BDS - Le livre de Omar Barghouti

Boycott Désinvestissement Sanctions

Omar Barghouti Boycott Désinvestissement Sanctions BDS contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine traduit par Etienne Dobenesque et Catherine Neuve-Église.

© La Fabrique éditions, 2010
Conception graphique : Jérôme Saint-Loubert Bié
Impression: Floch, Mayenne
iSBn: 978-2-35872-007-6
Les droits d'auteur de ce livre seront reversés, conformément au souhait d'Omar Barghouti, à Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of israel (PACBi).
La Fabrique éditions
64, rue Rébeval
75019 Paris
lafabrique@lafabrique.fr
www.lafabrique.fr
Diffusion : Harmonia Mundi

La publication de ce livre vient combler une lacune. Le débat sur le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre la politique israélienne, dans les territoires occupés et en Israël même, se développe dans le monde entier. Lancé par des organisations populaires palestiniennes, repris par des intellectuels israéliens critiques, il atteint désormais des pays aussi divers que la Norvège,
l’Australie, les États-Unis ou l’Afrique du Sud.
Sur ce débat, le public français est jusqu’ici mal informé.
Nous pensons que les textes d’Omar Barghouti réunis dans ce volume donnent sur cette question un éclairage
qui sera nouveau pour bien des lecteurs. Leur publication est faite au nom de la liberté d’expression et du droit du public à une information indépendante.
Les éditeurs

Sommaire
Introduction
BDS : Quoi ? Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? — 7
Apartheid israélien : l'heure de la réponse sud-africaine — 38
Israël / Afrique du Sud : réflexions sur le boycott culturel — 57
Sur la responsabilité morale des universitaires dans les situations d'oppression — 60
Juste des intellectuels ou des intellectuels justes ? — 73
Liberté contre « libertés académiques ». Le boycott de l'AUT — 80
Alors comme ça, tu sais danser ? — 94
À bas l'apartheid en Afrique du Sud, vive l'apartheid en Israël ! — 99
Afrique du Sud et Israël : deux poids, deux mesures à l'UNESCO — 103
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page5
Nos besoins réels : une réponse aux arguments anti-boycott — 109
Faire dérailler l'injustice : la résistance civile palestinienne au tramway de Jérusalem — 116
«Les boycotts marchent » : entretien avec Ali Mustafa — 135
Plus jamais contre ! La complicité de l'Europe dans le long génocide israélien — 149
Boycotter les produits des colonies israéliennes : tactique et stratégie — 155
Notre moment sud-africain est arrivé — 160
Conclusion
BDS : maintenant ou jamais — 175
Annexe I
Appel de la société civile palestinienne au boycott, au désinvestissement,et aux sanctions contre Israël jusqu’à ce qu’il applique les lois internationales et les principes universels des droits de l’homme — 182
Annexe II
Appel au boycott universitaire et culturel d’Israël — 185

Boycott, Désinvestissement, Sanctions

introduction
BDS: Quoi? Pourquoi? Pourquoi maintenant?
Le lecteur s’attendrait certainement à ce que je m’en tienne dans cette introduction à un certain ordre consacré en commençant par planter le décor et en offrant quelques aperçus séduisants du contenu de ce recueil d’essais. Toutefois, fidèle à ma réputation de non-conformiste, je répondrai tout d’abord à la question: pourquoi maintenant?
Pourquoi maintenant ?
La terrible réalité de la situation sur le terrain en  Palestine occupée fait du boycott total d’Israël et des institutions complices non seulement une obligation morale, mais aussi une nécessité politique urgente pour empêcher le génocide et une explosion in - contrôlable de l’ensemble du système géopolitique moyen-oriental. L’Appel de la société civile palestinienne pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions (BDS) vise à empêcher la généralisation du chaos et à mettre Israël devant ses responsabilités en regard du droit international et des principes universels des droits de l’homme, dans un souci de liberté, de justice et de paix durable. Par conséquent, compte tenu de la complicité profonde de l’Occident dans le maintien du système de colonisation et d’apartheid auquel Israël soumet le peuple palestinien, BDS participera inévitablement au défi lancé par le mouvement social mondial à l’hégémonie néolibérale occidentale et à la tyrannie des multinationales. En ce sens, le boycott palestinien contre Israël et ses soutiens joue un rôle limité mais essentiel dans les luttes internationales contre l’injustice, le racisme, la pauvreté, les dégradations de l’environnement, l’oppression de genre, entre autres fléaux sociaux et économiques. Réfléchissant sur cette dimension du mouvement BDS, le journaliste et écrivain John Pilger écrit : La mascarade du sommet sur le climat de Copenhague a confirmé l’existence d’une guerre mondiale menée par les riches contre la plus grande partie de l’humanité. Elle a également fait la lumière sur une forme de résistance qui n’a sans doute jamais été aussi florissante : un internationalisme conjuguant justice pour la planète, droits de l’homme universels et justice pénale pour ceux qui envahissent et exproprient en toute impunité. Et les meilleures nouvelles viennent de Palestine.
[…] Pour Nelson Mandela, la justice pour les Palestiniens est “la plus grande question morale de notre temps”. L’Appel de la société civile palestinienne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS) fut lancé le 9 juillet 2005, poursuivant de fait le grand mouvement non-violent qui gagna le monde et mit à bas l’édifice de l’apartheid sud-africain1. Lorsque la phase la plus dure de l’actuel siège de la bande de Gaza commença en juin 2007, juste après que le Hamas y eut soustrait le «pouvoir» à une faction du Fatah soutenue par les Israéliens et les Américains, peu d’experts des droits de l’homme et du droit international furent capables d’analyser précisément les véritables motifs et les objectifs politiques qui se cachaient derrière cette forme si manifestement illégale et immorale de punition collective. Ils furent moins nombreux encore à pouvoir prédire les conséquences à long terme que ce siège devait avoir sur le million et demi de Palestiniens
entassés dans ce qui fut décrit à juste titre comme la plus vaste prison à ciel ouvert du monde. Richard Falk, grand spécialiste du droit international et rapporteur de l’ONU pour les droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé fut l’un d’entre eux. En 2007, il écrivit : Est-ce une exagération irresponsable que d’associer le traitement infligé aux Palestiniens avec le palmarès criminel d’atrocités collectives perpétrées par les nazis ? Je ne le pense pas. Les derniers développements dans la bande de Gaza sont particulièrement dérangeants précisément parce qu’ils expriment une intention absolument délibérée, de la part d’Israël et de ses alliés, de soumettre une communauté humaine entière à des conditions mettant sa vie en danger avec la plus extrême cruauté. La suggestion que ce type de comportement est en réalité un holocauste en devenir représente un appel quasi désespéré, adressé aux gouvernements du monde entier ainsi qu’à l’opinion publique internationale, leur demandant d’agir urgemment afin d’empêcher que ces tendances génocidaires ne culminent dans une tragédie collective. À supposer que l’éthos d’un “devoir de protection”, récemment adopté par le Conseil de sécurité de l’ONU comme fondement des “interventions humanitaires”, ait une applicabilité, il consisterait à agir immédiatement afin de commencer à protéger la population de Gaza contre de nouvelles douleurs et de nouvelles souffrances.
Falk n’évoquait pas seulement le siège hermétique et sa cruauté, il prédisait le lent génocide qui s’est produit à la suite du blocus et de la guerre d’agression israélienne de décembre 2008-janvier 2009 qui l’a aggravé. De bons indicateurs de l’étendue des crimes commis par Israël à Gaza furent révélés dans le rapport de la «Mission d’établissement des faits de l’ONU sur le conflit [sic] de Gaza», dirigée par le juge sudafricain Richard Goldstone, qui est par ailleurs un sioniste avec des attaches en Israël. Dans ses conclusions accablantes, le Rapport Goldstone affirme [nous soulignons] :
1688. Il est évident au vu des preuves rassemblées par la Mission que la destruction des sites de stockage de nourriture, des systèmes d’assainissement de l’eau, des usines de béton et des habitations résidentielles est le résultat d’une politique délibérée et systématique des forces armées israéliennes. Elle ne fut pas menée à bien parce que ces objectifs représentaient une menace militaire mais pour rendre la vie quotidienne, et la vie dans des conditions dignes, plus difficile pour la population civile.
1689. Outre la destruction systématique des ressources économiques de la bande de Gaza, il semble aussi qu’il se soit agi de porter atteinte à la dignité des personnes. Cela s’est manifesté non seulement dans l’usage de boucliers humains et dans les détentions illégales, parfois dans des conditions inacceptables, mais aussi dans la vandalisation de maisons encore occupées et dans la manière dont les gens étaient traités lorsqu’on entrait chez eux. Les graffitis sur les murs, les obscénités et les slogans souvent racistes constituèrent une image d’ensemble d’humiliation et de déshumanisation de la population palestinienne.
1690. Les opérations furent soigneusement planifiées dans toutes leurs phases. Des avis et des conseils juridiques furent donnés tout au long des phases de préparation et à un certain niveau opérationnel au cours de la campagne même. Il n’y eut presque aucune erreur selon le gouvernement israélien. C’est dans ces circonstances que la Mission conclut que ce qui s’est produit pendant tout juste trois semaines à la fin 2008 et au début de 2009 fut une attaque délibérément disproportionnée conçue pour punir, humilier et terroriser une population civile, diminuer drastiquement sa capacité économique locale de travailler et de pourvoir à ses propres besoins, et lui imposer avec toujours plus de force une impression de dépendance et de vulnérabilité. Bien que le rapport de l’ONU, adopté par le Conseil des droits de l’homme à une confortable majorité malgré les objections hypocrites des États-Unis, de l’Union Européenne et d’Israël, demande à Israël – et au gouvernement du Hamas à Gaza, non reconnu – d’«ouvrir les enquêtes nécessaires, indépendantes et conformes aux normes internationales», il tempère immédiatement ses espoirs de voir Israël capable ou désireux de faire une telle chose
4 :
1755. La Mission est absolument convaincue que la justice et le respect du droit sont le fondement nécessaire de la paix. La situation d’impunité prolongée a créé une crise de la justice dans les territoires palestiniens occupés qui empêche toute action.
1756. Après avoir passé en revue le système israélien d’enquête et de poursuites pour les violations graves des droits de l’homme et du droit humanitaire, en particulier en cas de soupçon decrimes de guerre ou de crimes contre l’humanité,
la Mission a mis à jour des vices structurels majeurs qui rendent ce système non conforme, selon elle, aux normes internationales. Les “débriefings opérationnels” militaires étant au coeur de ce système, il est dépourvu de tout mécanisme d’investigation efficace et impartial et les victimes de ces violations présumées sont privées de tout recours efficace ou rapide. En outre, ces enquêtes demeurant internes à l’autorité militaire israélienne, elles ne respectent pas les exigences internationales en matière d’indépendance et d’impartialité.
La seule conclusion qu’on peut en tirer est qu’Israël doit répondre de ses actes devant la Cour Pénale Internationale.
Cela n’en devient que plus évident lorsqu’on expose les autres dimensions génocidaires de la guerreet du siège de Gaza, plus fatales à long terme. Le fait de viser systématiquement les équipements de distribution et d’assainissement de l’eau a encore aggravé « un déni grave et prolongé de la dignité humaine», selon le coordinateur humanitaire de l’ONU dans les territoires palestiniens occupés, Maxwell Gaylard, provoquant un «rapide déclin des conditions de vie des [Palestiniens] de Gaza, caractérisé par une érosion des sources de revenus, la destruction et la dégradation des infrastructures de base et une baisse marquée de la prestation et de la qualité des services vitaux que sont la santé, l’eau et l’assainissement5.»
Un rapport d’Amnesty International sur la politique délibérée menée depuis longtemps par Israël pour entraver l’accès des Palestiniens à leurs ressources hydrologiques a récemment éclairé un aspect particulièrement funeste des desseins d’Israël à l’égard du million et demi de Palestiniens de la bande de Gaza.
«À Gaza, affirme le rapport, 90 à 95 pour cent de l’eau distribuée est polluée et impropre à la consommation6.»
Le rapport cite une étude plus ancienne du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) qui
établit un lien entre la pollution des ressources hydrologiques de Gaza et un taux de nitrate dans les nappes phréatiques « dépassant largement les seuils d’acceptabilité de l’OMS», provoquant une maladie du sang chez les jeunes enfants et les nouveau-nés, la méthémoglobinémie, ou syndrome du « bébé bleu ».Des symptômes de cette maladie – « cyanose sur les mains, les pieds et autour de la bouche », « épisodes de diarrhée et de vomissement » et « perte de conscience» – ont été détectés chez les bébés gazaouis. À un niveau de pollution au nitrate supérieur, conclut le rapport, «elle peut entraîner la mort7». La pollution provoquée par l’attaque et le siège de Gaza ne se limite pas aux ressources hydrologiques. La pollution du sol est tout aussi dangereuse. Un groupe de scientifiques et de médecins indépendants du New Weapons Committee, une organisation basée en Italie qui étudie les effets des nouvelles armes sur les populations civiles des zones de guerre, a mené une étude8 sur l’utilisation par Israël d’«armes non-conventionnelles » et leurs «effets à moyen terme» sur les habitants des zones de Gaza qui ont été bombardées à deux reprises. Le rapport montre que les «bombardements israéliens de 2006 et de 2009 sur Gaza ont laissé une haute concentration de métaux toxiques dans le sol qui peuvent provoquer des tumeurs, des troubles de la fertilité et avoir des conséquences graves sur les nouveaunés, difformités ou maladies génétiques notamment.»
Dans un rapport intitulé Rain of Fire: Israel’s Unlawful Use of White Phosphorus in Gaza («Pluie de feu: l’utilisation illégale du phosphore blanc par Israël à Gaza9 »), Human Rights Watch confirme qu’Israël a délibérément visé des civils avec des conséquences désastreuses. On peut y lire que l’armée israélienne a «fait exploser à de multiples reprises des munitions au phosphore blanc au-dessus de zones densément peuplées, tuant et blessant des civils et endommageant des structures civiles, notamment une école, un marché, un entrepôt d’aide humanitaire et un hôpital », et que l’usage récurrent et systématique de cette arme mortelle «relève du crime de guerre».
Le 20 décembre 2009, à l’appui de ces constatations des organisations de défense des droits de l’hommeet des agences de l’ONU sur l’impact des attaques israéliennes à Gaza, l’Association de défense des droits de l’homme Al Dameer publia un mémorandum10 sur les conséquences pour la santé et l’environnement de l’usage généralisé de matières toxiques et radioactives prohibées tout au long de l’attaque contre Gaza. Parmi les effets tragiques à long terme du choix de ces munitions et des cibles (quartiers à forte densité de population civile, comprenant des écoles et parfois même des abris de l’ONU), le document insiste plus particulièrement sur l’augmentation «dramatique » des cancers – notamment chez les enfants – et des défauts de naissance et des avortements, « notamment à Jabaliya, Beot Lahia et Beit Hanoun, zones qui ont subi les attaques israéliennes les plus brutales». Soulignant l’impact considérable de ces armes toxiques et radioactives sur la fertilité des hommes, le rapport prévient que cette détérioration globale de l’état de santé des habitants de Gaza est «un désastre pour les générations futures » et demande que des «mesures sérieuses» soient prises afin de «faire pression sur Israël pour qu’il lève le siège».
Ces crimes qui, pour la plupart, sont encore perpétrés aujourd’hui, ne se produisent pas dans le vide.
Ils sont le produit d’une culture d’impunité, de racisme et de tendances génocidaires qui se sont imposées dans la société israélienne, en imprègnant le discours dominant et le « sens commun », dès lors qu’elle aborde le « problème palestinien ». Ainsi, plusieurs semaines après la fin des attaques israéliennes, des témoignages de soldats qui ont participé aux massacres de Gaza ont été publiés11. Bien qu’ils ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, ils nous offrent un rare aperçu de la mentalité qui prévaut en Israël sur les Palestiniens et la meilleure manière de « s’occuper d’eux ». L’importance de ces témoignages est soulignée par le fait que l’armée israélienne demeure une «armée du peuple» reposant sur le principe du service militaire obligatoire pour les hommes et les femmes, si bien que l’armée est considérée depuis longtemps comme une fidèle représentation d’un large spectre de la société.
Sur l’ordre qui avait été donné de tuer les civils dans les immeubles et les quartiers d’habitation, un soldat raconte : « En haut, ils disaient que c’était permis puisque tous les gens qui restaient dans le secteur et dans la ville même de Gaza étaient de fait considérés comme des terroristes, puisqu’ils n’avaient pas fui.»
Un autre raconte la façon dont une vieille dame palestinienne a été tuée délibérément : « Un commandant a vu quelqu’un arriver sur une route, […] une vieille dame. Elle marchait le long de la route, assez loin, mais assez proche pour la descendre. […] Si elle était suspecte ou pas, j’en sais rien. Pour finir, il a envoyé des gens sur le toit pour qu’ils la descendent avec leurs armes. Quand j’ai entendu le récit, j’ai juste eu l’impression d’un meurtre de sang-froid.» Quand on lui a demandé pourquoi ils l’ont abattue alors même qu’ils avaient reconnu en elle une vieille femme qui ne représentait aucune menace, le soldat répondit : «C’est ce qui est si bien, soi-disant, à Gaza: vous voyez quelqu’un sur le bord de la route, qui marche le long d’un sentier. Vous n’avez pas besoin qu’il soit armé, vous n’avez pas besoin de l’identifier à quoi que ce soit, vous pouvez l’abattre comme ça.»
Un soldat de la Brigade Guivati explique pourquoi un collègue tireur d’élite qui a délibérément visé une mère et ses deux enfants, les tuant tous les trois, ne s’en voulait «pas tant que ça»: «Après tout, pour sa part, il a fait son boulot conformément aux ordres qu’il a reçus. Et l’atmosphère en général, d’après ce que j’ai compris en parlant avec la plupart de mes hommes… Je ne sais pas comment la décrire… La vie des Palestiniens, disons qu’elle est beaucoup, beaucoup moins importante que la vie de nos soldats.»
Le grand journaliste israélien Gideon Levy12 explique ce phénomène comme «l’aboutissement naturel» du meurtre de milliers de Palestiniens au cours des neuf dernières années, «dont près de 1000 enfants et adolescents»:
Tout ce que les soldats ont décrit de Gaza, absolument tout, s’est passé pendant ces années sanglantes comme s’il s’agissait d’événements de pure routine. C’est le contexte, non le principe, qui était différent. Une armée dont les corps blindés ne sont encore jamais tombés sur un tank ennemi et dont les pilotes n’ont encore jamais eu à faire face à un avion de combat ennemi en 36 ans a été entraînée à penser que la seule fonction d’un tank est d’écraser des voitures civiles et que le boulot d’un pilote et de bombarder des quartiers résidentiels.
Pour faire cela sans scrupules inutiles, nous avons entraîné nos soldats à penser que la vie et les biens des Palestiniens n’ont absolument aucune valeur. Cela fait partie d’un processus de déshumanisation qui perdure depuis des dizaines d’années, un des effets de l’occupation.
Pendant la guerre israélienne contre Gaza, les rabbins sionistes fondamentalistes ont joué un rôle sans précédent13 dans la mobilisation des soldats, appelés à «se montrer sans pitié» envers les Palestiniens de Gaza, en se fondant sur des interprétations populaires – et néanmoins fanatiques – de la loi juive justifiant le génocide des Gentils sur la «Terre d’Israël» dans le cas des guerres de « revanche » ou de nécessité, termes qui qualifient par définition toutes les guerres menées par Israël. L’universitaire et défenseur des droits de l’homme Israël Shahak14, aujourd’hui décédé, fut parmi les tout premiers à insister sur cette dimension cruciale qui fut volontairement laissée de côté par la plupart des analystes, comme si le fondamentalisme juif était moins dangereux ou devait être toléré davantage que le fondamentalisme islamiste, chrétien, hindou ou autre.
Il est essentiel de noter que les interprétations de la Halacha, ou loi juive, justifient ouvertement les massacres15, et même le génocide (le massacre de civils non juifs, y compris les enfants), dans le cas de ce qui est désigné comme une « guerre de revanche », ou une «guerre nécessaire». Une guerre de nécessité, selon les enseignements des fondamentalistes, doit être menée contre l’ensemble de la population «ennemie», sans épargner personne. La seule limite porte sur les actes susceptibles d’infliger davantage de dommages à la
communauté juive en retour. Si le massacre de 10000 Gentils, mettons, devait provoquer des dégâts en Israël
plus lourds que les « bienfaits » visés, il devrait être évité. C’est là la seule préoccupation de ces enseignements religieux fanatiques, mais extrêmement populaires, qui occupent actuellement une place prédominante dans la communauté religieuse sioniste en Israël et ailleurs, et qui se sont infiltrés de diverses manières dans l’opinion publique israélienne.
Et bien entendu, toutes les guerres menées jusqu’à présent ont été perçues par une très large majorité des Juifs d’Israël, y compris par le «mouvement de la paix» traditionnel, comme des «guerres de nécessité». Cette représentation ne commença à se fissurer qu’après plusieurs semaines de la guerre du Liban de 2006, avant tout parce que les pertes subies par l’armée israélienne étaient beaucoup plus lourdes – selon les calculs des fondamentalistes juifs, bien sûr – que les «bienfaits» du massacre de civils libanais. Alors seulement la guerre souleva une réprobation assez générale dans l’opinion.
Mais à Gaza, la situation était différente. La résistance armée palestinienne ne pouvait guère lutter contre une armée israélienne équipée de la toute dernière technologie militaire américaine et bénéficiant du soutien diplomatique, financier et politique des États-Unis. Le bilan des victimes extrêmement déséquilibré de part et d’autre garantit un soutien écrasant à la guerre dans l’opinion publique israélienne.
De nombreuses personnalités qui se disaient par ailleurs progressistes, voire de gauche, applaudirent les massacres commis par leur armée, retransmis en direct à la télévision. Si c’était vrai de presque tous les secteurs de la société israélienne, le fanatisme raciste ne s’exprimait peut-être nulle part aussi franchement que dans l’armée même.
Les bataillons de l’armée rivalisaient pour dessiner les tee-shirts les plus outrageusement racistes. Le quotidien
israélien Haaretz16 en publia quelques spécimens. Un tee-shirt des snipers de l’infanterie «porte l’inscription “mieux vaut utiliser des Durex” à côté d’un dessin représentant un bébé palestinien mort, entouré de sa mère en larmes et d’un ours en peluche». Un autre tee-shirt des tireurs d’élite de la Brigade Guivati «montre une Palestinienne enceinte avec une cible dessinée sur son ventre surmontée de l’inscription, en anglais, “1 shot, 2 kills” (“1 balle, 2 morts”) ».
Plusieurs dessins représentant des mosquées en ruine et qui rappellent tristement les dessins antisémites de l’Europe des années 1930, révèlent de profondes tendances islamophobes.
Un autre dessin montrant un soldat en train de violer une Palestinienne porte l’inscription «Pas de vierges, pas d’attaques terroristes».
Selon la sociologue israélienne Orna Sasson-Levy17, ce phénomène illustre «un processus de radicalisation qui touche tout le pays et dont les soldats sont à l’avant-garde. […] Il y a cette idée que le Palestinien n’est pas une personne, un être humain qui a des droits, ajoutait-elle, et qu’on peut donc lui faire n’importe quoi».
Les analystes israéliens de la «gauche» sioniste qui essayent d’expliquer l’importance du racisme et des tendances génocidaires chez les Israéliens en les décrivant comme un phénomène relativement nouveau, une entorse aux bons vieux principes de progressisme éclairé ou le signe d’un effondrement moral, ont tous quelque chose en commun: ils trahissent les mêmes symptômes d’amnésie sélective que ceux de droite. Ils ignorent délibérément le fait que la création même d’Israël est le résultat d’un nettoyage ethnique massif, de massacres, de viols, de la destruction gratuite de centaines de villages et du déni absolu des droits fondamentaux des Palestiniens indigènes qui furent expropriés et exilés et de ceux qui sont restés malgré toutes les tentatives pour annihiler leur existence en tant que peuple avec une identité propre. Ils oublient aussi commodément que les colons ont toujours considéré les indigènes comme des humains relatifs18, qui ne peuvent donc prétendre aux mêmes droits que des êtres «pleinement» humains.
Les experts en droit international se sont demandés si les crimes d’Israël à Gaza, qui correspondent en grande partie à la définition que l’ONU donne du génocide, sont commis délibérément – condition nécessaire pour les considérer comme un génocide à part entière.
Pendant que les avocats continuent à en débattre, les «humains relatifs» de Palestine sont soumis à ce qu’il est difficile de ne pas ressentir comme un génocide. De nombreux bébés palestiniens continuent de naître défigurés, «bleus» ou condamnés à l’anémie, aux troubles de la croissance et à une vie brève et douloureuse dans le camp de prisonniers de Gaza. Le sol et l’eau palestiniens sont toujours volontairement pollués, à Gaza mais aussi en Cisjordanie occupée. 1,5 million de Palestiniens sont toujours privés des moyens de subsistance de base. Des patients souffrant de maladies chroniques ou de toutes sortes de mala dies guérissables meurent à petit feu, loin des projecteurs des grands médias. Le déplacement forcé des Palestiniens n’a pas cessé depuis la Nakba, les dernières campagnes à Jérusalem et dans sa région, mais aussi dans le Naqab (Negev), témoignant même d’une nette intensification. La fragmentation du peuple palestinien en une multitude de communautés isolées, de façon à détruire sa cohésion nationale et sociale, s’accélère.
En bref, les Palestiniens ne peuvent pas attendre. Israël n’est plus «seulement» coupable d’occupation, de colonisation et d’apartheid. Il s’est lancé dans la phase finale de sa tentative d’évaporation, littéra lement, du «problème palestinien». Et cela en toute impunité, et avec la complicité des gouvernements occidentaux, de l’ONU, des États arabes comme l’Égypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite, et de l’Autorité palestinienne non élue mise en place par les États-Unis à Ramallah. Le monde ne peut pas continuer à regarder les bras croisés. C’est pourquoi : BDS, et BDS maintenant !
Le dernier bain de sang commis par Israël à Gaza et les deux ans et demi de siège du territoire ont provoqué une réelle transformation de l’opinion publique mondiale sur les politiques israéliennes. Les images déchirantes des bombes au phosphore israéliennes répandues au-dessus de quartiers densément peuplés et des refuges de l’ONU bombardés ont déclenché des initiatives de boycott et de désinvestissement dans les domaines économique, universitaire, sportif et culturel.
L’ancien président de l’Assemblée générale des Nations Unies, le père Miguel D’Escoto Brockman, l’archevêque Desmond Tutu, des artistes, des écrivains, des universitaires et des cinéastes, des groupes juifs progressistes, des syndicats et des fédérations de travailleurs, des organisations religieuses et étudiantes ont tous soutenu à des degrés divers une logique de sanctions, convaincant nombre de Palestiniens que notre moment sud-africain était enfin arrivé.
En février 2009, plusieurs semaines après la fin de l’assaut israélien contre Gaza, la South African Transport and Allied Workers Union a accompli un geste historique en refusant de décharger un bateau israélien dans le port de Durban. En avril, le Scottish Trade Union Congress suivit l’exemple de la fédération de syndicats sud-africaine COSATU et de l’Irish Congress of Trade Unions en choisissant d’adopter BDS. En mai, l’University and College Union (UCU), qui représente près de 120 000 universitaires britanniques, appela lors de son congrès annuel à l’organisation d’une conférence intersyndicale sur BDS pour parler des mesures juridiques et concrètes nécessaires à la mise en place du boycott. En Grande Bretagne toujours, le Trades Union Congress (TUC), qui représente 6,5 millions de travailleurs, a adopté un boycott sélectif d’Israël.
En septembre dernier, le fonds de pension du gouvernement norvégien, le troisième mondial, a interrompu ses investissements dans une entreprise israélienne qui fournissait des équipements pour le mur, déclaré illégal par la Cour Internationale de Justice.
Peu de temps après, un ministre espagnol a exclu d’un concours universitaire une équipe israélienne représentant une faculté construite illégalement sur un territoire palestinien.
Dans le domaine de la culture, une cinquantaine de personnalités comme Alice Walker, Danny Glover, John Berger, Ken Loach, Naomi Klein et John Greyson, publièrent une tribune19 en septembre pour dénoncer l’hommage rendu à la ville de Tel-Aviv par le Festival International du Film de Toronto, dans laquelle ils affirmaient que « l’utilisation d’un festival international si important pour mettre en scène une campagne de propagande en faveur d’un régime d’apartheid» était un acte de complicité hautement condamnable.
En France, où l’idée de BDS a eu plus de mal à s’imposer qu’ailleurs, des syndicats comme la Fédération syndicale unitaire (FSU), le plus grand syndicat de fonctionnaires avec 163000 membres, ou Solidaires, ont adopté le boycott d’Israël. Plus récemment, l’AURDIP (Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine) a lancé une campagne de boycott universitaire20 pour relayer la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (PACBI)21.
Aux États-Unis, une grande conférence sur BDS fut organisée par des organisations étudiantes au Hampshire College à la suite des succès historiques remportés par les comités étudiants de solidarité avec la Palestine qui sont parvenus à faire pression sur l’administration de leurs universités pour qu’elles cessent d’investir dans des entreprises qui profitent de l’occupation israélienne.
Dans une déclaration au Conseil des droits de l’homme de l’ONU le 23 mars 2009, Richard Falk commenta cette progression apparemment inexorable de BDS dans le monde22 :
La réaction de l’opinion publique mondiale aux opérations militaires israéliennes a pris la forme d’une recrudescence des initiatives civiques qui peuvent être comprises comme des composantes d’une campagne mondiale de boycott et de désinvestissement qui a pris des formes diverses ; ce développement revient à mener « une guerre de légitimité» contre Israël sur la base de son incapacité à traiter le peuple palestinien conformément au droit humanitaire international.
Pourquoi ? Comment ?
L’Appel BDS, lancé en juillet 2005, a été soutenu par une écrasante majorité des organisations palestiniennes. Ancré dans une longue tradition de résistance populaire non-violente en Palestine et largement inspiré de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud, il se fonde sur le principe de droits de l’homme universels, comme le mouvement des droits civiques aux États-Unis. Il rejette fermement toute forme de racisme, et notamment l’antisémitisme et l’islamophobie.
BDS définit sans ambiguïté les trois droits fondamentaux des Palestiniens qui constituent les conditions minimales nécessaires d’une paix juste : fin de l’occupation militaire de Gaza et de la Cisjordanie (Jérusalem-est comprise) et des autres territoires arabes au Liban et en Syrie; droits des réfugiés palestiniens (tel qu’ils sont garantis par l’ONU), en particulier droit au retour dans leur foyer et aux compensations ; fin de la discrimination raciale systématique à l’encontre des citoyens palestiniens d’Israël, qu’un nombre croissant d’observateurs décrit comme un «régime d’apartheid».
Qualifier Israël d’État d’apartheid ne signifie pas que son système de discrimination soit identique à l’apartheid en Afrique du Sud, mais simplement que les lois et les politiques israéliennes à l’encontre de sa population palestinienne correspondent dans une large mesure à la définition que l’ONU a donnée de l’apartheid en 1976.
Pendant des décennies, les efforts pour encourager la paix entre Israël et le peuple palestinien ont systématiquement échoué, n’aboutissant qu’à renforcer l’hégémonie coloniale israélienne et l’expropriation des Palestiniens. Israël et les différentes administrations américaines ont en effet toujours tiré parti de l’immense déséquilibre des pouvoirs pour imposer une « solution » injuste aux Palestiniens, qui ne respecte pas nos droits fondamentaux garantis en principe par le droit international et qui compromet notre droit inaliénable à l’autodétermination. En outre, la complicité de l’Occident, qui s’est manifestée par un soutien diplomatique, économique et politique sans condition à Israël n’a fait que renforcer une impunité des violations des droits de l’homme sans précédent et a encouragé les sociétés civiles du monde entier à soutenir les initiatives de boycott d’Israël comme forme de lutte efficace et non-violente pour une paix fondée sur la justice.
Pendant trop longtemps, la non-violence était mal vue chez les Palestiniens, pour deux grandes raisons. Premièrement, la plupart de ceux qui défendaient une telle approche revendiquaient des droits minimaux pour les Palestiniens, excluant ou diluant le droit au retour et aux réparations des réfugiés garanti par le droit international.
Deuxièmement, les campagnes palestiniennes non-violentes étaient souvent financées, voire menées, par des organisations occidentales, gouvernementales ou non, dont les priorités politiques entraient généralement en conflit avec celles exprimées par le peuple palestinien, à travers la voix de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Cette corrélation profonde entre non-violence et programme politique minimaliste en fit un objet de suspicion et d’antipathie pour la plupart des Palestiniens, d’autant que la résistance armée a toujours été associée dans une large mesure à un programme politique maximaliste.
Qu’il me soit permis, pour ma part, de ne pas me conformer à cette représentation courante. Si je défends fermement des formes non-violentes de lutte comme le boycott, le désinvestissement et les sanctions pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, je soutiens tout aussi résolument le principe d’un État unitaire fondé sur la justice et une pleine égalité des droits comme solution au conflit colonial israélo-palestinien. Pour moi, dans une lutte pour l’égalité et l’émancipation, la corrélation entre les moyens et les fins et l’effet décisif de ceux-là sur le succès et la pérennité de celles-ci sont indiscutables.
Si l’État d’Israël est une colonie de peuplement, ce qui doit venir à sa place doit être un État laïc, démocratique, offrant une citoyenneté et des droits égaux aux Palestiniens (réfugiés inclus) et aux Juifs israéliens. Ce type d’État est le seul qui puisse concilier éthiquement ce qui semble inconciliable : les droits inaliénables et reconnus par l’ONU du peuple indigène de Palestine à l’autodétermination, au rapatriement et à l’égalité, conformément au droit international, et les droits acquis et reconnus internationalement des Juifs israéliens à coexister –en tant qu’égaux et non en tant que colons – sur la terre de Palestine25.
Toutefois, le mouvement BDS ne prend pas position sur la question de la solution politique et se tient à l’écart du débat un État/deux États, préférant s’en tenir à la question des droits et du droit international, qui constitue le fondement du consensus palestinien autour de la campagne.
Depuis l’écroulement de l’Union soviétique, la fin prématurée de la première Intifada et le lancement du «processus de paix» de Madrid et Oslo, et jusqu’à il y a une dizaine d’années, la question palestinienne a été progressivement marginalisée, voire transformée en un simple facteur de nuisance, par les puissances qui dominent ce nouveau monde unipolaire. L’annulation par l’Assemblée générale des Nations unies en 1991, sous la pression des États-Unis, de sa résolution de 1975 décrétant que «le sionisme est une forme de racisme» a levé un obstacle majeur à la réhabilitation du sionisme et d’Israël dans la communauté internationale.
La reconnaissance formelle d’Israël par l’OLP pendant les accords d’Oslo a participé également à la transformation de l’image d’Israël, non plus État colonial où règne l’apartheid mais État normal engagé dans un conflit territorial. Après la création de l’Autorité palestinienne (AP), avant tout pour soulager les charges coloniales d’Israël en Cisjordanie et à Gaza, Israël a entamé une ambitieuse campagne de relations publiques en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans le monde arabe, nouant des liens diplomatiques  et ouvrant de nouveaux marchés à ses industries en plein essor. D’anciens ennemis jurés s’enthousiasmèrent pour Israël, important des milliards de dollars d’équipements militaires ou autres, et certains, convaincus que la route du Congrès passait par Tel Aviv, lui firent une cour assidue.
Dans le même temps, avec l’élection de George W. Bush à la présidence des États-Unis et la montée en puissance de son entourage néo-conservateur (comprenant nombre d’anciens conseillers du leader d’extrême
droite israélien Benjamin Netanyahu), l’influence sioniste fut pour la première fois aussi forte à la Maison blanche qu’elle l’est depuis des décennies au Capitole.
Mais en septembre 2000, après des années d’occupation israélienne «tranquille» et l’expansion considérable des colonies dans les territoires occupés, la deuxième Intifada éclata. À mesure que le soulèvement s’intensifiait, la répression brutale d’Israël, par des moyens qu’Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits de l’homme ont assimilé à des crimes de guerre, rouvrit – au moins dans les cercles intellectuels – la question de l’avènement d’une paix juste dans le cadre d’un État colonial, ethnocentriste et expansionniste. C’est dans ce contexte que la Conférence mondiale contre le racisme de l’ONU à Durban en 2001 ranima le débat de 1975 sur le sionisme. Même si, comme on pouvait s’y attendre, l’assemblée officielle n’adopta pas de résolution spécifique sur l’oppression du peuple palestinien à cause des menaces directes des États-Unis, le forum des ONG condamna le sionisme comme une forme de racisme et d’apartheid, exprimant le point de vue de milliers de représentants de la société civile venus du monde entier, dont la lutte contre toutes les formes de racisme, et notamment l’antisémitisme, se fonde avant tout sur des principes humanistes et démocratiques. Malgré la position occidentale officielle qui refusait de demander des comptes à Israël, Durban confirma que le soutien des peuples à la cause palestinienne était toujours solide, même en Occident, bien qu’il ne soit pas dirigé vers des initiatives de solidarités efficaces. Depuis le début de la nouvelle Intifada, l’idée de boycotts et de sanctions était dans l’air. Ainsi, des campagnes appelant à l’arrêt des investissements dans les entreprises qui soutenaient l’occupation israélienne, par exemple, se répandirent sur les campus américains, provoquant un début de panique dans les rangs du lobby pro-israélien et de sa branche étu diante. Le caractère impromptu de ces premières tentatives fit bientôt place à des initiatives plus coordonnées au niveau national qui aboutirent à la création du Mouvement de solidarité avec la Palestine (Palestine Solidarity
Movement), puis de la Campagne américaine pour mettre fin à l’occupation israélienne (US Campaign to End the Israeli Occupation)26. De l’autre côté de l’Atlantique, et notamment au Royaume-Uni, des appels à diverses formes de boycott d’Israël furent lancés dans le monde intellectuel et syndical. Ces efforts s’intensifièrent au printemps 2002, avec la réoccupation militaire massive des villes palestiniennes et leur cortège de destructions et de victimes.
En 2004, les associations universitaires, les syndicats et les comités de solidarité appelant au boycott aux États-Unis et en Europe furent rejoints par de grandes Églises, qui commencèrent à étudier des possibilités d’action contre Israël (désinvestissement ou autres formes de boycott) similaires à celles qui furent mises en oeuvre contre l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. La décision la plus considérable fut alors celle de l’Église presbytérienne américaine qui adopta en juillet 2004 à une écrasante majorité de 431 contre 62 une résolution appelant à «un processus d’arrêt sélectif et progressif des investissements dans les entreprises qui ont une activité en Israël ». Contrairement aux déclarations similaires adoptées par des étudiants et des universitaires, cette initiative de l’Église presbytérienne ne pouvait pas être jugée «symbolique » ou économiquement inefficace. Elle inspira par la suite de nombreuses autres confessions religieuses qui cessèrent également d’investir en Israël.
