Les Israéliens, pourront-ils un jour être fiers de leur pays ?  Sans doute. A condition...         
                   C’est dans une certaine morosité que le peuple israélien  s’apprête à commémorer sa fête nationale, le 14 mai. Cette date marque  la proclamation de l’Etat d’Israël par David Ben Gourion en 1948, mais  elle marque également le début de la « Nakba », l’expulsion de quelque  800 000 Palestiniens de leurs terres, créant ainsi le problème des  réfugiés qui, après soixante-deux ans, reste entier.
 
Une fête nationale - dans tout le pays - est souvent  l’occasion pour le peuple d’exprimer sa fierté, de sortir du placard ses  symboles nationaux, de manifester son attachement à la patrie. Que le  phénomène soit ou non souhaitable, une fête nationale, ça sert à ça.
 
En Israël, qu’en est-il ? Dans la culture juive, le  Talmud nous enseigne que le monde repose sur trois piliers : la vérité,  l’équité et la paix. Mais dans « Etat hébreu », une blague juive veut  que la société israélienne repose sur trois autres piliers : le  mensonge, la corruption et l’armée. Les nombreux soupçons qui pèsent sur Olmert
 
Le 15 avril 2010, l’ancien Premier ministre Ehud Olmert  (du parti de centre droit Kadima, fondé par Ariel Sharon) a démenti  devant la presse les lourdes accusations qui pèsent contre lui dans le  plus vaste scandale immobilier dans l’histoire du pays.
 
Olmert est en effet soupçonné d’avoir reçu des  pots-de-vin de 700 000 euros en espèces de la part d’entreprises privées  pour avoir facilité la construction du complexe « Holyland » (« Terre  Sainte », sic) lorsqu’il était maire de Jérusalem entre 1993 et 2003.
 
Qui plus est, cet ensemble immobilier de luxe a été  édifié en infraction aux normes en vigueur : hauteur des constructions,  plans d’occupation des sols...
 
La veille, celui qui a succédé à Olmert à la mairie de  Jérusalem, Uri Lupolianski (Yahadut Hatorah, coalition de partis  religieux ashkénazes), a été arrêté dans le cadre de cette même enquête.  Quant à Ehud Olmert, mis en examen dans l’affaire « Rishon Tours »,  accusé de s’être fait rembourser plusieurs fois le prix de billets  d’avion pour lui-même et pour les membres de sa famille, il se trouve  déjà devant les tribunaux.
 
Sans parler des autres inculpations qui pèsent sur lui :  financement illégal de sa campagne électorale de 2006, abus de  confiance, truquage des marchés publics et népotisme. Celui qui fut chef  du gouvernement pendant dix ans fait donc couler beaucoup d’encre dans  la presse israélienne, mais plus seulement dans les pages politiques.  Son nom est désormais omniprésent dans la chronique judiciaire ! Fraude, blanchiment d’argent, harcèlement sexuel...
 
Une exception ? Malheureusement non. En août 2009, la  police israélienne a recommandé la mise en examen d’Avigdor Lieberman,  l’actuel ministre des Affaires étrangères (du parti Israël Beiténou,  extrême droite). Ce politicien raciste, devant lequel Jean-Marie Le Pen  ferait figure de modéré, a été accusé de corruption active, fraude,  blanchiment d’argent sale, subornation de témoins et obstruction de la  justice.
 
Sans jamais avoir été condamné par le tribunal  compétent, ce personnage controversé est toujours en poste comme chef de  la diplomatie israélienne. Pour l’image internationale d’un pays qui se  veut démocratique, on aurait pu mieux faire.
 
Quant à Haïm Ramon, ancien ministre de la Justice  (Kadima), il a été condamné par le tribunal de grande instance de  Tel-Aviv non pas pour un délit lié à la corruption mais toutefois assez  grave sur le plan moral : le harcèlement sexuel.
 
L’ancien Président d’Israël, Moshé Katsav (Likoud, parti  de droite actuellement au pouvoir), a également été accusé de  harcèlement sexuel en 2007. Il a préféré démissionner, laissant la place  à Shimon Pérès, plutôt que d’être destitué et condamné en justice.  Katsav a indemnisé sa victime dans un règlement hors cour.
 
