Quelques heures après la 
démolition de sa modeste maison par les bulldozers israéliens, Khaled 
Abdallah Ali Ghazal se tient debout jambes écartées sur les décombres 
dans la chaleur torride du désert, et jure de ne pas partir. « Nous 
n’avons nulle part ailleurs où aller, nous reconstruirons, » dit-il. 
Pour des centaines comme lui dans la vallée du Jourdain, c’est la 
réalité de ce que le Comité israélien contre les démolitions de maisons 
(ICAHD) appelle « l’été des démolitions ».
La vallée du Jourdain a toujours captivé l’imagination 
des voyageurs et des pèlerins faisant allusion à sa représentation 
biblique qui la montre comme une terre luxuriante, fertile. Et en effet,
 la région profite d’une eau abondante, dans ses profondeurs se trouve 
la troisième nappe aquifère souterraine de Cisjordanie. Mais la réalité 
profane de la vallée du Jourdain, c’est la ségrégation et l’apartheid 
des ressources terrestres et aquifères.
Alors que les colonies juives illégales s’éparpillent 
dans le paysage avec des palmeraies-dattiers et des vignobles 
florissants, les communautés palestiniennes doivent se battre pour avoir
 un abri, de l’eau potable et des moyens rudimentaires pour la santé et 
l’enseignement. La politique d’Israël de colonisation a fait que l’été 
2011 a battu tous les records en expansion des colonies, aux dépens des 
communautés palestiniennes.
Courant le long de la Cisjordanie, la vallée du Jourdain
 en couvre près de 30 % du territoire, avec une surface totale de 2400 
km². Avant l’occupation de 1967, quelque 250 000 Palestiniens vivaient 
ici, mais, selon un récent sondage du Bureau central palestinien des 
statistiques, il en reste moins de 65 000 aujourd’hui.
La vallée du Jourdain tombe sous le contrôle total 
israélien avec l’Accord provisoire israélo-palestinien de 1995, connu 
sous le nom d’Accords d’Oslo II, qui l’a classée en Zone C. En vertu des
 Accords d’Oslo, les pouvoirs et les responsabilités en matière de 
zonage et d’urbanisme dans les Zones C devaient passer sous le contrôle 
palestinien, mais cela ne s’est pas fait et Israël a clairement fait 
savoir qu’il avait l’intention, illégalement, d’annexer la région et de 
la vider de ses habitants palestiniens.
Au cours des huit derniers mois, les démolitions de 
maisons et les expulsions forcées ont quintuplé par rapport à 2010. Un 
total de 184 structures, principalement des maisons abritant des 
familles, ont été démolies, déplaçant des centaines de familles et 
dispersant les communautés. Cette escalade ponctue toute une série 
d’agressions de colons qui veulent s’emparer des terres des communautés 
palestiniennes.
L’une de ces communautés est Fasayil al-Wusta, où des 
démolitions à grande échelle se sont produites plus tôt dans l’été. 
Vingt-et-une structures - 18 maisons et 3 enclos pour animaux - ont été 
démolies par l’Administration civile israélienne, laissant 103 
personnes, dont 64 enfants, sans abri et exposées à l’environnement 
hostile du désert. Durant les démolitions, auxquelles s’est ajoutée la 
violence d’une cinquantaine de gardes-frontière, le patriarche de la 
communauté, Ali Salim Abiat, a été blessé. Aucune allocation de 
relogement ni indemnité n’ont été accordées aux victimes des 
démolitions.
Fasayil al-Wusta est le foyer d’une communauté bédouine 
palestinienne dont les membres sont originaires de la région de 
Bethléhem. Elle s’est trouvée coincée entre les colonies de Tomer, Yaift
 et Patzael, dont les résidents convoitent les terres cultivées par les 
Palestiniens pour l’expansion de leurs plantations. Après les 
démolitions, la communauté palestinienne a été dispersée, ce qui a 
permis aux colons d’obtenir ce qu’ils voulaient.
Au nord de Fasayil al-Wusta s’étend le check-point 
d’al-Hamra, isolant la vallée du Jourdain du reste de la Cisjordanie. En
 2006, Israël a imposé l’interdiction aux Palestiniens qui ne vivaient 
pas à l’époque dans la vallée du Jourdain de se déplacer librement dans 
la région. Les restrictions à ses accès se sont concrétisées par 18 
clôtures, six tranchées et des monticules de terre sur un total de 50 
km, plus quatre portes agricoles prétendument conçues pour permettre aux
 communautés palestiniennes séparées de leur réseau de distribution 
d’eau de transporter de l’eau sur leurs terres et dans leurs maisons.