Une étape très importante dans le développement du mouvement fut l’avis consultatif historique de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye du 9 juillet 2004 déclarant illégaux le mur et les colonies construites en territoire palestinien occupé. Malheureusement, l’OLP remporta cette grande victoire au moment où elle était le moins prête à en tirer profit. En 1971, un avis similaire de la CIJ sur l’occupation de la Namibie par l’Afrique du Sud avait déclenché la campagne mondiale de boycott et de sanctions la plus vaste et la mieux coordonnée jamais menée, contribuant directement à la fin du régime d’apartheid. Si la décision de la CIJ sur le mur ne suscita pas une telle réaction, principalement du fait de l’impuissance structurelle et politique des Palestiniens, elle a bel et bien nourri, à travers le monde, un renouveau du discours d’opposition à l’oppression israélienne.
À la même époque, la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (PACBI), lancée en avril 2004, publia une déclaration de principes soutenue par une soixantaine de syndicats et associations des territoires occupés appelant la communauté internationale à boycotter toutes les institutions universitaires et culturelles israéliennes afin de contribuer à «la lutte pour mettre fin à l’occupation israélienne, à la colonisation et au système d’apartheid». Cet appel fut considérablement amplifié lorsque, à l’occasion du premier anniversaire de l’avis de la CIJ, 170 organisations et syndicats de la société civile palestinienne, et notamment les principaux partis politiques, lancèrent un Appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions (BDS) contre Israël «jusqu’à ce qu’il respecte complètement les dispositions du droit international». Après quinze ans de soi-disant processus de paix, la société civile palestinienne reprenait l’initiative en articulant les exigences des Palestiniens et la lutte internationale pour la justice longtemps obscurcie par de trompeuses «négociations». Fait sans précédent, l’Appel BDS fut lancé par des représentants des trois composantes du peuple palestinien : les réfugiés, les citoyens palestiniens d’Israël et ceux qui subissent l’occupation de 1967. Il «invitait» également les Israéliens de conscience à soutenir ses revendications. Le mouvement de boycott palestinien parvint à imposer de nouveaux paramètres et à fixer de nouveaux objectifs pour le réseau de soutien international, et il déclencha ou appuya des campagnes de boycott et de désinvestissement dans plusieurs pays.
Les comités de solidarité occidentaux se sont inquiétés légitimement de l’absence remarquée d’un organisme palestinien officiel derrière les appels au boycott. «Où est votre ANC? » était la question difficile et généralement sincère à laquelle durent répondre un peu partout les partisans du boycott. L’OLP, en plein désarroi depuis des années, est restée silencieuse.
L’AP, avec son mandat extrêmement limité et les contraintes qui lui sont imposées par les accords d’Oslo, est par nature incapable de soutenir une stratégie de résistance efficace, surtout s’il s’agit d’évoquer aussi les injustices antérieures à l’occupation de 1967. À de rares exceptions près, l’action de l’AP a d’ailleurs toujours nui aux efforts de la société civile pour isoler Israël.
Quant aux organismes palestiniens «non-officiels», tous n’ont pas soutenu l’Appel BDS de 2005. Un certain nombre d’ONG palestiniennes, toujours attentives à ne pas heurter la sensibilité des donateurs, ont refusé, certaines jugeant «trop radicale» la clause du droit au retour des réfugiés (stipulé par la résolution 194 de l’ONU), tandis que d’autres, sous la pression de leurs partenaires européens, craignaient que le terme de « boycott » ne suscite l’accusation d’antisémitisme. Dans le même temps, parce qu’ils donnent la priorité à la lutte armée, les groupes politiques palestiniens les plus importants semblent incapables de reconnaître le rôle indispensable de la résistance civique. Par inertie ou parce qu’elles répugnent à procéder à une évaluation critique de leurs programmes à la lumière de l’évolution du contexte international, ces forces n’arrivent pas à se détacher du modèle militaire de lutte contre l’occupation, en ignorant les questions morales troublantes soulevées par certaines formes de violence aveugle que peut prendre cette résistance et par son incapacité à parvenir à des fins positives. L’absence de soutien palestinien « officiel » à BDS, auxquels s’ajoutent les programmes et les messages antagonistes qui parcourent le corps politique «non-officiel», n’ont guère aidé à faire avancer le mouvement.
Si l’on veut satisfaire les aspirations des Palestiniens à la liberté et à l’égalité et remettre en cause réellement la stratégie duale d’Israël consistant à fragmenter, à ghettoïser et à exproprier le peuple palestinien d’un côté, et de l’autre à réduire le conflit à une simple discussion sur un ensemble restreint de droits palestiniens, l’OLP doit être ressuscitée et refondée pour incarner les revendications, l’énergie et les structures nationales des trois composantes du peuple palestinien. L’OLP doit être reconstruite par la base et dirigée selon les principes de la démocratie réelle et de la représentativité proportionnelle.
Paradoxalement, la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes de janvier 2006 pourrait servir de catalyseur dans ces processus de démocratisation et de réforme des structures politiques qui sont si essentiels au retour d’une résistance palestinienne massive et du soutien international. Cela suppose de la part des forces laïques et progressistes d’énormes efforts pour contribuer à faire en sorte que ces processus soient
les plus généraux possible. Cela suppose également un transfert du pouvoir de l’AP à une OLP renouvelée. Pour des raisons juridiques et pratiques, l’AP ne peut bien sûr pas être démantelée du jour au lendemain, mais une OLP reconstituée et démocratique pourrait la sevrer progressivement de sa folle prétention à représenter «les Palestiniens» et de son rôle de mandataire des politiques d’occupation israéliennes. Alors seulement le peuple palestinien dans son ensemble pourra retrouver son unité et sa volonté collective de résister et -pour citer Mahmoud Darwich – d’«assiéger le siège» auquel l’a condamné le «processus de paix».
Parallèlement, le cadre conceptuel et la stratégie de résistance palestiniens doivent être entièrement réexaminés et transformés en un programme d’action progressiste susceptible de faire le lien entre la lutte palestinienne et le mouvement social international. La stratégie la plus juste moralement, et la plus efficace, pour atteindre ces objectifs, est celle qui se fonde sur des campagnes progressives, prolongées et variables en fonction du contexte, de BDS – politique, économique, professionnel, universitaire, culture, sportif, etc. – visant à forcer Israël à respecter pleinement le droit international et les droits de l’homme universels. À cet égard, il est important de souligner qu’il ne s’agit pas seulement de remettre en cause l’occupation militaire israélienne ou le déni du droit des réfugiés, mais bien tout le système d’exclusivisme raciste du sionisme.
Les Juifs ont été en première ligne dans la lutte pour les droits civiques, pour la démocratie, pour l’éga lité devant la loi et pour la séparation entre l’Église et l’État dans de nombreux pays et il semble impossible de ce point de vue qu’ils soutiennent le système en vigueur en Israël, avec ses lois d’un ethnocentrisme éhonté qui réduisent les Palestiniens au rang d’humains relatifs, dans les territoires occupés ou en Israël même. Enfin, une résistance non-violente victorieuse suppose de dépasser le modèle fondamentalement inapplicable des deux États et de mener la lutte contre le racisme sioniste où qu’il se trouve. J’ai bien conscience qu’il peut sembler plus simple de limiter les revendications palestiniennes à la fin de l’occupation mais je suis convaincu qu’il s’agit là d’un mauvais calcul, éthiquement et politiquement.
Le droit indiscutable des Palestiniens à une égale humanité devrait être le tout premier des slogans, dans la mesure où il pose les fondements moraux et politiques justes à partir desquels il faut penser les innombrables injustices commises contre les trois composantes du peuple palestinien. Il repose aussi sur des valeurs universelles qui résonnent dans le monde entier. Si l’union avec diverses forces politiques est nécessaire pour faire prévaloir cette direction, il faut se défier des alliances avec les sionistes «soft», qui pourraient chercher à prendre la tête du mouvement BDS en Occident et à réduire le niveau des revendications palestiniennes jusqu’à leur faire perdre tout leur sens. En revanche, de nombreuses voix juives – des intellectuels ou des organisations qui ont toujours soutenu le principe d’une paix juste – aux États-Unis, en Europe et en Israël même27 ont défendu courageusement diverses formes de boycott, contribuant ainsi à mettre le mouvement BDS naissant à l’abri des accusations d’antisémitisme et du terrorisme intellectuel qui les accompagne.
Outre la nécessité d’étendre la lutte bien au-delà de la fin de l’occupation, deux autres points méritent d’être soulignés. Premièrement, les initiatives BDS doivent être guidées par des principes d’intégration, de diversité, de progressivité et de durabilité.
Elles doivent aussi être conçues de façon à s’adapter à divers contextes. Deuxièmement, si l’Occident, du fait de sa puissance économique et politique écrasante et de son rôle essentiel dans la perpétuation de la domination coloniale israélienne, demeure le principal champ de bataille de cette résistance non-violente, le reste du monde ne doit pas être ignoré. Présent en Afrique du Sud et, sous forme embryonnaire, en Amérique latine, le mouvement BDS doit se répandre en Chine, en Inde, en Malaisie, au Brésil et en Russie, entre autres États qui cherchent à remettre en cause le monopole politique de l’Occident. Il faut noter par ailleurs que l’influence sioniste demeure beaucoup plus faible dans ces États que dans les pays occidentaux.
Le Comité national BDS (BNC), créé en 2008 en Palestine, est devenu la référence et l’animateur du mouvement BDS global, qui se fonde sur l’Appel BDS de la société civile palestinienne de 2005. Dans la droite ligne de la tradition palestinienne de résistance civique et populaire à l’occupation, à la colonisation et à l’apartheid, le BNC est une large coalition de partis politiques, de syndicats et d’organisations palestiniens représentant les trois composantes du peuple palestinien : les réfugiés palestiniens ; les Palestiniens des territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza ; les citoyens palestiniens d’Israël.
Le BNC appelle au maintien de la campagne internationale BDS tant que l’ensemble du peuple palestinien ne pourra pas exercer son droit inaliénable à la liberté et à l’autodétermination et qu’Israël ne respectera pas pleinement ses obligations en regard du droit international. Les membres du BNC sont : Conseil des forces nationales et islamiques de Palestine, Union générale des travailleurs palestiniens, Fédération générale des syndicats palestiniens, Réseau des ONG palestiniennes, Conseil national palestinien des ONG, Fédération des syndicats indépendants, Coalition mondiale du droit au retour en Palestine, Initiative pour la Palestine et le Golan occupés, Union générale des femmes palestiniennes, Union des fermiers palestiniens, Campagne populaire palestinienne contre le mur de l’apartheid, Comité national pour la résistance populaire, Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël, Comité national pour la commémoration de la Nakba, Coalition civique pour la défense des droits des Palestiniens de Jérusalem, Coalition pour Jérusalem, Union des organisations de charité palestiniennes, Observatoire palestinien de l’économie, Union des centres de loisirs pour la jeunesse – camps de réfugiés palestiniens.
Quoi ?
BDS n’est pas une idée. Ce n’est pas un concept. Ce n’est pas une façon de voir. Ce n’est pas même une stratégie. C’est tout cela à la fois, assurément, mais aussi bien plus que cela. La campagne de la société civile palestinienne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre Israël lancée le 9 juillet 2005 est avant tout une nouvelle étape de la lutte centenaire des Palestiniens contre la conquête coloniale sioniste, puis contre l’occupation, l’expropriation et le régime d’apartheid institués par Israël.
La campagne BDS mondiale – fondée sur l’Appel BDS palestinien et animée par le Comité national BDS – a fait une percée importante dans l’opinion publique occidentale ces cinq dernières années. Elle met en avant une approche nouvelle de la question de la Palestine, fondée sur les droits et soulignant de façon pratiquement irréfutable le discours et les pratiques d’exception dont Israël a fait l’objet aux États-Unis et dans la plupart des pays occidentaux depuis sa création par le déplacement et l’expropriation brutaux de la majorité du peuple palestinien pendant la Nakba28.
Plus important encore, le mouvement BDS a porté Israël et le lobby puissant et agressif qui le soutient sur un champ de bataille où la supériorité morale de la revendication palestinienne d’autodétermination, de justice, de liberté et de droit neutralise et surmonte le poids militaire et financier d’Israël. On retrouve le paradigme classique de la force contre le droit, le droit étant reconnu par tous ceux qui, partout dans le monde, sont de moins en moins disposés à supporter les crimes d’Israël et leur impunité et comprennent que le lent génocide dont il est responsable leur impose d’agir, d’agir vite, et d’agir avec efficacité, avec nuance et finesse politique, et surtout avec une rigueur morale constante et incontestable. C’est pourquoi : BDS.
Omar Barghouti
Palestine occupée
17 janvier 2010
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
1. John Pilger, «For Israel, A Reckoning», New Statesman, 14 janvier2010.
http://www.newstatesman.com/international-politics/2010/01/pilger-israelpalestinian-gaza
2. Richard Falk, «Slouching Towards a Palestinian Holocaust», The TransnationalFoundation for Peace and
Future Research, 29 juin 2007.
http://www.transnational.org/Area_MiddleEast/2007/Falk_PalestineGenocide.html
(Traduction française de Marcel Charbonnier: «Lentement, mais sûrement, vers un Holocauste palestinien», Mondialisation.ca, 7 juillet 2007.
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=6244)
3. http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/12session/A-HRC-12-48.pdf
4. Ibid.
5. OCHA, août 2009:
http://www.ochaopt.org/documents/hc_aida_statement_gaza_watsan_20090803_english.pdf
6. Amnesty International, octobre 2009:
http://www.amnesty.org/en/library/asset/MDE15/027/2009/en/e9892ce4-7fba-469b-96b9-c1e1084c620c/mde150272009en.pdf
7. PNUE, septembre 2009: http://postconflict.unep.ch/publications/UNEP_Gaza_EA.pdf
8. New Weapons Committee, décembre 2009:
http://www.newweapons.org/?q=node/110
9. Human Right Watch, mars 2009:
http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/iopt0309web.pdf
10. Al Dameer Human Rights Association, décembre 2009:
http://www.aldameer.org/en/index.php?pagess=main&id=138
11. Amos Harel, «Shooting and Crying», Haaretz, 20 mars 2009:
http://www.haaretz.com/hasen/spages/1072475.html
12. Gideon Levy, «IDF ceased long ago being “most moral army in the world” », Haaretz, 22 juillet 2009:
http://www.haaretz.com/hasen/spages/1072821.html. Du même auteur, voir aussi : Gaza, La fabrique, 2009.
13. Amos Harel, «IDF rabbinate publication during Gaza war : We will show no mercy on the cruel», Haaretz, 26 janvier 2009:
http://www.haaretz.com/hasen/spages/1058758.html
14. Israël Shahak et Norton Mezvinsky, Jewish Fundamentalism in Israel, Londres, Pluto Press, 1999. Israël Shahak, Jewish History, Jewish Religion –The Weight of Three Thousand Years, Londres, Pluto Press, 2002.
15. Sur cette question, voir Omar Barghouti, «Israel’s Latest Massacre in Qana: Racist Jewish Fundamentalism a Factor», Electronic Intifada, Historie :
http://electronicintifada.net/v2/article5338.shtml
16. Uri Blau, «Dead Palestinian Babies and Bombed Mosques – IDF Fashion 2009», Haaretz, 20 mars 2009:
http://www.haaretz.com/hasen/spages/1072466.html
17. Ibid.
18. Omar Barghouti, «Relative Humanity – The Essential Obstacle to a Just Peace in Palestine», Counterpunch, 13-14 décembre 2003 :
http://www.counterpunch.org/barghouti12132003.html
19. Michael Posner, «TIFF Focus on Tel Aviv Draws Protest», Globe and Mail, 8 septembre 2009:
http://www.theglobeandmail.com/news/arts/tiff-2009/tiff-focus-on-tel-avivdraws-protests/article1273755/
20. www.AURDIP.org
21. www.PACBI.org
22. Richard Falk, «Statement on Gaza to the Human Rights Council», 23 mars 2009: http://www.transnational.org/Area_MiddleEast/2009/Falk_OralStatement_Gaza.html
23. Pour une analyse approfondie de l’apartheid et du système colonial en Israël, voir l’exposé de principes stratégiques publié par le Comité National BDS (BNC), intitulé «United Against Apartheid, Colonialism and Occupation», octobre 2008:
http://bdsmovement.net/files/English-BNC_Position_Paper-Durban_Review.pdf
24. Les paragraphes qui suivent reprennent largement un article déjà publié : Omar Barghouti, «Putting Palestine Back on the Map-Boycott as Civil Resistance», Journal of Palestine Studies, vol. 35, n° 3 (printemps 2006), p. 51: http://www.palestinestudies.org/journals.aspx?id=6804&jid=1&href=fulltext
25. Pour une analyse plus détaillée de la solution à un seul État, voir : Omar Barghouti, «Re-imagining Palestine – Self-Determination, Ethical De-colonization and Equality», ZNet, 29 juillet 2009:
http://www.zmag.org/znet/viewArticle/22158
26. http://www.endtheoccupation.org/
27. Supporting the Palestinian BDS Call from Within: http://boycottisrael.info/
28. Sur cette question du déplacement forcé des Palestiniens, voir Ilan Pappé, Le Nettoyage ethnique de la Palestine, Paris, Fayard, 2008. Apartheid israélien : l’heure de la réponse sudafricaine Pacbi.org, le 26 janvier 2006.
Cet article expose les principales raisons du lancement de la campagne pour le boycott, le désinvestissement
et les sanctions (BDS), et la réfutation des arguments avancés pour s’y opposer. Aujourd’hui, la plupart des Palestiniens voient dans l’exercice du pouvoir par les Israéliens, mêlant colonialisme, racisme et déni des droits de l’homme, une forme d’apartheid. En réalité, ils sont loin d’être les seuls à défendre ce point de vue; les principaux intellectuels, hommes politiques et défenseurs des droits de l’homme d’Afrique du Sud y souscrivent également. Dans un article du Guardian intitulé «Apartheid en Terre sainte», l’archevêque Desmond Tutu écrit : J’ai été profondément bouleversé par ma visite en Terre sainte; cela m’a rappelé par tant d’aspects ce que nous, Noirs d’Afrique du Sud, avons vécu. […] Nos soeurs et frères juifs ont-ils oublié l’humiliation qu’ils ont subie? Ont-ils déjà oublié les punitions collectives, les démolitions de maisons qui ont marqué leur propre histoire1 ? En réalité, beaucoup d’entre eux n’ont pas oublié. En Israël même, des hommes politiques et des journalistes juifs ont formulé des analogies très claires entre Israël et l’Afrique du Sud. Roman Bronfman, leader du courant «Choix démocratique» du parti Yachad, a critiqué ce qu’il a appelé «un régime d’apartheid dans les territoires occupés», ajoutant que «la politique d’apartheid a également infiltré l’État d’Israël où s’exerce une discrimination quotidienne contre les Arabes et les autres minorités israéliennes. La lutte contre ce point de vue fasciste est l’affaire de tout humaniste2.»
L’ancienne ministre de l’éducation israélienne Shulamit Aloni a affirmé dès 2005 que son pays commettait des crimes de guerre, «utilis[ait] la terreur» et «ne diff[érait] en rien de l’Afrique du Sud raciste». Interrogée sur la manière dont elle voyait l’avenir d’Israël, elle a répondu: «Je peux vous montrer les livres de Mussolini sur le fascisme. Lisez-les et vous arriverez à la conclusion sans équivoque que des ministres de l’actuel gouvernement israélien s’engagent sur la même voie3.»
Esther Levitan, la célèbre grand-mère juive qui fut condamnée sans procès à l’isolement cellulaire à perpétuité dans l’Afrique du Sud de l’apartheid pour avoir milité dans les rangs de l’ANC, déclara à Haaretz qu’elle considérait Israël comme un pays effroyablement raciste: «Les Israéliens ont cette haine terrible des Arabes qui me rend malade. […] Ils vont créer un apartheid pire ici4.»
De courageux leaders juifs sud-africains firent également entendre leur voix contre l’apartheid israélien lorsqu’ils publièrent la fameuse déclaration de conscience «Not in Our Names», dans laquelle ils condamnaient le déni par Israël des droits des Palestiniens comme étant la cause première du conflit.
La déclaration, rédigée par le ministre Ronnie Kasrils et le juriste Max Ozinsky et signée par des centaines d’autres personnalités juives sud-africaines, affirme : « Il devient difficile, particulièrement vu de l’Afrique du Sud, de ne pas faire de parallèles entre l’oppression subie par les Palestiniens du fait d’Israël et l’oppression subie en Afrique du Sud du temps de l’apartheid5. »
Qu’est-ce qui a bien pu provoquer une telle indignation, se demande-t-on? Ces quelques échantillons représentatifs de l’oppression israélienne sur les trois principales composantes du peuple palestinien (dans les territoires occupés, en exil et en Israël) devraient nous aider à répondre à cette question.
L’occupation israélienne
Rien n’incarne mieux l’immense injustice de l’occupation que le mur colonial israélien, construit pour l’essentiel sur les territoires palestiniens occupés, qu’un avis consultatif historique de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye a jugé illégal en juin 2004. Malgré les graves répercussions du mur sur les conditions de vie, l’environnement et les droits politiques des Palestiniens, il est soutenu dans un quasi-consensus6 par les Juifs israéliens. L’ancienne ministre de l’environnement israélienne Yehudit Naot a toutefois protesté contre un aspect spécifique du mur : «La barrière de séparation interrompt la continuité de zones découvertes et elle nuit au paysage, à la flore et à la faune, aux corridors biologiques et à l’écoulement des cours d’eau. Le système de protection va affecter de manière irréversible les ressources naturelles et créer des enclaves coupant les communautés de leur environnement7.»
Des iris ont donc été déplacés et des passages pour les petits animaux créés – ce qui ne suffit toutefois pas à apaiser le porte-parole de l’Autorité de protection de la nature et des parcs nationaux israélienne :
Les animaux ne savent pas qu’il y a maintenant une frontière. Ils ont l’habitude d’un certain espace de vie et ce qui nous préoccupe, c’est que leur diversité génétique risque d’être affectée si différents groupes de population ne peuvent plus s’accoupler et se reproduire. Isoler des populations de part et d’autre d’une barrière, c’est créer à coup sûr un problème génétique8.
Extrêmement soucieux du bien-être des renards et des fleurs sauvages, Israël traitait dans le même temps les enfants palestiniens comme des créatures négli geables.
Pour avoir jeté quelques pierres, ils étaient abattus par des tireurs d’élite. Des sources médicales9 et des organisations de défense des droits de l’homme comme Physicians for Human Rights ont fait état d’une systématisation, pendant les premiers temps de l’Intifada palestinienne actuelle, des tirs dans les yeux et les genoux des enfants palestiniens avec «l’intention évidente » de provoquer des blessures graves10.
Tanya Reinhart, professeur à l’université de Tel-Aviv, évoque également cette «pratique commune» chez les tireurs d’élite, consistant à «tirer une balle de métal enrobée de caoutchouc dans un oeil – un petit jeu pour soldats bien entraînés, qui demande une précision maximale11». Et quand ils n’avaient pas l’excuse des jets de pierre derrière lesquels dissimuler leurs crimes, les soldats israéliens devaient les provoquer. Le reporter de
guerre américain Chris Hedges a raconté comment des soldats avaient délibérément provoqué des enfants qui jouaient au football dans les dunes, au sud de Gaza, de façon à pouvoir leur tirer dessus. Depuis leurs jeeps, ils hurlaient : «Allez, bande de chiens… Où sont les chiens de Khan Younès? Par ici ! Par ici !… Fils de pute ! » Hedges décrit ainsi la suite : « Les garçons – âgés d’une dizaine d’années tout au plus pour la plupart – montent le long de la dune en petits groupes en direction de la clôture électrique qui sépare le camp de la colonie juive. Ils jettent des pierres vers deux jeeps blindées arrêtées au sommet de la dune et équipées de haut-parleurs. Une grenade à percussion explose. Les garçons […] se dispersent en courant maladroitement dans le sable lourd. Ils descendent derrière un banc de sable qui les dissimule à ma vue. Il n’y a pas de bruit de coups de feu. Les soldats tirent avec des silencieux. Les balles des fusils M-16 renversent les corps frêles des enfants. Plus tard, à l’hôpital, je découvrirai l’étendue de la destruction : les estomacs arrachés, les trous béants dans les membres et les torses. Hier, à cet endroit, les Israéliens en ont descendu huit. […] J’ai couvert d’autres conflits où on tirait sur des enfants […] mais c’est la première fois que je vois des soldats les attirer comme des souris dans un piège et les tuer pour le sport.» 
Les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés palestiniens ne sont pas la seule forme d’oppression qu’Israël fait subir aux Palestiniens. Deux autres types d’injustices et de violations des lois internationales, sans présenter peut-être le même caractère d’urgence, sont tout aussi importants: le déni des droits des réfugiés palestiniens et le système institutionnalisé de discrimination raciale à l’égard de ses propres citoyens arabo-palestiniens ou non juifs. Les Palestiniens ne peuvent ignorer aucune de ces formes d’oppression.
Israël et les droits des réfugiés palestiniens
À l’origine du plus considérable et du plus ancien problème de réfugiés au monde, Israël a toujours refusé de reconnaître sa responsabilité dans la Nakba, la catastrophe de l’expropriation et du déracinement des Palestiniens autour de l’année 1948. Bizarrement, le discours israélien dominant sur la «naissance» de l’État se fonde sur le déni total du fait que celui-ci a été créé à la suite du déplacement forcé de la majorité de la population palestinienne indigène. À quelques rares exceptions près, les Israéliens voient dans ladestruction impitoyable de plus de 400 villages palestiniens par les sionistes et dans la campagne planifiée de nettoyage ethnique qui a touché plus de 750000 Palestiniens une des étapes de l’accès à l’«indépendance » d’Israël. Même les Israéliens clairement engagés «à gauche» déplorent la perte de la «supériorité morale» d’Israël après l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, comme si avant cela Israël avait été un État normal et respectueux du droit et des libertés civiques.
Mais la vérité qui fut littéralement ensevelie sous les décombres en 1948 a fini par voir le jour, en grande partie grâce aux nouveaux historiens israéliens12.
Aujourd’hui, la question des réfugiés demeure indéniablement la plus lourde de conséquences et d’enjeux moraux de tout le conflit colonial.
En instrumentalisant le génocide nazi, Israël a fondé son rejet des droits des réfugiés palestiniens sur la théorie selon laquelle les Juifs ne sont pas en sécurité parmi les Gentils et doivent donc vivre dans un État, une colonie de peuplement, dont la prédominance juive doit être maintenue à tout prix, indépendamment des lois internationales, des droits de l’homme et des droits politiques des populations originaires de la terre sur laquelle cet État a été érigé.
Aucun autre pays au monde ne revendique aujourd’hui un tel droit à la suprématie ethno-religieuse. Quand les victimes des «super-victimes» sont décrites comme des êtres humains relatifs13, d’une valeur inférieure, cette attitude est largement tolérée par les puissances hégémoniques mondiales14.
Alors qu’ils dénient les droits fondamentaux des Palestiniens, en particulier leur droit au retour dans leur foyer d’origine et aux réparations, qui sont stipulés dans la résolution 194 de l’Assemblée Générale de l’ONU, les Juifs d’Israël et d’Occident ont obtenu de nombreux succès dans leurs campagnes pour la restitution des biens volés aux victimes du génocide nazi et le principe des réparations, qui incluaient souvent le droit au retour en Allemagne, en Pologne et dans d’autres pays dont les Juifs ont été expulsés. Mais le comble de l’incohérence morale a été atteint lorsque la Fédération Sépharade Mondiale a fait pression sur l’Espagne pour qu’elle accorde la citoyenneté aux descendants des Juifs expulsés d’Andalousie il y a plus de cinq siècles15.
Le fait que les réfugiés constituent une large majorité du peuple palestinien et l’exil douloureux qu’ils subissent depuis des décennies font de la reconnaissance de leurs droits fondamentaux, tels qu’ils ont été définis par l’ONU, un test de moralité décisif pour quiconque recherche une solution juste, durable et conforme aux lois internationales, au conflit colonial israélo-palestinien.
Indépendamment même de la morale et du droit, le déni des droits des réfugiés palestiniens est la garantie d’une perpétuation du conflit16.
Israël et ses citoyens arabes-palestiniens
Israël n’est peut-être pas le seul pays où s’exerce une discrimination raciale17 à l’encontre d’une minorité nationale mais c’est assurément le seul à s’en être toujours – jusqu’ici – tiré à très bon compte, en projetant à l’extérieur l’image fausse d’une démocratie progressiste. Au coeur de la forme spécifique de l’apartheid israélien, il y a une représentation profondément enracinée des citoyens palestiniens qui apparaissent non seulement comme un rappel désagréable du «péché originel18», mais aussi comme une menace démographique. La discrimination raciale à leur égard dans tous les aspects essentiels de la vie a toujours été la norme. Défendre le principe d’une égalité totale et sans équivoque entre les Arabes et les Juifs d’Israël équivaut d’ailleurs désormais à un acte de sédition, voire de trahison. Une Haute Cour de justice israélienne a en effet statué qu’il est «nécessaire d’empêcher un Juif ou un Arabe qui demande l’égalité des droits pour les Arabes de siéger à la Knesset ou d’y être élu19».À ce jour, les Juifs israéliens se sont toujours, à une forte majorité, opposés à une pleine égalité avec les citoyens palestiniens indigènes d’Israël20.
Même dans la recherche contre le cancer21, l’apartheid est très net. En juin 2001, le ministre de la santé israélien publia une carte représentant la distribution géographique des cancers en Israël entre 1984 et 1999. Le rapport détaillé présentait des données sur ces maladies dans les communautés de plus de 10 000 habitants mais il excluait toutes les communautés arabo-palestiniennes d’Israël, à l’exception de Rahat dans le désert du Néguev. Interrogé sur cette absence, le cabinet du ministre invoqua des « problèmes budgétaires ». Cette étude est particulièrement importante dans la mesure où, en Israël, il est nécessaire d’établir une corrélation entre la présence de sites polluants et la fréquence des cancers si l’on veut empêcher l’installation de nouveaux sites à risque ou exiger des contrôles environnementaux plus stricts. En omettant délibérément les villes palestiniennes dans sa cartographie complète des cancers en Israël, le ministre de la santé a autorisé indirectement les pollueurs à s’y installer. Les résultats de cet apartheid sanitaire sont terribles. Au cours des trois dernières décennies, le taux de cancer dans la population palestinienne en Israël a augmenté de 97,8 % chez les hommes et de 123 % chez les femmes, au lieu de 39,8 % chez les hommes et 24,4 % chez les femmes dans la population juive. Comme l’a dit un porte-parole du Centre contre le racisme : « Le rapport a produit deux groupes distincts. D’un côté, des privilégiés dont les vies sont chères à l’État et au minis tre de la santé; de l’autre, ceux dont les vies ne valent rien pour l’État. »
Cette discrimination raciale systématique doit être située dans le contexte plus vaste de la perception des Palestiniens par Israël. Les hommes politiques, les intellectuels, les universita,ires et les journalistes débattent avec passion de la meilleure manière de mener la «guerre» démographique contre les Palestiniens. Des murs racistes ont été élevés dans plusieurs localités où les deux communautés vivent côte à côte. À Lydda, Ramle et Césarée, des barrières de diverses formes furent construites pour créer une séparation démographique entre Juifs et Arabes22. Se faisant l’écho d’une opinion largement partagée en Israël, le major-général Shlomo Gazit, éminent chercheur au Jaffee Center for Strategic Studies, proclame que «la démocratie doit être subordonnée à la démographie23».
De nombreux Israéliens issus de l’ensemble du spectre politique soutiennent désormais diverses formes de nettoyage ethnique. Des slogans d’extrême droite longtemps défendus par des figures marginales comme le rabbin Meir Kahane font aujourd’hui partie du discours dominant en Israël24.
Le Dr Amnon Raz-Krakotzkin de l’université Ben- Gurion est l’une des rares personnes à s’être élevé en Israël contre cette banalisation du thème du contrôle démographique. «C’est terrifiant quand des Juifs parlent de démographie», a-t-il déclaré25.
Dans une tribune publiée dans The Guardian, le ministre sud-africain Ronnie Kasrils et l’écrivain britannique Victoria Brittain ont insisté sur cet aspect rarement évoqué de l’apartheid israélien:
Chez les Juifs israéliens, l’obsession de disposer d’une majorité ethno-religieuse ne concerne plus seulement les territoires occupés. C’est devenu une préoccupation “nationale” au sein même de l’État d’Israël, où les citoyens palestiniens sont considérés de plus en plus souvent comme une “menace démographique”. […] Depuis des décennies, la minorité palestinienne s’est vu refuser un accès égal à la santé, à l’éducation, au logement et à la terre pour la seule raison qu’elle n’est pas juive. Le fait qu’elle dispose du droit de vote compense difficilement le déni de tous les autres droits fondamentaux.
Les Palestiniens sont exclus par définition de “l’État juif” et n’ont à peu près aucune influence sur les lois ou les politiques sociales et économiques. D’où la similarité avec les Noirs d’Afrique du Sud26.
Dès lors, que faire ?
La communauté internationale s’étant montrée incapable ces dernières décennies d’imposer à Israël le respect des lois internationales, des hommes et des femmes de conscience du monde entier ont décidé de ne pas se satisfaire de la simple condamnation des crimes et des violations des droits de l’homme et de défendre et de préconiser l’usage de moyens de pression réels contre Israël, à l’image de ce qui a été fait contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Dans un article intitulé « Contre l’apartheid israélien », Desmond Tutu écrit : Ceux qui habitaient hier dans les townships d’Afrique du Sud peuvent vous parler de la vie dans les territoires occupés aujourd’hui. […] Les humiliations, la soumission et la colère, tout ceci est bien trop fami lier. […] Beaucoup de Sud-Africains commencent à faire le parallèle avec ce que nous avons vécu. […] Si l’apartheid a cessé, l’occupation peut cesser également, mais la force morale et la pression internationale devront être tout aussi déterminées. Le désinvestissement actuel est le premier – et certainement pas le seul – mouvement nécessaire dans cette direction27.
C’est précisément la conclusion à laquelle est parvenue la société civile palestinienne. Le 9 juillet, à l’occasion du premier anniversaire de l’avis de la Cour internationale de justice contre le mur israélien, plus de 170 partis politiques, syndicats, associations professionnelles et autres organisations de la société civile palestinienne ont lancé un appel au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions, ou BDS, à l’encontre d’Israël tant qu’il ne respectera pas intégralement les lois internationales et les principes universels des droits de l’homme. La campagne BDS est ancrée dans la résistance civique palestinienne à l’oppression israélienne dans toutes ses dimensions. Constituant un important précédent, ce document historique a été signé par des représentants des trois composantes du peuple de Palestine : les réfugiés palestiniens, les Palestiniens sous occupation et les citoyens palestiniens d’Israël.
C’est également la première fois qu’une telle forme de résistance non-violente est largement défendue dans
pratiquement tous les secteurs de la société palestinienne.
Un des traits essentiels de l’Appel BDS est le fait qu’il s’adresse aux Israéliens de conscience dont il recherche le soutien.
C’est en Afrique du Sud que le soutien au boycott d’Israël a été le plus fort. En octobre 2004, un appel à un boycott total d’Israël lancé par des groupes de soutien aux Palestiniens a été relayé par des associations et des syndicats sud-africains importants comme Congress Of South African Trade Unions (COSATU), Landless People’s Movement, South African NGO Coalition, Anti-War Coalition et Physicians for Human Rights.
Que demande la société civile palestinienne exactement ?
L’Appel BDS est une réponse aux trois dimensions du système d’oppression israélien: Nous, représentants de la société civile palestinienne, invitons les organisations des sociétés civiles internationales et les hommes et les femmes de conscience du monde entier à imposer des boycotts significatifs et à mettre en oeuvre des initiatives de désinvestissement contre Israël semblables à ceux qui furent dirigés contre l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. Nous leur demandons de faire pression sur leurs États respectifs afin qu’ils imposent un embargo et des sanctions contre Israël. Nous invitons également les Israéliens de conscience à soutenir cet appel au nom de la justice et d’une véritable paix28.
L’Appel BDS prend pour modèle l’appel plus ancien lancé par la campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël, qui était au coeur du débat autour du boycott d’un certain nombre d’uni versités israéliennes par l’Association britannique des professeurs d’université (BAUT) en avril 2005. Cette décision historique fut annulée en mai de la même année suite à une campagne d’intimidation sans précédent contre l’association menée par les lobbys israéliens et pro-israéliens au Royaume-Uni et aux États-Unis. Pendant 34 jours, les Palestiniens ont vu de la lumière au bout d’un long tunnel de 57 ans d’oppression. Nous avons alors compris qu’Israël pouvait être descendu du piédestal sur lequel il avait été placé par l’Occident, pour reprendre la métaphore de Desmond Tutu.
Nous avons senti que le monde nous écoutait enfin, que le mur de silence coupable et de complicité pouvait se fissurer. Pendant 34 jours, nous avons assisté à un moment de transformation déterminant du modus operandi du mouvement de solidarité: des appels à la prise de conscience et des condamnations, aussi importantes qu’aient pu être ces formes de lutte, le monde passait enfin aux sanctions réelles pour faire appliquer la justice et la paix.
On opposa de nombreux arguments aux appels au boycott. Je résumerai ici les moins irrationnels et les plus fréquents d’entre eux, en proposant ensuite des contre-arguments, tous fondés sur le principe de la cohérence morale.
Principaux arguments contre BDS
Certains soutiens déclarés de la cause palestinienne se sont exprimés contre l’application d’un boycott de type sud-africain à Israël pour diverses raisons, dont voici les plus importantes :
(A) Israël est fondamentalement un pays démocratique
avec une société civile très active et il peut donc
être convaincu de mettre fin à l’oppression sans qu’il
soit nécessaire d’appliquer des sanctions.
(B) Contrairement à la situation de l’Afrique du Sud
à l’époque de l’apartheid, la majorité de la population
israélienne est opposée au boycott.
(C) Les organisations de la société civile israélienne
sont majoritairement progressistes et elles sont à
l’avant-garde du mouvement pour la paix. Il faut donc
les soutenir et non les boycotter.
Contre-arguments
(A) Comment une instance de suprématie ethnoreligieuse
qui est également une puissance coloniale
peut-elle être qualifiée de démocratie ? Tony Judt,
50
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page50
professeur à NYU, parle d’Israël comme d’un
«anachronisme dysfonctionnel» et le classe parmi les
«ethno-États intégristes agressivement intolérants29».
