du Jourdain.  Comme la « gauche sioniste » n’avait pas le personnel politique pour  coloniser, ils sont allés chercher les religieux et ils ont créé le  courant « national-religieux » qui représente aujourd’hui près d’un  quart de la société israélienne. Pour les sionistes, il faut « finir la  guerre de 48 » pour reprendre le slogan sur lequel Sharon s’était fait  élire après sa provocation sur l’esplanade des mosquées. Finir cette  guerre, cela veut dire réaliser le « transfert » (l’expulsion des  Palestiniens au-delà du Jourdain) ou les marginaliser à l’image de la  marginalisation des peuples indigènes en Amérique du Nord ou en  Australie. La colonisation et son extension sont centrales dans ce  processus. Pour les sionistes religieux, « Dieu a donné cette terre au  peuple juif », ce qui justifie les pires exactions contre les  Palestiniens (voir les 400 colons vivant sous « protection » militaire  dans le centre historique d’Hébron). Les religieux font une  interprétation intégriste du texte biblique. Pourtant, il y a un  consensus total chez les historiens et les archéologues, y compris  israéliens, pour dire que les épisodes bibliques invoqués par les  sionistes religieux (la conquête sanglante de Canaan, le royaume unifié)  sont largement légendaires.
Ne peut-on dire que d’ores et déjà qu’en  raison d’incessantes opération de colonisation et de confiscation, le  projet d’un Etat palestinien souverain avec des frontières recoupant la  fameuse « ligne verte » avant l’’invasion et l’annexion de la  Cisjordanie et Ghaza en 1967 est caduque. Sans parler du fameux « Mur »  de séparation que l’on évoque de moins en moins dans les médias  occidentaux…
Il m’est arrivé d’animer des réunions publiques avec  Hind Khoury, ancienne représente de l’Autorité Palestinienne en France  et elle a toujours expliqué que la colonisation, le Mur, les  check-points, le blocus de Gaza … tuaient la possibilité de la création  palestinien sur 22% de la Palestine historique (les territoires occupés  en 1967). Créer un tel Etat signifierait que les 500000 colons  accepteraient, soit de partir, soit de devenir des citoyens  palestiniens. Bien sûr, aucun phénomène n’est irréversible, mais il faut  rappeler que les précédentes évacuations de colons (le Sinaï ou Gaza)  concernaient 8000 à 10000 personnes. Là on n’est pas dans la même  échelle, et on ne voit pas quel dirigeant israélien pourrait vouloir  imposer une solution sur la base de la frontière internationalement  reconnue. Négocier sur cette base est irréaliste. Les Israéliens  exigeront de garder tous les territoires où il y a des colons et donc de  « légaliser » le fait accompli.
Vous, juif, militant antisioniste pour  une paix juste entre les deux peuples, comment appréciez ces pourparlers  directs de paix. Jeux de dupes avec l’assentiment de l’Autorité  palestinienne, création d’un processus de paix entamé il y 13 ans qui  s’avère être maintenant un miroir aux alouettes ?
J’aimerais que dans ce jeu de dupes, la participation de  l’Autorité palestinienne ne soit que tactique. Mais j’ai peur qu’il y  ait d’autres raisons, beaucoup moins avouables. Je trouve déplorable que  les mouvements palestiniens qui déplorent cette comédie soient  réprimés. Le désaveu vient aussi bien du Hamas, de la plupart des partis  de gauche (le FPLP vient de suspendre sa participation à l’OLP) et même  d’une partie du Fatah (Marwan Barghouti). Le piège s’est refermé sur  l’Autorité Palestinienne. Non seulement, elle n’est en rien l’embryon  d’un futur Etat palestinien, mais elle accepte trop facilement, et la  division de la Palestine, et le rôle que l’occupant lui a alloué :  assurer sa « sécurité ». En tout cas, négocier sous direction américaine  ne peut mener qu’à la capitulation palestinienne, comme on a tenté de  l’exiger d’Arafat à Taba et Camp David. Ce n’est pas par hasard que  l’Occident soutient, quoi qu’il arrive, la position israélienne. L’Etat  d’Israël, surarmé et dépensant l’essentiel de son PIB dans les armes et  les technologies de pointe, c’est l’Etat que souhaitent les dirigeants  occidentaux. Jamais ils n’impulseront une négociation basée sur le droit  international, l’égalité entre les peuples ou la réparation du crime  fondateur (la Naqba).
Des responsables israéliens font  observer maintenait aux Palestiniens : « nous avons négocié par le passé  sans arrêter la colonisation ? Pourquoi en faire une condition ? Or  l’Onu, la communauté condamnent cette colonisation. Israël est-il un  Etat au-dessus du droit international ?
