J’ai passé les 10 dernières années à parler de l’idéologie nationale et de la politique tribale juives.         
         
 
  Pendant mon exploration de ce que représentent le sionisme et Israël,  j’ai finalement compris que c’est en fait la gauche juive - et les  marxistes juifs en particulier - qui nous fournissent un aperçu adéquat  de l’identité juive contemporaine, la suprématie tribale, les politiques  marginales et le tribalisme.
  
« La gauche juive » est essentiellement un oxymore.  C’est une contradiction dans les termes parce que la « judéité » est une  idéologie tribale, tandis que « la  gauche » est traditionnellement  censée aspirer à l’universalisme. Au premier abord, la « gauche juive » ne se distingue pas,  du moins  catégoriquement, d’Israël ou du sionisme : après tout, c’est une  tentative de former encore un autre « club politique réservé aux seuls  juifs ».
 
Mais en ce qui concerne le mouvement de solidarité  palestinienne, son rôle est de plus en plus discuté, parce que d’une  part, on peut voir l’ avantage politique qu’il y a à pouvoir signaler  quelques « bons juifs » et d’insister sur le fait qu’il y a des juifs  qui « s’opposent au sionisme en leur qualité de juifs ».
 
Néanmoins, en revanche, accepter la légitimité d’une  telle affaire politique à orientation raciale équivaut en soi à accepter  encore une autre forme ou expression du sionisme, parce que le sionisme  prétend que les juifs sont 
avant tout juifs et qu’ils ont intérêt à fonctionner politiquement 
en tant que juifs.
(1) 
Dans une certaine mesure,  il est donc clair que l’antisionisme juif est en soi encore une autre forme de sionisme.
 
La « dissidence juive » joue deux rôles principaux :  d’abord elle s’efforce de représenter et de soutenir une image positive  des juifs en général.
(2) Deuxièmement, elle est là pour réduire au silence et brouiller toute tentative faite par un 
outsider  pour appréhender la signification de l’identité juive et des politiques  juives dans le contexte des machinations de l’État juif. Sa fonction  est également d’empêcher les éléments de ce mouvement de pénétrer dans  les détails du rôle crucial du lobby juif.
 
La gauche juive est donc là pour mettre en sourdine  toute critique éventuelle  des politiques juives dans les mouvements de  gauche plus larges. Elle est là pour empêcher les goys de mettre le nez  dans les affaires juives.
 
Il y a 10 ans, j’ai rencontré la brigade des dissidents kasher pour la première fois ; dès que j’ai commencé à critiquer Israël et le sionisme, ils se sont empressés autour de moi.
 
Pendant une brève période, je me suis très bien inséré  dans leur discours : j’étais jeune et énergique. J’étais un musicien  primé  ainsi qu’un écrivain prometteur. À leurs yeux, j’étais une  célébrité ou je leur donnais du moins une bonne raison de célébrer.  Leurs commissaires en chef réservaient les meilleurs tables, les plus  chères, aux concerts de mon ensemble 
Orient House.  Les cinq militants de base sans le sou ont suivi le mouvement et  venaient aux concerts Jazz Combo gratuits que je donnais en matinée au  foyer du centre Barbican. Ils voulaient tous croire que je suivrais leur   programme et que je deviendrais moi-même un commissaire. Ils se sont  empressés aussi de me dire qui étaient les « mauvais », ceux qui  devraient brûler en enfer.  Israel Shahak, 
Paul Eisen,  
Israel Shamir et 
Otto Weininger n’étaient que quelques uns de ces nombreux méchants.
 
Comme on peut déjà le deviner, il ne m’a pas fallu  longtemps pour me dire qu’il y avait plus  de sagesse dans une seule  phrase d’Israel Shahak, Paul Eisen,  Israel Shamir et Otto Weininger que  dans toute la production de la gauche juive mise ensemble. Je me suis  empressé de dire clairement à mes nouveaux fans « rouges » que ça  n’allait pas marcher. J’étais un ex- Israélien et je ne me considérais  plus comme juif. Je n’avais rien en commun avec eux et je ne croyais pas  dans leur programme. En fait, j’avais quitté Israël parce que je  voulais m’éloigner aussi loin que possible de toute forme de politique  tribale.
 
Patauger dans la soupe au poulet n’a jamais été mon truc.
 
