Informer l’opinion américaine et occidentale sur la « réalité  du traumatisme collectif national » du peuple palestinien. Permettre la  compréhension d’une « situation pas très bien connue et certainement  incorrectement appréhendée ».         
         
 
Faire prendre conscience que la question de Palestine a  été ignorée par les Sionistes et les Américains alors qu’elle constitue  une « part concrète et importante de l’histoire ». Mettre en lumière le  fait que la question juive en Europe chrétienne s’est résolue par la  colonisation des terres palestiniennes par les Sionistes, contraignant  les Palestiniens musulmans et chrétiens à quitter leur patrie pour  devenir des réfugiés. Faire de la question de Palestine « un objet de  discussion et de compréhension » afin de la sortir du gouffre de  l’Histoire et de l’état d’isolement dans laquelle elle a été confinée.
 
Tels sont quelques uns des objectifs qui ont incité Edward W. Said à publier, en 1979, La Question de Palestine (1). Réédité en 1992, cet ouvrage de 383 pages vient d’être publié en langue française, aux Éditions Actes Sud.
 
A travers cet essai historique et politique, l’auteur  qui se positionne comme Palestinien précise la nature de son  intervention. Ni expertise. Ni ‘témoignage personnel. Mais un ouvrage  basé sur des faits vécus et une certaine conception des droits de l’homme et sur les contradictions d’une expérience sociale.  Par ailleurs, E. W. Said remet en cause la « neutralité du langage »  des études politiques universitaires sur le Moyen-Orient qui légitiment  le sionisme lequel reproduit à l’égard du peuple arabe palestinien les  préjugés occidentaux à l’égard de l’Islam, du monde arabe et du  Moyen-Orient. Cette attitude nous déshumanise, nous ravale au niveau d’une nuisance à peine tolérée, écrit-il dans son introduction.
 
La Palestine ou l’histoire d’un peuple « juridiquement absent »
 
La Palestine... Un territoire colonisé par l’État  sioniste dont le peuple a été persécuté par l’Europe chrétienne durant  la première moitié du 20e siècle. Un peuple ‘reconnu comme l’archétype  de la victime de l’Histoire qui à son tour expulse, opprime, étouffe,  tue, assassine... « Des victimes de l’Holocauste, persécutrices d’un  autre peuple (...) devenu victime des victimes.
 
Les Palestinien(ne)s... Un peuple expulsé de son  territoire, qui depuis plus de soixante années, date de la Naqba  (catastrophe), subit la politique expansionniste, discriminatoire et  éliminatoire de l’Etat d’Israël et son lot de conséquences tragiques :  ‘la dépossession, la dispersion, la dépendance, l’exil et toutes les  caractéristiques de l’existence fragmentée et déstructurée d’un peuple  errant bafoué dans ses droits les plus élémentaires et dans son droit de  vivre libre et digne sur sa terre.
 
Un territoire et un peuple désigné en termes de « réfugiés » ou « d’extrémistes », « incompris », ignorés », qui vivent une expérience unique dans la région du Moyen-Orient :  la rencontre dramatique et traumatisante avec le sionisme. Un drame  national et collectif qui met en évidence « une histoire politique d’une  complexité inhabituelle et même sans précédent » dont la situation  demeure entière, non résolue, apparemment incontrôlable, irréductible.
 
« Les Palestiniens dans le discours occidental »
 
Selon E. W. Said, la détermination des Palestinien(ne)s d’imposer l’Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P.) comme l’authentique dirigeante du peuple palestinien  a joué un rôle important dans la modification de la conscience  occidentale vis-à-vis des droits palestiniens. Car de son point de vue,’  ils proposaient un programme clair (...) qui incarnait une nation en  exil plutôt qu’il ne faisait partie d’un vague rassemblement d’individus  et de petits groupes vivant ici et là. La mobilisation et le travail  structuré des Palestiniens et des dirigeants politique ont ainsi permis à  la cause palestinienne de gagner en visibilité, d’entrer dans le  discours américain et d’obtenir la reconnaissance, l’adhésion et le  soutien d’organisations internationales (O.N.U., la Ligue arabe....) ;  d’organisations transnationales (Organisation de l’unité africaine, Le  Vatican) ; d’organisations non gouvernementales...
 