Comme cela s’est toujours fait depuis plus de 60 ans,  c’est le fait accompli et la loi du plus fort qui se substituent au  droit. Israël n’est pas au-dessus du droit, mais ses dirigeants peuvent  se permettre de violer en permanence le droit international puisqu’ils  ne sont jamais sanctionnés. L’Onu est hélas totalement incapable. Où  sont les sanctions après la condamnation du Mur par la cour de la Haye ?  Où sont les sanctions après le rapport Goldstone sur les crimes commis à  Gaza ? Pire, après l’attaque de la flottille, l’ONU nomme l’ancien  président colombien Uribe pour superviser l’enquête alors que cet homme  d’extrême droite a toujours été l’allié d’Israël. C’est parce qu’il y a  impunité que le gouvernement israélien a pu se permettre, le jour même  de la visite du vice-président américain Biden, d’annoncer la  construction de milliers de logements à Jérusalem Est. Nétanyahou savait  qu’Obama cèderait sur l’exigence du « gel » de la colonisation et il ne  s’est pas trompé.
On sent qu’il y a peu de réactions  rigoureuses de la part de la communauté internationale ; Dans ces  conditions, L’Autorité palestinienne soumises aux pressions de  Washington et aux promesses sans suite, a-t-elle, à votre avis, une  alternative aux discussions directes ?
Je veux espérer que l’Autorité Palestinienne sait que  ces négociations ne mènent nulle part. Sauf qu’elles permettent une fois  de plus à l’occupant de gagner du temps et de consolider le fait  accompli. L’Autorité Palestinienne n’a pas d’alternative. Elle essaie de  se persuader qu’un jour, la communauté internationale fera pression sur  Israël alors que cet espoir est tout à fait vain. Si les gouvernements  occidentaux changent, cela ne se passera pas « à froid ». Ce sera la  conséquence du BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) et donc de la  pression des opinions publiques pour qu’Israël soit enfin sanctionné  politiquement, économiquement, culturellement …
Le Hamas considère que "la poursuite de  ces négociations est un crime contre le peuple palestinien.. » et Le  FPLP a déjà annoncé son retrait du comité exécutif palestinien ? Le  consensus palestinien ne risque-t-il cette fois pas de s’effondrer  totalement, voire de déboucher sur une guerre civile qui arrangerait les  affaires des ultras israéliens ?
La division palestinienne est une gigantesque victoire  de l’occupant. En Israël, le slogan a toujours été « nous n’avons pas de  partenaire pour la paix » et chaque fois que les Israéliens en ont eu  un, ils ont essayé de le liquider. Quand les Palestiniens « laïques »  étaient politiquement hégémoniques, ils ont été réprimés, emprisonnés,  assassinés. Et quand le Hamas est devenu important, les dirigeants  israéliens ont assassiné ses dirigeants. La Palestine n’a pas d’Etat,  mais elle a deux gouvernements rivaux. Dans un pays où l’économie réelle  a été largement détruite par l’occupation, l’Autorité Palestinienne et  ses 160000 fonctionnaires s’est substituée de fait au débat démocratique  dans l’OLP. Le consensus palestinien est très menacé par les  arrestations d’opposants, mais j’ai un formidable espoir dans la société  palestinienne et dans son tissu associatif qui refusent énergiquement  cette division.
Mahmoud Abbas devait rencontrer des  représentants de la communauté juive de France. L’Union juive française  pour la paix dont vous êtes l’un des animateurs était-elle concernée. Et  quelles sont ses positions sur les enjeux de la paix entre Juifs et  Arabes ?
Non, Mahmoud Abbas n’a aucune intention de nous  rencontrer. S’il rencontre les dirigeants de la communauté juive  organisée (CRIF, consistoire …), c’est peut-être dans l’espoir que  ceux-ci fassent pression sur les dirigeants israéliens. Espoir vain : le  CRIF se comporte depuis des années en supplétif inconditionnel du  gouvernement israélien quoi qu’il fasse. Ils ont tout approuvé : la  destruction du Sud-Liban, le massacre de Gaza, l’attaque de la flottille  etc… Que peuvent-ils dire à Mahmoud Abbas à part : « si vous capitulez  sur le droit au retour des réfugiés, la colonisation, les prisonniers,  le blocus de Gaza … etc …, on peut faire la paix ». Si nous pouvions  rencontrer Mahmoud Abbas, nous lui dirions notre espoir d’une  réunification palestinienne et nous expliquerions qu’une vraie  négociation ne peut partir que du droit international.
Un dernier mot ?
La paix, c’est l’égalité des droits, c’est le respect du  droit international. Il n’y a rien à attendre du processus actuel. Par  contre, plus que jamais, il faut renforcer le BDS. Tant que l’impunité  d’Israël se poursuivra, la destruction de la Palestine sera à l’œuvre. impression Imprimer cet article