Évidemment, je me suis fait au moins une demi-douzaine  d’ennemis qui, sans tarder, ont fait  campagne contre moi. Ils ont  essayé de me réduire au silence ; ils ont essayé désespérément (et sans  espoir) de briser ma carrière musicale ; ils ont fait pression sur des 
institutions politiques, les médias et  les salles de concert. L’un d’eux a même essayé de me traîner en justice.
 
Toutefois, ils ont complètement échoué et cela  à tous  les niveaux. Plus ils mettaient de pression, plus les gens me lisaient. À  un moment donné, mon entourage était convaincu que mes détracteurs  dirigeaient en fait ma campagne de publicité. En outre, les tentatives  constantes de me réduire au silence ne pouvaient que prouver ce que je  disais. Ils étaient là pour détourner l’attention du rôle crucial des  politiques juives et des politiques de l’identité juive.
 
Je me suis souvent demandé pourquoi ils ont échoué dans  mon cas . Mais je suppose que le même Internet qui a réussi à mettre en  échec la hasbara israélienne, a également causé la déroute de la gauche  juive et de son hégémonie dans le mouvement. A plus grande échelle, il  est absolument évident que le discours marxiste juif est bien marginal.  Sa voix dans le mouvement dissident est en fait 
insignifiante.
 
Je suppose aussi que ma popularité comme musicien de  jazz ne leur a pas facilité la vie. À l’époque où ces commissaires juifs  me  taxaient de racisme et d’antisémitisme,  je faisais une tournée  mondiale avec deux juifs ex-israéliens, un juif argentin, un  gitan  roumain et un joueur de oud palestinien. Leur campagne de dénigrement ne  pouvait pas marcher, et elle n’a pas marché.
 
Mais il y a un détail intéressant : comparé au  terrorisme rouge juif contemporain, le sionisme apparaît comme  relativement tolérant. Ces derniers mois, j’ai été approché par tous les  médias israéliens possibles. Au cours de l’été, Ouvda,  principale émission télévisée israélienne d’investigation a demandé à  plusieurs reprises de m’accompagner en tournée avec mon orchestre . Les  journalistes voulaient lancer le débat et discuter de mes idées aux  heures de grande écoute. Cette semaine, la deuxième chaîne israélienne  m’a approché pour une émission de news. Encore une  fois, on  s’intéressait à mes opinions. Hier, j’en ai discuté  pendant  une heure avec Guy Elhanan à la radio israélienne ’Kol ha-shalom’ (la voix de la paix).
 
Pour des raisons extrêmement évidentes, je suis très  prudent lorsque j’ai affaire  aux médias israéliens. Je les choisis très  soigneusement. Habituellement, j’ai tendance à décliner leurs  invitations. Mais je reconnais aussi que pour quelqu’un qui se soucie  des perspectives de paix, je dois maintenir la communication ouverte  avec le public israélien ; c’est ainsi qu’il y a deux semaines, j’ai  accepté une interview avec Yaron Frid du journal Haaretz.  C’était ma première interview à être publiée en Israël depuis plus de  10 ans. Je dois avouer que j’ai eu un choc quand j’ai vu que l’on  n’avait effacé ni censuré aucune de mes paroles. Haaretz m’a laissé dire tout ce que les « socialistes » kasher avaient constamment essayé de me faire taire.
 
En ce qui concerne ma « haine de moi » et ma judéité, le journal israélien Haaretz m’a laissé dire :
 
« Je ne suis pas un bon juif,  parce que  je ne veux pas être un juif, parce que les valeurs juives ne me  branchent pas vraiment et tous ces trucs de « déverse ta colère sur les  nations » ne m’impressionnent pas ».
 
On m’a aussi laissé contester toute la philosophie sioniste ; la réalité du pillage et l’historicisme illusoire : « Pourquoi  est-ce que je vis sur des terres qui ne m’appartiennent pas, les terres  pillées d’un autre peuple dont les propriétaires veulent rentrer chez  eux et ne le peuvent pas ? Pourquoi est-ce que j’envoie mes enfants tuer  et être tués après que j’ai été moi-même soldat ? Pourquoi est-ce que  je crois toutes ces conneries sur « parce que c’est la terre de nos  aïeux et notre patrimoine » alors que je ne suis même pas religieux ?
 