Dès 1967, le célèbre écrivain juif américain I.F. Stone
résumait ainsi le dilemme du sionisme: «Israël est en
train de créer une sorte de schizophrénie morale dans
la communauté juive mondiale. À l’extérieur, le bienêtre
des Juifs repose sur le maintien de sociétés
laïques, non raciales et pluralistes. En Israël, les Juifs
se retrouvent à défendre une société où les mariages
mixtes ne peuvent pas être reconnus, où les non-Juifs
ont un statut inférieur aux Juifs et où l’idéal est raciste
et exclusiviste30.»
(B) Ce deuxième argument contre le boycott reflète
soit une étonnante naïveté, soit une malhonnêteté
intellectuelle foncière. Doit-on juger de l’opportunité
d’appliquer des sanctions contre une puissance coloniale
en se fondant sur l’opinion de la majorité dans
la communauté des oppresseurs ? La communauté
opprimée compte-t-elle si peu?
(C) Il s’agit là purement et simplement d’un mythe
défendu et répandu par certains universitaires et intellectuels
israéliens qui se disent «de gauche». La grande
majorité des Israéliens servent dans les forces de
réserve de l’armée et ont donc une connaissance
directe des crimes quotidiens de l’occupation et de l’apartheid,
quand ils n’y participent pas. Par ailleurs, à
l’exception d’une minorité infime (mais essentielle), la
société civile israélienne est opposée à l’égalité totale
avec les Palestiniens et soutient – ou approuve tacitement
– l’oppression étatique. Les institutions israé -
liennes, qu’elles soient économiques, culturelles,
universitaires ou autres, sont presque toutes complices
de cette oppression en perpétuant ou en justifiant les
violations des lois internationales et le déni des droits
des Palestiniens.
51
Apartheid israélien: l’heure de la réponse…
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page51
Deuxième groupe d’arguments
Dans une perspective légèrement différente, certains
observateurs ont affirmé que le boycott d’Israël était
contre-productif et pouvait conduire à:
(1) perdre la possibilité d’exercer une influence sur
Israël pour le remettre sur la voie de la paix;
(2) radicaliser la droite israélienne et couper l’herbe
sous le pied de la gauche ;
(3) aggraver indirectement les souffrances des Palestiniens
qui pourraient eux-mêmes être soumis aux effets
économiques du boycott, voire à des conditions d’oppression
encore renforcées par l’isolement d’Israël.
Deuxième groupe de contre-arguments
(1) Quelle influence ? L’Europe n’en a à peu près
aucune aujourd’hui. Quant aux États-Unis, l’israélisation
de la politique étrangère, en particulier envers
le Moyen-Orient, y a atteint des proportions telles qu’il
est de fait impossible de concevoir que le pays exerce
la moindre pression pour ne serait-ce que limiter –
ne parlons même pas d’y mettre un terme – les politiques
d’oppression menées par Israël.
(2) Quelle gauche ? La gauche sioniste israélienne
ferait aisément passer les partis d’extrême droite
européens pour des parangons de morale altruiste,
notamment lorsqu’on pose la question de la reconnaissance
des droits des réfugiés palestiniens ou
de la pleine égalité des citoyens non juifs de l’État
d’Israël. D’un autre côté, la gauche non-sioniste,
soucieuse de cohérence morale, constitue un groupe
minuscule, dont les membres pourraient en effet
perdre des bénéfices, des avantages ou des financements
à cause du boycott. Cela devrait nous inciter
à nuancer notre tactique de façon à limiter la portée
de cette conséquence malencontreuse. Mais, comme
52
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page52
nous le savons tous, le boycott n’est pas une science
exacte, et il faut insister sur l’effet positif qu’il
peut avoir sur la lutte globale pour les droits de
l’homme, l’égalité et la démocratie réelle, y compris
en Israël.
(3) Aggraver leurs souffrances ? Quelle que soit la
sincérité de cet argument, il relève implicitement d’une
attitude coloniale envers les Palestiniens, comme si
ceux qui le défendent savaient mieux que nous ce qui
est bon pour nous. Les Palestiniens sont parfaitement
conscients du prix à payer pour le succès de BDS et
ils sont assez adultes et raisonnables pour l’accepter
au nom de leur poursuite de la liberté, de l’égalité et
de l’autodétermination.
Le génocide nazi et l’argument de l’antisémitisme
Comme l’a dit le philosophe Étienne Balibar, «Israël ne
devrait pas être autorisé à instrumentaliser le génocide
des Juifs d’Europe pour se placer au-dessus de la loi
des nations31.» En fermant les yeux sur l’oppression
israélienne, les Occidentaux ont en réalité perpétué
la souffrance humaine et l’injustice qu’a provoqué le
génocide nazi.
Quant à l’accusation d’antisémitisme, elle est de toute
évidence déplacée et utilisée comme un outil d’intimidation
intellectuelle. Est-il vraiment utile de redire que
l’Appel BDS ne vise pas les Juifs ni même les Israéliens
en tant que Juifs. Il est clairement dirigé contre Israël
en tant que pouvoir colonial et État d’apartheid.
L’identité des oppresseurs importe peu; ce qui compte,
c’est qu’ils continuent à opprimer, nous contraignant
à résister par tous les moyens conformes aux lois internationales
et aux droits de l’homme.
Le soutien croissant dont bénéficient les initiatives
visant à exercer des pressions réelles contre Israël
chez les Juifs progressistes en Europe, aux États-Unis
53
Apartheid israélien: l’heure de la réponse…
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page53
et en Israël est un contre-argument qui est étrangement
souvent négligé par les opposants à BDS.
BDS n’exclut pas la possibilité de projets de
coopération israélo-palestiniens dès lors qu’ils reconnaissent
les droits des Palestiniens et l’exigence fondamentale
de liberté et d’égalité. La campagne de
boycott fixe simplement des critères précis pour que
cette coopération soit moralement juste et politiquement
efficace. Il ne suffit pas d’invoquer la paix,
qui est aujourd’hui l’un des mots les plus galvaudés,
quand on voit que deux criminels de guerre notoires
se considèrent aujourd’hui comme des « hommes
de paix ». La paix sans la justice n’est qu’une institutionnalisation
de l’injustice.
Les projets pour la paix qui omettent délibérément
toute mention de l’oppression des Palestiniens sont
des entreprises nuisibles et malhonnêtes. Ceux qui
pensent que le conflit finira par se dissiper à coups
de forums sur le rapprochement, la détente ou le
«dialogue » – dans lesquels ils mettent leurs espoirs
de réconciliation et, à terme, de paix – sont des
grands délirants ou des mystificateurs. La volonté
de changer la perception des opprimés au lieu
d’aider à mettre un terme au système d’oppression
lui-même est un signe d’aveuglement moral et de
myopie politique.
Le boycott, le désinvestissement et les sanctions
peuvent varier et s’adapter aux circonstances. Du
moment que sont reconnus les droits inaliénables
des Palestiniens et le principe fondamental selon
lequel il faut faire pression sur Israël pour qu’il
respecte ces droits et les lois internationales,
diverses formes de BDS peuvent s’appliquer en fonction
de contextes spécifiques. Ne pas apporter un
soutien déterminé et efficace à cette forme minimale,
civique et non-violente de résistance à l’oppression,
ou à toute autre forme de lutte
54
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
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1. Desmond Tutu, «Apartheid in the Holy
Land», The Guardian, 29 avril 2002.
http://www.guardian.co.uk/israel/comment/
0,10551,706911,00.html
2. Roman Bronfman, «The Hong Kong of
the Middle East», Haaretz, 20mai 2005.
http://www.haaretz.com/hasen/pages/S
hArt.jhtml?itemNo=578338&contrassID=
2&subContrassID=4&sbSub-
ContrassID=0&listSrc=Y
3. Roee Nahmias, «“Israeli terror is
worse”», Yedioth Ahronoth, 29 juillet
2005.
http://www.ynetnews.com/articles/
0,7340,L-3119885,00.html
4. Thomas O’Dwyer, «Parts and
apartheid», Haaretz, 24 mai 2002.
5. Jon Jeter, «South African Jews
Polarized Over Israel», Washington
Post, 19 décembre 2001.
6. Éditorial d’Haaretz, «A Fence Along
the Settlers’ Lines», 3 octobre 2003.
7. Mazal Mualem, «Old Habitats Die
Hard», Haaretz, 20 juin 2003.
8. Ibid.
9. Le Dr Aghlab Khouri du St. John
Eye Hospital de Jérusalem, spécialisé
dans le traitement des yeux, explique
dans un témoignage recueilli par une
organisation de défense des droits de
l’homme l’effet de l’impact d’une balle
de métal enrobée de caoutchouc dans
l’oeil : «Les cas que j’ai traités pendant
les affrontements étaient des cas de
tirs directs dans les yeux avec des
balles de métal enrobées de
caoutchouc. Les balles de ce type n’ont
pas de terminaison pointue mais elles
contiennent un morceau de métal ;
elles atteignent l’oeil à une très grande
vitesse, créant un impact qui le fait
éclater.»
LAW, Israel’s Excessive and Indiscriminate
Use of Force : Eye Injuries,
2 novembre 2000.
10. Physicians for Human Rights, Evaluation
of the Use of Force in Israel,
Gaza and the West Bank, 3 novembre
2000.
http://www.phrusa.org/research/forensics/
israel/Israel_force_2.html
11. Tanya Reinhart, «Don’t Say You
Didn’t Know», Indymedia, 6 novembre
2000.
12.
http://en.wikipedia.org/wiki/New_Historians
13. Sur le concept d’«humanité relative
», voir :
http://electronicintifada.net/v2/article2325.
shtml
14. Sur cette question, voir Omar
Barghouti, «The Spirit of Auschwitz»,
Al-Ahram Weekly Online, 2-8 mai
2002.
15. DPA, «Sephardi Jews Demand
Recognition from Spanish Government
», Haaretz, 15 octobre 2002.
16. Pour plus de détails sur ce point,
voir Omar Barghouti, «On Refugees,
Creativity & Ethics», ZNet, 28 septembre
2002.
17. Selon l’organisation Physicians for
Human Rights-Israel, «bien que les
Palestiniens représentent environ
20 % de la population de l’État d’Israël,
cette communauté souffre d’une
discrimination institutionnalisée qui se
traduit par des écarts socioéconomiques
considérables entre la
55
Apartheid israélien: l’heure de la réponse…
comparable, c’est, pour les organisations de la
société civile internationale, abandonner leur obligation
morale de défendre le droit, la justice, la
paix véritable, l’égalité et la possibilité de faire prévaloir
les principes éthiques universels.
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page55
majorité juive et la minorité arabe.
Aucun investissement significatif n’est
fait pour abolir ces écarts. Au contraire,
la population arabe continue à
souffrir de sous-financements et de
discriminations dans de nombreux
domaines comme l’emploi, l’éducation,
le logement, l’aménagement urbain et
les services de santé.»
http://www.phr.org.il/Phr/Pages/PhrArticle_
Unit.asp?Cat=37&Pcat=4
18. Selon l’écrivain israélien Benjamin
Beit-Hallahmi, « les Israéliens
semblent hantés par […] la malédiction
du péché originel contre les
Arabes indigènes. Comment peut-on
évoquer Israël sans rappeler l’expropriation
et l’exclusion des non-Juifs ?
C’est le point le plus fondamental à
propos d’Israël et on ne peut pas
comprendre la réalité israélienne si
l’on n’en tient pas compte. Le péché
originel hante et tourmente les
Israéliens : il entache chaque chose et
chaque personne. Son souvenir
empoisonne le sang et marque
chaque moment de l’existence. » Benjamin
Beit-Hallahmi, Original Sins :
Reflections on the History of Zionism
and Israel, Olive Branch Press, New
York, 1993.
19. Edward Herman, «Israeli
Apartheid and Terrorism», Z-Magazine,
29 avril 2002.
20. Haaretz, 22 mai 2003.
21. Eli Ashkenazi, «Budget for Cancer
Mapping doesn’t extend to Arab
Sector», Haaretz, 28 mars 2005.
22. Lily Galili, «Long Division»,
Haaretz, 19 décembre 2003.
23. Lily Galili, «A Jewish demographic
state», Haaretz, 1er juillet 2002.
24. Yulie Khromchenco, «Poll : 64 % of
Israeli Jews support encouraging
Arabs to leave», Haaretz, 22 juin
2004.
25. Galili, 2002.
26. Ronnie Kasrils et Victoria Brittain,
«Both Palestinians and Israelis will
benefit from a boycott», The
Guardian, 25 mai 2005.
27. Desmond Tutu et Ian Urbina,
«Against Israeli Apartheid», The
Nation, 15 juillet 2002.
28. Voir l’intégralité de L’Appel de la
société civile palestinienne au boycott,
au désinvestissement, et aux sanctions
contre Israël (BDS) infra, p. 182.
Il peut aussi être consulté à l’adresse
suivante : www.PACBI.org.
29. Tony Judt, «Israël : The Alternative
», The New York Review of Books,
vol. 50, n° 16, 23 octobre 2003.
http://www.nybooks.com/articles/
16671
30. I.F. Stone, «For a new approach to
the Israeli-Arab Conflict», The New
York Review of Books, 3 août 1967.
http://www.nybooks.com/articles/
12009
31. Étienne Balibar, «A Complex
Urgent Universal Political Cause», Discours
d’ouverture de la conférence de
la Faculty For Israeli-Palestinian
Peace (FFIPP), université Libre de
Bruxelles, 3 juillet 2004.
56
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page56
57
israël/Afrique du Sud:
Réflexions sur le boycott culturel
American Theater Magazine, juin 2008.
Cet article fait partie d’une série de douze contributions
adressées aux milieux culturels et artistiques
occidentaux. Il évoque la logique du boycott de
l’Afrique du Sud et montre que le boycott culturel contre
Israël est tout aussi justifié et nécessaire.
En 1965, suivant l’exemple de plusieurs grandes associations
artistiques britanniques, l’organisation American
Committee on Africa publia une déclaration
historique contre l’apartheid en Afrique du Sud signée
par plus de 60 personnalités du monde de la culture.
On pouvait y lire : «Nous disons non à l’apartheid.
Nous nous engageons solennellement à refuser toute
forme de soutien à l’actuelle République d’Afrique du
Sud ou de collaboration professionnelle avec elle jusqu’au
jour où l’ensemble de son peuple pourra bénéficier
des avantages éducatifs et culturels de cette
riche et belle terre.»
Si l’on remplaçait «République d’Afrique du Sud»
par «État d’Israël», le texte conserverait toute sa pertinence.
Aujourd’hui, 60 ans après sa création par un
processus systématique et délibéré de nettoyage ethnique
à l’encontre d’une grande partie de la population
palestinienne indigène (pour l’analyse d’un
historien reconnu sur la «naissance» d’Israël, voir Ilan
Pappé, Le Nettoyage ethnique de la Palestine), l’État
d’Israël continue d’exercer des discriminations raciales
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page57
à l’égard de ses propres citoyens non juifs ; il maintient
la plus longue occupation militaire de l’histoire
moderne; il dénie toujours aux réfugiés palestiniens –
déracinés, expropriés et expulsés par les sionistes
depuis six décennies – le droit au retour dans leur foyer
et sur leurs terres; il n’a cessé de commettre des crimes
de guerre, de bafouer les droits de l’homme et les principes
des lois internationales en toute impunité.
De l’avis même de leaders anti-apartheid sud-africains
comme l’archevêque Desmond Tutu et l’actuel
ministre Ronnie Kasrils, qui est juif, l’État d’Israël met
en oeuvre une forme d’apartheid plus sophistiquée,
plus évoluée et plus brutale que le précédent sud-africain.
Il doit donc susciter chez les hommes et les
femmes de conscience du monde entier, notamment
chez ceux qui se sont élevés contre l’apartheid sudafricain,
les mêmes réactions de solidarité et de compassion,
à travers l’application d’un boycott, de
désinvestissement et de sanctions (BDS) contre Israël
jusqu’à ce qu’il se conforme au droit international et
respecte les droits de l’homme fondamentaux.
Certains diront peut-être que pour eux, l’art doit
être au-dessus des divisions politiques et unir les gens
dans leur humanité commune. Il me semble qu’ils
oublient un peu vite que les maîtres et les esclaves
n’ont pas grand-chose en commun, et surtout pas
l’idée d’humanité. Au lieu de réinventer la roue, je
me contenterai de rappeler les sages paroles d’Enuga
S. Reddy, directeur du Centre contre l’apartheid des
Nations unies, qui, quand on lui disait que le boycott
culturel de l’Afrique du Sud était contraire au principe
de la liberté d’expression, répondait : «Je trouve
assez étrange, et c’est un euphémisme, que le régime
sud-africain qui prive la majorité africaine de toutes
les libertés […] se transforme ainsi en défenseur de
la liberté des artistes et des sportifs du monde entier.
Nous disposons d’une liste de personnalités qui se sont
58
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page58
produites en Afrique du Sud pour diverses raisons :
ignorance de la situation, appât du gain ou indifférence
au racisme. Il faut les persuader d’arrêter de
divertir l’apartheid, d’arrêter de profiter de l’argent
de l’apartheid et d’arrêter de se prêter à la propagande
du régime d’apartheid.»
Il convient de noter que l’Assemblée générale des
Nations unies a adopté sa résolution sur le boycott
culturel de l’Afrique du Sud en décembre 1980, soit
près de deux décennies après l’adoption du boycott
par les organisations de la société civile en Grande
Bretagne, puis aux États-Unis. Cette décision fut également
prise à la suite des appels répétés des organisations
noires d’Afrique du Sud qui s’étaient
elles-mêmes opposées à la venue de plusieurs personnalités
étrangères qui ne respectaient pas le boycott.
Accusant ces personnalités de complicité avec l’apartheid,
Reddy affirmait : « Il n’y a pas de précédent à
cela dans l’histoire, à part dans une certaine mesure
sous le nazisme. Le problème en Allemagne à l’époque
n’était pas la ségrégation des publics mais l’inhumanité
et le génocide, et c’est aussi le cas en Afrique du
Sud aujourd’hui.» Malgré toutes les différences évidentes,
on peut dire la même chose de la situation
dans l’actuelle Palestine occupée.
59
israël/Afrique du Sud: Réfexions sur le boycott culturel
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page59
Sur la responsabilité morale des universitaires
dans les situations d’oppression.
Le boycott universitaire
comme acte de résistance civique
Academe, février 2006.
Dans l’exercice de ses droits et dans
la jouissance de ses libertés, chacun
n’est soumis qu’aux limitations établies
par la loi exclusivement en vue d’assurer la
reconnaissance et le respect des droits
et libertés d’autrui et afin de satisfaire
aux justes exigences de la morale,
de l’ordre public et du bien-être général
dans une société démocratique.
Déclaration universelle des droits de l’homme,
Article 29-2
Publié dans Academe, le journal de l’American Association
of University Professors, cet article est écrit
en réponse à la position de l’Association condamnant
le boycott. Avec d’autres, il a été rédigé en vue d’une
conférence qui devait se tenir en février 2006 au Rocke -
feller Conference Center à Bellagio (Italie). La conférence
fut annulée, mais l’association décida de
publier les articles pour présenter les points de vue
qui devaient y être exposés.
Il faut savoir gré à l’Association américaine des professeurs
d’université (American Association of University
Professors, AAUP) de prendre l’initiative
précieuse et bienvenue d’ouvrir un débat sur les boycotts
universitaires et leurs conséquences sur le principe
de liberté académique. Je me contenterai ici de
critiquer la position de l’AAUP sur les boycotts uni-
60
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page60
versitaires et les libertés académiques telle qu’elle a été
exprimée dans le rapport du Comité A, «Sur les boycotts
universitaires» (On Academic Boycotts).
De mon point de vue, la position de l’AAUP sur cette
question pose trois séries de problèmes, d’ordres
conceptuel, fonctionnel et éthique. Dans leur ensemble,
ils remettent gravement en cause la cohérence de la
position de l’AAUP sur le boycott universitaire d’Israël
et sa conformité aux politiques et aux modes d’intervention
défendus de longue date par l’organisation
partout où ses principes sont battus en brèche. Plus
grave encore, en postulant l’« importance primordiale
» de cette notion de liberté académique, l’AUUP
limite de fait, délibérément ou non, l’étendue des obligations
morales des universitaires de réagir aux situations
d’oppression dès lors que l’accomplissement de
ces obligations entre en conflit avec cette notion.
Insuffisance conceptuelle
Entre autres aspects problématiques, la défense des
libertés académiques par l’AAUP semble être limitée
aux conflits à l’intérieur d’un État, c’est-à-dire pour
l’essentiel aux « politiques gouvernementales » qui
contreviennent au «libre-échange des idées entre universitaires
». Cela écarte d’emblée les universitaires
qui exercent dans un contexte de colonialisme, d’occupation
militaire ou d’autres formes d’oppression
nationale où « les saisies matérielles et institutionnelles
[…] empêchent certains sujets historiques de
prétendre au discours des droits lui-même», comme
le dit très bien Judith Butler1. De ce point de vue, les
libertés académiques deviennent le privilège exclusif
de certains universitaires.
En outre, en privilégiant les libertés académiques
par rapport à toutes les autres libertés, la position de
l’AAUP contredit les principes fondamentaux du droit
61
Sur la responsabilité morale des universitaires
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page61
international définis par l’ONU. La Conférence de 1993
sur les droits de l’homme proclamait que tous « les
droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants
et intimement liés. La communauté internationale
doit traiter les droits de l’homme
globalement, de manière équitable et équilibrée, sur
un pied d’égalité et en leur accordant la même importance2
». Enfin, en faisant de la libre circulation des
idées une valeur absolue et inconditionnelle, l’AAUP
entre en conflit avec la conception des libertés académiques
reconnue au niveau international telle que
l’a définie le Comité des droits économiques, sociaux
et culturels de l’ONU, selon lequel :
Les libertés académiques englobent la liberté pour
l’individu d’exprimer librement ses opinions sur
l’institution ou le système dans lequel il travaille,
d’exercer ses fonctions sans être soumis à des
mesures discriminatoires et sans crainte de répression
de la part de l’État ou de tout autre acteur, de
participer aux travaux d’organismes universitaires
professionnels ou représentatifs et de jouir de tous
les droits de l’homme reconnus sur le plan international
applicables aux autres individus relevant
de la même juridiction. La jouissance des libertés
académiques a pour contrepartie des obligations,
par exemple celles de respecter les libertés académiques
d’autrui, de garantir un débat contradictoire
équitable et de réserver le même traitement à
tous sans discrimination fondée sur l’un ou l’autre
des motifs prescrits3. (Nous soulignons.)
Lorsque des universitaires négligent ces obligations
ou s’y soustraient totalement, ils perdent donc leur
droit d’exercer ces libertés. Cette mise en balance des
droits et des obligations est le principe même de l’exercice
d’une juridiction internationale sur les droits de
62
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page62
l’homme. C’était aussi l’un des fondements de la
conception première des libertés académiques de
l’AAUP telle qu’elle l’exprimait dans sa «Déclaration
de principes» de 1915, qui posait comme condition à
ces libertés les «obligations corrélatives» de contribuer
à «l’intégrité» et au «progrès» de la recherche
scientifique. En s’abstenant de fixer un ensemble
d’obligations large et évolutif, les institutions et les
associations universitaires s’empêchent de dissuader
des universitaires de participer à des actions ou de
défendre des points de vue jugés fanatiques, haineux
ou incendiaires.
Un professeur devrait-il avoir le droit d’écrire: «Chez
les [Juifs], vous ne trouverez pas ce phénomène si caractéristique
de la culture [islamo-chrétienne] : le doute,
le sens de la faute, cette façon de se torturer. […] Il n’y
a pas de condamnations, pas de regrets, pas de problèmes
de conscience chez les [Israéliens] et les [Juifs],
nulle part, dans aucune couche sociale, dans aucune
position sociale»? Si l’on remplace les mots entre crochets
par, dans l’ordre, «Arabes», «judéo-chrétienne»,
«Arabes» et «musulmans», cette phrase est une citation
exacte d’un livre de David Bukay de l’université
d’Haïfa4. Un étudiant palestinien de Bukay porta plainte
contre lui pour propos racistes. Le recteur de l’université
innocenta totalement Bukay, bien que le sous-procureur
général d’Israël ait ordonné une enquête contre
lui pour «suspicion d’incitation au racisme5». Dans ce
cas, c’est l’institution elle-même qui est impliquée.
Au-delà de la question pénale, une institution universitaire
devrait-elle tolérer, au nom des libertés académiques,
le plaidoyer d’un professeur pour la
«christianisation de Brooklyn», par exemple, ou une
recherche «scientifique» qui viserait explicitement à
contrer la «menace démographique juive » à New
York? Arnon Soffer, de l’université d’Haïfa, a travaillé
pendant des années sur la «judaïsation de la Galilée»
63
Sur la responsabilité morale des universitaires
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page63
et lancé des projets de recherche pour lutter contre
la «menace démographique arabe» en Israël6. Dans
son université comme dans l’ensemble de l’establishment
académique israélien, Soffer est très reconnu et
il fait l’objet de fréquents éloges.
Les universitaires qui défendent l’idéologie nazie,
nient l’Holocauste ou développent des théories antisémites
sont-ils libres de soutenir leurs points de vue
en classe ? Devraient-ils l’être ? La conception des
libertés académiques défendue par l’AAUP permetelle
d’aborder de façon cohérente ces cas épineux ?
Incohérence opérationnelle
Tout au long de son rapport, l’AAUP fait montre d’un
manque d’impartialité et d’équilibre dès qu’il s’agit
des universitaires israéliens et de leurs homologues
palestiniens. Selon le rapport, ce qui a valu la
condamnation «immédiate» de l’AAUP est ce qu’elle
a perçu comme une violation d’un aspect spécifique
des libertés académiques des universitaires israéliens
– leur droit à interagir librement avec leurs collègues
du reste du monde – suite à la décision de
l’Association des professeurs d’université britannique
(British Association of University Teachers, AUT),
révoquée par la suite, de boycotter deux universités
israéliennes. Les injustices qui suscitèrent le geste
de l’AUT, et notamment les entraves autrement plus
radicales et générales aux libertés académiques des
Palestiniens, n’ont pas suscité la moindre critique de
l’AAUP. Quand elle s’y réfère, elle évoque seulement
« ce que d’aucuns considèrent comme le déni des
droits des Palestiniens par l’occupation israélienne»,
comme s’il n’était pas évident pour à peu près tout
le monde que l’occupation militaire est par définition
contraire à l’affirmation et à l’exercice des libertés
et des droits.
64
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page64
Par ailleurs, si l’AAUP a adopté de nombreuses résolutions
condamnant les régimes et les institutions qui
limitent les libertés des citoyens et des enseignants,
elle n’a jamais pris position publiquement, à ma
connaissance, contre la fermeture des universités et
des écoles palestiniennes plusieurs années de suite à
la fin des années 1980 et au début des années 1990,
pas plus que contre la «criminalisation» de toutes les
initiatives d’éducation alternatives « souterraines »
qui ont vu le jour à cette époque7. Malgré les nombreux
témoignages recueillis par les principales organisations
de défense des droits de l’homme et les
agences de l’ONU, malgré la couverture médiatique
dont elle fait l’objet, la politique israélienne actuelle
qui aboutit à entraver et bien souvent à interdire aux
Palestiniens l’accès à leurs écoles et à leurs universités
– du fait du mur colonial, des barrages routiers et
des routes «réservées aux Israéliens» – a également
été ignorée par l’AAUP. On ne l’a pas entendue non
plus sur la pratique de l’armée israélienne consistant
à «tirer pour blesser» délibérément sur les manifestants,
qui sont parfois des écoliers8.
Un autre aspect des violations du droit à l’éducation
qui a échappé aux critiques de l’AAUP est l’infraction
au droit à une éducation égale pour tous dont sont
victimes les citoyens arabo-palestiniens d’Israël. Une
étude menée par Human Rights Watch en 2001 se
concluait ainsi :
Une discrimination à tous les niveaux du système
éducatif [israélien] élimine une proportion croissante
d’enfants arabo-palestiniens à mesure qu’ils
avancent dans le système scolaire — ou canalise les
plus persévérants de façon à limiter leurs chances
d’accéder à une éducation supérieure. Les obstacles
que les étudiants arabo-palestiniens rencontrent de
la maternelle à l’université fonctionnent comme une
65
Sur la responsabilité morale des universitaires
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page65
série de tamis toujours plus fins. À chaque étape,
le système éducatif élimine davantage d’Arabo-
Palestiniens que de Juifs. […] Bien que la Constitution
ne reconnaisse pas explicitement le droit à
l’éducation, un tel droit est bel et bien garanti par
des lois en Israël. Mais ces lois, qui interdisent la
discrimination au sein des écoles, n’interdisent pas
spécifiquement la discrimination par le gouvernement
national lui-même. Les tribunaux israéliens
doivent donc se fonder sur ces lois ou sur des principes
plus généraux d’égalité pour protéger les
enfants arabo-palestiniens des discriminations dans
l’éducation9.
Cette forme de discrimination raciale institutionnalisée
n’évoque-t-elle pas des précédents? Selon l’ancienne
ministre de l’éducation israélienne Shulamit
Aloni, Israël « ne diffère en rien de l’Afrique du Sud
raciste10». Le député israélien Roman Bronfman critique
également ce qu’il désigne comme «un régime
d’apartheid dans les territoires occupés », ajoutant
que « la politique d’apartheid a également infiltré
l’État d’Israël où s’exerce une discrimination quotidienne
contre les Arabes et les autres minorités
israéliennes11 ». Cette situation ne justifie-t-elle pas
des mesures de désinvestissement similaires ? Il
convient de noter que dans le cas de l’Afrique du
Sud, l’AAUP justifiait son appel à des sanctions par
une prise de position « contre l’apartheid » en général
alors que dans le cas de la Palestine, elle ne s’est
intéressée qu’aux « violations des libertés académiques
».
Et si ce sont les boycotts académiques, par principe,
qui suscitent la réprobation de l’AAUP, l’organisation
a-t-elle condamné l’American Library
Association lorsqu’elle a mis en place un boycott de
ce type contre l’Afrique du Sud pendant les années
66
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page66
1980? Et quelle est sa position sur l’appel de l’Anti-
Defamation League à un contre-boycott des universités
britanniques après la décision de boycott de
l’AUT12 ?
Responsabilité éthique
Selon le rapport de l’AAUP «Sur les boycotts académiques
», «s’il n’existe pas de moyen objectif de déterminer
ce qui constitue une situation extraordinaire,
comme c’est certainement le cas, quels critères devraient
guider la décision de soutenir ou de ne pas soutenir un
boycott?» (Nous soulignons.) Si des critères «objectifs»
sont sans doute en effet un idéal abstrait qu’on vise sans
jamais l’atteindre réellement, certains principes éthiques
font désormais l’objet d’une adhésion suffisamment universelle
pour être considérés comme relativement objectifs,
au moins pour notre époque. La prohibition des
actes de génocide ou des assassinats d’enfants sont deux
exemples évidents. Le corpus croissant des conventions
et des déclarations de l’ONU doit être considéré comme
ce qui se rapproche le plus des critères objectifs qui peuvent
nous guider pour nous prononcer en matière de
litiges sur les droits et les libertés, notamment dans les
situations d’oppression.
La réglementation de l’ONU n’est peut-être pas toujours
parfaitement cohérente, mais elle se fonde sur le
principe éthique suprême de la valeur égale de toutes
les vies humaines et sur l’indivisibilité et l’interdépendance
des droits de l’homme. La violation de ces
principes était probablement le principal motif de l’appel
de l’AAUP au désinvestissement dans l’Afrique du
Sud de l’apartheid. Il convient de souligner ce précédent,
dans la mesure où il met en jeu des critères,
certes implicites, qui permettent de décider ce qui
constitue une «situation extraordinaire» nécessitant
des mesures exceptionnelles.
67
Sur la responsabilité morale des universitaires
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page67
Le soutien de l’AAUP à une forme de boycott de
l’Afrique du Sud peut être interprété ou extrapolé
pour montrer que, lorsqu’un déni constant et généralisé
des droits de l’homme fondamentaux est
reconnu, la responsabilité éthique de toute personne
libre – et de toute association de personnes libres, institutions
universitaires comprises – de résister à l’injustice
supplante toute autre considération sur les
conséquences éventuelles de ces actes de résistance
sur les libertés académiques. Cela ne signifie pas
nécessairement que les libertés académiques sont
reléguées à un rang inférieur parmi d’autres droits,
mais simplement que dans des contextes d’oppression
extrême, l’obligation de sauver des vies humaines
et de protéger les droits inaliénables des opprimés à
vivre comme des êtres humains libres et égaux prend
un caractère d’urgence et de priorité absolue. C’est
précisément dans cette logique qu’a été lancé l’appel
de la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire
et culturel d’Israël (PACBI).
Mauvaise interprétation de l’appel PACBI
Les critiques légitimes de la «clause d’exclusion» dans
l’appel au boycott, de la part de l’AAUP et d’autres
organisations et individus, et la ferme opposition de
PACBI à toute forme de «test idéologique» ou de «liste
noire », ont convaincu les organisateurs de la campagne
de supprimer totalement cette clause. S’ils ont
souhaité l’inclure dans un premier temps, ce n’était
nullement dans l’intention de dresser des listes mais
simplement pour introduire autant de nuances que
possible dans l’appel, de façon à mieux prendre en
compte les inévitables zones grises, lorsqu’il est difficile
de déterminer si des universitaires ou des intellectuels
agissent à titre personnel ou en tant que
représentants d’institutions soumises au boycott13.
68
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page68
Mais dans l’ensemble, l’AAUP a commis une grave
erreur d’interprétation de l’appel PACBI. Habituée à
réagir à des violations des libertés académiques perpétrées
par des gouvernements ou des directions d’université
à l’encontre d’universitaires, l’AAUP semble
exclure la possibilité d’une complicité institutionnelle
de l’Université elle-même pour maintenir ou pour servir
un système d’oppression à l’extérieur de l’enceinte
de l’Université, comme c’est le cas en Israël.
L’appel PACBI vise spécifiquement les institutions
universitaires israéliennes en raison de leur complicité
dans la perpétuation de l’occupation israélienne,
des discriminations raciales et du déni des droits des
réfugiés. Cette collusion prend des formes diverses,
des recherches – en démographie, géographie, hydrologie
et psychologie, entre autres – pour le compte de
l’establishment de l’armée et du renseignement qui
profitent directement à l’appareil d’occupation, à la
tolérance et bien souvent au soutien dont bénéficient les
discours, les théories et les recherches «scientifiques»
racistes ; de l’institutionnalisation des discriminations
contre les citoyens arabo-palestiniens à l’étouffement
de la recherche universitaire sur la Nakba, la catastrophe
de l’expropriation et du nettoyage ethnique de
plus de 750 000 Palestiniens et de la destruction de
plus de 400 villages au moment de la création d’Israël,
ou encore à des infractions aux lois internationales
commises par les universités elles-mêmes, comme la
construction de campus ou de dortoirs dans les territoires
palestiniens occupés – ce fut le cas de l’université
hébraïque de Jérusalem, par exemple14.
Par conséquent, si l’objectif ultime du boycott est
d’obliger Israël à respecter les lois internationales,
les droits de l’homme et les droits politiques des Palestiniens,
la pression sur l’Université israélienne n’est
pas seulement un moyen en vue d’une fin, mais elle
fait partie de la fin elle-même. C’est d’autant plus
69
Sur la responsabilité morale des universitaires
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page69
vrai si l’on tient compte du fait que le boycott universitaire
n’est qu’une composante d’une campagne
plus générale de boycott, de désinvestissement et de
sanctions, soutenue par la très large majorité de la
société civile palestinienne.
L’AAUP s’est toujours opposée aux boycotts universitaires,
quelles que soient les conditions d’oppression,
leur préférant, dans les situations extrêmes, les
boycotts économiques. Pour justifier cette préférence,
l’AAUP affirme notamment que le boycott universitaire
porte préjudice à des universitaires irréprochables.
Mais le boycott économique ne touche-t-il
pas davantage encore de spectateurs innocents, et
pas seulement dans la communauté universitaire? Le
boycott n’est jamais une science exacte. Même lorsque
la cible est parfaitement légitime, il porte nécessairement
atteinte à des gens qui, en toute justice, ne peuvent
être tenus pour responsables des politiques mises
en cause. Le boycott économique de l’Afrique du Sud
soutenu par l’AAUP pendant l’apartheid a sans doute
fait du tort à des civils innocents, universitaires compris.
Et, comme dans le cas du boycott de l’Afrique
du Sud, au lieu de se concentrer sur la «marge d’erreur
», aussi importante soit-elle, les partisans du boycott
doivent insister sur les effets émancipateurs qu’un
boycott total et soutenu peut avoir, non seulement sur
la vie des opprimés, mais aussi sur la vie des oppresseurs
eux-mêmes, tout en faisant tout leur possible
pour limiter les risques de faire du tort à des individus
innocents. Comme l’ont écrit le leader sud-africain
Ronnie Kasrils et l’écrivain britannique Victoria Brittain,
«Le boycott et les sanctions ont fini par contribuer
à libérer les Noirs et les Blancs en Afrique du Sud. De
même, Palestiniens et Israéliens gagneront tous à cette
campagne non-violente à laquelle appellent les Palestiniens15.
» Le boycott d’Israël peut donc être le catalyseur
de processus de transformation permettant de
70
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
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nous rapprocher d’une paix juste et durable fondée
sur le droit fondamental et universel à l’égalité.
Recommandations
a. Conformément aux principes et aux pratiques qu’elle
a toujours défendus, l’AAUP est invitée à prendre position
publiquement contre les violations systématiques
des droits des Palestiniens, et notamment de leurs
libertés académiques, commises par Israël.
b. Comme elle l’a fait pour l’Afrique du Sud, l’AAUP
est invitée à appeler à un désinvestissement vis-à-vis
des entreprises qui prolongent l’occupation militaire
israélienne, la colonisation et les autres formes d’oppression
des Palestiniens. Les critères de l’ONU, semblables
aux Principes globaux de Sullivan sur la
responsabilité sociale des entreprises, mais plus généraux,
doivent être le cadre de référence pour mener à
bien ce désinvestissement.
c. Reconnaissant le rôle central que jouent désormais
les Nations unies dans l’instauration de principes internationaux
dans la plupart des situations mettant en
jeu les libertés, les droits et la résolution de conflits,
l’AAUP est invitée à dépoussiérer sa conception des
libertés académiques et ses principes d’intervention
dans les situations extraordinaires pour se conformer
aux normes internationales et devenir plus pertinente
et réactive dans de telles situations. Cela rapprocherait
la conception des libertés académiques de l’AAUP
de l’idéal évoqué dans le préambule de cet article.
71
Sur la responsabilité morale des universitaires
1. Judith Butler, «Israel/Palestine and
the Paradoxes of Academic Freedom»,
Radical Philosophy, n° 135, janvierfévrier
2006, p. 8-17.