Le terrorisme a-t-il porté préjudice à la lutte du  peuple palestinien. ? Pour E. W. Said, les actions terroristes menées  par des Palestiniens ont crée un amalgame entre le mouvement national  palestinien et les actions politiques palestiniennes terroristes qui ont  eu lieu dans un contexte défini et des circonstances bien  particulières. En effet, devant la détermination  acharnée d’Israël à accélérer le processus pour réduire, pour minimiser  les palestiniens puis pour s’assurer de leur absence en tant que  présence politique et humaine dans l’équation du Moyen-Orient, les  Palestiniens ont répondu, à la fin des années 1960, et début des années  1970, par des assassinats, des détournements d’avions, des prises  d’otages, des attentats. Cependant, l’auteur souligne le fait que les  attaques punitives des Israéliens (terrorisme d’Etat)  en guise de réponse aux actions terroristes sont plus importantes et  ont causé plus de dommages aux Palestiniens. ‘Le nombre de Palestiniens  tués, l’ampleur des pertes matérielles, les privations physiques,  politiques, psychologiques, a très largement excédé les dommages  infligés aux Israéliens par les Palestiniens, écrit-il. Puis il attire  l’attention sur le caractère asymétrique de la situation des  Palestiniens en mettant l’accent sur l’extraordinaire  disproportion, ou asymétrie, entre, d’un côté, la situation des  palestiniens en tant que peuple affligé, dépossédé et bafoué, et, de  l’autre côté, Israël en tant « qu’État du peuple juif », instrument  direct de la souffrance des palestiniens, -qui- est à la fois énorme et  largement ignorée.
 
Ignorée, d’une part, par les présidents américains qui  refusent de reconnaître la lutte des Palestiniens pour leurs droits  alors qu’ils n’hésitent pas un seul instant à célébrer le combat des  dissidents russes, afghans, chinois...
 
Et d’autre part, par des intellectuels engagés et  d’ex-politiciens qui n’approuvent pas la politique d’Israël à l’égard  des Palestiniens mais qui font preuve de manque de courage car ils  n’osent pas exprimer leur opinion en public. La question de la  trahison des clercs concerne également ces intellectuels israéliens et  occidentaux juifs et non juifs qui s’enferment dans le silence,  l’indifférence, l’ignorance. Leur non engagement est du point de vue  d’E. W. Said une preuve de complicité et de lâcheté. Et inévitablement,  cette attitude maintient le peuple palestinien dans sa souffrance et sa  tragédie .
 
Les relations entre les États-Unis et les Palestiniens
 
La position des Etats-Unis à l’égard des Palestiniens  est extrêmement importante pour deux raisons. D’une part, en leur  qualité de « premier patron et allié stratégique » d’Israël. D’autre  part, ils constituent ‘la seule force extérieure qui cherche à avoir un  rôle au Moyen-Orient.
 