Et concernant le droit au retour des Palestiniens, j’ai dit :
 
« Les Israéliens peuvent mettre fin au  conflit en un clin d’oeil : demain matin à son lever, Nétanyahou rend  aux Palestiniens les terres qui leur appartiennent  ».
 
Ils m’ont laissé expliquer la distinction que je faisais entre Israël et la Palestine et comment je les définissais : « La  Palestine est la terre et Israël est l’État. Il m’a fallu du temps pour  me rendre compte qu’Israël n’a jamais été mon chez moi, que c’est  uniquement une fantaisie saturée de sang et de sueur  ».
 
Pour ce qui est du peuple élu, de la dé-judéisation et de l’identité juive j’ai dit «   pour que Netanyahu et les Israéliens le fassent (acceptent le droit au  retour des Palestiniens), ils doivent passer par la dé-judéisation et  accepter le fait qu’ils sont comme tout le monde et qu’ils ne sont pas  le peuple élu. Ainsi, dans mon analyse, ceci n’est pas une question  politique, socio-politique ou socio-économique ; c’est une question  fondamentale qui concerne l’identité juive ».
 
Au cours de l’interview, j’ai comparé la gauche juive au national-socialisme-... et Haaretz a laissé passer ça : « L’idée  de juifs de gauche est fondamentalement malade. Cette gauche contient  une contradiction interne absolue. Si vous êtes de gauche, il importe  peu que vous soyez juif ou non ;  donc,  en principe, lorsque vous vous  présentez comme juifs de gauche, vous acceptez l’idée du  national-socialisme. Du nazisme. »
 
Comme on pouvait s’y attendre, Haaretz a contesté mon opposition à la politique juive : « Atzmon  a été accusé par toutes les plateformes possibles de vitrioler les  juifs. Pourtant, il maintient qu’il " hait tout le monde dans la même  mesure". On l’a aussi accusé de haine de soi,  mais cela il est le  premier à l’admettre, et pour ce qui est d’ Otto Weininger, le  philosophe autrichien juif qui s’est converti au christianisme et dont  Hitler a dit " il y avait un bon juif en Allemagne et il s’est tué " il  en est même fier."Otto et moi sommes de bons amis ". »
 
De toute évidence des Israéliens peuvent au moins  aborder  Otto Weininger et son idéologie. Pourtant, lorsque j’ai fait un  exposé au sujet d’Otto Weininger dans une librairie marxiste de Londres  (
Bookmarks)  il y a cinq ans, une 
synagogue  de 14 juifs marxistes à essayé sans succès de boycotter l’événement et de faire pression sur le 
Socialist Workers Party.
 
Devinez quoi ; ils n’ont pas réussi.
 
Haaretz a contesté ma position sur l’holocauste ; et pourtant, ils ont publié ma réponse sans changer un iota, « Je  me bats contre toutes les infâmes lois et persécutions à l’encontre de  ceux qui nieraient prétendument l’holocauste, caractérisation que je  n’accepte pas. Je crois que l’holocauste, comme tout épisode historique,  doit pouvoir faire l’objet de recherches, être examiné et discuté et  débattu.
 
Et Haaretz, évidemment un journal  sioniste israélien, m’a laissé m’exprimer au sujet des coupables  israéliens de massacres et de leur destinée. «  Il  serait bon que les chasseurs de nazis traquent plutôt[Shaul] Mofaz et  [Ehud] Barak,par exemple, au lieu de vieillards de 96 ans dont c’est à  peine s’ils sont encore en vie. C’est pathétique    ».
 
Haaretz me laisse aussi dire aux Israéliens qu’ils sont tous à blâmer : « En  Israël, 94 % du pays a  soutenu  l’opération Plomb durci. D’une part  vous voulez vous comporter comme un État post-Lumières et vous me parlez  d’individualisme, mais d’autre part vous vous entourez d’un mur et vous  restez attachés à une identité tribale ».
 
Yaron Frid termine son article en disant « Israël a perdu Gilad » et « le score est maintenant 1-0 pour la Palestine ».
 
J’étais content de l’article. Mais également jaloux,  parce qu’ici en Grande-Bretagne, nous sommes loin de pouvoir explorer  ces questions.
 