2. Conférence mondiale de l’ONU sur
les droits de l’homme, «Déclaration et
programme d’action de Vienne»,
12 juillet 1993,
http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.
nsf/(Symbol)/A.CONF.157.23.Fr?O
penDocument.
3. Comité des droits économiques,
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droit à l’éducation» (Art. 13),
8 décembre 1999.
http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/
6d20d27a772138b48025685e005f
c2ce?Opendocument
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page71
4. David Bukay, «The First Cultural
Flaw in Thinking: The Arab Personality
» in Bukay, Arab-Islamic Political
Culture : A Key Source to Understanding
Arab Politics and the Arab-Israeli
Conflict, Shaarei Tikva (Israël), Ariel
Center for Policy Research, 2003.
5. Meron Rapoport, «In the Name of
Truth», Haaretz, 28 avril 2005.
6. Sur cette question, voir Esther
Zandberg, «Unacceptable Norms»,
Haaretz, 26 septembre 2004; et Lily
Galili, «A Jewish Demographic State»,
Haaretz, 1er juillet 2002.
7. Birzeit University’s Public Relations
Office, «The Criminalization of Education:
Academic Freedom and Human
Rights at Birzeit University during the
Palestinian Uprising»,
décembre 1989, p. 2.
8. Au début de l’actuelle Intifada,
Tanya Reinhart, professeur à l’Université
de Tel-Aviv, évoquait la «pratique
commune» chez les tireurs d’élite,
consistant à «tirer une balle de métal
enrobée de caoutchouc dans un oeil —
un petit jeu pour soldats bien entraînés,
qui demande une précision maximale
».
http://www.tau.ac.il/~reinhart/political/
DontSayYouDidntKnow.html. Voir
aussi Physicians for Human Rights,
«Evaluation of the Use of Force in
Israel, Gaza and the West Bank»,
3 novembre 2000.
http://www.phrusa.org/research/forensics/
israel/Israel_force_2.html.
9. Human Rights Watch, «Second
Class : Discrimination against Palestinian
Arab Children in Israel’s
Schools», septembre 2001.
http://www.hrw.org/reports/2001/israel
2.
10. Roee Nahmias, «Israeli Terror Is
Worse», Yedioth Ahronoth, 29 juillet
2005.
11. Roman Bronfman, «The Hong
Kong of the Middle East», Haaretz,
20 mai 2005.
12. Yair Sheleg, «ADL’s Boss Threatens
Boycott of UK Academe», Haaretz,
18 mai 2005.
13. Voir l’intégralité de l’appel PACBI
infra, p. 185. Il peut aussi être
consulté à l’adresse suivante :
http://www.pacbi.org/etemplate.php?id
=117&key=exclusion%20clause.
14. Oren Ben-Dor affirme que l’un des
objectifs du boycott universitaire est
«de fournir un moyen de transcender
les limites du discours public autorisé
», ajoutant «une telle liberté est
précisément ce qui manque en
Israël». Oren Ben-Dor, «Academic
Freedom in Israel Is Central to Resolving
the Conflict», CounterPunch, 21-
22 mai 2005.
http://www.counterpunch.org/bendor05212005.
html.
15. Ronnie Kasrils et Victoria Brittain,
«Both Palestinians and Israelis Will
Benefit from a Boycott», Guardian,
25 mai 2005.
72
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page72
Juste des intellectuels ou des intellectuels justes?
Oppression, résistance et rôle des intellectuels
DevISSues, avril 2008.
Publié dans DevIssues, journal de l’International Institute
of Social Studies, cet article s’élève contre l’argument
qui veut que, dans un contexte d’oppression
coloniale, les intellectuels restent des intellectuels et
puissent s’isoler de la réalité et des luttes pour les
droits humains.
« Votre essai est passionnant mais pouvez-vous le
rendre moins “intellectuel”, moins analytique et plus
personnel?» Telle fut la réaction d’une éditrice de New
York quand je lui soumis l’article sur l’art et l’oppression
écrit à sa demande pour un recueil d’essais sur
le même sujet. Des remarques de ce genre – j’en ai
entendu bien d’autres ! – trahissent souvent la perception
bien enracinée, même chez les gens soucieux
de justice sociale, d’une dichotomie entre les intellectuels
du «Nord» et ceux du «Sud», les premiers étant
mieux équipés pour penser, analyser, réfléchir, créer
et théoriser tandis que les seconds seraient «naturellement
» – si l’on me permet cette allusion aristotélicienne
– davantage prédisposés à la simple existence,
à l’expérience des dimensions physiques et sensorielles
de la vie auxquelles ils ne feraient que «réagir».
La façon dont la plupart des universitaires et des intellectuels
israéliens, notamment ceux qui se disent «de
gauche», ont réagi à l’appel palestinien au boycott universitaire
et culturel des institutions israéliennes1 en
73
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page73
fut une illustration brillante. Certains ont hurlé qu’ils
se sentaient «trahis» par l’«ingratitude» des Palestiniens,
d’autres nous ont expliqué qu’un tel boycott était
«contraire» à nos propres intérêts, d’autres encore ont
eu recours à toutes sortes d’insinuations malveillantes
et de tromperies intellectuelles pour réfuter les arguments
en faveur du boycott – qui s’inspire principalement
de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud.
Nombre d’entre eux furent véritablement choqués que
des Palestiniens osent prendre eux-mêmes l’initiative
de décider de quelle manière le monde pouvait les aider
à résister au système d’apartheid israélien. Habitués à
se réserver le «rôle de cautions autoproclamées des
formes que doit prendre la lutte contre l’occupation»,
ces Israéliens de gauche, pour la plupart des sionistes
mous qui prennent position contre l’occupation mais
défendent de fait l’apartheid en Israël et s’opposent fermement
aux droits des réfugiés palestiniens, se sont
« arrogés le droit exclusif d’arbitrer toute question
concernant les Palestiniens2 ». Tout se passe comme
s’ils avaient en eux cette représentation statique et
inconsciemment raciste des intellectuels indigènes,
selon laquelle nous ne pouvons être que des partisans
ou des disciples serviles, voire des humains relatifs3,
pas vraiment doués de raison ou en tout cas, pas
capables de l’utiliser pour notre bien.
Condescendance coloniale mise à part, on peut dire
que ces grands noms de la pensée israélienne sont
devenus, volontairement ou non, l’instrument le plus
efficace utilisé par Israël et ses partisans sionistes à
l’étranger pour combattre l’influence grandissante du
boycott par une campagne acharnée, notamment en
Europe et aux États-Unis, dans un climat d’intimidation,
de diffamation, voire de franche brutalité.
L’argument répété à l’envi par ces pseudo-progressistes
dans les colonnes des grands médias occidentaux
est que le boycott universitaire et culturel étouffe
74
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page74
le libre-échange des idées, entrave le dialogue culturel
et viole les libertés académiques. Outre l’hypocrisie
de ceux qui soutenaient autrefois un boycott total
de l’Afrique du Sud de l’apartheid et font aujourd’hui
la morale sur les dangers «intrinsèques» du boycott
d’Israël, cet argument témoigne d’un préjugé particulièrement
dérangeant, dans la mesure où seules les
libertés académiques des Israéliens semblent dignes
d’être prises en compte. Il n’y a aucune raison, par
ailleurs, de placer ainsi les libertés académiques audessus
de toutes les autres libertés4.
Toutefois, ont objecté certains, les intellectuels palestiniens
ne devraient-ils pas se concentrer sur ce qu’ils
font le mieux, à savoir produire des oeuvres d’art et de
pensée pures et apolitiques qui peuvent en elles-mêmes
apporter une contribution bien plus décisive à la cause
palestinienne ? Ne vaut-il mieux pas laisser le militantisme
aux militants? Il faut reconnaître qu’en Palestine
même, des personnalités du monde académique et
culturel ont défendu ce genre de positions. Le problème
le plus évident de ce genre d’argumentation,
c’est qu’elle crée une autre dichotomie, non moins artificielle,
entre ceux qui pensent et ceux qui agissent,
entre monde intellectuel et militantisme, d’où découle
la hiérarchie immuable qui fait des intellectuels des
patriarches et des militants une masse malheureuse
en quête d’un sens et d’une direction. S’il est vrai que
chaque groupe a son propre domaine d’action et de
création, il n’y a pas de frontière fixe et imperméable
entre eux, mais un rapport véritablement dialectique
qu’il ne faut pas écarter ou ignorer.
Une autre faille importante dans cette argumentation
tient au fait qu’elle suppose que les intellectuels peuvent
être, dans le contexte de l’oppression coloniale,
« juste » des intellectuels, si l’expression a un sens,
qui peuvent et doivent se mettre à distance de la réalité
pressante et souvent déprimante de l’oppression
75
Juste des intellectuels ou des intellectuels justes?
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page75
pour produire des oeuvres de qualité susceptibles de
contrer l’entreprise d’occupation des esprits – un mal
bien plus dangereux et tenace que l’occupation des
terres – par l’oppresseur et de ranimer l’espoir de la
communauté opprimée, contribuant au passage au
processus d’autodéveloppement, notamment dans le
champ essentiel de la culture. D’après mon expérience
personnelle, en tant que critique et chorégraphe qui ai
travaillé au coeur du « conflit », je ne pense pas que
dans une situation d’oppression, les intellectuels puissent
choisir de rendre compte ou non de l’effet du
conflit sur eux et leur société. En un sens, l’oppression
s’impose d’elle-même dans leur travail, dans le
processus créatif. Leur seul choix est donc de la réfléchir
passivement ou de la transcender activement. Il
semble que l’oppression ait une manière de toucher
tous ceux qui se trouvent dans son champ d’action,
indépendamment de l’implication ou de la volonté
d’implication de chacun.
Pourquoi, dans ce cas, demandent alors les opposants
au boycott, privilégier le boycott sur d’autres
formes d’engagement «positives»? Il y a bien d’autres
façons «constructives» de résister à l’oppression, la
plus puissante étant de se rallier des secteurs importants
de la communauté des oppresseurs, à travers
le dialogue et des projets de collaboration dans tous les
domaines, poursuivent-ils. Compte tenu des financements
importants en provenance des pays d’Europe
– résolus à se repentir de leur génocide sur le dos des
droits des Palestiniens – auxquels de tels projets peuvent
prétendre et de la visibilité et du prestige qui les
accompagnent, même des intellectuels palestiniens
scrupuleux peuvent finir par accepter de donner une
nouvelle orientation à leur travail : de la résistance à
l’oppression, ils passent alors à la communication avec
« l’autre » pour faire advenir le changement par la
persuasion, même si leur propre passé témoigne de
76
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page76
l’échec lamentable d’une telle tentative. Ainsi, un travail
chorégraphique de coopération israélo-palestinienne
peut apparaître comme le modèle ultime pour
promouvoir la coexistence et la reconnaissance
mutuelle entre les «deux côtés». Un tel programme –
car ces projets dérivent le plus souvent en sous-main
de programmes politiques – en appelle fondamentalement
à un changement de la «conscience des opprimés,
non de la situation qui les opprime5 », pour
reprendre l’analyse lucide de Simone de Beauvoir. Ou
pire, il vise à changer la perception que le monde a
du conflit, en donnant l’impression de rapports symétriques,
normaux et même courtois entre les artistes
de part et d’autre de la ligne de séparation, ce qui
suggère nécessairement qu’il suffit d’accumuler suffisamment
de collaborations de ce type pour dépasser
la «haine» qui est au coeur du «conflit». Et peu à
peu, ce n’est plus la fin de l’oppression mais l’imposition
d’une nouvelle image qui devient l’objectif ultime
de ce business de la paix.
Ceux qui croient qu’ils peuvent parvenir à dissiper le
conflit par la seule voie intellectuelle du rapprochement,
de la détente ou du «dialogue» ne recherchent
qu’une illusion de paix. Lutter pour la paix sans la
justice revient à institutionnaliser l’injustice, ou à
demander aux opprimés de se soumettre à la force
irrésistible de l’oppresseur, en acceptant l’inégalité
comme destin6.
Le boycott reste donc l’une des formes de lutte nonviolente
les plus justes moralement pour libérer l’oppresseur
de son oppression et instaurer une véritable
coexistence, l’égalité, la justice et une paix durable.
L’exemple sud-africain atteste de la puissance et du
potentiel de ce type de résistance civique.
Si l’on oublie les principaux problèmes politiques
soulevés par les arguments précédents, peut-on concevoir
une communication intellectuelle équitable et
77
Juste des intellectuels ou des intellectuels justes?
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page77
réciproquement fructueuse? Bien sûr, mais pas dans
n’importe quelles conditions. Une problématique essentielle
de l’interculturalité dans un contexte d’oppression
durable est l’asymétrie. À toutes les complexités
liées aux différences culturelles elles-mêmes, l’asymétrie
ajoute la dimension de la verticalité. Et dans la
mesure où elle crée nécessairement une stratification,
elle peut nuire à la communication interculturelle si
on n’en tient pas du tout ou pas suffisamment compte.
Il y a aussi le risque que le camp le plus «faible»,
dans un tel processus de communication asymétrique,
soit exploité par la partie « plus forte » comme un
objet, un instrument, dans un climat certes relativement
ouvert et ostensiblement progressiste, mais
comme un instrument tout de même, ce qui reviendrait
à nier à cette communication toute fonction de
passerelle permettant des allers-retours entre les deux
parties – ce serait alors plutôt une échelle !
Au coeur de ce problème, il y a la valeur relative
attachée par le camp le plus fort, ou même par les
deux camps, aux perceptions, aux souhaits et aux
besoins du camp le plus faible. Si ceux-ci sont relégués
à un statut inférieur, la communication devient un
simple instrument d’oppression supplémentaire, par
lequel les besoins et les objectifs du plus fort sont la
principale force à l’oeuvre. Dans cette situation, le dialogue
est tout simplement impossible. Toute communication
à ce stade relève nécessairement de la
négociation. Ce n’est qu’à partir du moment où les
deux parties ont remis en cause leurs stéréotypes et
leurs manières de faire bien installés, et se sont mises
d’accord sur les principes de justice fondamentaux
qui doivent guider leur lutte commune, que la relation
devient plus équitable et équilibrée. Toute relation
entre des intellectuels séparés par le fossé de
l’oppression doit donc aspirer, d’une façon ou d’une
autre, à mettre fin à l’oppression et non à la fuir ou
78
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page78
à l’ignorer. Alors seulement un véritable dialogue peut
se développer, et à travers celui-ci la possibilité d’une
collaboration sincère.
En conclusion, dans les contextes d’oppression coloniale,
les intellectuels qui travaillent au nom de la justice
ne peuvent pas être juste des intellectuels, dans le
sens abstrait ; ils ne peuvent qu’être immergés dans
une forme de militantisme, pour apprendre des expériences
des autres militants, élargir l’horizon de leurs
sources d’inspiration et s’engager dans des processus
d’émancipation collectifs et efficaces, sans la complaisance
et les tours d’ivoire qui pourraient brouiller
leur vision morale. En bref, ils ne peuvent être que
des intellectuels justes.
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Juste des intellectuels ou des intellectuels justes?
1. Appel PACBI à un boycott universitaire
et culturel d’Israël : cf. supra,
note 13, p. 72.
2. Voir Omar Barghouti et Lisa Taraki,
«Academic Boycott and the Israeli
Left», Electronic Intifada, 15 avril
2005.
3. Voir Omar Barghouti, «Relative
Humanity – the Fundamental Obstacle
to the One State Solution», ZNet,
16 décembre 2003.
4. Sur ce point, voir Omar Barghouti et
Lisa Taraki, «Freedom vs. “Academic
Freedom” – The AUT Boycott», CounterPunch,
1er juin 2005.
5. Citée in Paulo Freire, Pedagogy of
the Oppressed, New York, Herder &
Herder, 1972.
6. Voir Omar Barghouti, «The Morality
of a Cultural Boycott of Israel», Open
Democracy, 20 septembre 2005.
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page79
Liberté contre «libertés académiques».
Le boycott de l’AUT
Coécrit avec Lisa Taraki*
CounterPunch, juin 2005.
Cet article s’élabore autour de la notion de liberté universitaire:
il donne des exemples de la complicité des
milieux académiques israéliens avec ceux qui violent
les lois internationales et les droits élémentaires des
Palestiniens.
Le 26 mai 2005, l’Association des professeurs d’université
(Association of University Teachers, AUT)
britanniques révoqua sa décision – prise le 22 avril
– de boycotter les universités israéliennes.
Manoeuvres d’intimidation mises à part, aucun instrument
de pression ne fut aussi fréquemment utilisé
que l’argument selon lequel le boycott violait
les libertés académiques. La liberté de produire et
d’échanger des connaissances était jugée sacrosainte,
quelle que soit la situation. Il y a deux failles
essentielles dans cet argument. Il est en lui-même
tendancieux puisqu’il ne tient compte que des libertés
académiques des Israéliens ; le fait que les Palestiniens
soient privés de leurs droits fondamentaux,
et notamment de leurs libertés académiques, à cause
de l’occupation militaire israélienne, n’est absolument
pas pris en considération par tous ceux qui le
répètent à l’envi. Et le statut de « super-valeur » audessus
de toutes les autres libertés qu’il accorde
aux libertés académiques est contraire aux fondements
mêmes des droits de l’homme. Dans les situa-
80
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page80
tions de violations graves des droits de l’homme, le
droit à la vie et le droit à la libération du joug colonial,
pour ne citer qu’eux, doivent être plus importants
que les libertés académiques. Si celles-ci
contribuent d’une façon ou d’une autre à la suppression
de ces droits plus fondamentaux, elles doivent
passer au second plan. De même, si la lutte
pour ces droits nécessite une forme de restriction
de ces libertés, soit. La lutte en vaut la peine.
Ce compromis sur les libertés est-il inévitable ?
Les libertés académiques et les droits de l’homme
fondamentaux s’opposent-ils nécessairement ? Dans
la plupart des cas, non ; mais dans des situations
spécifiques d’oppression durable et de violations
répétées des lois internationales, soutenues – implicitement
ou explicitement – par les institutions universitaires,
la réponse est bien évidemment oui. À
la fin de l’ère de l’apartheid, quand le monde entier
boycottait les universités sud-africaines – dans le
cadre de la campagne générale de sanctions et de
boycott soutenue par les Nations unies – cela constituait
bien une forme de limitation des libertés académiques.
Mais elle était acceptée par la
communauté internationale comme le prix à payer,
relativement raisonnable, pour contribuer à la fin
de l’apartheid et à la conquête de libertés plus fondamentales
interdites aux Noirs d’Afrique du Sud
depuis des générations. D’un point de vue éthique,
la libération du racisme et du joug colonial était perçue,
à juste titre, comme plus importante que les
«effets indésirables» sur les libertés académiques et
les autres droits des universitaires hostiles à l’apartheid.
La marche vers la liberté devait restreindre
pour un temps un sous-ensemble de libertés dont
ne jouissait qu’une partie de la population.
Au nom de la cohérence morale, il est difficile de ne
pas voir la situation en Israël sous un jour similaire.
81
Liberté contre « libertés académiques »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page81
Comme l’ont reconnu publiquement le Conseil des
Églises d’Afrique du Sud, l’archevêque Desmond Tutu,
le ministre et leader de l’ANC Ronnie Kasrils et des
centaines d’universitaires, de syndicalistes et de défenseurs
des droits de l’homme d’Afrique du Sud, le système
de discrimination raciale et d’oppression
coloniale israélien est suffisamment proche du régime
d’apartheid pour légitimer des appels aux sanctions
similaires à ceux qui furent lancés contre le régime
sud-africain dans le passé. Le compromis sur les libertés
académiques accepté à l’époque de l’apartheid
s’impose également dans le cadre de la lutte des Palestiniens
pour la liberté, la justice et la paix.
Cependant il faut noter que dans le contexte israélien,
ce que les opposants au boycott défendent si
ardemment, ce n’est pas seulement le libre accès des
universitaires israéliens à la communauté mondiale
des chercheurs et leur participation au «libre-échange
des idées», mais ce sont aussi les privilèges symboliques
et matériels de la vie académique. En ce sens,
le rejet des boycotts universitaires au nom de la préservation
des libertés et des privilèges académiques
des universitaires israéliens, alors même que les libertés
et les droits bien plus fondamentaux des Palestiniens
– universitaires ou pas – sont ignorés, est un
exemple flagrant de partialité.
Il convient aussi de préciser que le concept de libertés
académiques a été utilisé à tort et à travers par
les opposants au boycott et mal compris par beaucoup
d’autres. Dans les sociétés démocratiques, l’institution
universitaire prend très au sérieux les cas de
chercheurs dont les écrits ou les activités peuvent être
interprétés comme incitant à la haine raciale. Ainsi,
aux États-Unis ou en Europe, des universitaires qui
ont nié l’existence du génocide nazi ou qui ont contesté
des faits reconnus de son histoire, ont dû faire face à
des mesures disciplinaires sévères de la part de leur
82
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page82
université et aux critiques de leurs pairs et des associations
professionnelles. Mais en Israël, où le racisme
contre les Palestiniens et les Arabes est ancré dans
les discours et les pratiques quotidiennes, le concept
de libertés académiques est si élastique qu’on y est
parfaitement libre d’exposer des théories racistes et
d’inciter à la haine raciale, au nettoyage ethnique ou
pire encore.
Le boycott et les sanctions ne sont pas des sciences
exactes. Ils touchent des institutions réelles qui fournissent
des emplois et des services à des personnes
réelles, dont un grand nombre peuvent très bien ne
pas être directement impliquées dans les injustices
qui ont justifié ces mesures punitives. Tout boycott,
en visant à réparer une injustice, peut porter préjudice
à des personnes innocentes. Cela va sans dire. Il
faut donc recourir à des critères de jugement clairs
et cohérents pour juger si les causes du boycott et le
résultat visé justifient ce préjudice. Dans le cas des
universités israéliennes, les causes ne peuvent pas
être plus pressantes politiquement et moralement.
Le boycott d’Israël
Pendant des décennies, les institutions universitaires
israéliennes ont été complices des politiques coloniales
et racistes d’Israël. Financées par le gouvernement,
elles n’ont cessé d’apporter une contribution directe à
l’appareil militaro-sécuritaire et donc de perpétuer
ses crimes, ses violations des droits des Palestiniens
et son système d’apartheid.
Contrairement à l’image fausse – créée et adroitement
vendue au reste du monde par Israël et ses apologistes,
universitaires inclus – de l’université
israélienne comme « bastion éclairé » et base solide
de l’opposition à l’occupation, elle joue pleinement
son rôle dans la «propagande officielle israélienne»,
83
Liberté contre « libertés académiques »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page83
selon Ilan Pappé, l’un des « nouveaux historiens »
israéliens qui a étudié le nettoyage ethnique systématique
de la Palestine pendant la Nakba1.
Non seulement la plupart des universitaires israéliens
défendent ou justifient l’histoire coloniale de leur
État, mais ils jouent aussi un rôle plus actif dans le
processus d’oppression. Ils servent pratiquement tous
dans les forces de réserve de l’armée d’occupation
chaque année, participant ainsi aux crimes commis
impunément contre les civils palestiniens, ou y assistant
en silence. Malgré des décennies d’occupation
illégale, très peu d’entre eux ont opposé une objection
de conscience à leur service militaire dans les
territoires occupés. Ceux qui se sont opposés publiquement
à la colonisation des terres palestiniennes
sont demeurés extrêmement minoritaires2.
Même l’image de campus où règne le culte des libertés
académiques que la propagande israélienne essaye
de faire passer dans les médias est très exagérée. Ces
libertés sont bien encadrées par les limites fixées par
l’establishment sioniste ; les dissidents qui osent
remettre en cause ces limites sont brutalement ostracisés
et diabolisés. C’est pourquoi l’un des objectifs
du boycott universitaire est de «fournir un moyen de
transcender les limites du discours public autorisé»,
comme le dit l’universitaire britannique d’origine israélienne
Oren Ben-Dor3. «Ces libertés sont précisément
ce qui manque en Israël », ajoute-t-il. Vu sous cet
angle, le boycott est donc ce qui peut «générer » de
véritables libertés académiques. «L’idéologie sioniste
qui stipule qu’Israël doit conserver sa majorité juive est
une donnée indiscutable dans le pays – et c’est la base
de l’opposition au retour des réfugiés palestiniens.
Les très rares intellectuels qui osent remettre en question
cette vache sacrée sont étiquetés comme “extrémistes”.
» Selon Ben-Dor, les membres de la «gauche»
israélienne qui se sont opposés au boycott sont des
84
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page84
« complices raffinés de l’étouffement de la discussion…
»
Indépendamment de la responsabilité individuelle
des universitaires israéliens, un examen attentif et
méthodique de la culpabilité des institutions universitaires
israéliennes dans les crimes perpétrés contre
le peuple palestinien révèle quantité de pièces à conviction.
Même le célèbre universitaire israélien Baruch
Kimmerling, qui est opposé au boycott universitaire,
écrit : « Je serai le premier à admettre que les institutions
universitaires israéliennes font partie intégrante
du système d’oppression de l’État palestinien
qui a […] commis de graves crimes contre le peuple
palestinien4. » Les faits présentés ci-dessous ne sont
qu’une petite partie des preuves à charge contre l’institution.
Ils sont particulièrement pertinents à la
lumière des campagnes de désinformation menées
par certains universitaires de la gauche israélienne
qui ont tristement rejoint le choeur du discours dominant
en répandant des demi-vérités ou pire, en se servant
de leur image pour blanchir leur institution des
reproches de la communauté internationale.
Université d’Haïfa – racisme institutionnel
Non seulement l’université d’Haïfa ferme les yeux sur
les déclarations racistes des membres de son corps
enseignant, mais elle apporte un soutien institutionnel
et donc une légitimité à certaines recherches qui sont
communément définies comme racistes ou incitant à
la haine raciale et au nettoyage ethnique contre les
Palestiniens des territoires occupés et les citoyens
palestiniens d’Israël.
Malgré la part importante d’Arabo-Palestiniens dans
sa population étudiante, l’université d’Haïfa abrite,
ou tout au moins tolère, une culture de racisme –
contre les Arabes en général et les Palestiniens en
85
Liberté contre « libertés académiques »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page85
particulier – qui se manifeste dans le fait que les
membres de son corps enseignant défendent des théories
racistes, publient des articles fanatiques et se prononcent
pour le nettoyage ethnique, ceci en toute
impunité. L’université a systématiquement refusé de
critiquer ces universitaires ou d’enquêter sérieusement
sur les accusations de racisme à leur encontre.
Elle offre un soutien institutionnel aux enseignants
racistes et à leurs activités de recherche. Le plus
célèbre d’entre eux est Arnon Sofer, titulaire de la
chaire de géostratégie et codirecteur du Centre d’étude
sur la sécurité nationale. Il est également connu en
Israël comme le prophète de la «menace démographique
arabe». Il revendique la paternité du tracé du
mur d’apartheid israélien – déclaré illégal par la Cour
Internationale de Justice de La Haye le 9 juillet 2004.
«C’est exactement ma carte», a-t-il déclaré5.
Le professeur Sofer considère le taux de natalité élevé
des citoyens bédouins palestiniens d’Israël comme une
«tragédie», il est exaspéré par «la démocratie et tous
ces jolis mots6 » et il a défendu très longtemps le principe
du « transfert volontaire » – une forme de nettoyage
ethnique soft – des Palestiniens des territoires
occupés, mais aussi des citoyens palestiniens d’Israël,
de façon à garantir «un État juif sioniste avec une écrasante
majorité de Juifs». Dans une prédiction particulièrement
éloquente, Sofer affirme que « lorsque
2,5 millions [de Palestiniens] seront enfermés à Gaza,
[…] avec l’aide d’un islam fondamentaliste fou, ces
gens vont devenir des bêtes encore plus brutales qu’aujourd’hui.
[…] Donc, si on veut rester en vie, on va
devoir tuer, tuer, tuer sans relâche. Du matin au soir,
tous les jours. Si on ne tue pas, on cessera d’exister.
La seule chose qui me préoccupe, c’est de tout faire
pour que les garçons et les hommes qui vont devoir
aller s’occuper de ce massacre puissent retourner dans
leurs familles et restent des êtres humains normaux7. »
86
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page86
La promotion des principes à l’oeuvre derrière le
sinistre «projet Mitzpim8 » qui visait à «judaïser» la
Galilée pendant les années 1970 et 1980 est un autre
point noir à mettre au passif de l’université. Elle a
publié récemment une brochure où elle examine ce
qui a permis à ce projet d’atteindre ses objectifs, à
savoir modifier l’équilibre démographique de la zone
en faveur des Juifs israéliens. Elle la distribue dans
les lycées et les universités, inculquant ainsi « chez
les futures générations des normes inacceptables qui
soulèvent de sérieuses questions », selon Haaretz.
Sofer lui-même se vante d’avoir eu « un effet sur le
choix de l’emplacement des mitzpim [colonies “de
guet”, installées au sommet des collines]9 ».
Ces mitzpim furent conçus, comme l’explique un des
collègues de Sofer, Avraham Dor, afin d’accroître la
population juive de la Galilée et d’« élever des obstacles
entre les villages arabes pour les empêcher de
créer une continuité territoriale ». Un autre objectif
était de rendre possible «une distribution maximale
des sites de colonisation [juifs] et la “conquête” du
territoire au moyen de routes d’accès et d’une présence
juive permanente dans la région». Comme l’écrivait
Haaretz: «Pour dire les choses clairement, l’étude
révèle que le projet était fondé sur des principes de
discrimination ethnique et de phobie démographique,
et sur l’idée que les citoyens arabes du pays ne sont
pas égaux mais constituent une menace pour son existence
», avant de conclure: «la discrimination et l’inégalité
ne sont pas un raté du système mais une
intention délibérée10».
La manifestation la plus récente de la participation
de l’université à la défense du nettoyage ethnique est
la conférence intitulée «Le problème démographique
et la politique démographique en Israël » qui s’est
tenue le 17 mai 2005 avec la bénédiction du recteur.
87
Liberté contre « libertés académiques »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page87
Ce forum pseudo-académique du « racisme démographique
» – programmé, ce n’est pas innocent, au
moment du 57e anniversaire de la Nakba – réunissait
presque tout ce que le monde universitaire et politique
comprenait de sommités du nettoyage ethnique:
Arnon Sofer, Yoav Gelber, Yitzhak Ravid, le brigadiergénéral
Herzl Getz, le géneral Uzi Dayan et Yuval Steinetz.
Ravid, chercheur pour le compte du fabricant
d’armes israélien Rafael, s’est fait le champion de la
diminution drastique de l’accroissement naturel de la
population palestinienne d’Israël : « les salles d’accouchement
de l’hôpital Soroka à Beer-Sheva sont
devenues une usine de production de population arriérée
», a-t-il déclaré11.
Le recteur de l’université d’Haïfa a aussi récemment
«exonéré» de toute faute David Bukay12, qui enseigne
au département de sciences politiques, bien que le
sous-procureur général d’Israël ait ordonné une
enquête contre lui pour suspicion d’« incitation au
racisme» après la plainte déposée par le Centre Mossawa,
qui milite pour les droits des citoyens arabes
d’Israël. Selon Mossawa, Bukay a fait des remarques
racistes «inouïes» contre les Arabes et les musulmans
pendant ses cours. Dans ses publications, où il défend
ses théories racistes sur le «caractère arabe», on rencontre
des titres comme «Mohammad’s Monsters »
(«Les monstres de Mahomet») et «The First Cultural
Flaw in Thinking : The Arab Personality » («Le premier
vice de pensée culturel: la personnalité arabe»)13.
Dans une lettre datée du 13 mars 2005, en réponse à
la plainte de Moussawa, le sous-procureur général Shai
Nizan écrivit: «Après avoir étudié la question, j’ai décidé
de demander à la police d’ouvrir une enquête sur le Dr
Bukay pour incitation au racisme […]»
Le professeur Yossi Ben Artzi, recteur de l’université
d’Haïfa, mena sa propre enquête pour conclure
que les remarques attribuées à Bukay dans les médias
88
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page88
« n’ont pas été faites telles qu’elles ont été citées et
des morceaux de phrases prononcées dans des
contextes différents ont été assemblés dans un souci
de manipulation14 ».
L’avocat de Mossawa écrivit :
Les affirmations du Dr Bukay énumérées ci-dessus
sont marquées par des expressions dégradantes,
hostiles et incitant à la violence à l’encontre d’une
partie de la population du fait de ses attaches nationales
; et selon nous, cela constitue une infraction
à la loi [israélienne] de 1977, qui interdit l’incitation
à la haine raciale. En outre, ces déclarations,
qui expriment des sentiments d’admiration, de sympathie
et de soutien pour la violence et le terrorisme
constituent également une infraction à la loi de 1977.
Selon Mossawa, il n’est pas possible de « tolérer le
racisme et d’encourager des discours» comme celui de
Bukay «sous couvert de “libertés académiques”».
Même Ken Jacobson, directeur national adjoint en
Israël de l’organisation américaine Anti-Defamation
League, se déclara «choqué» par la lecture de l’article
du Dr Bukay sur la «personnalité arabe». Rejoignant
Mossawa sur ce dernier point, il reprocha au
président de l’université de ne pas avoir sanctionné
Bukay :
Naturellement, nous respectons les libertés académiques
et nous comprenons qu’elles sont absolument
nécessaires au fonctionnement du monde
universitaire, mais nous considérons que les présidents
d’universités devraient condamner de telles
choses. Il ne suffit pas à un président d’université
de dire que son institution défend les libertés académiques.
Il doit aussi dire que de telles affirmations
sont odieuses15.
89
Liberté contre « libertés académiques »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page89
Le reporter d’Haaretz qui a couvert cette histoire et
interrogé l’ensemble de ses protagonistes la résumait
ainsi :
Il se passe quelque chose d’étrange à l’université
d’Haïfa. D’un côté, l’Anti-Defamation League se dit
«très troublée» par l’article de Bukay en raison de
ses «préjugés destructeurs» et le sous-procureur
général a ouvert une enquête sur Bukay pour suspicion
d’incitation au racisme. De l’autre, l’université
a engagé une procédure disciplinaire à
l’encontre de l’étudiant qui a accusé Bukay de
racisme16.
Université hébraïque – expropriation coloniale
Dans un réquisitoire présenté au bureau de l’AUT, la
Fédération palestinienne des syndicats de professeurs
et d’employés des universités palestiniennes rappelle
les faits suivants :
En 1968, plus d’un an après l’occupation militaire
israélienne de Gaza et de la Cisjordanie (qui inclut
Jérusalem-est, selon les résolutions du Conseil de sécurité
de l’ONU), les autorités d’occupation ont confisqué
3345 dounams de terrains palestiniens, en fondant
leur décision sur les articles 5 et 7 de l’ordonnance
foncière de 1943 (sur l’expropriation d’intérêt public).
La décision fut publiée dans le numéro 1425 du Journal
Officiel israélien. La majorité de ces terrains était
(et est toujours) la propriété de Palestiniens vivant
dans cette zone.
Une grande partie de ces terrains confisqués fut donnée
à l’université hébraïque pour qu’elle agrandisse
son campus. Les propriétaires palestiniens refusèrent
d’abandonner leurs biens, jugeant l’ordonnance de
confiscation de 1968 illégale. En 1973, comme on pouvait
s’y attendre, la justice israélienne trancha en
90
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page90
faveur de l’Université et de l’État, et décida que les
familles palestiniennes devaient quitter leur maison
et qu’un logement leur serait attribué en échange.
Selon des experts indépendants, l’illégalité de l’accord
de confiscation au profit de l’université hébraïque
tient au fait que ces terrains font partie de Jérusalem-
est, qui est un territoire occupé selon le droit
international (de nombreuses résolutions de l’ONU
reconnaissent Jérusalem-est comme une partie indissociable
des territoires palestiniens occupés).
L’annexion unilatérale de Jérusalem-est par Israël,
l’expropriation des terrains palestiniens et les tentatives
d’expulsion de leurs propriétaires palestiniens
dans cette région sont illégales selon les lois internationales
humanitaires17.
L’annexion de Jérusalem-est à l’État d’Israël et l’application
de la législation intérieure israélienne dans
cette zone ont été dénoncées régulièrement comme
nulles et non avenues par la communauté internationale,
et notamment par le Conseil de sécurité de l’ONU18.
En invitant des Israéliens (personnel et étudiants) à
travailler et à vivre sur des territoires palestiniens occupés,
l’université hébraïque, comme toutes les colonies
israéliennes implantées illégalement sur les territoires
palestiniens, commet une grave infraction à l’article 49
de la Quatrième Convention de Genève de 1949, qui stipule
que «la Puissance occupante ne pourra procéder
à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre
population civile dans le territoire occupé par elle.»
L’université hébraïque ne peut donc pas invoquer la
législation intérieure israélienne afin de justifier les
mesures d’oppression illégales qu’elle a prises pour
expulser les familles palestiniennes qui demeurent, du
point de vue des lois internationales, les propriétaires
de ces territoires.
Compte tenu des multiples facettes de la complicité de
leurs institutions dans l’oppression des Palestiniens,
91
Liberté contre « libertés académiques »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page91
les universitaires israéliens devraient, soit se mobiliser
pour s’opposer à ce qui est fait en leur nom avec
leur aide directe ou indirecte, soit cesser de se plaindre
lorsque des universitaires de conscience du monde
entier décident de les mettre à l’amende.
92
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
* Lisa Taraki enseigne la sociologie à
l’université de Beir Zeit. Comme Omar
Barghouti, elle est membre fondatrice
de la Campagne palestinienne pour le
boycott universitaire et culturel d’Israël
(PACBI).
1. Meron Rappaport, «Alone on the
Barricades», Haaretz, 6 mai 2005.
2. Selon Ilan Pappé : «Le boycott a
touché l’institution académique car en
Israël, l’institution académique a
choisi d’être officielle, nationale. Après
une enquête approfondie, le professeur
Yehuda Shenhav a conclu que sur
9000 membres du corps universitaire
en Israël, seuls 30 à 40 sont réellement
engagés dans une activité critique
et un nombre bien plus réduit,
trois ou quatre, apportent à leurs étudiants
un enseignement critique sur
des sujets comme le sionisme.» Ibid.
3. Oren Ben-Dor, «The Boycott Should
Continue», The Independent, 30 mai
2005.
4. Baruch Kimmerling, «The Meaning
of Academic Boycott», ZNet, 26 avril
2005.
5. Meron Rappaport, «A Wall in their
Heart», Yedioth Ahronoth, 23 mai
2003, cité in:
http://www.gushshalom.
org/archives/wall_yediot_eng.h
tml
6. Haaretz, 25 février 2003.
7. Up Front, supplément du week-end
du Jerusalem Post, 21 mai 2004.