Si la Présidence du pays n’est qu’un poste honorifique,  celui qui préside l’Etat n’en est pas moins censé incarner une certaine  autorité morale auprès de ses concitoyens. On est loin du compte.
 
Pays les moins corrompus : Israël  passe de la 22e à la 34e place
 
En 2006, selon Transparency International (une ONG qui  enquête sur les affaires de corruption), Israël a dégringolé de la 22e  place à la 34e place des pays « les moins corrompus ».  Pas de quoi être fier, quand on sait que le gouvernement israélien ne  se gêne pas pour critiquer la corruption de l’Autorité palestinienne. Il  ferait mieux de balayer devant sa porte. C’est ce qu’estime le  Mouvement pour la probité du gouvernement, une nouvelle ONG israélienne.
 
Outre les élus, ni les cadres du parti au pouvoir, ni  les hauts fonctionnaires n’échappent à la chronique judiciaire.  Citons-en un seul : Tzahi Hangebi, accusé d’abus de confiance et de  corruption électorale. Un nom parmi d’autres dans ce cas de figure : la  liste est longue.
 
Quant aux voyages à l’étranger des hauts responsables  politiques et militaires, ils sont désormais sous haute surveillance.  Aucun déplacement n’est avalisé sans consultation préalable des  conseillers juridiques du pouvoir.
 
Ainsi, l’actuel Premier ministre, Benyamin Nétanyahou  (Likoud), a-t-il annulé son déplacement aux Etats-Unis le 14 avril pour  le sommet sur la sécurité nucléaire. Après avoir été humilié par  l’accueil glacial que Barak Obama lui avait réservé à Washington le mois  précédent, Nétanyahou se sentait sur la sellette dans le dossier  nucléaire, car Israël n’a jamais admis qu’il possédait l’arme atomique,  un secret de Polichinelle pourtant.
 
Une élite politique et militaire  quasiment « assignée à résidence »
 
En décembre 2009, Tzipi Livni (Kadima), ancienne  ministre, était obligée d’annuler un déplacement à Londres pour éviter  d’être interpellée par la police britannique. Un mandat d’arrêt avait  été délivré contre elle par un tribunal anglais, à titre de compétence  universelle en matière de crimes de guerre.
 
Des juges de Sa Gracieuse Majesté l’avaient épinglée  pour son rôle dans le massacre de 1 400 Palestiniens dans la Bande de  Gaza en janvier 2009 : déclenchement de l’opération « Plomb durci »  alors que Livni était ministre des Affaires étrangères et candidate pour  le poste de Premier ministre dans la campagne des législatives qui se  profilait à l’horizon électoral.
 
Déjà en septembre 2009, des avocats palestiniens avaient  demandé aux tribunaux britanniques d’émettre un mandat d’arrêt contre  Ehud Barak, actuel ministre de la Défense (Travailliste), pour les mêmes  motifs.
 
Cet incident judiciaire et diplomatique avait été  immédiatement suivi par un camouflet infligé au général Moshé Ya’alon  (Likoud), vice-Premier ministre et ancien chef de l’état-major. Celui-ci  avait dû renoncer à un voyage au Royaume-Uni (ancienne puissance  coloniale en Palestine) pour avoir ordonné, en 2002, le bombardement  d’un immeuble à Gaza dans lequel 14 civils avaient perdu la vie.
 
Ces incidents embarrassants pour Tel-Aviv rappellent le  mandat d’arrestation émis en Belgique contre l’ancien Premier ministre  Ariel Sharon, toujours à titre de compétence universelle en matière de  crimes de guerre.
 
Les dirigeants israéliens peuvent également considérer  l’Espagne comme un pays à éviter : des officiers haut gradés de l’armée  israélienne furent cités en 2008 par des avocats à Madrid suite à une  plainte déposée avec le concours du PCHR (Centre palestinien pour les  droits humains).
 