Le message est direct et simple — 
Haaretz,  journal sioniste m’a laissé discuter de tous ces parcours intellectuels  que les « socialistes kasher » s’acharnent à bloquer. Une semaine avant  la parution de l’article dans 
Haaretz, le journal israélien a parlé du héros du Mavi Marmara, 
Ken O’keefe  . Là encore, 
Haaretz a présenté le sujet de façon assez équilibrée ; certainement plus impartiale que 
BBC panorama.
 
La morale est évidente : aussi répugnant et meurtrier  que soit le sionisme, il est encore en avance par rapport à la gauche  juive, simplement parce qu’il tient toujours, à certains égards du  moins,  un discours permanent et ouvert.
 
Il n’y a pas de doute que parmi les ennemis les plus  prolifiques d’Israël et de l’identité juive vous trouverez des  Israéliens et des ex- israéliens tels que Ilan Pappe,  
Gideon Levi, 
Amira Hass, 
Tali Fahima, Israel Shamir, 
Israel Shahak,  Nurit Peled , 
Rami Elhanan, Guy Elhanan, 
Jonathan Shapira, 
Yeshayahu Leibowitz, Mordechai Vanunu,  Uri Avneri, 
Shimon Tzabar, moi-même, et d’autres.
 
Nous ne sommes pas toujours d’accord entre nous,  mais nous nous fichons la paix.
 
Le sionisme était une tentative de créer un juif  nouveau : un être éthique, productif et authentique. Mais le sionisme a  complètement échoué. Israël est un État criminel et les Israéliens sont  collectivement complices des crimes constants commis contre l’humanité.  Et pourtant, le sionisme a également réussi à ériger une école solide  d’Israéliens animés de la haine de soi, éloquents et fiers. On enseigne  aux Israéliens à être francs et critiques, contrairement à la gauche  juive de la diaspora, qui pour une raison ou une autre opère comme la  police de la pensée, la dissidence israélienne parle haut et fort. Les  Israéliens sont formés à célébrer leurs « symptômes » - et cela est  également valable dans le cas de la dissidence.
 
À l’encontre du marxisme juif qui fonctionne en grande  partie comme une campagne de pub tribale, la dissidence israélienne  participe d’une approche éthique : vous n’entendrez pas des militants  israéliens s’écrier « pas en mon nom ». Les Israéliens mentionnés  ci-dessus acceptent que chaque crime israélien est commis en leur nom.  Ils reconnaissent aussi que le militantisme est le passage crucial de la  culpabilité à la responsabilité. Il s’ensuit qu’il est loin d’être  surprenant que lors de la mission « un bateau juif pour Gaza », Shapira,  ancien pilote de l’armée de l’air israélienne ainsi que Elahanan ont  tous deux parlé d’éthique et de questions humanitaires, tandis que le  juif britannique Kuper, s’inquiétait apparemment davantage, à en juger   par ses paroles, de corriger l’image du judaïsme mondial.
 
En ma qualité d’ex-Israélien, je crois que la seule  chose que je peux faire pour la Palestine, l’Irak, l’Afghanistan,  moi-même, ma famille, mes voisins et l’humanité est de rester ferme  et  de parler du fond du coeur en dépit de tout.
 
Je crois aussi que nous connaissons tous la vérité.
 
Il nous faut simplement être suffisamment courageux pour la dire.
 
 
1. Si bizarre que cela puisse paraître pour certains,  les groupes « Juifs contre les sionistes » (JAZ) et « Juifs pour le  BDS » (boycott, désinvestissement des marchandises israéliennes)  récitent la mantra sioniste : ils opèrent principalement en tant que juifs.  Tout comme il est impossible à des Palestiniens déracinés de s’établir  en Israël et de devenir des citoyens dotés des mêmes droits civils, il  leur est aussi impossible de se joindre à un groupe militant pour la Palestine, principalement juif.
 
2. Richard Kuper, qui est à l’origine du projet « Irene,  le bateau juif pour Gaza » a été assez franc pour l’admettre : « notre  objectif est de montrer que tous les juifs ne soutiennent pas les  politiques israéliennes envers les Palestiniens » a-t-il dit. On sait  maintenant que le bateau juif ne transportait pas grand chose en aide  humanitaire pour les Gazaouis : sa principale mission, en ce qui  concerne Kuper, semble d’avoir été de restaurer la réputation des juifs.