Les mesures employées par Israël, en opposition 
flagrante avec la loi internationale sur les droits de l’homme, ont 
conduit à ce que des milliers de dunums (10 dunums = 1 ha) sont 
maintenant inaccessibles aux communautés palestiniennes qui vivent sans 
ressources dans une région autrefois opulente.
Abu Saker, du village d’al-Jiftlik, explique ses 
contraintes pour approvisionner sa famille en eau : « Pour acheter 
l’eau, je dois conduire mon tracteur pendant trois heures à l’aller et 
autant au retour, alors que notre puits ici est réservé aux seuls 
juifs ». La porte agricole, officiellement ouverte trois jours par 
semaine, 20 minutes le matin, et 20 minutes l’après-midi, est en 
pratique rarement ouverte et les Palestiniens doivent faire la queue 
pendant des heures pour accéder à l’eau, aux soins, et à l’enseignement.
Une même politique de sanctions s’applique à une autre 
collectivité à la périphérie de Jérusalem, Khan al Ahmar, qui abrite une
 communauté bédouine palestinienne de réfugiés de 1948. Ces Palestiniens
 sont exposés à un déplacement imminent si les autorités israéliennes 
mettent à exécution leurs projets de démolitions de leurs maisons et 
école, dans les prochaines semaines. Khan al Ahmar est l’une des 20 
communautés bédouines de la région devenues victimes d’un nettoyage 
ethnique, Israël tentant de créer une continuité entre Jérusalem-Est 
judaïsée, la colonie de Ma’ale Adumin avec ses 40 000 colons, dans le 
centre de la Cisjordanie, et les colonies de la vallée du Jourdain.
Les autorités israéliennes considèrent que les 
communautés bédouines comme Khan al Ahmar, qui représentent plus de 2300
 personnes, « interfèrent » avec l’expansion planifiée de Ma’ale Adumin,
 Kfar Adumin et des autres colonies, et avec la construction de la 
clôture de Cisjordanie.
L’école de Khan al Ahmar, construite par la communauté, 
est la seule à offrir un enseignement primaire aux enfants de la tribu 
bédouine Arab al-Jahalin. Montée en 2009 dans le respect de 
l’environnement - l’école est faite de pneus usés et de briques de 
boue -, elle dispense un enseignement à plus de 70 élèves. La Cour 
suprême israélienne a récemment débouté les colons de Kfar Adumin de 
leur demande de fermeture de l’école ; cependant, l’affaire a déclenché 
le compte à rebours pour sa démolition.
Pour la création d’un État palestinien viable, la vallée
 du Jourdain représente une réserve essentielle de terres, un 
arrière-pays agricole et une infrastructure économique stratégique. Non 
seulement cela, mais la région donne aussi à l’État potentiel, son 
unique entrée terrestre.
Mais depuis le début de son occupation, en 1967, Israël 
convoite la vallée du Jourdain, tant pour son potentiel économique que 
pour son importance stratégique pour empêcher toute viabilité à un État 
palestinien. Il justifie sa présence dans la région comme nécessaire à 
sa sécurité - dans son discours de mai devant le Congrès US, le Premier 
ministre israélien Benjain Netanyahu a affirmé que dans tout accord 
éventuel sur un statut final auquel il pourrait arriver avec les 
Palestiniens, Israël gardera le contrôle sur la vallée du Jourdain.
Ainsi, durant les dernières décennies, et plus encore 
les six dernières années, depuis son retrait de Gaza, Israël a colonisé 
la région en créant ce qu’il considère comme irréversible, « des faits 
sur le terrain », avec des colonies et des bases militaires.
Quelque 25 000 Palestiniens des 65 000 à être restés 
dans la région vivent à Jéricho, dans ce qui est essentiellement une 
prison à ciel ouvert, bordée de check-points et de clôtures de tout 
côté. Les autres vivent dans des communautés rurales où la corne 
d’abondance généreuse de leurs ressources agricoles d’autrefois s’est 
tarie, puisque quasiment toutes les sources d’eau sont aujourd’hui 
réservées, exclusivement, pour les colonies.
Israël contrôle maintenant plus de 90 % de la vallée du 
Jourdain, grâce à 36 colonies où se sont installés plus de 9000 colons, 
et à des zones militaires dites fermées et des réserves naturelles 
déclarées. En attendant, les démolitions de maisons, les expulsions 
forcées et les confiscations de biens, exacerbées par la violence des 
colons et les conséquences économiques des restrictions à leurs 
déplacements, mettent les communautés palestiniennes dans l’obligation 
de se battre pour gagner leur vie.
L’été des démolitions voit maintenant les Palestiniens 
de la vallée du Jourdain vivre dans la crainte constante d’un 
déplacement et d’une dispersion, pendant qu’Israël sécurise sa 
suprématie et son contrôle sur cette terre troublée.