Qui plus est, le rapport Goldstone - rédigé sous la  direction de ce juriste sud-africain mandaté par l’ONU pour enquêter sur  les violations du droit international à Gaza - a sérieusement écorché  les dirigeants israéliens.
 
Avec une élite politique et militaire quasiment  « assignée à résidence » à l’intérieur des frontières israéliennes -sous  peine d’une arrestation humiliante- que vaut aujourd’hui l’image  d’Israël, pays qui se targue d’être « la seule démocratie au  Moyen-Orient » ?
 
Mercenariat et trafic d’armes
 
Moshé Ya’alon n’est pas l’unique militaire à être traqué  par la justice hors des frontières d’Israël. En avril 2007, Interpol a  émis un mandat d’arrêt international contre trois officiers israéliens,  Yaïr Klein, Melnik Ferry et Tzedaka Abraham. Ils sont accusés d’avoir  entraîné les milices paramilitaires d’extrême droite en Colombie et  d’avoir travaillé dans les années 1990 pour les hommes de Pablo Escobar,  narcotrafiquant colombien qui purge actuellement une peine de prison à  perpétuité.
 
Quant à Yaïr Klein, il avait auparavant servi comme  mercenaire en Sierra Leone, au Liberia et au Panama. Voilà une autre  activité « internationaliste » chère à une partie de la caste militaire  israélienne : le mercenariat.
 
De la corruption à la guerre, il n’y a qu’un pas. Comble  de l’ironie, face au discours sécuritaire ambiant en Israël, le pays  fut ébranlé en 2007 par une révélation qui a laissé pantois bon nombre  d’Israéliens. 35 soldats furent inculpés pour avoir volé du matériel  militaire dans les casernes. Dans quel but ? Pour les revendre... aux  combattants palestiniens et au Hezbollah libanais !
 
Certains rapports des renseignements militaires  israéliens ont évoqué 2 345 pièces d’artillerie, 15 roquettes antichars  et des dizaines de milliers de munitions volatilisées, dont 24 000  balles pour la seule année 2006.
 
Des journalistes, citant des sources officielles  israéliennes, ont révélé ces faits déjà connus de bon nombre  d’Israéliens (la conscription étant obligatoire) mais sujet tabou, que  peu de gens voulaient avouer au grand jour.
 
Les trafiquants, des réservistes pris entre des  officiers peu regardants et le chômage qui les guette à la fin de leur  service militaire, n’ont pas trouvé mieux pour assurer leurs revenus  qu’un lucratif trafic d’armes, même si ces dernières doivent se  retourner contre eux sur le terrain des opérations militaires dans des  affrontements avec la résistance palestinienne.
 
Les conditions d’une paix durable
 
Chômage, précarité, violence, contrebande du matériel  militaire, le tout dans une société rongée jusqu’à l’os par la  corruption généralisée, telle est l’ambiance en Israël à la veille de la  « fête nationale ».
 
Les Israéliens, pourront-ils un jour être fiers de leur  pays ? Sans doute. A condition que ce pays renonce à l’occupation,  rapatrie les colons, démantèle le Mur de la honte, reconnaisse le droit  au retour des réfugiés et s’assure que chaque citoyen juif parle aussi  bien l’arabe que ses citoyens palestiniens parlent l’hébreu.
 
Israël doit faire amende honorable pour toutes les  horreurs du passé en demandant solennellement pardon à ses victimes et à  leurs familles.
 
Quant aux 11 000 prisonniers politiques palestiniens qui  peuplent des geôles d’Israël, ils doivent bénéficier d’une amnistie  générale et laisser leur place derrière les barreaux à une bonne partie  de la classe politique, de la hiérarchie militaire et de l’élite  corrompue actuellement au pouvoir.
 
Ce n’est peut-être pas demain la veille, mais seul un  scénario de ce genre sera à même d’apporter les conditions d’une  véritable paix juste dans la région. Ça prendra le temps que ça prendra,  mais dans la mesure où tout changement profond commence par un premier  pas modeste, autant commencer tout de suite. Ce ne serait pas trop tôt.
Richard Wagman est Président d’honneur  de l’UJFP