8. Haaretz, 26 septembre 2004.
9. Jerusalem Post, 20 juillet 2004.
10. Haaretz, 26 septembre 2004.
11. Arjan El Fassed, «Racism thrives
at Israel’s Herzliya conference», The
Palestinian Return Centre, janvier
2004.
www.prc.org.uk/data/aspx/d2/332.aspx
12. Haaretz, 28 avril 2005.
13. Ces extraits de textes de David
Bukay ou de cours qu’il a donnés (tous
tirés de l’article de Haaretz cité ci-dessus)
sont assez représentatifs :
«Chez les Arabes, vous ne trouverez
pas ce phénomène si caractéristique
de la culture judéo-chrétienne : le
doute, le sens de la faute, cette façon
de se torturer l’esprit. […] Il n’y a pas
de condamnations, pas de regrets, pas
de problèmes de conscience chez les
Arabes et les musulmans, nulle part,
dans aucune couche sociale, dans
aucune position sociale.»
«Les terroristes [palestiniens]
devraient être abattus d’une balle
dans la tête devant leur famille [pour
que cela ait un effet dissuasif]. […]
Une maison entière devrait être démolie
avec ses occupants à l’intérieur.»
«Les Arabes ne sont que sexe et
alcool.»
«Les Arabes sont stupides et ils n’ont
apporté aucune contribution à l’humanité.
»
14. Ibid.
15. Ibid.
16. Ibid.
17. Notamment de la Quatrième
Convention de Genève de 1949 relative
à la protection des personnes civiles
en temps de guerre, Titre III,
Section III, Article 47:
«Les personnes protégées qui se trouvent
dans un territoire occupé ne
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page92
seront privées, en aucun cas ni d’aucune
manière, du bénéfice de la présente
Convention, soit en vertu d’un
changement quelconque intervenu du
fait de l’occupation dans les institutions
ou le gouvernement du territoire en
question, soit par un accord passé
entre les autorités du territoire occupé
et la Puissance occupante, soit encore
en raison de l’annexion par cette dernière
de tout ou partie du territoire
occupé.»
18. Dans sa résolution 252 (21 mai
1968), le Conseil de sécurité des
Nations unies «considère que toutes
les mesures et dispositions législatives
et administratives prises par Israël, y
compris l’expropriation de terres et de
biens immobiliers, qui tendent à modifier
le statut juridique de Jérusalem
sont non valides et ne peuvent modifier
ce statut ; [et] demande d’urgence
à Israël de rapporter toutes les
mesures de cette nature déjà prises et
de s’abstenir immédiatement de toute
nouvelle action qui tend à modifier le
statut de Jérusalem.»
Dans sa résolution 478 (20 août 1980),
il «considère que toutes les mesures et
dispositions législatives prises par
Israël, la Puissance occupante, qui ont
modifié ou visent à modifier le caractère
et le statut de la Ville sainte de
Jérusalem, et en particulier la récente
“loi fondamentale” sur Jérusalem,
sont nulles, non avenues et doivent
être rapportées immédiatement.»
93
Liberté contre « libertés académiques »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page93
Alors comme ça, tu sais danser?
Dance Insider, le 12 septembre 2008.
Dans un aéroport israélien, la sécurité s’en est prise
à un danseur au nom à connotation musulmane. Le
directeur de la troupe, Alvin Ailey, a gardé le silence
sur cette affaire. Ailey, outre qu’il approuve de fait
cet acte raciste, est ici accusé de violer le boycott culturel
d’Israël en acceptant de se produire dans ce
pays.
À l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv, des officiers
israéliens de la sécurité ont obligé un membre noir
américain de la compagnie de danse Alvin Ailey (de
loin la plus connue aux États-Unis pour ses tournées)
à faire deux démonstrations devant eux pour prouver
qu’il était bien danseur avant de le laisser entrer en
Israël avec le reste de la troupe, comme l’a expliqué
lui-même le danseur à l’agence Associated Press. Après
s’être exécuté, l’un des vigiles a suggéré à Abdur-Rahim
Jackson de changer de prénom. Celui-ci s’est senti
humilié et « profondément attristé », selon le porteparole
de la compagnie, parce que la raison pour
laquelle il fut le seul membre de la troupe à être victime
de cette discrimination typiquement israélienne, c’est
son prénom à consonance arabo-musulmane.
Bien qu’officiellement illégal aux États-Unis, ce type
de discrimination, considéré comme une pratique
raciste par les associations de défense des droits de
l’homme, est largement répandu en Israël (à l’entrée
94
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page94
des centres commerciaux, des bâtiments privés ou
publics, des aéroports, etc). Des citoyens israéliens et
des résidents permanents, qui portent un nom arabe
ou simplement parlent avec un accent arabe, sont fréquemment
soumis à des fouilles humiliantes, sans
ménagement, sous prétexte de vérifications de «sécurité
». Moi-même, bien que détenteur d’une carte
d’identité israélienne, lorsque je dois effectuer un
voyage à l’étranger en empruntant l’aéroport de Tel-
Aviv, on m’appose toujours des autocollants portant
le chiffre « six » sur mon passeport, mes bagages et
mon billet d’avion. Les Juifs israéliens, en revanche,
ont droit aux chiffres « un » ou « deux ». Le « six »
implique une fouille dégradante des bagages et de la
personne. Les chiffres inférieurs ne donnent lieu qu’à
une vérification de routine et un simple passage aux
rayons X de vos bagages. Il y a quelques années
encore, les gens comme moi avaient droit à un autocollant
rouge vif, tandis que les Juifs israéliens en
recevaient un rose pâle ou d’une autre couleur pastel.
Certaines autorités israéliennes ont dû réaliser
que le classement par couleur des passagers, selon
leur origine ethnique et/ou leur religion, faisait trop
ouvertement songer à un apartheid, et l’on est ainsi
passé au système soi-disant plus discret des chiffres.
Il n’est donc pas étonnant que le prix Nobel de la paix,
l’évêque sud-africain et militant anti-apartheid Desmond
Tutu, ait décrit les pratiques israéliennes comme
une forme amplifiée d’apartheid, car plus sophistiquées
que celles pratiquées en Afrique du Sud.
La compagnie Alvin Ailey célèbre ses cinquante ans
d’existence par une tournée internationale qui débute
en Israël. Malgré l’incident décrit plus haut, le spectacle
a eu lieu jeudi comme prévu. La compagnie n’a
rien fait de concret pour protester contre la politique
discriminatoire dont l’un de ses membres a été victime,
hormis la déclaration que Judith Jamison, la directrice
95
Alors comme ça, tu sais danser?
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page95
artistique, a faite au journal Haaretz, expliquant que
«la troupe était ici pour [nous] irriter et [nous] faire
réfléchir». Ceci ne fait que conforter Israël dans son
impunité. Plus grave encore, en se produisant en Israël
tout en feignant d’ignorer le fait que l’un de ses
membres a été victime de discrimination raciale, la
compagnie n’a pas respecté le boycott culturel d’Israël
auquel la société civile palestinienne appelle depuis
2004, en raison des violations persistantes des lois internationales
et des droits de l’homme fondamentaux perpétrées
par Israël.
Deux ans après l’appel initial au boycott, la majorité
des artistes et acteurs de la vie culturelle palestinienne
ont invité les artistes et les metteurs en scène
de bonne volonté dans le monde entier à « annuler
les spectacles et les autres manifestations culturelles
qu’ils avaient prévu d’organiser en Israël et à se mobiliser
immédiatement, afin d’empêcher que la poursuite
de l’offensive israélienne ne s’accompagne d’une
attitude complaisante à son égard». À l’instar du boycott
des institutions culturelles d’Afrique du Sud
durant l’apartheid, les travailleurs et les institutions
culturelles du monde entier sont exhortés par leurs
collègues palestiniens à «dénoncer ouvertement les
crimes de guerre et les atrocités commises en ce
moment par Israël ». De nombreux artistes et intellectuels
de renommée internationale ont répondu à
cet appel, notamment John Berger, Ken Loach, Jean-
Luc Godard, Aosdana, le syndicat des artistes d’Irlande
et la compagnie de danse belge Les Ballets C. de
la B. Cette dernière a publié un communiqué défendant
le principe du boycott culturel parce qu’il est
«un moyen légitime, non-violent et sans compromis
de faire pression sur les responsables ».
60 ans après sa fondation selon, comme le décrit
l’éminent historien israélien Ilan Pappé, un processus
de nettoyage ethnique pratiqué au détriment de
96
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page96
la majorité de la population palestinienne locale, l’État
d’Israël continue à pratiquer une discrimination raciale
à l’encontre de ses citoyens non juifs. Il poursuit la
plus longue occupation militaire des temps modernes
et persiste à dénier à des millions de Palestiniens le
droit de rentrer chez eux et de reprendre possession
de leurs biens, droit pourtant reconnu par les conventions
internationales. Enfin, en toute impunité, il ne
cesse de commettre des crimes de guerre, de violer
les droits de l’homme les plus élémentaires et les principes
humanitaires de base.
Certains soutiendront que, d’un certain point de vue,
l’art devrait transcender les divisions politiques et
rapprocher les peuples dans leur commune humanité.
Ce serait oublier que maîtres et esclaves n’ont
rien en commun, et sûrement pas la notion d’humanité.
Plutôt que de réinventer la roue, je me contente
de citer les sages paroles d’Enuga S. Reddy, le directeur
du Centre des Nations unies contre l’apartheid,
qui, en 1984, répondant à ceux qui critiquaient le boycott
culturel en Afrique du Sud et soutenaient qu’il
empiétait sur la liberté d’expression, a dit : «Il est plutôt
étrange, c’est le moins qu’on puisse dire, que le
régime qui réprime toutes les libertés […] de la majorité
des Sud-Africains […] se présente en défenseur
des artistes et des athlètes de ce monde. Nous avons
la liste des artistes qui se sont produits en Afrique du
Sud, soit par ignorance de la situation, soit par appât
du gain, soit par indifférence vis-à-vis du racisme. Il
faut les convaincre de cesser de faire profiter l’apartheid
de leur talent, de cesser de bénéficier de l’argent
de l’apartheid, et de cesser de servir les fins de la
propagande du régime de l’apartheid.»
L’humanité, et par-dessus tout, la dignité humaine,
est au coeur du travail d’Alvin Ailey. Sa compagnie,
comme tous les artistes et les autres institutions culturelles
qui se sentent concernés par les droits de l’homme
97
Alors comme ça, tu sais danser?
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et se rendent compte que l’art et la responsabilité
morale devraient toujours aller de pair, doivent
entendre l’appel du public et de leurs collègues palestiniens
qui leur demandent de ne plus se produire en
Israël tant que la justice, la liberté, l’égalité et les droits
de l’homme ne seront pas rétablis pour tous, indépendamment
de l’origine ethnique, de la religion, du
sexe, ou de toute autre forme d’identité. C’est de cette
façon que les artistes et les universitaires (d’ailleurs,
Ailey codirige un séminaire à l’université de Fordham)
ont contribué à la lutte pour mettre fin au régime
d’apartheid en Afrique du Sud. C’est ce que les artistes
et les universitaires d’aujourd’hui peuvent faire pour
mettre fin à l’injustice et au conflit colonial qui frappent
la Palestine. C’est seulement quand ce but sera
atteint que des danseurs prénommés Abdur-Rahim,
Fatima, Paul ou Nurit, seront considérés comme des
égaux et traités de la même façon.
98
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
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À bas l’apartheid en Afrique du Sud, vive l’apartheid
en israël !
Coécrit avec Haidar Eid.
Lettre ouverte à Nadine Gordimer, Pacbi.org,
le 28 avril 2008.
Malgré les efforts des Palestiniens pour la dissuader
de participer à un festival littéraire en Israël, Nadine
Gordimer, grande figure de la littérature sudafricaine,
a violé l’appel au boycott culturel en s’appuyant
sur l’argument selon lequel les « abîmes du
conflit » devaient être apaisés par le « dialogue ».
Cette lettre ouverte lui rappelle que la lutte antiapartheid
en Afrique du Sud s’est appuyée sur le boycott
et non sur le dialogue avec les oppresseurs.
En réponse aux lettres dans lesquelles nous exprimions
notre inquiétude et nos protestations contre votre venue
prochaine en Israël, à l’occasion d’un congrès d’écrivains
largement soutenu par le gouvernement israélien,
vous rejetez dédaigneusement nos critiques, en
vous prévalant du rôle de la littérature qui «ouvre l’esprit
humain» et en déclarant qu’«aussi violents que
soient le fossé et le conflit qui déchire deux peuples,
et aussi urgente que soit la situation, la solution pour
atteindre la paix et la justice réside avant tout dans le
rétablissement du dialogue entre les deux parties
concernées». Donc, selon vous, le dialogue se substitue
à la résistance comme point de départ du processus
qui mettra fin à l’injustice et combattra l’apartheid
et le régime colonial. Est-ce cela que vous et vos collègues
opposés à l’apartheid fîtes lors des luttes en
Afrique du Sud? Parler avec l’autre partie?
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BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page99
Peut-être n’est-il pas inutile de vous rappeler que les
écrivains palestiniens qui vivent dans les territoires
occupés, à l’instar de tous les autres Palestiniens qui
vivent sous l’occupation israélienne, sont privés de
leurs droits les plus élémentaires, y compris le luxe
de la liberté d’expression qui nous est aussi chère qu’à
vous. Ces écrivains se voient également refuser le droit
d’aller et venir, y compris dans les territoires occupés.
Beaucoup ne peuvent jouir du libre accès aux
séminaires et aux congrès qui auraient pu être l’occasion
de participer à un libre débat d’idées avec leurs
collègues du monde entier. Certains sont emprisonnés,
blessés, ou ont été tués par les forces occupantes.
En participant à ce congrès, vous contribuez à la
pérennité de cette forme particulière d’apartheid qui
bafoue les droits de l’homme.
Vous débutez votre lettre en affirmant que vous
n’êtes « pas invitée en Israël par le gouvernement
israélien». Cela est-il vrai? Et quand bien même, estce
pertinent? Vous êtes, techniquement parlant, invitée
par le congrès des écrivains, mais celui-ci est
essentiellement financé et promu par des instances
gouvernementales. Inutile de couper les cheveux en
quatre: vous êtes, de fait, invitée par le gouvernement
israélien. Même en supposant que ce congrès ne soit
pas du tout soutenu par le gouvernement, y prend-on
d’une quelconque manière position contre l’occupation,
le racisme et l’apartheid, qui constituent l’essentiel
de la réalité en Israël aujourd’hui, ce qui vous
permettrait de considérer votre participation comme
acceptable?
N’oublions pas non plus que les écrivains israéliens
qui vous ont invitée ne sont pas particulièrement opposés
à l’oppression raciste et colonialiste exercée par
l’État d’Israël à l’encontre du peuple indigène de Palestine.
En réalité, ces écrivains sont sionistes: ils acceptent
sans réserve, et parfois défendent ouvertement
100
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
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les piliers sur lesquels repose le système de discrimination
raciale à l’encontre des citoyens palestiniens
d’Israël, et le refus du retour des réfugiés palestiniens,
pourtant conforme aux lois internationales. Ils acceptent
et défendent même certains aspects de l’occupation
militaire et la colonisation de la Cisjordanie, en
particulier celle de Jérusalem-est.
Imaginez quelle aurait été votre réaction si un écrivain
progressiste de renommée internationale, quelqu’un
de votre envergure par exemple, avait accepté
l’invitation d’un groupe d’écrivains afrikaners – qui,
pour la plupart, ne se seraient pas opposés à l’apartheid
mais se seraient contentés de défendre un certain
nombre de droits mineurs pour les Noirs – à un
congrès en Afrique du Sud sous le régime de l’apartheid,
durant lequel aucune position contre le système
de discrimination en place n’aurait été prise publiquement
!
Faut-il vraiment rappeler de quelle façon vousmême,
ainsi que le regretté Edward Saïd, ce grand
intellectuel palestinien, avez fait pression sur Susan
Sontag pour qu’elle refuse le prix de Jérusalem? Pour
autant que nous sachions, vous aviez estimé à l’époque
qu’en raison de l’implication de l’État (représenté par
Shimon Perès qui était membre du jury de ce prix soidisant
littéraire), Sontag ni aucun autre écrivain ne
devaient concourir.
De plus, nous sommes profondément déçus par votre
tentative insultante de compenser votre trahison par
la promesse de vous rendre dans une université palestinienne
ou quelqu’autre site à Ramallah ! La visite
d’un bantoustan a-t-elle jamais constitué une raison
valable ou une excuse morale pour participer à une
réunion majoritairement pro apartheid en Afrique du
Sud? Votre participation est tout simplement une violation
de l’appel palestinien au boycott culturel et universitaire
d’Israël, lancé en 2004, et largement
101
Àbasl’apartheidenAfriqueduSud,vivel’apartheidenisraël !
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page101
respecté par les écrivains, les universitaires et les
autres intellectuels progressistes du monde entier.
Parlons aussi du calendrier. Vous savez parfaitement
que la date de ce congrès, comme celle de nombreux
autres événements culturels, a été fixée à cette époque
de l’année pour coïncider avec les célébrations du
soixantième anniversaire de l’État d’Israël et y contribuer.
Indépendamment de vos intentions, il s’agit d’une
manifestation qui ignore une vérité fondamentale, à
savoir que la création de l’État d’Israël il y a 60 ans
s’est traduite par une campagne de nettoyage ethnique
(ce que les Palestiniens appellent la Nakba), qui
a conduit à la spoliation et à l’expulsion de plus de
750000 Palestiniens. Prendre part aux célébrations
de cet événement avalise les tentatives d’Israël de se
blanchir de ce crime majeur. Le faire précisément à
l’heure où cet État commet de nouveaux crimes de
guerre dans Gaza, et des actes qualifiés de génocidaires
par Richard Falk, expert du droit international,
est le signe que vous avez malheureusement
franchi la ligne rouge et êtes passée du côté de l’oppresseur
en trahissant vos principes de défense des
opprimés.
102
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page102
Afrique du Sud et israël : deux poids, deux mesures
à l’UnESCO
Coécrit avec Jacqueline Sfeir.
Electronicintifada.net, le 3 mars 2005.
L’UNESCO fait partie des organisations des Nations
unies qui traitent Israël comme un membre respectable
de la communauté des nations. En finançant l’Israeli-
Palestinian Science Organization, l’UNESCO couvre
les tentatives israéliennes d’améliorer l’image du pays
sans pour autant se conformer aux lois internationales.
Les Palestiniens ne peuvent plus comprendre ni accepter
le fait que certaines organisations des Nations
unies se soient mises à traiter avec Israël comme s’il
s’agissait d’une simple démocratie progressiste et non
du dernier bastion du colonialisme dans le monde.
Nous sommes particulièrement inquiets depuis la
récente décision de l’UNESCO d’apporter son soutien
à la création d’une organisation scientifique israélopalestinienne.
Cette initiative, selon nous, porte un
coup sérieux à la cause d’une paix juste en Palestine.
Sous couvert du noble objectif de la Journée mondiale
de la science, conçue pour «encourager la jeunesse
à s’intéresser aux sciences et à y voir un
domaine propice à la satisfaction de ses propres aspirations
», on fait passer un message plus subtil mais
profondément néfaste sur le plan politique. En soutenant
la création de l’Organisation israélo-palestinienne
pour la science (IPSO), l’UNESCO va à
contre-courant de la décision du Conseil palestinien
pour l’éducation supérieure qui a toujours refusé «la
103
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page103
coopération technique et scientifique entre les universités
palestiniennes et israéliennes». Cette initiative
va également à l’encontre de l’appel palestinien au
boycott des institutions universitaires israéliennes,
qui a reçu l’appui de dizaines de syndicats, associations
et autres organisations parmi les plus importantes
de Cisjordanie et de Gaza, notamment la
Fédération des syndicats des professeurs et salariés
des universités palestiniennes1. De plus, en patronnant
l’IPSO, l’UNESCO avalise sur le plan international
la tentative d’Israël, à peine voilée, d’améliorer
son image dans le monde et son statut dans les institutions
onusiennes, sans avoir besoin de respecter les
lois internationales qui exigent qu’il mette fin à l’occupation
illégale et aux autres formes d’oppression
qu’il exerce sur le peuple palestinien.
Des activités apparemment innocentes et des objectifs
louables servent de plus en plus fréquemment à
donner l’impression que, si Israéliens et Palestiniens
travaillent ensemble sur des projets scientifiques, culturels
ou de santé publique, cela fera avancer la paix.
Rien n’est moins vrai. Ces projets communs qui se
prétendent apolitiques ont au contraire un caractère
éminemment politique, car ils font délibérément abstraction
du contexte d’oppression coloniale et laissent
entendre, à tort, que l’on peut obtenir la paix sans
résoudre les questions qui sont à l’origine du conflit.
Ces collaborations ostensiblement apolitiques ne font
que substituer des gestes de paix superficiels au combat
véritable qui doit être mené pour aboutir à une
paix juste et durable et, par conséquent, elles ne
contribuent en rien à la cause de la paix.
Des relations normales ne pourront s’instaurer entre
les deux peuples que lorsque l’oppression aura cessé
et non avant. Elles ne peuvent en aucun cas être une
condition préalable pour y mettre fin. Ce serait mettre
la charrue avant les boeufs. Dans cette perspective,
104
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page104
les seuls projets communs qui devraient être encouragés
pour mettre fin à l’injustice sont ceux qui contribuent
à la résistance à l’injustice. Tout projet commun
sincère doit se fonder sur le principe d’égalité, et sur
la condamnation de l’occupation militaire et de la discrimination
raciale. Malheureusement, ces deux
aspects essentiels font cruellement défaut au projet
IPSO tel qu’il est présenté et dans la façon dont il est
encouragé. Le soutien de l’UNESCO au projet IPSO
légitime les tentatives pour imposer l’idée erronée
qu’une coexistence pacifique et une collaboration
scientifique sont possibles en dépit de l’oppression,
alors que ce qui devrait être encouragé, ce sont les
efforts pour mettre fin à cette oppression.
L’appel palestinien – largement soutenu de par le
monde – au boycott universitaire et culturel d’Israël
a pour point de départ l’oppression systématique du
peuple palestinien sous trois formes: l’occupation illégale
des territoires palestiniens, le système israélien
de discrimination raciale à l’encontre de ses propres
citoyens palestiniens, et enfin, le refus d’Israël d’octroyer
aux réfugiés palestiniens le droit au retour, ce
qui est contraire aux résolutions des Nations unies.
Appeler à des sanctions dans ces circonstances est
loin d’être le seul fait des Palestiniens. Sous le régime
de l’apartheid en Afrique du Sud, les Nations unies
ont mis sur pied une série de sanctions qui ont fini
par «avoir la peau» du régime raciste dans ce pays
et ont contribué à y instaurer un régime démocratique.
Les athlètes, les scientifiques, les artistes, les
universitaires et les hommes d’affaires d’Afrique du
Sud ont tous été soumis à ce boycott. Comme chacun
sait, l’UNESCO a joué un rôle de premier plan, largement
reconnu, en soutenant les sanctions et les
diverses formes de boycott appliquées à l’Afrique du
Sud de l’apartheid: pas moins de dix conférences et
séminaires internationaux furent organisés, sur des
105
Afrique du Sud et israël: deux poids, deux mesures à l’UnESCO
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page105
thèmes aussi variés que la solidarité, la résistance à
l’occupation, à l’oppression et à la ségrégation, le boycott
dans le domaine sportif, les sanctions contre
l’Afrique du Sud raciste et les besoins en matière
d’éducation des victimes de l’apartheid2.
L’événement le plus significatif qui a donné un coup
d’envoi aux sanctions est l’avis consultatif émis par
la Cour internationale de justice (ICJ) en 1971, déclarant
illégale l’occupation de la Namibie. Quand, le
9 juillet, l’ICJ a émis un avis semblable, condamnant
la construction du mur colonial et l’ensemble du
régime d’occupation comme contraire aux lois internationales,
les Palestiniens, les Arabes et tous ceux
qui aiment la paix dans le monde espéraient que l’ONU
et les institutions qui en dépendent allaient prendre
des mesures punitives appropriées contre Israël pour
le contraindre à respecter les résolutions de l’ONU.
Quelques figures de premier plan, ainsi que certaines
organisations, ont soutenu diverses sanctions.
Défenseur des droits de l’homme et lauréat du prix
Nobel de la paix, l’archevêque Desmond Tutu a récemment
souligné les nombreuses similitudes entre Israël
et l’apartheid en Afrique du Sud, appelant à boycotter
le premier État de la même façon qu’on avait boycotté
le second3. La semaine dernière, le Conseil mondial
des Églises a exhorté ses membres « à considérer
sérieusement quelles mesures économiques» ils pourraient
prendre contre Israël pour qu’il mette fin à l’occupation
des territoires palestiniens4. Il s’est également
félicité de l’action de l’Église presbytérienne américaine,
qui a mis en place un système sélectif de désinvestissement
auprès des compagnies qui ont des liens
avec l’occupation israélienne. Plusieurs universités
américaines et européennes envisagent de se désinvestir
et d’abandonner leur coopération avec Israël
ou de mettre en place un boycott sélectif de ses institutions.
Des personnalités britanniques et des membres
106
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page106
du Parlement ont lancé une campagne «contre le mur
colonial d’Israël». Certains sont allés plus loin encore
en réclamant des sanctions immédiates contre Israël5.
Malheureusement, plusieurs organisations onusiennes
ont au contraire préféré fermer les yeux ou minimiser la
gravité de l’occupation, de l’oppression et de l’apartheid
en Israël, ce qui revient à encourager son agressivité et
à continuer à bafouer les lois internationales. Le soutien
de l’UNESCO aux projets israélo-palestiniens qui
ne tiennent pas compte de la réalité de l’occupation et de
l’oppression est donc incompréhensible et décevant.
Dans la mesure où les instituts universitaires israéliens
(la plupart sous contrôle de l’État) et une majorité
écrasante de scientifiques et d’universitaires ont
contribué directement à l’oppression des Palestiniens,
l’ont justifiée, ou encore s’en sont fait les complices
en ne la dénonçant pas, nous considérons que la communauté
internationale et les organisations qui dépendent
de l’ONU devraient appeler au boycott et à des
sanctions contre les instituts scientifiques ou universitaires
israéliens.
Nous pensons que l’esprit de solidarité internationale,
la conscience et la cohérence morale vis-à-vis de
la résistance à l’injustice devraient pousser l’UNESCO
à cesser immédiatement de soutenir l’IPSO et tous les
autres projets similaires qu’actuellement elle finance
ou promeut d’une façon ou d’une autre, en collaboration
avec des instituts scientifiques ou universitaires
israéliens, jusqu’à ce qu’Israël permette que les droits
de l’homme s’appliquent aussi aux Palestiniens et respecte
les lois internationales ainsi que les résolutions
de l’ONU. En s’abstenant de le faire, l’UNESCO apporterait
une preuve supplémentaire de sa politique du
«deux poids, deux mesures» quand il s’agit d’Israël.
107
Afrique du Sud et israël: deux poids, deux mesures à l’UnESCO
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page107
1. Cf. texte complet de l’appel infra,
p. 185.
2. Liste complète des séminaires organisés
par l’UNESCO entre 1975
et 1991 sur
http://www.anc.org.za/un/conf.html
3. Desmond Tutu, «L’Apartheid en
Terre Sainte», The Guardian, 29 avril
2002.
http://www.guardian.co.uk/israel/comment/
0,10551,706911,00.htlm
4. Communiqué de presse du Conseil
mondial des Églises : Le comité central
du WCC invite à envisager des
mesures économiques pour la paix en
Israël/Palestine, 21 février 2005.
http://www2.wcc.coe.org/pressrelease.
nsf/index/pr-cc-05-08.htlm
5. Voir par exemple l’appel à des sanctions
de War on Want et le soutien du
chanteur rock britannique Roger
Waters.
http://www.waronwant.org/lid=9301
108
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page108
nos besoins réels:
une réponse aux arguments anti-boycott
Electronicintifada.net, le 23 octobre 2008.
Cet article critique les groupes qui défendent généralement
les droits des Palestiniens mais qui refusent
d’appuyer le BDS — attitude liée à une posture paternaliste
(«Nous savons ce qui est bon pour les Palestiniens
mieux qu’eux-mêmes») ou à une considération
excessive pour le largement imaginaire «camp de la
paix» israélien.
Depuis le lancement du boycott il y a quelques années,
nous nous heurtons à un phénomène étrange auquel
il est urgent de réagir. Plusieurs organisations connues
depuis des années, et certaines depuis des décennies,
pour leur soutien indéfectible à la cause palestinienne
se sont, pour diverses raisons, fermement opposées
à l’appel lancé le 9 juillet 2005 par la société civile
palestinienne – appel au boycott, au désinvestissement
et aux sanctions (BDS). Certaines de ces organisations
ont considéré que cela nuirait à la cause
palestinienne. D’autres ont estimé qu’un boycott de
ce type affaiblirait le soi-disant mouvement israélien
pour la « paix ». D’autres encore ont déclaré que le
boycott d’Israël serait perçu comme de l’antisémitisme
et une trahison des victimes de la Shoah, ce qui
porterait gravement atteinte aux efforts de solidarité
avec la Palestine.
Au fur et à mesure, bien d’autres arguments furent
avancés dans des milliers d’articles, mais ils sont moins
109
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page109
significatifs, de sorte que je me concentrerai ici sur
les trois principaux arguments cités ci-dessus.
Le boycott serait contre-productif
Est-ce vrai? Et qui peut en juger? Un appel signé par
plus de 170 partis politiques, syndicats, ONG et réseaux
représentant l’ensemble de la société civile palestinienne
– que ce soit dans les territoires occupés, en
Israël même, ou à l’étranger – ne peut être contre-productif,
à moins que les Palestiniens eux-mêmes ne
soient pas des êtres suffisamment intelligents pour
connaître leur intérêt. Cet argument sent la condescendance
à plein nez et trahit une attitude colonialiste
que nous croyions – que nous espérions ! – éra diquée
du monde occidental progressiste.
Si on considère les faits, ce type de boycott a prouvé
au cours des dernières années qu’il était l’une des
formes les plus efficaces de résistance civile et nonviolente
des Palestiniens face au régime colonial et à
l’apartheid en Israël. L’étendue et la qualité du soutien
apportées à cet appel (notamment par les plus
grands syndicats de travailleurs, les associations universitaires,
les Églises, en particulier en Afrique du
Sud, au Royaume-Uni, en Irlande, au Canada, en Norvège,
en Suède et même aux États-Unis), attestent de
l’efficacité et du potentiel énormes de cette campagne
de résistance à l’injustice israélienne. Par exemple,
c’est la première fois depuis des décennies que les
nombreux mouvements qui, en Europe, soutenaient
la paix et la justice en Palestine à travers des manifestations,
des appels publics et des interventions
médiatiques – mêmes si elles sont souvent restées
marginales – découvraient une démarche à laquelle
ils pouvaient participer activement et un mode d’action
qui promettait des résultats tangibles, comme l’a
prouvé l’issue de la lutte contre l’apartheid en Afrique
110
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page110
du Sud. À en juger par les résultats obtenus jusqu’ici,
et comme nous l’ont maintes fois répété nos camarades
d’Afrique du Sud, notre campagne de boycott
avance à un rythme encore plus rapide que la leur.
Ce type de boycott affaiblirait le mouvement
israélien pour la paix
Quel mouvement israélien pour la paix? Il n’en existe
pas. Les groupes israéliens qui se proclament «pour
la paix» contribuent davantage à aggraver l’oppression
israélienne à l’encontre des Palestiniens qu’à l’éliminer,
leur objectif principal étant qu’Israël reste un
État juif, c’est-à-dire fondé sur l’exclusion. Même les
groupes les plus radicaux de la gauche sioniste adhèrent
aux principes racistes selon lesquels les indigènes
palestiniens seraient des sous-hommes et constitueraient
une menace démographique.
Plus spécifiquement, ces groupes sont opposés aux
droits que les Nations unies reconnaissent aux réfugiés
palestiniens victimes du nettoyage ethnique qui a commencé
avec la fondation de l’État d’Israël et n’a jamais
cessé depuis ; ils s’opposent au droit à leur retour sur
leurs propriétés pour la seule raison «qu’ils ne sont
pas nés du bon côté». Ils refusent également la fin du
système d’apartheid unique en son genre établi en
Israël, qui depuis plusieurs décennies introduit la discrimination
raciale dans la législation et permet de
traiter tous les citoyens non juifs de cet État comme
des citoyens de seconde zone, qui ne jouissent pas des
mêmes droits que les citoyens juifs.
Si c’est en cela que consiste le mouvement israélien
pour la paix, alors comment regretter son affaiblissement?
Ceux qui affirment que la majorité des Israéliens ne
sont pas au courant des crimes engendrés par l’occupation,
et qu’on doit leur parler et non les boycotter,
111
nos besoins réels : une réponse aux arguments…
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page111
s’appuient sur des présupposés erronés et arrivent
ainsi à des conclusions fausses. La plupart des Israéliens
servent dans l’armée d’occupation sans états
d’âme à chacune de leurs périodes de réserve obligatoire.
Ils connaissent donc les crimes engendrés par
l’occupation car soit eux-mêmes y participent, soit ils
en sont les témoins silencieux, et donc les complices.
De plus, ce type de boycott n’a jamais prétendu viser
tel ou tel Israélien pris individuellement. Il est institutionnel
par nature, visant les institutions universitaires,
culturelles, économiques et politiques
israéliennes, pour la raison qu’elles sont complices
de la poursuite de l’occupation et des autres formes
d’oppression raciste et coloniale à l’encontre des indigènes
palestiniens.
Enfin, « parler » aux Israéliens, comme le font les
groupes de dialogue de la florissante industrie de la
paix, est une pratique qui nuit à la lutte pour une paix
juste car elle donne faussement l’impression que la
coexistence entre les deux peuples est possible, en
dépit de l’oppression sioniste. Par ailleurs, cette pratique
n’a jamais amené l’opinion publique israélienne
à voir dans la justice une condition préalable à la paix.
Les Israéliens juifs se tournent majoritairement vers
une droite fanatique qui soutient le nettoyage ethnique
– que dans le jargon politique israélien on
appelle pudiquement transfert – de ce qui reste des
Palestiniens.
Le dialogue, associé à une lutte israélo-palestinienne,
ne peut conduire à une paix juste qu’à la condition
qu’il s’oppose à l’occupation et aux autres formes d’oppression,
qu’il soit fondé sur les lois internationales
et respecte les droits fondamentaux, en particulier
notre droit inaliénable à l’autodétermination.
Selon ces critères, les seuls à lutter pour la paix en
Israël sont ceux qui soutiennent nos trois droits fondamentaux,
à savoir: le droit au retour des réfugiés pales-
112
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page112
tiniens, l’égalité entre citoyens juifs et palestiniens d’Israël,
et la fin de l’occupation et du régime colonial. Ce
sont eux, nos vrais partenaires. Ils soutiennent tous différentes
formes de boycott de type BDS, non seulement
par principe, mais également parce qu’ils se rendent
compte qu’une paix durable ainsi que la sécurité pour
tous ne peuvent être atteintes si la justice, les lois internationales,
les droits de l’homme universels, et, avant
tout, l’égalité, sont bafoués.
Les groupes de solidarité européens qui, sciemment,
laissent des personnalités ou des mouvements de la
gauche sioniste piloter leurs actions, les empêchant
ainsi d’être en phase avec la société civile palestinienne
et de comprendre ses besoins réels, ne méritent
pas le nom de groupes de solidarité.
En revanche, les groupes qui, pour des raisons tactiques,
ne soutiennent que certaines parties de ce programme,
ou bien boycottent de manière ciblée tels
produits ou telles organisations israéliennes ou proisraéliennes,
restent évidemment nos partenaires. Le
boycott n’est pas un procédé standard. Il peut être
adapté à chaque contexte particulier pour être plus
efficace. Ce qui compte est d’être d’accord avec ses
motivations et ses objectifs. Il s’agit d’une approche
fondée sur le droit, qui a clairement fixé les objectifs
qui doivent être le dénominateur commun à tous les
groupes solidaires de la Palestine: mettre fin aux trois
formes principales de l’injustice israélienne et promouvoir
les droits des Palestiniens. Ce sont les conditions
sine qua non pour que cette campagne soit
efficace et réponde aux aspirations de la société civile
palestinienne.
La campagne BDS encouragerait l’antisémitisme
Cette accusation est complètement déplacée. Elle est
utilisée à des fins d’intimidation sur le plan intellectuel.
113
nos besoins réels : une réponse aux arguments…
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page113
Est-il vraiment besoin de rappeler ici que les appels
palestiniens au boycott, au désinvestissement et aux
sanctions ne visent pas les Juifs ni même les Israéliens
en tant que tels? Ils visent seulement Israël en
tant que régime colonial qui viole constamment les
droits des Palestiniens et les lois internationales. Le
soutien grandissant des Juifs américains et européens
progressistes à l’idée d’exercer une pression efficace
sur Israël est un argument de taille, qui n’est pourtant
pas médiatisé.
De plus, considérer comme antisémites les actions
et les prises de position contre l’apartheid et le régime
colonial établis en Israël est une position antisémite
en soi, d’autres l’ont déjà dit avant moi, car cela
revient à estimer que tous les Juifs, en tant que tels,
sont d’une façon ou d’une autre responsables des
crimes israéliens. Cette attitude évidemment raciste
s’apparente à la pensée de la responsabilité collective
déjà dénoncée au procès de Nuremberg, et elle
entretient directement l’antisémitisme.
Ce boycott est une lutte civique menée contre l’État
d’Israël, indépendamment de la religion pratiquée par
la majorité des Israéliens. La religion des oppresseurs
importe peu en réalité – qu’ils soient juifs, chrétiens,
musulmans ou hindouistes n’est guère pertinent ! La
seule chose qui importe est le fait qu’ils vous oppressent,
au mépris de tout droit et de toute morale.
Les projets qui soutiennent les Palestiniens qui vivent
sous l’occupation, qu’ils relèvent du domaine médical,
éducatif, social ou même politique, sont vitaux.
Sans eux, nombre de Palestiniens, surtout les plus vulnérables,
ne pourraient survivre à la cruauté de l’occupation.
Nous apprécions au plus haut point le soutien
apporté à ces projets, du moins ceux qui ne corrompent
ni ne sont corrompus, comme c’est souvent le
cas. Mais cela ne signifie pas que nous pensions que
ceux-ci suffisent à faire avancer notre lutte pour la
114
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page114
liberté et la justice. Ces dernières ne pourront être
atteintes que lorsque l’occupation et l’apartheid auront
cessé. Comme nous le montrent les expériences du
passé, le moyen le plus sûr et le plus moral d’atteindre
cet objectif est de traiter Israël comme on a traité
l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid, en prenant
contre cet État des mesures de boycott, de désinvestissement
et diverses sanctions en les adaptant au
contexte. C’est la meilleure méthode pour obtenir une
paix juste en Palestine et dans tout le Moyen-Orient.