Le lobby sioniste, avec la complicité des gouvernements  de la droite israélienne joue un rôle déterminant dans la politique  américaine vis-à-vis du peuple palestinien. En 1988, sur injonction de  ce lobby, le dirigeant de l’O.L.P., Yasser Arafat, a été empêché  d’entrer sur le territoire américain par le Secrétaire d’Etat américain,  Georges Shulz. L’amendement Grassley présenté au Congrès poursuivait  trois objectifs : interdire à l’O.L.P. « toute rencontre » aux  Etats-Unis ; supprimer la mission d’observation de l’O.L.P. à l’O.N.U.  et fermer le bureau palestinien à Washington. Mais la cour du district  refusa d’exécuter. En 1979, Andrew Young, l’ambassadeur américain aux  Nations Unies fut contraint de démissionner après un contact informel  avec le délégué palestinien à l’O.N.U., Zuhdi Terzi. Selon E. W. Said,  cette attitude d’hostilité et d’exclusion à l’égard des Palestiniens a  bien sa logique. Elle est ‘l’extension de la politique officielle  israélienne, immuable et pourtant toujours plus violente. Pourtant,  malgré cette interdiction de contact et de rencontre avec les dirigeants  palestiniens, ces derniers ont, à maintes reprises, eu des contacts  secrets avec les autorités américaines. En 1970, l’O.L.P. est intervenu  en faveur des Américains à Beyrouth. La protection de l’ambassade  américaine ainsi que l’évacuation des ressortissants américains par la  mer ont été assurées par les Palestiniens (1976). En 1979, les trente  américains tenus en otage à l’ambassade américaine de Téhéran ont été  libérés grâce à l’intervention de Yasser Arafat.
 
Malgré le fait que la Palestine a toujours été une  question « secondaire » aux State-Unis voire ‘une affaire de politique  intérieure américaine, contrôlée depuis 1948 par le lobby israélien, la  question de Palestine a commencé à émerger dans la conscience américaine  grâce à trois facteurs.
 
Primo, l’influence des Palestiniens et des Arabes américains vivant aux États-Unis.
 
Secundo, les efforts de l’opinion  indépendante ou libérale, des organisations et des militants  représentant l’opposition anti-guerre et anti-impérialiste aux  États-Unis.
 
Tertio, le rôle de Juifs américains  et européens, d’opposants à la guerre en Israël, d’organisations et de  groupes qui soutiennent « La Paix Maintenant ».
 
Yasser Arafat... l’Intifada...
 
Malgré l’exil, la dispersion, les lois répressives des  certains pays arabes. En dépit de l’hostilité et de la politique  éliminatoire d’Israël à l’égard des Palestiniens avec le soutien des  Etats-Unis, le peuple palestinien a cependant pu s’unir autour d’une  figure nationale et politique personnifiée par Yasser Arafat. E.W. Said  le décrit comme un personnage ayant une sorte de double  personnalité : l’une, l’indiscutable et immédiatement reconnaissable  symbole de la Palestine, l’autre, le chef politique avec lauriers et  privilèges, et aussi les inconvénients que cette sorte de personnalité  suppose.
 
Les apports de cette figure politique à la cause  nationale palestinienne durant les deux décennies de sa direction sont  nombreux. Cet homme qui bénéficiait d’une grande popularité auprès de  son peuple a permis l’instauration d’un système politique démocratique,  contrairement aux pays arabes avoisinants. Il a conduit ses compatriotes  vers une coexistence avec Israël et instauré des modes d’interaction  qui ont facilité la communication avec son peuple. Il a été l’un des  rares leaders des luttes nationales à empêcher le développement d’une violence sectaire ou interpalestinienne.
 
Si les apports de Yasser Arafat ont servi la cause du  peuple palestinien, il semble néanmoins important de noter que durant  son leadership, les Palestiniens n’ont pas cessé de perdre des terres en  Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem- Est. En 1982,  lorsque les forces israéliennes ont envahi le Liban, les Palestiniens  ont subi d’importantes pertes civiles et militaires, « terribles et  lointaines retombées des accords de Camp David », écrit E.W. Said. Et  tout en adoptant une posture des plus objectives, l’auteur propose de  laisser à des experts le soin d’évaluer les années de leadership de cet  homme qu’il décrit comme une figure tragique d’une extraordinaire trempe politique.
 