115
nos besoins réels : une réponse aux arguments…
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page115
Faire dérailler l’injustice: la résistance civile palestinienne
au tramway de Jérusalem
Jerusalem Quarterly, été 2009.
Je pense qu’il faut construire [le tramway
de Jérusalem]. En tout cas, tout ce qui peut rendre
Jérusalem plus puissante, tout ce qui peut
la dynamiser et l’agrandir pour en faire la capitale
éternelle du peuple juif et la capitale unifiée
de l’État d’Israël, doit être entrepris.
Ariel Sharon, août 2005.
Cet article donne à voir un des grands succès du mouvement
pour le BDS : la campagne « Faire dérailler
Veolia et Alstom» lancée lors de l’initiative de Bilbao
en novembre 2008, qui dénonçait la complicité de ces
deux compagnies dans la colonisation des territoires
palestiniens occupés, a joué un grand rôle pour leur
faire perdre des milliards de dollars dans plusieurs
pays.
«Nager à contre-courant»: aux yeux de nombreuses
cultures, y compris dans la culture arabe, cette expression
s’applique souvent à un caractère imprudent,
pour ne pas dire irrationnel ou désespérément vain.
Aller à contresens et espérer atteindre la destination
voulue, en dépit de tout bon sens, cela ne va franchement
pas de soi. En relevant ce défi, la campagne
BDS1, menée par la société civile palestinienne et soutenue
par de nombreux sympathisants internationaux,
a contribué à mener une résistance sur tous les plans
vis-à-vis de l’oppression israélienne à l’encontre du
peuple indigène de Palestine. Pour ce faire, il a fallu
mobiliser la société civile internationale afin qu’elle
fasse pression sur Israël, de manière continue et non-
116
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page116
violente, jusqu’à ce que cet État remplisse toutes ses
obligations en respectant les lois internationales et
les droits des Palestiniens.
La campagne contre la construction du tramway de
Jérusalem-est un cas exemplaire et révélateur du
potentiel de ce type de combat, tout comme du défi
qu’il représente.
Réaliser la vision de Herzl
Selon la brochure de présentation officielle2, le tramway
de Jérusalem, le JRL, se propose de réaliser la
vision que Theodor Herzl avait de la ville: «Des quartiers
modernes, des lignes électriques, des boulevards
bordés d’arbres, une métropole du XXe siècle. » Cet
élément essentiel de la vision eurocentrique de Herzl
de la terre de Palestine comme État juif a été poussé
encore plus loin par les concepteurs de ce projet.
Bien qu’officiellement la construction du tramway
se réclame des priorités classiques de l’urbanisme
moderne – qui consiste à décongestionner et rénover
le centre-ville – le plan du tramway tel qu’il apparaît
actuellement sur papier (son tracé, ses stations) révèle
les objectifs tacites du projet. Il s’agit de rendre irréversible
la «judaïsation» de Jérusalem3 et de pérenniser
la situation actuelle qui consacre cette ville
comme capitale unifiée majoritairement juive et sous
contrôle israélien. En reliant entre elles, grâce à ce
tramway, les grandes colonies et autres « enclaves
coloniales» construites illégalement sur des territoires
palestiniens occupés (dont Jérusalem-est4), et ce à
l’encontre des lois internationales5, Israël espère
inclure la construction de ce réseau de transport dans
sa stratégie globale (qui comprend déjà celle du mur
de séparation et d’autres mesures répressives6) pour
rapprocher et cimenter ces différentes «enclaves» et
les intégrer au «Grand Jérusalem» qui ne cesse de
117
Faire dérailler l’injustice
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page117
s’étendre. C’est une politique du fait accompli d’une
envergure inégalée depuis la Nakba7 de 1948 et la
guerre de 1967 (qui s’est soldée par l’occupation de
la Cisjordanie et de la bande de Gaza). Ces deux
guerres furent accompagnées du déplacement massif
et forcé de centaines de milliers de Palestiniens.
La portée de la construction de ce tramway et ses
implications politiques et légales doivent être mesurées
à l’aune du contexte de la stratégie plus globale
d’Israël concernant Jérusalem, et du «plan secret8»
élaboré par le cabinet du Premier ministre et le maire
de la ville, pour « renforcer le statut de Jérusalem
comme capitale de l’État d’Israël ». Ce plan, dévoilé
récemment par le journal Haaretz, vise à placer la
Vieille Ville sous hégémonie israélienne, « une politique
inspirée par l’idéologie d’extrême droite ». Un
récent article paru dans la presse palestinienne9 à
propos de ce tramway indique que «le cadre incompressible
de la politique israélienne à l’égard de Jérusalem-
est très clairement exposé dans « le plan
directeur 2020 datant de 2004 […] qui énumère les
mesures destinées à empêcher la croissance de la
population palestinienne et à encourager celle de la
population juive. L’objectif est d’obtenir à terme un
taux de 70 % de Juifs contre 30 % de Palestiniens,
conformément aux voeux du gouvernement. Un tel
objectif implique un nettoyage ethnique de la communauté
palestinienne de Jérusalem par le truchement
d’un certain nombre de dispositifs, dont les plus
radicaux sont la construction du mur de séparation
et l’annulation des papiers d’identité [des résidents
palestiniens de Jérusalem].»
Le tramway de Jérusalem-est l’enfant chéri du plan
directeur des transports de Jérusalem, conçu conjointement
par le ministère des Transports et la municipalité.
Il joue un rôle stratégique dans le plan de
colonisation de Jérusalem car il est destiné à pallier
118
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page118
l’inadéquation grandissante du réseau routier et du
système de transports en commun existant, qui aujourd’hui
ne peut plus répondre correctement aux besoins
croissants induits par le développement anarchique
des colonies israéliennes. Cette expansion s’est accélérée
après la signature des accords d’Oslo. Au cours
de la période qui a suivi la signature des accords de
paix avec l’OLP en 1993, le nombre de colons dans
les territoires occupés a pratiquement doublé. Comme
le montre le tracé officiel10, les différentes lignes du
tramway sont avant tout prévues pour desservir les
colonies israéliennes illégales construites à Jérusalem-
est même ou aux alentours de la ville, notamment
l’aéroport d’Atarot, Neve Yaakov, Pisgat Zeev,
Ramot, le campus universitaire de Har HaTzofim de
l’Université hébraïque et Gilo.
La pérennisation de l’injustice : les aspects légaux
de la construction du tramway de Jérusalem
Sur la base de la quatrième convention de Genève,
plusieurs résolutions des Nations unies ont condamné
et déclaré illégales les colonies israéliennes construites
sur ce que toute la communauté internationale considère
comme des territoires palestiniens occupés. La
confirmation la plus récente de ce verdict vient de la
Cour internationale de justice qui, le 9 juillet 2004, a
émis un avis consultatif contre le mur de séparation et
les colonies qu’Israël construit dans les territoires
palestiniens occupés11. Cette décision a été largement
considérée comme un tournant décisif sur les plans
légal et politique dans la lutte des Palestiniens contre
l’occupation israélienne. Toute construction d’infrastructures
en faveur de ces colonies ainsi que toute
initiative qui, d’une façon ou d’une autre, contribue
à renforcer leur existence sont, par extension, illégales.
Non seulement ce tramway contribue de façon
119
Faire dérailler l’injustice
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page119
significative à l’irréversibilité de l’annexion des territoires
palestiniens occupés, mais il fournit aussi aux
colonies un réseau de transport unique qui les rattache
à Israël. C’est pourquoi nous considérons ce
tramway comme inscrit dans la politique coloniale
d’Israël et constituant une violation des lois internationales
assimilable à un crime de guerre. Les entreprises
qui participent à la construction et à la gestion
du tramway, ou encore celles qui construisent, entretiennent
et fournissent des services aux colonies12
israéliennes en général, peuvent donc, au même titre,
être considérées comme criminelles.
De plus, invoquant la quatrième Convention de
La Haye du 18 octobre 1907 sur le respect du droit
et des usages de la guerre, l’Unité de soutien aux négociations
de l’OLP affirme13 : « En tant qu’occupant,
Israël n’a aucun droit souverain ni aucun titre sur les
territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalemest.
En conséquence, les seules transformations qu’il
peut effectuer dans Jérusalem-est et le reste des territoires
palestiniens occupés ne peuvent être que des
interventions au bénéfice de la population palestinienne
occupée ou répondant à des exigences militaires.
Dans la mesure où le tramway de Jérusalem
ne satisfait aucun besoin civil palestinien ni ne répond
à aucune nécessité militaire véritable, il constitue une
transformation illégale de Jérusalem-est et des zones
de la Cisjordanie qui l’entourent.»
Ceci constitue la base légale des actions juridiques
menées en France contre Veolia et Alstom, les deux
principales entreprises membres du consortium qui a
signé un contrat avec l’État d’Israël pour construire et
gérer le tramway de Jérusalem. Ces deux entreprises
sont des groupes français qui travaillent dans des
dizaines de pays sur de vastes projets concernant principalement
les transports, l’eau et le traitement des
déchets. Bien qu’aucun jugement n’ait encore été rendu,
120
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page120
ce procès sans précédent intenté par l’OLP et l’Association
France-Palestine Solidarité (AFPS) en 200714
auprès du tribunal de Nanterre, a suffisamment progressé
pour inspirer des actions similaires contre
d’autres sociétés impliquées dans le projet du tramway
de Jérusalem. En avril dernier, selon les informations
fournies à la presse par l’AFPS15, le tribunal de grande
instance de Nanterre a rejeté les requêtes répétées de
Veolia et d’Alstom pour que l’affaire soit renvoyée, et
il s’est au contraire déclaré compétent pour statuer
dans ce procès. De plus, en réponse à Veolia et Alstom
qui soutenaient que le tribunal français n’était pas compétent
dans cette affaire, sous prétexte que l’État d’Israël
jouit d’une immunité souveraine qui interdit qu’il
soit poursuivi devant des tribunaux étrangers, le tribunal
de Nanterre a déclaré: «Mis à part le fait que
l’État d’Israël n’est pas partie dans cette action en justice,
la position de cet État à propos de la contestation
de contrats ne peut pas sérieusement être prise en
compte, ni son statut d’État souverain être invoqué,
puisque cet État est de fait une puissance occupante
dans la partie de la Cisjordanie où le tramway doit être
construit et dont l’exploitation fait l’objet du présent
contentieux, une région que la communauté internationale
et la Cour internationale de justice considèrent
comme faisant partie du territoire palestinien.»
Par ailleurs, au Royaume-Uni, Daniel Machover, éminent
juriste et cofondateur de l’Association des juristes
pour la défense des droits de l’homme en Palestine,
a mis au point une approche innovante pour attaquer
Veolia et les entreprises analogues. Machover invoque
la réglementation britannique de 2006, à savoir le
«UK 2006 Public Procurement Regulations», un document
qui traduit dans la législation britannique les
mesures édictées par la directive européenne
2004/18EC16, faisant valoir qu’une autorité locale peut
être poursuivie si elle n’accepte pas d’exclure Veolia
121
Faire dérailler l’injustice
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page121
d’une procédure d’appel d’offre en tant qu’agent économique.
Plus spécifiquement, il fonde son action sur
l’article 45 de cette directive européenne qui stipule
notamment qu’une entreprise «peut se voir interdire
de prendre part à un contrat si elle s’est rendue coupable
de graves fautes professionnelles dont la preuve
peut être apportée par les autorités contractantes».
M. Machover affirme qu’au Royaume-Uni, ce type
de décision discrétionnaire prise par une personne
publique peut être contesté devant la Haute Cour. On
peut espérer que dans la mesure où les autorités
locales disposent de sérieuses preuves des fautes professionnelles
commises par Veolia, qu’elles peuvent
compter sur le soutien de l’opinion publique et qu’il
reste la menace de saisir la Haute Cour, elles peuvent
parfaitement décider d’exclure Veolia des appels
d’offres publics pour éviter des difficultés ultérieures.
Si une telle approche donne des résultats concluants,
elle pourrait être adoptée dans les différents États
d’Amérique où la législation est similaire.
La société civile palestinienne contre-attaque
En dépit de la décision sans équivoque de la Cour
internationale de justice au sujet du mur de séparation
et des colonies, aucune initiative sérieuse n’a été prise,
ni par les dirigeants palestiniens, ni par la Ligue arabe,
ni par l’ONU, ni par l’Union européenne, ni par aucune
autre autorité internationale pour faire appliquer les
recommandations d’une portée considérable que
contient l’avis consultatif de la Cour. Cette passivité a
pour résultat de permettre à Israël de poursuivre ses
insatiables projets de colonisation de la Cisjordanie.
L’incroyable échec de la prétendue communauté internationale
qui ne parvient pas à obliger Israël à respecter
les lois internationales, ni même à mettre un
terme à son impunité, a provoqué tant de frustration
122
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page122
et de colère chez les Palestiniens du monde entier
qu’ils ont décidé de repenser les moyens qu’il convient
d’employer pour obtenir justice.
Le 9 juillet 2005, un an après la décision de la Cour
internationale de justice sur le mur de séparation,
plus de 170 partis, syndicats, organisations et réseaux
d’associations palestiniens ont signé un appel historique
au boycott, au désinvestissement et aux sanctions
(BDS17) contre Israël jusqu’à ce que ce pays
remplisse ses obligations telles qu’elles sont définies
dans les lois internationales, et qu’il mette fin aux
trois formes d’injustice qui sont à la base de sa politique
(l’occupation et la colonisation, l’institutionnalisation
de la discrimination raciale et le refus de
reconnaître les droits des réfugiés tels que définis par
les Nations unies). L’appel est ainsi rédigé :
Nous, représentants de la société civile palestinienne,
appelons les organisations de la société civile internationale
et tous les gens qui ont une conscience à
travers le monde à mettre en place un boycott généralisé
et à prendre des initiatives de désinvestissement
à l’encontre d’Israël, semblables à celles qui
ont été appliquées en Afrique du Sud à l’époque de
l’apartheid. Nous faisons appel à vous pour faire
pression sur vos gouvernements respectifs afin qu’ils
imposent un embargo et des sanctions à l’encontre
d’Israël. Nous invitons les Israéliens qui ont une
conscience à soutenir cet appel au nom de la justice
et de la paix authentiques.
Lancé un an après l’appel palestinien pour le boycott
universitaire et culturel d’Israël18, inspiré par la résistance
civile palestinienne séculaire et par le récent
combat contre l’apartheid mené en Afrique du Sud,
l’Appel BDS étend la portée du précédent et l’élargit à
tous les domaines, notamment économique, financier et
123
Faire dérailler l’injustice
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page123
sportif. Tandis que l’Appel BDS a d’abord été reçu de
façon mitigée par la société civile internationale et a
été vigoureusement critiqué par Israël, ses groupes
de soutien et ses réseaux de sympathisants en Occident
lui ont vite permis de mettre le boycott d’Israël en
tête des priorités de plusieurs syndicats et organisations
religieuses solidaires des Palestiniens. Strictement
fondé sur une approche légale, cet appel
s’adresse à de nombreux secteurs de la société civile
internationale, les inspire et les mobilise autour de la
mise en place de campagnes massives de sensibilisation
contre les institutions israéliennes ou internationales
qui se font complices de l’occupation et de toute
autre forme d’oppression de la part d’Israël.
Depuis le lancement de l’appel, ses soutiens n’ont
cessé de croître, parfois à un rythme impressionnant19.
Des résultats significatifs ont été obtenus, notamment
après que les dirigeants palestiniens du mouvement –
le Comité national pour le BDS, ou BNC20 – se sont associés
au mouvement en mai 2008, et après qu’ils ont
réussi, en partenariat avec Mewando (le principal
réseau de solidarité basque) à organiser la première
conférence internationale pour le BDS (appelée l’initiative
de Bilbao21) et enfin, après qu’ils ont publié un
document qui analyse en profondeur la politique du
régime israélien envers le peuple palestinien22. Le siège
illégal qu’Israël impose à la bande de Gaza, impliquant
une brutale aggravation de la pauvreté, une recrudescence
des maladies et une augmentation du taux de
mortalité, a fini de convaincre de nombreuses personnalités
du monde culturel et intellectuel d’apporter son
soutien au BDS. Il en a résulté, dans le monde entier,
une multitude de mesures de boycott, créatives et institutionnellement
viables. Ceci est le signe indubitable
que la solidarité avec la Palestine est entrée dans une
phase nouvelle et sans précédent qui rappelle les combats
menés contre l’apartheid sud-africain23.
124
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page124
Ce contexte favorable a également engendré des
actions concrètes contre le projet de tramway à Jérusalem.
En pratique, l’appel au BDS s’est adressé directement
aux mouvements de solidarité de divers pays
et les a invités à collaborer aux diverses campagnes
contre les entreprises impliquées. Ce sont sûrement
là les actions les plus efficaces contre ce projet.
Faire dérailler Veolia et Alstom
Une précédente initiative de BNC pour contrer les
entreprises impliquées dans la construction du tramway
a consisté en un appel24 adressé au royaume d’Arabie
Saoudite par le Mouvement populaire palestinien
contre le mur d’apartheid et par la Coalition des
citoyens pour la défense des droits des Palestiniens de
Jérusalem. Il s’agissait de faire pression sur le gouvernement
saoudien afin qu’il renonce à signer un
contrat de 2,5 milliards de dollars avec Alstom pour
la construction d’une centrale électrique. Le début de
cet appel expose l’engagement historique de l’Arabie
Saoudite pour la cause palestinienne en général et
pour la question de Jérusalem occupée en particulier.
Le document conclut sur le fait que la signature d’un
contrat avec cette entreprise serait une connivence
évidente avec Israël. Cette collaboration avec Alstom
réduirait à néant les engagements saoudiens, sans parler
des obligations imposées par les lois internationales.
Il va de soi que le gouvernement saoudien n’a
toujours pas répondu à cet appel et encore moins pris
la moindre décision dans ce sens. De fait, selon un rapport
récent de Gulf News, un média basé à Dubaï 25,
Alstom fait partie du consortium auquel a été attribué
en mars un contrat de 1,8 milliard de dollars pour la
construction d’une ligne de chemin de fer entre
La Mecque et Médine, le Haramain Express. L’ironie
est amère quand on voit que l’Arabie Saoudite attribue
125
Faire dérailler l’injustice
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page125
à l’entreprise qui se rend sans équivoque complice de
la colonisation de Jérusalem, ville sainte pour l’islam,
un contrat pour construire la ligne de chemin de fer
destinée à relier Médine et La Mecque, les deux autres
villes saintes de l’islam. Cela a poussé l’autorité palestinienne,
pourtant habituellement complaisante, à
déposer une plainte officielle auprès des Saoudiens et
à essayer de les convaincre de revenir sur leur décision
de faire participer Alstom à la construction du
Haramain Express26.
En Europe cependant, on s’est montré plus favorable
à la campagne contre les entreprises partenaires
de la construction du tramway. Au cours de l’initiative
Bilbao mentionnée précédemment, des juristes,
des militants et des syndicalistes ont lancé, en complète
coordination avec le comité national du BDS,
plusieurs campagnes de boycott ciblé contre les entreprises
et les institutions qui sont manifestement complices,
d’une manière ou d’une autre, du système mis
sur pied par Israël pour oppresser les Palestiniens.
C’est ainsi qu’a vu le jour la campagne «Faire dérailler
Veolia et Alstom» qui a pour objectif de coordonner
les initiatives qui existent déjà dans plusieurs pays et
d’en initier de nouvelles, afin de faire pression sur ces
deux entreprises en les menaçant de campagnes
publiques de boycott si elles refusent de se retirer de
ce projet illégal.
Les exemples suivants sont empruntés aux campagnes
locales les plus significatives contre les deux
entreprises françaises en question et éclairent d’un
jour nouveau les différentes tactiques utilisées et, surtout,
les résultats impressionnants qu’elles ont permis
d’atteindre.
Après une longue campagne de pressions lancée à
l’initiative d’un militant des droits de l’homme extrêmement
déterminé, puis reprise par un groupe influent
de la société civile néerlandaise, la Dutch Bank ASN,
126
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page126
qui se définit elle-même comme une banque éthique,
respectueuse des lois internationales et des droits de
l’homme, a retiré ses investissements de Veolia Transports
en novembre 200627. Cette décision a été prise
après des mois de recherches méticuleuses, de mise en
réseau et de sensibilisation du public, le tout à l’initiative
des organisateurs de la campagne. Les Citoyens
unis pour la paix (une fédération d’associations néerlandaises)
ont publié un document qui analyse en
détail les liens entre des entreprises néerlandaises et
l’occupation du territoire palestinien par Israël. La
campagne palestinienne contre le mur d’apartheid
s’est également impliquée dans les différentes étapes
de cette démarche, notamment en fournissant des
données empiriques et des conseils. En parallèle, le
Parlement néerlandais a été interrogé au sujet d’une
certaine entreprise néerlandaise impliquée dans la
construction du mur illégal. Veolia a d’abord prétendu
qu’elle n’était pas au courant que son implication dans
la construction du tramway était illégale. Cet argument
était fallacieux puisque, plusieurs mois auparavant,
la section française d’Amnesty International
avait publié un document extrêmement clair28, mettant
la direction de Veolia en garde et l’enjoignant de
ne pas prendre part à ce projet.
Les différentes étapes de cette affaire ont largement
été couvertes par les médias néerlandais. Ceux-ci ont
mis en lumière la complicité ainsi que la responsabilité
légale et éthique des entreprises concernées, ce qui a
eu pour effet de pousser la banque ASN à augmenter
notablement la pression. Cette dernière a lancé une
enquête sur les implications de Veolia dans ce projet
et a finalement retiré ses investissements.
Une fédération d’associations confessionnelles suédoises,
présidée par Diakonia, lui a rapidement emboîté
le pas. Pendant l’attaque brutale d’Israël contre Gaza,
le Conseil de la communauté de Stockholm a annoncé29
127
Faire dérailler l’injustice
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page127
qu’il refusait à Veolia la reconduite prévue pour huit
ans de son contrat de gestion du métro de Stockholm,
dont l’entreprise française était responsable depuis
dix ans. Ce contrat de 3,5 milliards d’euros est actuellement
considéré comme le plus gros contrat public
de fourniture de services en Europe. Bien que le
Conseil ait affirmé que sa décision ne reposait que sur
des considérations commerciales, il est évident que
la campagne publique menée contre Veolia par des
groupes suédois durant les mois qui ont précédé a été
un facteur décisif pour tous les hommes politiques
soucieux de leur réélection.
Adri Nieuwhof, un militant des droits de l’homme qui
a joué un rôle majeur pour rendre publique la complicité
de groupes européens avec l’occupation israélienne,
a déclaré à propos de l’impressionnante campagne
publique menée en Suède contre Veolia30 : «Les militants
suédois ont, par tous les moyens, informé le public
sur le rôle des entreprises qui tirent profit de l’occupation
israélienne. L’ONG suédoise Diakonia a enquêté
sur l’usine Mul-T-Lock implantée dans la zone industrielle
Barkan d’une colonie de Cisjordanie, et ses
conclusions ont eu pour résultat qu’en octobre 2008,
le propriétaire de l’usine, Assa Abloy, s’est séparé de
l’entreprise. Au même moment, Veolia négociait un
contrat de huit ans et d’un montant de 4,5 milliards de
dollars pour gérer le métro du comté de Stockholm.
Des journalistes suédois ont interrogé des hommes politiques
sur le rôle de Veolia dans le projet de tramway
israélien destiné à relier les colonies et à normaliser
leur situation, bien qu’elles soient illégales. Lors de la
manifestation Carton rouge pour Veolia du 15 novembre
2008, les usagers du métro de Stockholm ont été invités
à apposer un carton rouge sur leur vêtement en
signe de protestation contre l’implication de Veolia dans
le projet de construction du tramway de Jérusalem
dans les territoires palestiniens occupés.»
128
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page128
Plusieurs semaines après cet échec cuisant pour Veolia,
ses partenaires dans le projet du tramway de Jérusalem
ont subi une défaite mémorable quand le Fonds
national de retraite suédois, l’AP7, a décidé d’exclure
Alstom de son portefeuille d’actions31. Vu la dimension
du fonds suédois qui représente quinze milliards
de dollars, cette décision devait inévitablement avoir
de graves conséquences pour Alstom et les entreprises
analogues. Cette fois, la décision a été explicitement
justifiée par le fait qu’Alstom était engagée dans le
projet illégal du tramway de Jérusalem. Ceci a montré,
d’une part, le mécontentement grandissant de
l’opinion publique suédoise, notamment après la
«guerre» de Gaza, sa condamnation des entreprises
qui tirent profit des projets israéliens illégaux, et
d’autre part, sa détermination à leur en faire payer
le prix, au sens propre du terme.
Fin mars, la Campagne de solidarité avec la Palestine
(PSC) dans les Midlands de l’Ouest (Royaume-Uni)
a célébré une autre victoire dans l’opposition à la
construction du tramway de Jérusalem. Le Conseil de
Sandwell Metropolitan Borough a décidé de ne pas
poursuivre ses négociations avec Veolia dans le cadre
d’un projet pour l’amélioration du plan de traitement
des déchets, un contrat de vingt ans et d’une valeur
de 1,5 milliard de dollars32. Cette fois aussi, le Conseil
a précisé que sa décision avait des motifs commerciaux
et non politiques. Mais là encore, on ne peut
manifestement pas ignorer la pression de l’opinion
publique qui a précédé cette décision.
D’autres campagnes ont eu lieu dans diverses
régions du Royaume-Uni pour faire «dérailler» Veolia
et l’évincer d’un certain nombre de contrats de
travaux publics. Du comté du Hampshire à Liverpool,
en passant par le Yorkshire du sud, les autorités ont
été confrontées à des pressions politiques ou légales
croissantes, de la part de groupes de solidarité avec
129
Faire dérailler l’injustice
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page129
la Palestine associés au PSC, pour empêcher Veolia
de répondre à des appels d’offres concernant des projets
publics.
Récemment, Veolia a pu se rendre compte que ça
commençait à chauffer aussi dans son propre pays.
La communauté urbaine de Bordeaux a annoncé
qu’elle allait, évidemment pour des motifs commerciaux,
signer un contrat d’un milliard de dollars avec
un concurrent de Veolia, pour réaliser le plus grand
réseau urbain de France, malgré les efforts intenses
déployés par Veolia pour emporter le marché. La Plateforme
BDS Bordeaux a salué ce résultat en déclarant
: « L’implication de Veolia dans l’apartheid qui
règne [en Israël] lui a déjà fait perdre plusieurs
contrats, et ce n’est qu’un début.33»
La résistance artistique
En Australie, la campagne contre Connex, une filiale
de Veolia, a pris une tout autre tournure. L’artiste Van
Thanh Rudd a fait sensation à Melbourne avec son
installation Économie de mouvement – un morceau de
Palestine34. Celle-ci consistait en une pierre posée sur
un socle de verre. Sur un panneau suspendu derrière,
on pouvait lire : «Cette pierre vient de Jérusalem-est
(territoire palestinien occupé). Elle a été jetée sur un
char de l’armée israélienne par un jeune Palestinien.»
Sur un autre panneau posé à droite était écrit : «Les
chars de l’armée israélienne protègent les entreprises
françaises Veolia (Connex) et Alstom pendant qu’elles
exécutent des opérations illégales dans les territoires
palestiniens occupés.» Rudd explique ainsi ses motivations:
«Je pensais que c’était une bonne occasion de
créer une oeuvre d’art qui montrerait clairement les
opérations illégales de Veolia dans les territoires palestiniens
occupés.»
130
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page130
Un goût de victoire
Après des mois de campagnes intensives de sensibilisation
organisées par «Faire dérailler Veolia et Alstom»,
le journal Haaretz a annoncé35 que Veolia abandonnait
le projet du tramway de Jérusalem et essayait
même de vendre les 5 % de parts qu’elle possédait
dans Citypass, le consortium chargé de la construction
du tramway. Selon ces informations, « l’organisation
s’est appuyée sur un article de loi français qui
permet à un tribunal d’annuler un contrat commercial
signé par une entreprise française en violation d’une
loi internationale ». Cependant, des sources qui ont
souhaité conserver l’anonymat mentionnent aussi des
pressions politiques et affirment que la perte de marchés
importants en Europe serait la véritable raison du
retrait de Veolia.
La seconde victoire était plus prévisible. La Commission
islamique pour les droits de l’homme, basée
à Londres, a récemment annoncé36 que le maire de
Téhéran avait renoncé à attribuer à Veolia un rôle clé
dans son projet de réseau de transports urbains. En
mai, la BNC a adressé un courrier aux dirigeants iraniens
par l’intermédiaire d’une ONG de Genève, à l’occasion
de la présentation du bilan de la conférence
de l’ONU à Durban, pour rappeler à Téhéran ses engagements
à contribuer à la défense de Jérusalem face
aux projets coloniaux israéliens, et pour lui demander
instamment d’exclure Veolia et Alstom de tout
contrat de travaux publics.
Malgré l’annonce de Veolia qu’elle se retirait du projet
de tramway à Jérusalem, la campagne « Faire
dérailler Veolia et Alstom» «a l’intention de continuer
à maintenir la pression sur Veolia et Alstom jusqu’à
ce que ces entreprises cessent de fournir leurs services
à Israël pour des projets et des activités
contraires aux lois internationales », a déclaré Adri
131
Faire dérailler l’injustice
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page131
Nieuwhof 37. Concrètement, Veolia gère toujours certaines
lignes de bus qui relient Jérusalem aux colonies
illégales ainsi qu’une déchetterie qui traite les
ordures d’Israël et de ses colonies sur le terrain de
Tovlan, dans la vallée du Jourdain occupée38.
Dernières remarques
De Melbourne à Stockholm, de Bordeaux aux Midlands,
les entreprises impliquées dans le projet de
tramway de Jérusalem ne se heurtent pas seulement
à des protestations symboliques de la part de militants
marginalisés, elles essuient aussi des pertes
importantes que de nombreux indicateurs permettent
de relier directement à leur implication dans ce projet.
Ce qui aurait pu apparaître au début comme une
tentative désespérée de nager à contre-courant est
en train de devenir un souffle puissant qui pourrait
bien inverser le sens du courant lui-même.
132
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
1. Cf. texte del’Appel, infra, p. 182.
2. http://www.rakevetkala-jerusalem.
org.il/images/Eng_brochure.pdf
3. En août 2007, le professeur John
Dugard, qui était alors le rapporteur
spécial des Nations unies pour les
droits de l’homme dans les territoires
palestiniens occupés, a décrit le
mur de séparation à l’assemblée
générale des Nations unies en ces
termes : « La construction de 75 km
de mur à Jérusalem-est est pratiquement
achevée. Ce mur de séparation
qui traverse des quartiers palestiens
et sépare des Palestiniens d’autres
Palestiniens, relève de l’ingénierie
sociale et il est destiné à judaïser
Jérusalem en réduisant le nombre
de Palestiniens habitant cette ville. Il
ne répond en aucun cas à des exigences
de sécurité. »
4. Alors que Jérusalem-est est considérée
par les Nations unies comme
une partie des territoires palestiniens
occupés en 1967, le reste de la
ville, appelé désormais Jérusalemouest,
a également été occupé par
les forces sionistes en 1948, en violation
du plan de partage de la Palestine
qui prévoyait que l’ensemble de
la ville soit placé sous contrôle international.
5. L’article 49 de la quatrième convention
de Genève interdit expressément
aux puissances occupantes de
transférer une de leur propre population
civile dans les territoires
qu’elles occupent. Quand il s’agit
d’appropriation massive de territoires
en dehors de toute nécessité
militaire, l’infraction peut être assimilée
à un crime de
guerre. http://www.unhchr.ch/htlm/m
enu3/b/92.htm
6. En mars 2009, le professeur
Richard Falk, qui était à l’époque le
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page132
rapporteur spécial des Nations unies
pour les droits de l’homme dans les
territoires palestiniens occupés, a
déclaré : « Il existe plusieurs sujets
de préoccupation à propos de l’avenir
des Palestiniens de Jérusalemest,
et des allégations selon
lesquelles Israël s’est engagé dans
un processus de nettoyage ethnique
subtil mais aux effets cumulatifs très
efficaces, afin de faire de tout Jérusalem
une ville majoritairement
juive sur le plan démographique.
Diverses pratiques dénoncées par les
Palestiniens ont été confirmées par
des observateurs indépendants ».
http://www.transnational.org/Area_M
iddleEast/2009/Falk_OralStatement_
Gaza.htlm
7. Voir aussi : Ilan Pappe, The Ethnic
Cleansing of Palestine, Oxford, Oneworld
Publications, 2007. Le Nettoyage
ethnique de la Palestine,
Fayard, 2008.
8. http://www.haaretz.com/hasen/spa
ges/1084402.htlm
9. The Grassroots Palestinian Anti-
Apartheid Wall Campaign and the
Civic Coalition for Defending The
Palestinians’Rights in Jerusalem (La
campagne populaire palestinienne
contre le mur d’apartheid et la Coalition
des citoyens pour la défense
des droits des Palestiniens de Jérusalem),
A call to the Kingdom of
Saudi Arabia not to contract Alstom
Ltd. Its new power plant in Shoaiba :
http://www.stopthewall.org/downloads/
pdf/briefing%20Alstom.pdf
10. Consultez la carte sur
http://www.rakevetkalajerusalem.
org.il/images/Eng_brochure.
pdf
11. Dans son avis consultatif intitulé
Conséquences légales de la construction
d’un mur dans les territoires
palestiniens occupés, la Cour internationale
de justice déclare : « La
Cour conclut que les colonies israéliennes
dans les territoires palestiniens
occupés, y compris à
Jérusalem-est, ont été construites en
violation des conventions internationales.
» http://www.icj_icj.org/docket/
files/131/1677.pdf
12. La Coalition israélienne des femmes
pour la paix tient à jour une
liste des entreprises israéliennes et
étrangères impliquées dans la violation
des lois internationales dans les
territoires palestiniens occupés.
13. Negotiation Support Unit, « Jerusalem
Light Rail Fact Sheet »,
mars 2007.
14. http://www.Francepalestine.
org/article10614.htlm (en
français)
15. http://www.Francepalestine.
org/imprimersans.php3?id_
article=11680
16. http://eurlex.europa.eu/LexUri-
Serv/LexUriServ.do?uri=CELEX:3200
4L0018:EN:NOT
17. http://www.bdsmovement.net/?q=
node/52
18. http://www.pacbi.org/etemplate.p
hp?id=869
19. Pour une liste partielle des organisations
internationales qui soutiennent
le BDS, cf. http://www.bdsmove
ment.net/?q=node139
20. Pour davantage d’information
sur la constitution et les activités du
BNC, cf. http://www.bdsmovement.ne
t/?q=node/126
21. http://www.bdsmovement.net/?q=
node/213
22. http://bdsmovement.net/?q=node/
222
23. Pour en savoir plus sur ce sujet,
voir infra : Notre moment sud-africain
est arrivé, p. 159. http://www.p
alestinechronicle.com/view_article_d
etails.php?id=14921
24.
http://www.stopthewall.org/downloads/
pdf/briefing%20Alstom.pdf
25. http://www.gulfnews.com/Region/
Middle_East/10318479.htlm
26. http://www.gulfnews.com/Region/
Middle_East/10318479.htlm
27. http://electronicintifada.net/v2/ar
ticle6076.shtlm
28. http://amnesty.fr/index.php/amne
sty/s_informer/la_chronique/mars_20
06_sommaire/israel_et_territoires_oc
cupes
29. http://diakonia.se/sa/node.asp?no
de=2807
30. http://electronicintifada.net/v2/ar
ticle10418.shtlm
31. Idem.
133
Faire dérailler l’injustice
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page133
32. http://www.palestinecampaign.or
g/index7b.asp?
33. La déclaration originale en fran -
çais est consultable sur :
http://www.ism-
France.org/news/article.php?id=116
49&type=communique&etlesujet=Bo
ycott
34. http://electronicintifada.net/v2/ar
ticle10388.shtlm
35. http://www.haaretz.com/hasen/sp
ages/1091186.htlm
36. http://www.ihrc.org/
37. http://electronicintifada.net/v2/ar
ticle10599.shtlm
38. http://www.whoprofits.org/Compagny%
20info.php?id=581
134
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page134
« Les boycotts marchent» :
entretien avec Ali Mustafa*
Electronicintifada.net, le 1er juin 2009.
Interview récente sur le BDS, ses raisons, ses arguments
et ses perspectives de succès, donnée lors d’une
tournée au Canada durant la 5e semaine annuelle
contre l’apartheid israélien.
Ali Mustafa : Pourquoi qualifiez-vous Israël d’État
d’apartheid et en quoi est-il semblable ou différent de
l’Afrique du Sud de l’apartheid?
Omar Barghouti: Le plus important ici, c’est que nous
n’ayons pas à prouver qu’Israël est identique à
l’Afrique du Sud de l’apartheid pour qu’il mérite l’étiquette
d’État d’apartheid. L’apartheid est un crime
généralisé selon les conventions de l’ONU, et il existe
des critères qui peuvent s’appliquer ou pas à telle ou
telle situation spécifique – on juge donc la situation
dans un État au cas par cas en fonction de la façon
dont il remplit les conditions pour être qualifié d’État
d’apartheid. Selon les conventions de l’ONU qui définissent
l’apartheid, Israël satisfait à presque toutes
les conditions requises. Outre la séparation raciale
nette dans la Cisjordanie occupée entre Juifs et non-
Juifs (les Palestiniens indigènes) – routes séparées,
habitations séparées, tout est séparé – l’apartheid se
porte très bien en Israël même, malgré les apparences
trompeuses. La version israélienne de l’apartheid est
plus sophistiquée qu’en Afrique du Sud : c’est une
forme d’apartheid évoluée. L’apartheid sud-africain
135
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page135
était rudimentaire, étriqué, primitif, pour ainsi dire –
les Noirs, les Blancs, une séparation nette, aucun
droit… Les citoyens palestiniens d’Israël (la population
indigène) ont le droit de vote, ce qui constitue une
différence énorme par rapport à l’Afrique du Sud ;
mais pour ce qui est des autres dimensions essentielles
de la vie, ils font l’objet d’une discrimination,
non seulement en pratique, mais inscrite dans la loi.
C’est donc un système légitimé et institutionnalisé de
racisme qui permet à un groupe racial d’en dominer
un autre, et c’est ce qui constitue l’apartheid. Même les
rapports du Département d’État américain sur les
droits de l’homme ont condamné à plusieurs reprises
la «discrimination institutionnelle, légale et sociétale»
d’Israël à l’encontre de sa minorité «non juive». Le
racisme existe aussi au Canada et dans d’autres démocraties
occidentales, mais il n’y est pas institutionnalisé
et légitimé. C’était le cas dans le sud des États-Unis
à l’époque des lois Jim Crow qui distinguaient les
citoyens selon leur appartenance raciale, mais aujourd’hui
on ne peut plus parler d’apartheid aux États-
Unis, au sens légal, malgré la permanence du racisme
sous d’autres formes, indirectes.
En Israël, il y a des lois fondamentales, l’équivalent
d’une constitution (Israël n’a pas de constitution), qui
instituent une discrimination nette entre Juifs et non-
Juifs… Le droit le plus important qui est accordé aux
Juifs seuls est le droit automatique à la citoyenneté
et à la nationalité pour tous les immigrants. Il n’y a
pas de nationalité «israélienne» reconnue officiellement
mais il y a une «nationalité juive» – les Palestiniens
en tant que citoyens ne peuvent jamais avoir la
nationalité israélienne parce que cette nationalité
n’existe pas, tandis que les réfugiés palestiniens victimes
du nettoyage ethnique depuis 1948 n’ont pas le
droit de revenir dans leur foyer d’origine, comme le
prévoient les lois internationales, pour la simple rai-
136
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page136
son qu’ils ne sont pas juifs. C’est le type d’apartheid
que nous vivons en Israël.
Un autre point très important est le fait que 93 %
du territoire israélien est interdit d’accès aux citoyens
non juifs. Si ce n’est pas de l’apartheid, je ne sais pas
ce qui l’est. Même en Afrique du Sud, la part du territoire
interdite aux Noirs était de 86 %, moins qu’en
Israël… Mais bien sûr, beaucoup de spécialistes vous
diraient que l’occupation, la colonisation et le déni du
droit des réfugiés par Israël sont bien pires que tout ce
qui s’est passé en Afrique du Sud, ce qui est vrai –
l’Afrique du Sud n’a jamais bombardé les bantoustans
avec des F 16, par exemple; elle n’a jamais connu
ces niveaux de violence massive, continue, les sièges
et les massacres dignes du Moyen Âge. Bien sûr, il y a
eu Sharpeville, les massacres de Soweto, etc., mais
tout cela est presque dérisoire à côté de ce qu’Israël a
fait aux Palestiniens – et je ne fais là que répéter le
témoignage de Desmond Tutu, de Ronnie Kasrils et
de nombreux leaders sud-africains qui savent de quoi
ils parlent.
AM: L’un des aspects les plus controversés de la campagne
BDS est bien sûr le boycott universitaire. Pouvez-
vous expliquer précisément ce que cela signifie
et pourquoi les institutions universitaires israéliennes
sont, comme vous l’affirmez, un prolongement fondamental
de l’État et de la politique israéliens?
OB: L’appel au boycott universitaire lancé par la Campagne
palestinienne pour le boycott universitaire et
culturel d’Israël (PACBI) en 2004 est un appel au boycott
institutionnel – il s’adresse donc à tous les universitaires
et toutes les institutions universitaires
disposés à boycotter les institutions universitaires
israéliennes en raison de leur complicité profonde et
durable dans l’occupation et les autres formes d’oppression
israéliennes. Mais qu’entendons-nous par
137
«Les boycotts marchent »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page137
complicité, le sens de ce terme étant assez fluctuant?
Dans le cas d’Israël, la complicité d’une université
prend un autre sens. Au Canada, par exemple, les
principales universités sont sans doute complices de la
politique canadienne, d’autant qu’elles sont financées
par l’État, exactement comme en Israël (toutes les
universités israéliennes sont financées par l’État) mais
la différence, c’est qu’en Israël, elles sont toutes dans
un partenariat étroit avec l’appareil militaro-sécuritaire,
si bien que la plupart des armes créées par l’armée
israélienne sont développées dans les universités,
que la plupart des travaux de recherche justifiant la
répression et le déni des droits des Palestiniens sont le
fait d’universitaires encadrés par des programmes de
recherche, que les principaux projets de colonisation
qui sont considérés comme des crimes de guerre par
les institutions internationales ont été mis au point
dans les universités. Il y a de nombreux exemples précis
– le mur, par exemple, a été créé dans un environnement
universitaire; un professeur de l’université
d’Haïfa affirme que c’était son idée. Et il n’y a aucune
raison de ne pas le croire car il a donné naissance à
d’autres projets qui ont joué un grand rôle dans le
nettoyage ethnique en Israël même. À tous les niveaux,
il y a donc une complicité profondément enracinée
entre l’université israélienne et l’appareil militarosécuritaire.
Par ailleurs, tous les universitaires israéliens, comme
tous les adultes d’une certaine classe d’âge, servent
dans l’armée de réserve d’occupation. Ils servent donc
comme soldats d’occupation pendant une partie de
l’année. Trois mois par an, chacun d’eux part servir
comme il se doit dans l’armée… Imaginez que vous
quittez votre université, vos recherches, vous quittez
tout et vous allez servir à un barrage routier, ou pire.
Pendant cette période, soit vous participez activement
à des violations des droits de l’homme et à des crimes
138
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page138
de guerre, soit vous en êtes le témoin apathique et
silencieux. Dans les deux cas, vous êtes complice,
même au niveau individuel. Non seulement les universités
tolèrent cela, mais elles l’encouragent – ça
fait partie du système. Malgré cela, nous n’appelons
pas à boycotter les universitaires mais les institutions
universitaires, pour la seule raison que si notre boycott
était individuel, il serait maccarthyste, il impliquerait
une forme de maccarthysme ou d’examen
politique : qui est bon, qui est mauvais et qui décide
de cela? Nous y sommes opposés par principe.
AM: Un argument qui revient fréquemment à l’encontre
de la campagne BDS est que le dialogue serait
plus constructif que les boycotts. Comment répondezvous
à cela?
OB: Du point de vue des faits comme de la logique,
cet argument est faux. Pour les faits, il y a eu de très
nombreuses tentatives de «dialogue» depuis 1993 et
le lancement du «processus de paix» d’Oslo. Il y a eu
de nombreuses organisations et initiatives pour le dialogue
sur le terrain; c’est devenu une industrie – c’est
ce que nous appelons «l’industrie de la paix». Vous
pouviez devenir riche très vite en participant à un de
ces groupes de dialogue, et en plus, ça vous donnait
l’opportunité de voyager en Europe et de dormir dans
de grands hôtels, mais pour ce qui est de faire progresser
la cause d’une paix juste et de la fin de l’oppression,
cela n’a eu absolument aucun résultat
concret. La raison principale de cet échec tient au fait
que cette industrie de la paix se fonde sur le principe
erroné que ce qu’on appelle le conflit est avant tout le
résultat d’une haine mutuelle, et qu’il faut donc une
sorte de thérapie ou de dialogue entre ces deux parties
en guerre équivalentes, symétriques, pour ainsi
dire… Mettez-les dans une pièce, poussez-les ou forcezles
à se parler et elles tomberont amoureuses, la haine
139
«Les boycotts marchent »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page139
disparaîtra et vous aurez votre fable à la Roméo et
Juliette. Bien sûr, c’est une représentation trompeuse
et malhonnête dans la mesure où il s’agit d’un conflit
colonial – ce n’est pas une scène de ménage entre un
mari et sa femme. C’est un conflit colonial qui repose
sur le nettoyage ethnique, le racisme et l’apartheid. Si
on n’élimine pas ce qui est à la base du conflit, il ne
peut pas y avoir de coexistence, du moins pas de coexistence
éthique.
Il y a beaucoup d’autres problèmes liés à l’industrie
du dialogue qui tiennent au fait qu’entre des parties
asymétriques, il ne peut pas y avoir un dialogue mais
des négociations. Pour qu’il y ait dialogue, il faut un
dénominateur commun ou une vision commune d’une
solution fondée sur la liberté, l’égalité, la démocratie
et la fin de l’injustice. Si ce dénominateur commun
n’existe pas, il y a alors négociation entre la partie la
plus forte et la plus faible, et comme je l’ai écrit
ailleurs, il ne peut pas y avoir de passerelle entre elles
mais seulement une échelle sur laquelle on peut monter
ou descendre – il n’y a pas de passage d’un côté
à l’autre. C’est ce que j’appelle une coexistence de
type maître/esclave – c’est également une forme de
«paix». Un maître et un esclave peuvent parvenir à un
accord au terme duquel l’asservissement est accepté
comme une réalité que l’on ne peut pas remettre en
question, dont on ne peut que s’efforcer de tirer le
meilleur parti… Il n’y a pas de guerre, pas de conflit,
personne ne tue personne, mais le maître reste le
maître et l’esclave reste l’esclave. Ce n’est pas le type
de paix que nous, les opprimés, recherchons. La paix
doit au minimum se fonder sur la justice et le respect
total des droits de l’homme. Seule la justice garantira
une paix durable. Le dialogue entre les oppresseurs
et les opprimés ne peut pas marcher s’il n’y a pas
d’accord sur le fondement de la justice. Ça n’a pas
marché dans les faits et ça ne marche pas dans les
140
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
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principes. En revanche, les boycotts marchent dans
les faits et dans les principes. Il n’y a absolument
aucune raison pour qu’ils ne fonctionnent pas. L’impunité
totale dont bénéficie Israël grâce au soutien
officiel des pays occidentaux dans tous les domaines
(économique, culturel, universitaire, etc.) signifie que
si on ne lui fait pas payer davantage son système d’oppression
par des campagnes de pression concertées
de la société civile, il n’abandonnera jamais, il ne nous
accordera jamais aucun de nos droits.
AM: Bien sûr, il y a le précédent historique de l’apartheid
en Afrique du Sud, mais y a-t-il eu dans l’Histoire
d’autres formes de résistance non-violente – pas
forcément des boycotts – dont les campagnes PACBI
et BDS ont pu s’inspirer?
OB: Oui, il y a la résistance civique, ou non-violente,
en Palestine même. Depuis cent ans, bien avant
l’Afrique du Sud, notre propre histoire est enracinée
dans la résistance civique. En cent ans de conquête
de la Palestine par les colonies de peuplement, nous
avons résisté au sionisme principalement par la résistance
civique, et non par la résistance armée, contrairement
au mythe très répandu selon lequel la
résistance palestinienne est uniquement une résistance
armée. Ce n’est pas vrai. Pendant plus de cent
ans, les Palestiniens ont utilisé pour résister des
moyens culturels et artistiques, des grèves, des manifestations,
des boycotts fiscaux, des organisations de
femmes, des syndicats, etc. La majorité des Palestiniens
étaient engagés dans des formes de résistance
non-violente avant Gandhi et l’Afrique du Sud.
AM: De nombreux universitaires, même quand ils
soutiennent la cause palestinienne, affirment que le
boycott universitaire menace le principe des libertés
académiques. Que pensez-vous de cette affirmation?
141
«Les boycotts marchent »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page141
OB: Elle est très tendancieuse, dans la mesure où elle
privilégie les libertés académiques des Israéliens sur
toutes les autres. Ceux qui soutiennent cette position
ignorent totalement que, en déniant aux Palestiniens
leurs droits fondamentaux, Israël porte aussi profondément
atteinte à leurs libertés académiques. On dirait
que cela ne compte pas. On n’a pas entendu ces progressistes
protester quand Israël a fermé les universités
palestiniennes pendant la première Intifada –
l’université de Beir Zeit a été fermée quatre ans de
suite, par exemple. On n’a pas entendu ces gens qui
n’ont que les libertés académiques à la bouche crier au
scandale à l’époque. Sont-elles un privilège des
Blancs? Y avons-nous droit, nous autres citoyens du
Sud ? Sommes-nous des êtres humains égaux ? Ces
gens sont donc hypocrites ou racistes, je suis désolé
de le dire… Ils sont hypocrites dans la mesure où ils ne
s’intéressent aux libertés académiques que pour les
Israéliens, qui sont considérés comme blancs, européens,
juifs, civilisés, et pas pour nous, Palestiniens, qui
sommes vus comme des gens du Sud, des basanés…
Ceci pour le niveau théorique… En principe, le boycott
universitaire auquel PACBI appelle et que tous
nos partenaires adoptent est un boycott institutionnel.
Il n’empiète donc pas sur les droits et les privilèges
qu’ont les universitaires israéliens de sortir de
leur pays, de participer à des conférences, etc., tant
que ce n’est pas le résultat d’un lien institutionnel.
Nous appelons à rompre tous ces liens institutionnels
et non pas à empêcher des universitaires, des artistes
ou des figures du monde de la culture de répondre à
des invitations et de participer à des événements. Ils
peuvent le faire, ils le font et cela ne s’arrêtera pas.
Il est donc particulièrement hypocrite et trompeur de
dire que le boycott universitaire est une entrave aux
libertés académiques.
142
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page142
AM: Certains disent même qu’un tel boycott universitaire
pourrait au contraire accroître les libertés académiques
des universitaires israéliens. Pouvez-vous
développer un peu ce point?
OB: Oui, le professeur Oren Ben-Dor, par exemple,
qui est un philosophe israélo-britannique qui soutient
le boycott, a défendu ce point de vue dans un article il
y a quelques années. Il disait qu’en réalité, il n’y a pas
de libertés académiques en Israël dès qu’on aborde
des sujets tabous comme l’histoire du conflit (le nettoyage
ethnique, la Nakba, les lois différentes pour
les Juifs et les Arabes à l’intérieur de l’État d’Israël).
Il y a certaines questions qui sont intouchables dans
l’université israélienne. L’argument d’Oren Ben-Dor
était que le boycott universitaire forcerait les universitaires
et les universités à parler de ces questions
taboues. Donc, en un sens, le boycott a en effet défendu
un certain niveau de libertés académiques qui n’existait
pas en Israël.
AM: Ma question suivante va dans le même sens. Un
autre argument qui revient fréquemment chez les
détracteurs de la campagne BDS est que la paix ne
sera possible qu’à partir du moment où le Hamas cessera
de lancer des roquettes sur Israël. Que répondez-
vous à cela?
OB: Par où commencer ? Bon, commençons par la
Cisjordanie. En Cisjordanie, il y a un gouvernement
palestinien très obéissant qui soutient totalement
Israël dans toutes ses décisions. Israël obtient le soutien
immédiat de l’Autorité Palestinienne (AP) de
Ramallah, qui est une autorité non élue imposée par
un général américain, bien qu’elle n’ait même pas
réussi à arrêter la construction du mur (qui a été
déclaré illégal par la Cour internationale de justice
de La Haye), ni l’implantation de nouvelles colonies
(qui ont également été déclarées illégales au terme
143
«Les boycotts marchent »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page143
de la Quatrième Convention de Genève), ni les postes
de contrôle (il y a près de 700 barrages routiers et
postes de contrôle qui entravent la liberté de mouvement
des Palestiniens), ni la confiscation de terres,
ni les massacres aveugles (y compris d’enfants), ni
l’emprisonnement des prisonniers politiques, ni
aucune autre mesure répressive conçue pour perpétuer
un nettoyage ethnique de la population indigène
palestinienne de façon très lente et progressive, mais
constante, en particulier dans les territoires occupés
dans Jérusalem même et autour. On n’a donc pas vu
de différence dans la répression entre la Cisjordanie
et Gaza, avant le siège et la dernière guerre d’agression
bien sûr. Donc, avec ou sans le Hamas, la politique
d’oppression généralisée d’Israël ne change
presque pas. En Cisjordanie, le Hamas n’est pas au
pouvoir – c’est l’AP, soutenue par Israël et les États-
Unis – et pourtant, Israël poursuit sa politique de
colonisation et de racisme. La question de savoir si
le Hamas accepte le droit à l’existence d’Israël en
tant qu’État juif et s’il accepte les frontières de 1967
est totalement hors de propos. Israël ne reconnaîtra
jamais nos droits en tant que peuple à moins qu’il y
soit forcé. 61 ans d’expérience de l’oppression coloniale
sioniste et de l’apartheid nous ont appris qu’à
moins de résister par tous les moyens – notamment
par la résistance civique – pour qu’Israël devienne
une sorte de paria aux yeux du monde, comme l’était
l’Afrique du Sud pendant les années 1980, nous
n’avons aucune chance de faire progresser la perspective
d’une paix juste.
AM: Vous avez dit souvent dans vos écrits que vous
souhaitiez voir se réaliser dans la Palestine historique
un État binational, laïc, démocratique…
OB: Pas un État binational ! Je suis totalement opposé
au « binationalisme » dans notre contexte. Un État
144
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page144
laïc, démocratique, oui, mais pas binational. Il y a une
grande différence.
AM: D’accord, peut-être pouvez-vous m’expliquer ce
point… Un État laïc, démocratique, où les Palestiniens
et les Juifs peuvent vivre ensemble égaux devant la
loi. Indépendamment du fait que la politique israélienne
ait rendu très improbable une solution à deux
États viable et du pseudo-consensus international,
que pensent réellement les gens sur le terrain en
Palestine sur cette question?
OB: Tout d’abord, je dois dire que le mouvement BDS
ne prend pas position sur la solution politique. C’est
une approche fondée sur les droits, pas sur la solution.
Je suis complètement et catégoriquement opposé
au binationalisme comme solution à la question de la
Palestine car cela laisse supposer qu’il existe deux
nations qui ont un droit moral égal sur le territoire et
que nous devons donc satisfaire leur droit à toutes les
deux. J’y suis totalement opposé mais ce serait trop
long d’expliquer pourquoi. Je m’en tiendrai donc au
modèle que je soutiens, qui est celui d’un État laïc,
démocratique : une personne, un vote, indépendamment
de l’ethnie, de la religion, de la nationalité, du
genre, etc. Pleine égalité devant la loi, en incluant les
réfugiés – cela doit se baser sur le droit au retour des
réfugiés palestiniens dans leur foyer d’origine, conformément
aux résolutions de l’ONU. En d’autres termes,
je souhaite un État laïc, démocratique, qui puisse
concilier nos droits inaliénables en tant que Palestiniens
indigènes et les droits acquis des Juifs israéliens
en tant que colons. Pourquoi est-ce que je
considère cela comme la meilleure solution ? C’est
bien évidemment la solution la plus morale dans la
mesure où elle traite les gens comme des êtres
humains égaux. La solution à deux États est non seulement
impossible maintenant – Israël en a fait une
145
«Les boycotts marchent »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page145
chimère absolument irréalisable – mais c’est surtout
une solution immorale. Au mieux, elle satisferait certains
des droits des Palestiniens des territoires occupés
en Cisjordanie et à Gaza tout en ignorant la
majorité des Palestiniens – les exilés, les réfugiés, les
citoyens palestiniens d’Israël. Il y a trois composantes
du peuple palestinien. Tant que vous n’aurez pas satisfait
les exigences de justice fondamentales pour ces
trois composantes, nous n’aurons pas exercé notre
droit à l’autodétermination. La seule façon dont nous
pouvons exercer notre droit à l’autodétermination,
sans imposer à nos oppresseurs une injustice inutile,
c’est d’avoir un État laïc, démocratique, dans lequel
personne n’est rejeté à la mer, personne n’est renvoyé
en Pologne et personne n’est maintenu enfermé
dans des camps de réfugiés. Nous pouvons coexister
de manière éthique si nos droits inaliénables nous
sont rendus.
Maintenant, pour en revenir à votre question, sur
le terrain, il n’y a aucun parti politique aujourd’hui
en Palestine ou parmi les exilés palestiniens qui
défende la solution d’un État laïc et démocratique.
Malgré cela, des sondages en Cisjordanie et à Gaza
ont montré depuis plusieurs années que cette solution
avait la faveur de 25 à 30 % de la population.
Deux sondages en 2007 ont montré que les deux tiers
de la population soutenaient une solution à un seul
État, quelle qu’elle soit – certains souhaitent un État
purement palestinien, sans Israéliens. En exil, cette
proportion s’accroît encore puisque les réfugiés et les
gens qui se battent pour le droit au retour de ces derniers,
comme moi, savent qu’on ne peut pas concilier
le droit au retour et une solution à deux États. C’est le
gros problème que tout le monde refuse de voir. Un
retour des réfugiés provoquerait la transformation
radicale d’Israël d’État juif ethnocentrique en véritable
démocratie fondée sur la justice et l’égalité. Le
146
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page146
droit au retour est un droit fondamental qui ne peut
pas être retiré ; il est inaliénable. La solution à deux
États n’a jamais été morale et elle n’est de toute façon
plus envisageable – c’est devenu impossible avec toutes
les colonies israéliennes. Il faut donc se tourner vers
la solution plus morale qui considère tous les individus
comme égaux devant la loi, qu’ils soient juifs-israéliens
ou palestiniens.
AM: On entend beaucoup d’universitaires et d’intellectuels
comme Noam Chomsky et Norman Finkelstein
dire que la solution à deux États représente le
«consensus international» et que la solution à un État
du type de celle dont vous parlez est irréaliste. Que
répondez-vous à cela?
OB: Le siège de Gaza est également une expression
du consensus international – il n’est pas juste pour
autant. C’est une machination internationale, un crime
de guerre. C’est un crime contre l’humanité, malgré le
soutien de l’ONU et de toutes les grandes puissances.
Je trouve incroyable que des militants, et des intellectuels
qui sont considérés comme militants, soutiennent
le consensus international quand ça les
arrange, et pas dans les autres cas. Lorsque le professeur
Chomsky s’est élevé contre l’occupation indonésienne
du Timor oriental, le consensus international
était en faveur de l’Indonésie. Aucune personnalité
du monde intellectuel ne s’était prononcée avant lui
en faveur de la liberté du Timor oriental. Chomsky fut
le premier et à lui seul, il a fait pression pour mettre
cette question à l’ordre du jour, ce qui a mené à l’actuelle
autonomie et à la semi-indépendance du Timor
oriental. Le consensus international signifie souvent
que les grandes puissances se mettent d’accord pour
perpétuer un ordre injuste parce que cela convient à
leurs intérêts. Ça ne veut pas dire que l’on doive l’accepter.
On doit lutter pour changer cela et cette lutte
147
«Les boycotts marchent »
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page147
se joue sur le terrain. En défendant la solution la plus
morale, nous faisons le pari de pouvoir obtenir le soutien
de tous dans le monde entier – à l’exception de
ceux qui tiennent à ce qu’Israël demeure cet État
raciste ethnocentrique qu’il est, un État d’apartheid
évolué.
* Ali Mustafa est journaliste indépendant, écrivain et militant des médias. Il est
membre de la Coalition Against Israeli Apartheid (CAIA) et habite actuellement à
Toronto, Canada.
148
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page148
Plus jamais contre!
La complicité de l’Europe dans le long génocide
israélien
Electronicintifada.net, le 21 janvier 2008.
L’Union européenne tient une position unique de complicité
avec les crimes de guerre d’Israël et ses violations
des droits humains. Outre le silence et
l’apathie devant le «génocide lent» mené contre les
Palestiniens, Israël et ses institutions sont les bienvenus
dans la plupart des pays européens, accueillis
avec chaleur et générosité dans tous les domaines,
économique, culturel, académique, sportif…
L’Union européenne, le principal partenaire commercial
d’Israël, regarde impassiblement cet État renforcer
son siège barbare autour de Gaza, infligeant
une punition collective à un million et demi de civils
palestiniens condamnés à la désolation et condamnant
des centaines de patients cardiaques ou nécessitant
une dialyse rénale, les bébés prématurés et tous
ceux dont la survie dépend de l’alimentation électrique
à une mort imminente.
En gelant l’approvisionnement en carburant et en électricité
à Gaza, Israël, la puissance occupante, garantit
avant tout que l’eau «pure» – façon de parler, puisqu’après
des décennies d’abus israéliens, l’eau de Gaza
est sans doute la plus polluée de toute la région – ne
sera pas pompée et distribuée dans les foyers et les
institutions ; que les hôpitaux ne pourront pas fonctionner
correctement, ce qui entraînera la mort de
149
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page149
nombreux patients, à commencer par les plus vulnérables;
que les quelques usines qui fonctionnent encore
malgré le siège seront forcées de fermer, augmentant
encore un taux de chômage déjà extrêmement élevé;
que l’épuration des eaux usées sera interrompue,
aggravant encore la pollution des précieuses réserves
d’eau de Gaza; que les universités et les écoles ne pourront
plus assurer leurs services ; et que la vie de tous
les civils sera considérablement perturbée, voire irréversiblement
compromise. Et l’Europe regarde sans
rien faire.
Avant même cette coupure de l’approvisionnement
énergétique, Richard Falk, professeur à l’Université
de Princeton, désignait ce siège comme «un prélude
au génocide ». Aujourd’hui, les crimes israéliens à
Gaza peuvent réellement être définis comme des actes
de génocide, un génocide lent mais un génocide. Selon
l’Article II de la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide adoptée par l’ONU
en 1948, le terme s’entend comme :
l’un des actes ci-après, commis dans l’intention de
détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale
de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions
d’existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle […]
À l’évidence, le siège hermétique qu’Israël inflige à
Gaza, conçu pour tuer, pour porter gravement atteinte
à l’intégrité physique ou mentale et pour soumettre
intentionnellement ses occupants à des conditions
d’existence devant entraîner leur destruction phy-
150
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page150
sique totale ou partielle peut être qualifié, si ce n’est
de génocide complet, d’acte de génocide. Et l’Union
européenne garde un silence méfiant.
Mais pourquoi accuser spécialement l’Europe de complicité
dans ce crime alors que, quasiment sans exception,
dans l’ensemble de la communauté internationale,
personne n’a levé le petit doigt, et que l’obséquieux
secrétaire général de l’ONU, qui a dépassé tous ses
prédécesseurs en servilité à l’égard du gouvernement
américain, se contente de déclarations minimales
pathétiques? Et pourquoi ne pas parler du gouvernement
américain lui-même, le soutien le plus généreux
d’Israël, directement impliqué dans le siège actuel,
notamment depuis que le président George Bush, lors
de sa récente visite, a donné le feu vert à peine discret
au premier ministre israélien Ehud Olmert pour qu’il
dévaste Gaza ? Pourquoi ne pas accuser les frères
arabes des Palestiniens, notamment l’Égypte, le seul
pays qui pourrait immédiatement rompre le siège en
rouvrant le point de passage de Rafah pour rétablir
l’approvisionnement en carburant, en électricité et en
matériel d’urgence? Enfin, pourquoi ne pas accuser
l’Autorité palestinienne de Ramallah, dont le chef soumis
et sans vision a osé se vanter dans une conférence
de presse de son «accord total» avec Bush sur toutes
les questions importantes?
Après Israël, les États-Unis sont certainement les plus
coupables. Sous l’influence d’une idéologie fondamentaliste,
militariste et néo-conservatrice qui a pris
la barre du pouvoir et d’un lobby sioniste omnipotent
dont l’emprise sur celui-ci est sans précédent, les
États-Unis sont dans une classe à part. Il va sans dire
que l’AP, l’ONU, et les gouvernements des pays arabes
et du reste du monde, pour lesquels les affaires avec
Israël continuent comme si de rien n’était, devraient
151
Plus jamais contre!
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page151
tous être jugés responsables de leur assentiment, direct
ou indirect, aux crimes contre l’humanité commis par
les Israéliens à Gaza. Il est également vrai que chacun
d’eux porte la responsabilité légale et morale d’intervenir
et d’appliquer tous les moyens de pression
nécessaires pour mettre un terme à ces crimes avant
qu’ils ne provoquent la mort de milliers de personnes.
Mais parmi eux, l’Union européenne a une position
toute particulière. Elle n’est pas seulement silencieuse
et apathique. Dans la plupart des pays d’Europe, Israël
et les institutions israéliennes sont accueillis avec chaleur,
générosité et déférence dans tous les domaines –
économique, culturel, universitaire, sportif, etc. Ainsi,
Israël était l’invité d’honneur d’un grand salon du livre
à Turin, en Italie. Des films financés par le gouvernement
israélien sont sélectionnés dans les festivals de
cinéma de tout le continent. Les produits israéliens,
depuis les avocats et les oranges jusqu’aux systèmes
de sécurité high-tech, inondent les marchés européens.
Les institutions universitaires israéliennes bénéficient
d’accords de coopération très lucratifs avec
leurs homologues en Europe. Les troupes de danseurs,
les groupes de musique et les orchestres israéliens
participent à des tournées et à des festivals européens
comme si Israël était non seulement un membre normal,
mais même un membre particulièrement choyé
du club des pays «civilisés». L’étreinte autrefois sans
panache de l’Europe officielle et d’Israël est devenue
une histoire d’amour au grand jour, aussi intense
qu’énigmatique.
Si l’Europe pense ainsi pouvoir se repentir du génocide
qu’elle a elle-même commis contre sa population juive,
elle est de fait en train de faciliter sciemment et scandaleusement
de nouveaux actes de génocide contre
le peuple de Palestine. Mais les Palestiniens ne comptent
pas autant, semble-t-il, puisque nous sommes
152
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page152
considérés non seulement par Israël, mais aussi par
ses bons vieux soutiens et alliés «blancs» comme des
êtres humains inférieurs, ou relatifs. Le continent qui
a inventé le génocide moderne et qui est responsable
du massacre, depuis deux siècles, de plus d’êtres
humains, pour la plupart des «humains relatifs», que
tous les autres continents réunis, couvre des crimes
qui rappellent, certes non quantitativement, mais qualitativement,
ses propres crimes contre l’humanité.
Il n’est sans doute pas de dossier international où les
dirigeants européens puissent être accusés d’être à
ce point coupés de leur opinion publique et indifférents
à ses préoccupations. Tandis que les appels au
boycott d’Israël font tache d’huile dans les syndicats et
les organisations de la société civile européenne, créant
un parallèle troublant avec la campagne de boycott
de l’Afrique du Sud durant le régime de l’apartheid, les
gouvernements européens ont de plus en plus de mal
à se détacher de la position américaine clairement
complice à l’égard d’Israël. Même ces clichés européens
que sont la «condamnation» et l’expression de
« vives inquiétudes » se font plus rares que jamais
aujourd’hui. Par ailleurs, les violations incessantes de
la juridiction européenne sur les droits de l’homme
commises par Israël sont totalement ignorées chaque
fois que quelqu’un demande si Israël doit continuer
à bénéficier de généreux accords de coopération avec
l’Union européenne malgré l’occupation militaire, la
colonisation et un passif considérable en matière de
non-respect des droits de l’homme des Palestiniens.
Si ce n’est pas de la complicité, qu’est-ce qui l’est?
Indépendamment de la dimension morale, plonger
Gaza dans la pénombre, la pauvreté, le désespoir et
la mort n’est pas un bon calcul pour l’Europe. En
appuyant activement une politique qui mène à l’essor
153
Plus jamais contre!
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page153
du fanatisme et de la violence désespérée près de ses
frontières, l’Europe risque bêtement de se retrouver
avec le chaos à sa porte. Faute d’écouter les appels
au boycott, au désinvestissement et aux sanctions lancés
par la quasi-totalité de la société civile palestinienne,
ou au moins d’y réfléchir sérieusement, elle
aura peut-être affaire bientôt à des sources incontrôlables
de violence irrationnelle et aveugle.
Les élites européennes semblent aujourd’hui déterminées
à ne jamais s’opposer à Israël, quels que soient
les crimes qu’il commet, comme si elles réinterprétaient
à leur manière – on ne peut plus hypocrite – le
fameux « Plus jamais ça ! » des survivants juifs du
génocide européen en «Plus jamais contre !»
154
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page154
Boycotter les produits des colonies israéliennes :
tactique et stratégie
Electronicintifada.net, le 11 novembre 2008.
Le boycott des produits des colonies israéliennes dans
les territoires palestiniens occupés n’est pas une fin
en soi mais un temps tactique, le but étant le boycott
de tous les produits en provenance d’Israël.
Selon des nouvelles récentes, certaines compagnies
internationales quittent les territoires palestiniens
occupés pour s’installer à l’intérieur des frontières
israéliennes de 1967. Cela peut donner l’impression
que le boycott des produits provenant des colonies
israéliennes illégales devient massif, et qu’il s’agit là
d’une victoire importante pour le mouvement BDS.
Mais bien que ce développement doive en effet être
salué, il faut faire une distinction: si ce boycott limité
est pris comme une tactique permettant d’ouvrir la
voie vers un boycott généralisé, il peut en effet aider
certains pays à prendre conscience de l’apartheid et
du caractère colonial du régime israélien; mais si ce
boycott limité est considéré comme une fin en soi,
malgré son intérêt il entre en contradiction directe
avec les objectifs qui sont ceux de BDS.
Récemment, la compagnie suédoise Assa Abloy, sensible
aux appels de l’Église et d’autres organisations
importantes de Suède, a décidé de retirer son usine
Multi-Lock de la zone industrielle de la colonie de
Barkan, en Cisjordanie, pour l’installer quelque part
en Israël. Elle suivait le mouvement des Barkan Wine-
155
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page155
ries, société en partie hollandaise, qui avait déjà quitté
Barkan pour le kibboutz Hulda. (Que ce kibboutz soit
implanté sur le site d’un village palestinien ethniquement
nettoyé en s’appropriant son nom – Khulda
– n’a pas été jugé digne d’être mentionné dans les
documents accusant l’entreprise vinicole de violer la
loi internationale.)
Il y a plus : la semaine dernière, l’Independent de
Londres indiquait que le gouvernement britannique
avait décidé de «mettre un frein aux exportations
provenant des colonies israéliennes », en raison du
fait qu’Israël viole constamment ses engagements
commerciaux avec l’Union européenne, qui prévoient
des exemptions douanières uniquement pour les produits
fabriqués en Israël même et non pour ceux qui
proviennent des colonies dans les territoires occupés.
Car, conformément aux résolutions des Nations
unies et aux lois internationales, le Royaume-Uni et
ses partenaires de l’Union européenne – comme
d’ailleurs presque tous les pays – tiennent les colonies
israéliennes pour illégales et les considèrent
même comme des crimes de guerre selon la 4e
convention de Genève. Et c’est pourquoi ils refusent
d’accorder un privilège douanier à leurs produits.
En réalité, depuis des dizaines d’années les pays de
l’Union européenne détournent les yeux quand Israël
exporte les produits des colonies en les présentant
comme produits israéliens. Par le passé, Israël a
accepté d’indiquer sur ses produits exportés vers
l’Union européenne leur origine géographique. Mais
les Anglais accusent les compagnies israéliennes
implantées dans les colonies d’éviter cette contrainte
en s’enregistrant à l’intérieur d’Israël, ce qui leur
permet d’effacer la différence entre produits des
colonies et produits israéliens. Désormais, à la suite
d’une intense mobilisation des organisations de
défense des droits de l’homme anglaises et palesti-
156
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page156
niennes, et des progrès de la campagne pour le boycott
d’Israël en Grande-Bretagne qui a atteint la tour
d’ivoire de l’Université comme les principaux syndicats,
il semble que le gouvernement britannique ait
enfin décidé de s’élever contre ces pratiques israéliennes
évidemment illégales, et d’agir avec ses partenaires
européens pour y mettre fin.
Mais le mouvement BDS – dont les objectifs sont
plus ambitieux que ceux du gouvernement anglais –
considère que l’interdiction d’importer les produits
des colonies n’est qu’une étape vers le boycott de tous
les produits israéliens. D’un simple point de vue pratique,
il est extrêmement difficile, on l’a vu, de faire
la différence entre ce qui provient des colonies et d’Israël
même, puisque la plupart des compagnies sont
basées à l’intérieur d’Israël. La plupart des produits
organiques proviennent des colonies et sont ensuite
conditionnés et commercialisés en Israël. Ce type de
fraude, très fréquent, repose sur des bases moins
techniques que politiques: la complaisance de l’Union
européenne, le traitement d’Israël comme un État
au-dessus des lois internationales.
Politiquement parlant, même s’il était possible de
distinguer produits des colonies et produits israéliens,
ceux qui préconisent le boycott limité aux colonies se
comportent comme s’ils s’opposaient uniquement à
l’occupation militaire datant de 1967, comme s’ils
n’avaient pas de problème avec la politique d’apartheid
menée par Israël à l’encontre de ses citoyens
non juifs, ni avec le refus du retour des réfugiés, pourtant
réclamé par les Nations unies. Les points faibles
de cette position sont pourtant clairs. Quand un pays
X occupe un autre pays Y et viole de façon constante
les résolutions des Nations unies qui l’enjoignent de
cesser cette occupation, la communauté internationale
cherche à punir le pays X et non pas l’un ou
l’autre des effets de l’occupation. Y a-t-il jamais eu
157
Boycotter les produits des colonies israéliennes
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page157
un mouvement appelant à boycotter seulement les
bantoustans en Afrique du Sud? Ou seulement l’armée
soudanaise présente au Darfour ? Les militants
des droits de l’homme au Tibet réclament-ils un boycott
limité aux produits chinois fabriqués au Tibet?
Oublions un instant qu’Israël a été fondé sur le nettoyage
ethnique et la destruction de la société palestinienne.
L’État d’Israël est totalement responsable
de la construction et du maintien des colonies dans
les territoires occupés. Pourquoi punir seulement les
colonies ?
Malgré toutes leurs bonnes intentions, ceux qui
défendent la cause d’une paix juste en Palestine tout
en acceptant cette distinction ne font que reconnaître
l’exception israélienne, le statut d’Israël comme État
au-dessus des lois.
Pour finir, et c’est crucial, il y a là un problème
moral auquel il faut faire face. Si l’on décide d’ignorer
le déni du droit au retour des réfugiés et la discrimination
raciale exercée par Israël à l’encontre
de ses propres citoyens non juifs, cela équivaut à
accepter ces deux graves violations des droits de
l’homme et des lois internationales comme quelque
chose qui va de soi, comme un état de fait dont on
peut s’accommoder. Eh bien non, nous ne pouvons
pas nous en accomoder. Pourquoi la société civile
européenne, qui a combattu l’apartheid sud-africain,
considère-t-elle l’apartheid israélien comme normal,
tolérable, au-dessus de toute discussion? La culpabilité
de l’Europe vis-à-vis du génocide des Juifs ne
peut pas justifier moralement sa complicité dans la
prolongation des souffrances, du sang versé, de toutes
les injustices imposées depuis des dizaines d’années
par Israël aux Palestiniens et aux Arabes en général,
en prenant le génocide comme prétexte. Ce paradigme
doit être combattu et non pas accepté comme
un fait acquis.
158
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page158
Pour toutes ces raisons, le boycott des produits des
colonies, s’il peut être proposé dans certains
contextes, ne peut être qu’un premier pas vers le boycott
de tous les produits israéliens. Il ne peut pas
constituer le but ultime des militants qui luttent contre
l’apartheid israélien.
159
Boycotter les produits des colonies israéliennes
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page159
notre moment sud-africain est arrivé
Palestinechronicle.com, mars 2009.
Depuis l’agression israélienne sur Gaza, Israël est
considéré par la société civile du monde entier comme
un État paria qui viole en totale impunité les lois
internationales. En résulte le succès du mouvement
BDS, qui a franchi un seuil dans la sensibilisation de
l’opinion publique occidentale, rappelant aux militants
un moment comparable dans l’histoire de la
lutte contre l’apartheid sud-africain.