L’un des aspects de la vie palestinienne qui a servi de  modèle aux dirigeants de l’O.L.P. concerne l’Intifada, c’est-à-dire  « l’insurrection nationale palestinienne(...) contre l’injustice » qui a  éclaté dans les territoires occupés. Ce modèle de lutte durable, relativement non violent, inventif, courageux et étonnement intelligent a influencé d’autres peuples, notamment dans les pays arabes, de l’Europe de l’Est, d’Afrique, d’Asie... Car là  où les troupes israéliennes tirent sur les civils, les harcèlent et les  maltraitent, les Palestiniens inventent des moyens pour contourner ou  traverser les barrières. Là où les prescriptions d’une société encore  largement patriarcale maintiennent les femmes dans la servitude, les  palestiniens leur donne une nouvelle voix, une nouvelle autorité, un  nouveau pouvoir..., écrit E.W. Said..
 
Deux facteurs ont cependant contribué à affaiblir l’Intifada.
 
Primo, la crise du Golfe qui a  favorisé l’isolement arabe et international de l’O.L.P. et le dénuement  des Palestiniens vivant au Golfe.
 
Secundo, Le quota des migrants  russes vers Israël n’a pas été limité dans l’arrangement qui a été  conclu entre les États-Unis et la Russie. Cet état de fait a encouragé  la migration des Juifs russes en Israël en très grand nombre.
 
La Palestine... un devoir humain et humaniste
 
A la lecture de cet essai instructif, objectif, riche et  enrichissant destiné à toute personne qui s’intéresse à la question de  Palestine et/ou qui souhaite comprendre la problématique du peuple  palestinien, un constat s’impose comme une évidence. Malgré la politique  d’extermination d’un Etat qui s’est construit et qui continue de se  construire sur la base du déni de la Palestine et des Palestiniens, le peuple palestinien arabe continue d’exister.
 
La Question de Palestine est un  ouvrage incontournable car il propose une version objective et  documentée du conflit israélo-palestinien et permet de comprendre la  tragédie du peuple palestinien. Par ailleurs, il dévoile la réalité de  l’Etat d’Israël et contribue à réajuster les représentations  occidentales et autres de la réalité palestinienne et israélienne. C’est  pourquoi, il mérite d’être recommandé, commenté, discuté voire diffusé  et ce, afin de sortir la question de Palestine du cercle des spécialistes, des experts et des initiés.
 
Porter la lutte du peuple palestinien est un devoir. Notre devoir en tant que personnes humaines ! Car aucun  être humain ne devrait être menacé de « transfert » hors de sa maison  ou de sa terre ; aucun être humain ne devrait faire l’objet de  discrimination parce qu’il n’appartient pas à telle ou telle religion ;  aucun être humain, pour quelque raison que ce soit, ne devrait être  dépouillé de sa terre, de son identité, de sa culture. Car les  Palestiniens en leur qualité d’êtres humains et en tant que peuple, ont  aussi droit à l’autodétermination, à leur terre, à leur patrie, à leur  mémoire, à leur identité, à leur personnalité, à leurs oliviers, à leurs  citronniers, à leurs maisons.
 
C’est indéniable ! Le peuple palestinien vit une des  tragédies les plus honteuses du 20e et du 21e siècles. Gens d’ici et  d’ailleurs, vous qui avez au coeur le souci de la justice, de la liberté  et de l’égalité, n’est-il pas urgent de dire et d’agir afin de ne pas  laisser se perpétuer l’extermination d’un peuple qui aspire à vivre  libre sur les terres de sa partie, la Palestine ? Gens d’ici et  d’ailleurs, n’est-il pas de notre devoir d’arrêter le cours d’une  histoire tragique qui reproduit les atrocités et les traumatismes d’une  époque que beaucoup qualifient comme une période sombre, très sombre de  l’humanité ?
 
1) Dans la préface de l’édition de 1992, Edward W. Said  précise que l’ouvrage La Question de Palestine a été écrit entre 1977 et  1978 et publié en 1979 aux Vintage Books Éditions.
 Edward W. Said : « La Question de Palestine »
  Edward W. Said : « La Question de Palestine »# Broché : 382 pages
# Editeur : Actes Sud (28 février 2010)
# Langue : Français
# ISBN-10 : 2742789979
# ISBN-13 : 978-2742789979
# Prix conseillé : 25 €