Tandis que les dernières élections israéliennes marquent
un virage vers une droite fanatique et raciste, les
Palestiniens sont soumis à une politique coloniale et à
un apartheid de plus en plus brutaux, destinés à les
pousser hors de leur patrie et à faire du vieux bobard
sioniste de «la terre sans peuple» une prédiction auto
réalisatrice (self-fulfiling prophecy). Mais parallèlement,
de nombreux indices montrent que la société
civile internationale en arrive à considérer Israël
comme un État paria qui se comporte au mépris des
lois internationales. Elle entre en action pour le punir
et l’ostraciser comme elle l’a fait pour l’Afrique du
Sud au temps de l’apartheid.
À Jérusalem, à Jaffa, à Hébron, dans la vallée du
Jourdain, dans le Nakab (Neguev), les communautés
palestiniennes sont soumises depuis quelque temps à
la pire campagne de nettoyage ethnique, dont le but
est de «judaïser» ces lieux. Kalilyia est étouffée par le
160
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page160
mur qui l’entoure presque entièrement, tandis que
Naplouse est soumise à un siège permanent. Il y a
quelques mois, les Palestiniens d’Acre ont subi une
attaque brutale de fondamentalistes juifs : l’un des
pires pogroms qu’on ait vu à l’intérieur même d’Israël
de mémoire récente. Mais c’est Gaza qui représente
le test pour notre commune humanité et notre
morale. L’analyse du rôle joué par les gouvernements
occidentaux et certains régimes arabes vis-à-vis des
crimes commis lors de l’attaque israélienne contre
Gaza montre un total fiasco sur ces deux plans. Tout
au long de cette atroce agression, l’Occident officiel, les
gouvernements de l’Égypte et de l’Arabie Saoudite,
l’Autorité palestinienne à Ramallah, l’obséquieuse
direction des Nations unies1, tous se sont conduits
comme des complices d’Israël dans sa violation des
lois internationales et du droit des gens le plus élémentaire.
Dans des termes qui s’appliquent parfaitement à
Israël, Robert Kagan, l’un des principaux idéologues
néoconservateurs, justifiait la tendance hégémonique
de son pays comme étant la prérogative du plus fort :
«Les États-Unis sont engagés dans l’histoire pour exercer
leur puissance dans un monde hobbesien où l’on ne
peut se fier aux lois et règles internationales, et où la
sécurité réelle, la défense et la promotion d’un ordre
libéral reposent sur la possession et l’usage de la puissance
militaire2.» C’est en suivant un tel paradigme
qu’Israël, depuis des dizaines d’années, a maintenu
un régime d’occupation, de colonisation et d’apartheid
sur le peuple palestinien grâce à « la possession et
l’usage de la puissance militaire », et aux largesses
inconditionnelles des puissances occidentales.
En contribuant au blocus illégal de Gaza, en soutenant
l’agression d’Israël contre Gaza, l’Union européenne
et plusieurs autres États occidentaux ont
atteint un nouveau stade de complicité, devenant
161
notre moment sud-africain est arrivé
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page161
ouvertement des partenaires à part entière d’une politique
israélo-américaine fondée sur la loi de la jungle.
Ils aident ainsi à réaliser la prophétie de Bush/Ben-
Laden: un monde chirurgicalement divisé en axe du
Bien et axe du Mal, chaque camp considérant l’autre
comme celui du Mal.
Face à cette alliance fatale du capitalisme sauvage
et du racisme-colonialisme israélien, le mouvement
BDS représente une forme progressiste, antiraciste3,
morale et efficace de résistance civile non violente.
Mais BDS peut aussi devenir le catalyseur politique
et l’ancrage moral d’un grand mouvement social international,
capable de réaffirmer les droits de tous les
êtres humains à la liberté, l’égalité et la dignité, et les
droits de toutes les nations à l’autodétermination.
Gaza: la complicité de l’Occident dans les crimes
de guerre
Dès 2007, Richard Falk, juriste international renommé,
enseignant à Princeton, qui était alors rapporteur spécial
de l’ONU pour les droits de l’homme dans les territoires
palestiniens occupés, qualifiait le blocus de
Gaza de prélude à un « génocide4 », et un peu plus
tard, d’«holocauste en préparation» (Holocaust in the
making5). Falk, qui est juif, expliquait que le siège de
Gaza était particulièrement préoccupant car il exprimait
clairement «une intention délibérée de la part
d’Israël et de ses alliés de soumettre toute une communauté
humaine à des conditions d’une extrême
cruauté mettant les vies en danger6».
Dans un langage plus diplomatique, Sarah Roy, spécialiste
du développement des territoires occupés à
Harvard, accusait l’Union européenne et les États-
Unis de complicité avec la politique israélienne délibérée
de « dé-développement » des territoires
palestiniens occupés, minant ainsi toute possibilité de
162
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page162
créer un État palestinien indépendant et souverain7. En
promettant aux Palestiniens «des bénéfices tangibles»,
l’Union européenne espérait les entraîner à des
concessions dans les prétendues « négociations de
paix ». Et Sarah Roy concluait : «La logique des lois
internationales a été abandonnée pour maintenir un
processus de paix défaillant.»
L’analyse du siège de Gaza – dont la population est
composée en majorité de réfugiés de 19488 – permet
de comprendre cette politique de dé-développement
qui est en fait une punition collective, comme le confirment
nombre de juristes. Durant ce siège qui dure
depuis 21 mois [en mars 2009], plus de 80 % des
Palestiniens de la bande de Gaza (1,5 million d’êtres
humains) en ont été réduits à dépendre pour leur survie
de l’aide humanitaire internationale; l’infrastructure
économique a été systématiquement détruite ;
95 % des usines ont dû fermer, portant la pauvreté et
le chômage à des niveaux pires que ceux de l’Afrique
subsaharienne ; le système d’éducation n’a pas pu
fonctionner normalement à cause du manque de fuel
et d’électricité pendant de longues périodes ; le système
de santé est au bord de l’écroulement, et des
centaines de patients sont morts faute d’avoir pu accéder
à des hôpitaux hors de Gaza.
Les effets du siège à long terme sont plus inquiétants
encore9. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la
malnutrition chronique et les maladies liées à l’alimentation
sont en alarmante augmentation; le poids
moyen des nouveau-nés a considérablement diminué;
plus des deux tiers des enfants de moins d’un an sont en
état d’anémie chronique; des maladies liées à la pollution
de l’eau de boisson ont commencé à se répandre.
Des milliers de gens, principalement des enfants, souffrent
de sérieux troubles de l’audition causés par l’utilisation
par Israël de bombes soniques, des semaines
durant. Toute une génération d’enfants palestiniens de
163
notre moment sud-africain est arrivé
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Gaza va éprouver de sérieux désordres physiques et
psychologiques dans les années à venir.
Devant les effets dévastateurs du siège de Gaza, le
commissaire général de l’UNWRA, Karen Abou Zayd,
écrit cette mise en garde:
Gaza est sur le point de devenir le premier territoire
à être intentionnellement réduit à un état
d’effroyable misère avec l’accord – certains
diraient même les encouragements – de la communauté
internationale. L’action humanitaire
ne saurait fonctionner dans un cadre où aucun
effort n’est fait pour résoudre le conflit ni pour
en traiter les causes sous-jacentes. De fait, l’action
humanitaire [à Gaza] est profondément
minée, dans un contexte de complicité active
avec ceux qui créent les conditions d’une souffrance
de masse10.
C’est cet aspect du siège, ce processus qui mène à
une mort lente des masses d’êtres humains et qui
met en danger le développement de toute une génération
d’enfants, qui a entraîné Falk à parler d’actes
de génocide.
Shulamit Aloni, ancienne ministre de l’Éducation du
gouvernement Rabin, a tiré la sonnette d’alarme il y
a longtemps : dès 2003, elle condamnait les atrocités
israéliennes, à un moment où elles étaient loin du
niveau atteint lors des récents massacres à Gaza:
Certes, il ne s’agit pas encore d’un génocide
comme celui, unique et terrible, dont nous avons
été les victimes dans le passé. Et comme me l’a
dit l’un de nos intelligents généraux, nous n’avons
pas de chambres à gaz ni de fours crématoires.
Existe-t-il quelque chose de plus éloigné de notre
éthique que cette remarque ? N’a-t-il jamais
164
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
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entendu parler d’un peuple entier prétendant qu’il
n’avait pas su ce qui se faisait en son nom11 ?
Les organisations de défense des droits de l’homme
présentes sur le terrain nous ont appris que pendant
les 23 jours de l’attaque israélienne sur Gaza, plus de
1400 Palestiniens ont été tués, dont 83 % étaient des
civils12 ; des milliers de maisons ont été détruites, de
même que la principale université, 45 mosquées, plusieurs
ministères y compris ceux de l’éducation et de
la justice, et quantité d’écoles13 ; un hôpital du Croissant
rouge et des dizaines d’ambulances14 ; des centaines
d’usines et d’ateliers. La Croix rouge internationale a
accusé Israël, sur un ton inhabituellement sévère, de
ne pas avoir donné de soins aux blessés et d’avoir
empêché les secours de les atteindre, les laissant saigner
à mort, en violation flagrante des lois internationales15.
Pendant les trois semaines qu’a duré cette
attaque, plus de 400 enfants palestiniens sont morts,
dont beaucoup par les brûlures causées par l’utilisation
illégale de bombes au phosphore.
Le jour du début de l’attaque, l’armée israélienne a
détruit massivement des infrastructures civiles et a
tué près de 400 civils palestiniens. Ce jour-là, aucun
Israélien n’a été tué. Pourtant, les dirigeants occidentaux
n’ont pas tardé à faire des déclarations sur
les pertes humaines et les souffrances « des deux
côtés», à accuser la résistance palestinienne de provoquer
les atrocités, et à absoudre Israël de toute responsabilité
sous prétexte de son «droit à se défendre».
Mais des juristes internationaux de premier plan ont
rejeté cet argument et ont accusé Israël de crimes de
guerre16. Le comité des droits de l’homme et le secrétaire
général de l’ONU ont demandé des enquêtes
impartiales et indépendantes. Amnesty International17,
Human Rights Watch18, B’Tselem, la principale
organisation pour les droits de l’homme en Israël19, la
165
notre moment sud-africain est arrivé
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Fédération internationale des droits de l’homme, le
réseau Euro-Méditerranée des droits de l’homme20
ont eux aussi accusé Israël de crimes de guerre, en
refusant l’argument de l’autodéfense.
Gerald Kaufman, député travailliste anglais, a comparé
certaines actions des Israéliens à celles des
nazis21, comme Noam Chomsky22 et Hajo Meyer, survivant
du génocide nazi et membre de «Une autre
voix juive» aux Pays-Bas23. Dans une lettre au Guardian,
des intellectuels juifs anglais ont comparé Gaza
au ghetto de Varsovie24, comme l’a fait l’International
Jewish Anti-Zionist Network, lors du Jour du souvenir
de l’Holocauste25.
La politique coloniale d’Israël et l’apartheid
Outre Gaza, de nombreuses voix s’élèvent parmi les
défenseurs des droits de l’homme pour reconnaître que
le traitement par Israël du peuple indigène de Palestine
représente un régime colonial et un système d’apartheid.
Cette oppression revêt trois formes spécifiques
qui sont au coeur de l’appel du mouvement BDS26 :
– l’occupation prolongée et la colonisation de Gaza
et de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-est ;
– le système légalisé et institutionnalisé de discrimination
raciale à l’encontre des citoyens palestiniens
d’Israël ;
– le refus persistant de reconnaître les droits des
réfugiés palestiniens, au premier rang desquels
leur droit à des réparations et au retour dans leurs
lieux d’origine, reconnu par la résolution 194 de
l’Assemblée générale des Nations unies.
La société civile palestinienne considère que la fin de
ces trois formes d’oppression constitue un minimum
pour aboutir à une paix juste dans la région.
166
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page166
De ces trois injustices, la plus importante est sans
aucun doute le refus d’Israël d’accepter le droit au
retour des réfugiés palestiniens. Le coeur de la question
palestinienne a toujours été la détresse de ces
réfugiés chassés par nettoyage ethnique lors de la
Nakba de 1948, nettoyage qui se poursuit depuis. Les
61 ans de souffrance de ces réfugiés, qui forment la
majorité du peuple palestinien, font de la reconnaissance
de leurs droits le test moral décisif pour qui
cherche une solution juste et durable au conflit israélopalestinien.
Le rejet de ces droits ne peut que garantir
la perpétuation du conflit27.
La politique israélienne dans les territoires palestiniens
occupés en 1967 est considérée comme constitutive
d’un apartheid par de nombreuses personnalités
comme l’archevêque sud-africain Desmond Tutu, prix
Nobel de la paix, Jimmy Carter, ancien président des
États-Unis, ou John Dugard, ancien rapporteur spécial
pour les droits de l’homme en Cisjordanie et à Gaza.
De même, Michael Ben-Yair, ancien Attorney General
d’Israël, a écrit dans un article pour Haaretz consacré
à la politique israélienne dans les territoires occupés:
«Nous avons pris avec enthousiasme le parti de devenir
une société coloniale, d’ignorer les traités internationaux,
d’exproprier des terres, d’implanter des colons
venus d’Israël dans les territoires occupés et de trouver
des justifications pour toutes ces activités… De fait,
nous avons établi un régime d’apartheid dans les territoires
occupés28.» Et malgré tout, on hésite souvent
à accuser Israël du crime d’apartheid tel qu’il est défini
par les textes des Nations unies: c’est un sujet explosif,
bien fait pour déclencher la fureur vengeresse des
puissants groupes de pression pro-israéliens.
L’argument avancé par certains experts qui, parfois
de bonne foi, écartent le terme d’apartheid s’agissant
d’Israël, est que l’analogie entre Israël et
l’Afrique du Sud n’est pas exacte, et que par bien des
167
notre moment sud-africain est arrivé
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page167
points l’oppression israélienne est pire et demanderait
un autre terme. Le défaut de cet argument est d’admettre
que l’apartheid est une marque sud-africaine,
que pour pouvoir accuser un régime de commettre
l’apartheid, il faut prouver qu’il est identique au régime
qui régnait autrefois en Afrique du Sud. Pourtant, s’il est
vrai que c’est le pouvoir raciste sud-africain qui a donné
son nom à l’apartheid et l’a fait mondialement connaître,
ce crime a depuis longtemps reçu une définition générale
universellement applicable.
La Convention des Nations unies contre le crime
d’apartheid le définissait en 1976 comme «une politique
et des pratiques de ségrégation raciale et de discrimination
telles qu’elles sont menées en Afrique du
Sud29», avec «le but d’établir et de maintenir la domination
d’un groupe racial sur un autre groupe racial,
de l’opprimer de façon systématique, en particulier
par la ségrégation, l’expropriation de terres, le refus
du droit de quitter son pays ou d’y revenir, le refus du
droit à la nationalité et à la liberté de mouvement et
de résidence» (article II). La similitude avec l’Afrique
du Sud est citée non pour en faire une condition mais
pour reconnaître le précédent historique.
Le comité national palestinien pour le BDS a publié
récemment un article30 montrant que les origines
d’Israël, ses lois et sa politique à l’encontre du peuple
palestinien rentrent largement dans cette définition
de l’apartheid. Les fondements théoriques de cette
forme particulière qu’est l’apartheid israélien sont
à chercher dans le sionisme politique, idéologie européenne
adoptée par le courant dominant du mouvement
sioniste – Organisation sioniste mondiale,
Agence juive, Fonds national juif, etc. – afin de justifier
et trouver des appuis politiques pour son projet
de fonder un État exclusivement juif sur le territoire
de la Palestine historique. Les sionistes ont écarté
l’existence d’une population indigène en Palestine :
168
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page168
c’est le fameux slogan d’« une terre sans peuple »,
dont ils ont fait une prédiction autoréalisatrice en
expulsant par la force 750000 à 900000 Palestiniens
de leur pays et en détruisant des centaines de villages
vidés de leurs habitants dans une opération
appelée « nettoyage du paysage », qui a duré jusqu’en
196031.
Le traitement imposé par Israël au peuple palestinien
relève de l’apartheid car il comporte plusieurs
éléments essentiels de la définition qu’en donnent les
lois internationales :
La discrimination raciale contre les Palestiniens
devenus citoyens de l’État d’Israël a été formalisée et
institutionnalisée par la création d’une «nationalité
juive », distincte de la citoyenneté israélienne. Il
n’existe pas de « nationalité israélienne » : la Cour
suprême a obstinément refusé de la reconnaître, car
ce serait la fin de la suprématie juive en Israël. La
«loi du retour», promulguée en 1950, confère à tous
les Juifs – et seulement aux Juifs – tous les droits nationaux
et en particulier celui de s’établir dans Eretz
Israel (Israël et les territoires palestiniens occupés)
et d’y jouir immédiatement de tous les droits légaux et
politiques. Avec la loi du retour, la «nationalité juive»
est extraterritoriale, en contradiction avec toutes les
normes internationales. Elle concerne les citoyens
juifs d’autres pays, qu’ils souhaitent ou non faire partie
de la collectivité des «nationaux juifs», et elle exclut
les non-Juifs, c’est-à-dire les Palestiniens, de ceux qui
jouissent des droits nationaux en Israël.
La «loi sur la citoyenneté» de 195232 a créé un système
discriminatoire à deux étages, où les Juifs jouissent
de la nationalité et de la citoyenneté, alors que
la population palestinienne indigène n’a que la citoyenneté33.
La «nationalité israélienne» donne des droits
et des avantages importants qui sont refusés aux
citoyens palestiniens.
169
notre moment sud-africain est arrivé
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page169
La « loi sur le statut israélien » (Israeli Status Law)
permet à l’Organisation sioniste mondiale et à l’Agence
juive et ses filiales, dont le Fonds national juif, de
contrôler l’essentiel de la terre en Israël, au bénéfice
des seuls Juifs. En 1998 le comité des Nations unies
chargé des droits économiques, sociaux et culturels
a exprimé sa vive inquiétude au sujet de cette loi34,
indiquant que la confiscation systématique à grande
échelle de terres et propriétés palestiniennes et leur
transfert à ces agences d’État constituaient une forme
institutionnelle de discrimination: en effet, par définition
lesdites agences refusent l’usage de ces propriétés
aux citoyens non juifs de l’État.
Le retour des réfugiés palestiniens et des personnes
déplacées à l’intérieur de l’État, requis par les lois
internationales, a été évité par le recours à la force
et par une législation inspirée par le racisme. Simplement
parce qu’ils ne sont pas juifs, les réfugiés
palestiniens ont été exclus de la citoyenneté israélienne
définie par la loi de 1952. Ils ont été «dénationalisés
» et réduits à l’état de réfugiés sans patrie.
Leurs terres et leurs propriétés ont été confisquées
par l’État. Les quelque 150000 Palestiniens restés en
Israël après la Nakba de 1948 sont restés jusqu’en
1966 sous une administration militaire similaire à
celle qui existe aujourd’hui dans les territoires palestiniens
occupés.
Depuis des dizaines d’années, la discrimination
raciale à l’encontre des citoyens palestiniens d’Israël
est la norme dans tous les aspects de la vie. De la propriété
de la terre à l’éducation, de la santé à l’emploi
et au logement, les Palestiniens indigènes se voient
refuser le droit à l’égalité par les lois et la politique
de l’État. Ils ne sont pas autorisés à acheter ou louer
des terres sur 93 % de la surface de l’État d’Israël35.
Les sondages d’opinion actuels montrent qu’une majorité
écrasante d’Israéliens sont opposés à une égalité
170
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page170
totale avec les Palestiniens indigènes de l’État36. Que
ces derniers aient le droit de vote, à la différence de
leurs homologues d’Afrique du Sud au temps de l’apartheid,
n’est qu’un avantage de pure forme destiné à
renforcer l’image trompeuse d’une démocratie et à
repousser les accusations bien fondées d’apartheid37.
La complicité des gouvernements occidentaux dans
cette violation constante des lois internationales et
des droits élémentaires de la personne humaine est
moralement et légalement injustifiable. L’impunité
dont jouit Israël lui permet de se conduire en «chien
fou» – image employée autrefois par Moshé Dayan et
reprise plus récemment par Martin Van Creveld, historien
militaire israélien38 – pour soumettre les Palestiniens,
pour leur faire accepter l’esclavage comme
un destin.
C’est cette impunité, ce déni catégorique des droits
qui ont été la motivation essentielle de la campagne
palestinienne pour le BDS. Depuis le 9 juillet 2005,
cette campagne a été appuyée par toute la société
civile palestinienne, en tous lieux, comme une forme
de solidarité efficace qui a de vraies chances d’en finir
avec la complicité de l’Occident avec Israël, et par
suite, avec l’occupation, la colonisation et l’apartheid.
Durant et depuis l’attaque israélienne contre Gaza,
la société civile palestinienne s’est unie pour demander
aux peuples du monde entier de tenir Israël pour
responsable de ses crimes en le traitant comme
l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid. En réponse,
des syndicats, des groupes universitaires, des organisations
religieuses, des partis politiques, des mouvements
sociaux ont lancé des campagnes BDS
créatives et adaptées aux différents contextes, de
l’Afrique du Sud à la Norvège, de l’Australie au
Canada, de la Grande-Bretagne au Vénézuela, et
même à la tribune du président de l’Assemblée générale
des Nations unies39.
171
notre moment sud-africain est arrivé
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page171
Le terrorisme d’État d’Israël à Gaza, rendu possible
par l’appui illimité des États-Unis et des gouvernements
occidentaux dans leur ensemble, a servi de
catalyseur à la diffusion de BDS dans le monde entier.
Ainsi, ceux qui soutiennent les droits des Palestiniens
sont-ils encouragés à penser que notre moment sudafricain
est enfin arrivé. Ces dernières semaines ont vu
poser d’importants jalons. La Canadian Union of Public
Employees, l’Ontario’s University Workers Coordinating
Committee40 ont décidé le boycott des institutions
académiques israéliennes. Il y a quelques jours, la
Fédération autonome des collèges du Québec a elle
aussi rejoint la campagne BDS41. À Durban (Afrique
du Sud), en février dernier, les dockers ont refusé de
décharger un cargo israélien42, ce qui rappelle des
sanctions analogues autrefois prises contre des
bateaux sud-africains. En Australie, un syndicat de
dockers a pris position en faveur du BDS. Aux États-
Unis, le Hampshire College a créé un précédent historique
en décidant de se désinvestir de six compagnies
profitant de l’occupation israélienne43. Dans les années
1970, le Hampshire College avait été le premier collège
américain à se désinvestir d’Afrique du Sud. Au Pays
de Galles, l’université de Cardiff a répondu à la
demande des étudiants en se désinvestissant de compagnies
impliquées dans l’occupation44. Même en
France, où le boycott est en butte depuis des années
à une opposition virulente, des universitaires de premier
plan ont récemment exprimé leur soutien au
BDS pour en finir avec l’impunité israélienne45.
Ce récent renforcement de la campagne pour le BDS
nous fait espérer que l’impunité israélienne, la collusion
de l’Occident, des Nations unies et des régimes
arabes avec Israël arriveront un jour à leur terme, permettant
alors l’éclosion d’une véritable paix en Palestine
et dans toute la région. C’est seulement ainsi qu’une
coexistence éthique a une vraie chance de s’instaurer.
172
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page172
Dans un poème intitulé Message aux vivants, Henk
van Randwijk, un résistant hollandais contre les nazis,
écrivait :
Un peuple qui s’abandonne à des tyrans
perd, plus que des corps et des biens,
la lumière qui va s’éteindre.
Le samedi 24 janvier 2009, deux jours après la fin des
hostilités et malgré les morts et la dévastation, des
centaines de milliers d’enfants de Gaza sont sortis des
ruines pour prendre le chemin de l’école, avec leurs
cartables déchirés, leurs livres froissés et leurs âmes
endolories. Ne laissons pas s’éteindre la lumière de
leurs yeux.
173
notre moment sud-africain est arrivé
1. http://electronicintifada.net/v2/article10089.
shtml
2. Robert Kagan, «Power and Weakness,
» Policy Review, n° 113,
juin 2002.
3. La campagne palestinienne BDS a
constamment rejeté toute forme de
racisme (islamophobie, sionisme, et
antisémitisme).
www.BDSmovement.net
4. http://www.kibush.co.il/show_file.as
p?num=22676
5. http://www.transnational.org/Area_
MiddleEast/2007/Falk_PalestineGenocide.
html
6. Ibid.
7. Compte-rendu du colloque CIDSE,
The EU’s Aid to the Occupied Palestinian
Territory, Bruxelles, 7 novembre
2008.
8. Pour plus de détails, voir : Ilan
Pappe, The Ethnic Cleansing of Palestine,
Oneworld, Oxford, 2007.
9. http://www.countercurrents.org/aud
eh210108.htm
10. http://www.guardian.co.uk/commentisfree/
2008/jan/23/israelandthepalestinians.
world
11. http://www.counterpunch.org/aloni
03072003.html
12. http://www.pchrgaza.org/files/W_re
port/English/2008/22-01-2009.htm
13. http://right2edu.birzeit.edu/news/a
rticle706
14. http://www.amnesty.org/en/newsand-
updates/news/ambulance-
20090128
15. http://www.nytimes.com/2009/01/0
9/world/middleeast/09redcross.html?_
r=1&em
16. http://www.timesonline.co.uk/tol/co
mment/letters/article5488380.ece
17. http://www.amnesty.org/en/appeals
-for-action/time-accountability-gazaand-
southern-israel
18. http://www.hrw.org/en/news/2009/
01/27/israelgaza-international-investigation-
essential
19. http://www.btselem.org/English/Ga
za_Strip/20090112_Use_of_White_Pho
sphorus.asp
20. http://www.euromedrights.net/pag
es/560/news/focus/68859
21. http://jta.org/news/article/
2009/01/16/1002308/mp-kaufmanlikens-
israelis-to-nazis
22. http://www.zmag.org/znet/viewArti
cle/20316
23. http://alanhartdiary.blogspot.com/2
009/01/new-nazis.html
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page173
24. http://www.guardian.co.uk/world/2
009/jan/10/letters-gaza-uk
25. http://www.ijsn.net/home/
26. http://www.bdsmovement.net/?q=n
ode/52
27. Pour plus de détails, voir : Omar
Barghouti, On Refugees, Creativity &
Ethics, ZNet, 28 septembre 2002.
28. http://www.haaretz.com/hasen/pag
es/ShArt.jhtml?itemNo=136433
29. http://www.anc.org.za/un/uncrime.
htm
30. http://bdsmovement.net/files/Englis
h-BNC_Position_Paper-
Durban_Review.pdf
31. Aron Shai, «The Fate of Abandoned
Arab Villages in Israel, 1965-
1969» in History and Memory, Vol.
18, n° 2 (Fall 2006), University of
Indiana Press. Voir aussi : Meron Benvenisti,
Sacred Landscape : the Buried
History of the Holy Land, Berkeley,
The University of California Press,
2000; Walid Khalidi, «Why Did the
Palestinians Leave, Revisited.», in
Journal of Palestine Studies, 1995;
Slaman Abu Sitta, Atlas of Palestine
1948, Palestine Land Society,
décembre 2004; Ilan Pappe, The Ethnic
Cleaning of Palestine, op.cit.
32. Dans la traduction officielle israélienne,
cette loi de 1952 est appelée à
tort «Loi sur la nationalité».
33. Roselle Tekiner, «Race and the
Issue of National Identity in Israel.»
34. E/C.12/1/Add.27 du 4 décembre
1998.
35. http://weekly.ahram.org.eg/2007/8
55/re92.htm
36. Haaretz, 22 mai 2003.
37. Ronnie Kasrils et Victoria Brittain,
«Both Palestinians and Israelis will
benefit from a boycott», The
Guardian, 25 mai 2005.
http://www.guardian.co.uk/education/.
2005/may/25/highereducation.uk
1
38. http://www.guardian.co.uk/world/2
003/sep/21/israelandthepalestinians.bo
okextracts
39. http://www.jpost.com/servlet/Satellite?
pagename=JPost%2FJPArticle%2F
ShowFull&cid=1226404827209
40. http://www.pacbi.org/etemplate.ph
p?id=954
41. http://www.pacbi.org/etemplate.ph
p?id=971
42. http://www.pacbi.org/etemplate.ph
p?id=916
43. http://www.pacbi.org/etemplate.ph
p?id=930
44. http://www.pacbi.org/etemplate.ph
p?id=959
45. http://www.ismfrance.
org/news/article.php?id=11222
&type=analyse&lesujet=Boycott
174
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page174
Conclusion
BDS: maintenant ou jamais
Paulo Freire, le grand éducateur brésilien, écrivait
dans sa Pédagogie des opprimés1 que «l’un des plus
graves obstacles à la réalisation de la libération est
que la réalité oppressive absorbe ceux qui y sont plongés
et tend à submerger la conscience des êtres
humains. Fonctionnellement, l’oppression engendre
l’asservissement. Pour ne plus être la proie de sa force,
il faut en émerger et la surmonter. Ceci n’est possible
que par la praxis: la réflexion et l’action sur le monde
pour le transformer.»
Ayant réfléchi sur la nature du système israélien
d’oppression, les Palestiniens ont émergé de la réalité
oppressive en appelant la société civile internationale
à prendre la responsabilité morale de
combattre l’injustice, comme elle l’a fait jadis pour
abolir l’apartheid en Afrique du Sud. Et cette fois-ci,
les représentants de la société civile palestinienne sont
convaincus que leur action va porter ses fruits. Dans
sa lutte contre l’occupation, la colonisation et l’apartheid
israéliens, la campagne palestinienne pour le
BDS a les plus grands atouts: une approche basée sur
le respect des droits humains, qui correspond globalement
aux trois droits fondamentaux du peuple indigène
de la Palestine, et qui jouit donc d’un consensus
solide parmi tous les Palestiniens, ceux de la Palestine
historique et ceux qui vivent en exil ; un message
moral fondé sur l’égalité absolue, la liberté, les droits
175
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page175
humains universels, l’antiracisme et le respect des
lois internationales ; une stratégie reposant sur une
résistance civile, non violente, inventive, que les
peuples du monde ne peuvent qu’épauler.
Dans l’appel au BDS, il est une dimension qui est
souvent négligée : l’invitation sans équivoque à soutenir
cet appel, adressée aux Israéliens de conscience
– une façon de reconnaître le rôle important que les
Israéliens peuvent et doivent jouer dans le combat
anticolonialiste et antiraciste pour en finir avec l’impunité
israélienne. Même si le mouvement pour le
BDS prône la variété et l’ingéniosité des approches
selon les divers contextes, c’est l’appel palestinien qui
reste le cadre de référence du mouvement. Un groupe
de Juifs israéliens soutenant le BDS, groupe en croissance
rapide, reconnaît pleinement cette référence2.
Cependant, quelques membres de la gauche sioniste
– et leurs supporters en Occident – ont sauté dans le
train du BDS, voyant le mouvement faire une percée
dans l’opinion mondiale. Ils ont tenté, peut-être sans
penser à mal, d’inventer une référence alternative qui
perpétue leur vision israélo-centrée, le sens aigu de
leur légitimité et de leurs privilèges coloniaux. On voit
que certains ont du mal à se défaire de leur vieille
attitude paternaliste envers les Palestiniens, qu’ils
semblent toujours considérer comme des «indigènes
irrationnels».
Comme autrefois dans la lutte contre l’apartheid
sud-africain, les véritables mouvements de solidarité
sont ceux qui reconnaissent et suivent la direction des
opprimés3, qui à leur tour cessent d’être des objets
passifs pour devenir des sujets actifs et rationnels,
capables d’affirmer leurs aspirations et de définir leur
stratégie. Les groupes qui soutiennent le BDS suivent
les principes et la stratégie du Comité BDS national, où
se trouvent réunis partis politiques, organisations de
masse, ONG, organisations de soutien aux réfugiés,
176
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page176
associations professionnelles, bref toutes les instances
de la société civile palestinienne.
Une autre force du BDS est que la lutte qu’il anime a
pour but la justice et l’égalité des droits. Comme autrefois
en Afrique du Sud, le mouvement n’est pas fondé
sur quelque idéologie dogmatique ou fanatique mais
sur les principes universels des droits humains et des
lois internationales, principes qui doivent avoir la faveur
des amis de la liberté et des progressistes de tous bords.
Dans le domaine opérationnel, l’action du BDS est
fondée sur trois principes essentiels : l’attention portée
au contexte, la progressivité et la ténacité. Dans
un pays donné, les universitaires, les intellectuels, les
militants des droits humains et les organisations de
la société civile savent mieux que quiconque comment
mettre le BDS en action dans leur univers politique.
Les priorités de la campagne BDS qui vont être énumérées
ne sont donc que des recommandations4, qui
reflètent les expériences collectives accumulées depuis
la fondation du mouvement en 2005.
Promouvoir un boycott général de tous les produits
et services israéliens jusqu’à ce qu’Israël se plie aux
obligations des lois internationales.
Promouvoir le boycott de toutes les institutions israéliennes
universitaires5, culturelles et touristiques qui
sont complices du maintien de l’occupation et de
l’apartheid. Ceci implique de faire prendre conscience
aux travailleurs de l’université, de l’art et de la culture,
du rôle joué par ces institutions dans la perpétuation
de l’injustice et de l’oppression coloniale. Les
violations des critères palestiniens du boycott doivent
être dénoncées aussi fermement qu’on le faisait par
le passé pour ceux qui enfreignaient le boycott antiapartheid
contre l’Afrique du Sud. Tenir compte des
règles du boycott est le minimum auquel devrait s’astreindre
tout universitaire ou artiste de conscience,
face à l’oppression persistante exercée par Israël.
177
BDS : maintenant ou jamais
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page177
Promouvoir l’engagement éthique des syndicats, des
organisations religieuses6, des conseils locaux, des
fonds nationaux de pension, pour qu’ils se désinvestissent
des bons du Trésor israéliens et de toutes les
sociétés, banques et autres institutions financières qui
profitent – ou sont complices d’une manière ou d’une
autre – du maintien de l’occupation israélienne, du
refus du droit au retour des réfugiés et du système de
ségrégation raciale envers les Palestiniens citoyens
d’Israël.
Promouvoir le sens éthique menant au désinvestissement
et au boycott des sociétés – qu’elles soient
israéliennes ou non – impliquées dans la violation des
lois internationales et des droits humains, comme,
entre autres, Elbit Systems, Veolia, Alstom, Eden
Springs, Agrexco-Carmel, Ahava, Lev Leviev Diamonds,
Motorola, Caterpillar…
Faire en sorte que les pèlerinages en Terre sainte
bénéficient directement aux hôtels, restaurants, guides,
transports palestiniens, en refusant qu’Israël en tire
des revenus par sa compagnie aérienne et ses institutions
d’apartheid.
Faire pression pour ostraciser le Fonds national juif,
pour lui refuser le statut d’«organisation caritative»
qui est le sien dans la plupart des pays occidentaux.
Faire pression sur les conseils locaux et régionaux
pour qu’ils appliquent strictement les lois intérieures
et internationales qui enjoignent d’écarter des contrats
publics les sociétés impliquées dans «de graves manquements
» au respect des droits humains.
Faire pression sur les officiels et les partis politiques
pour prendre en compte l’appel d’Amnesty International
en faveur d’un embargo immédiat sur les armes,
concernant toutes les parties en cause dans le
«conflit» du Proche-Orient. Mises à part les critiques
justifiées contre la position intenable d’Amnesty qui
met sur le même plan la puissance occupante et le
178
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page178
peuple occupé, ce texte appelle à interdire le commerce
des armes avec Israël et l’expédition d’armes
vers cet État à partir de tout port ou aéroport. Une
telle interdiction amènerait les tierces parties à se
conformer aux lois internationales et aux principes
des droits humains.
Appeler à la suspension immédiate de tous les
accords de libre-échange et autres accords de préférence
commerciale avec Israël7, étant donné ses violations
des lois internationales et des droits des
Palestiniens.
Obliger Israël à indemniser pleinement le peuple
palestinien, et éventuellement les pays donateurs,
pour toutes les destructions gratuites et illégales causées
à la société palestinienne, à son économie, aux
propriétés publiques et privées lors de la récente
agression de Gaza, ainsi que tout au long du blocus,
des invasions passées et des offensives militaires en
Cisjordanie.
Faire pression pour obtenir la mise en oeuvre immédiate
et inconditionnelle des recommandations du rapport
Goldstone, adoptées par le Conseil des droits de
l’homme des Nations unies et par la plupart des
grandes organisations internationales des droits de
l’homme, qui tiennent Israël pour responsable de
crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
En luttant contre l’oppression israélienne, la campagne
pour le BDS ne demande pas qu’Israël soit traité
selon d’autres critères que ceux qui s’appliquent à des
États commettant le même genre de crimes et de violations
des lois internationales. Nous demandons qu’Israël
cesse d’être juché sur le haut piédestal où l’ont
installé les puissances occidentales qui ont soutenu et
justifié sa création sur les ruines de la société palestinienne.
Même si Israël n’est certes pas le pire délinquant
du monde, c’est le seul à être constamment tenu
pour un membre honorable du club des «démocraties»
179
BDS : maintenant ou jamais
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page179
occidentales, le génocide nazi servant cyniquement
d’écran de fumée pour masquer cette collusion. Le
traitement exceptionnel, l’impunité dont jouit Israël
sont sans équivalent et lui permettent de poursuivre
l’apartheid, le nettoyage ethnique et le génocide à bas
bruit contre le peuple indigène de Palestine, au mépris
des lois internationales et sans se soucier d’éventuelles
mesures punissant leur violation.
Il faut le répéter, les Palestiniens – et les Arabes en
général – n’ont pas la moindre responsabilité dans le
génocide nazi, commis en Europe sur des populations
essentiellement européennes, Juifs, Tziganes, Slaves
et autres. Ce n’est pas aux Palestiniens de payer par
leur vie, leur terre et leurs moyens d’existence le prix
nécessaire pour soulager les Européens de leur sentiment
de culpabilité collective pour ce génocide.
Comme l’ont dit récemment des intellectuels juifs progressistes,
le «Jamais plus» doit toujours être compris
comme «Jamais plus sur personne8».
La société civile occidentale est particulièrement
impliquée pour obliger Israël à respecter les lois internationales
: en effet, la complicité des gouvernements
occidentaux dans le maintien du système colonial et de
la ségrégation raciale israélienne se réalise sur un
vaste ensemble – diplomatique, économique, académique,
culturel – au nom des citoyens des pays occidentaux
et avec l’argent de leurs impôts. Une
complicité aussi profonde n’est pas simplement liée
à un sentiment de culpabilité par rapport au génocide.
Elle se fonde sur les intérêts économiques de
l’establishment occidental, sur un racisme latent et
sur un esprit de croisade visant à préserver un système
de privilèges et d’exploitation.
Le mouvement BDS pour les droits des Palestiniens
est une forme de résistance populaire non violente,
progressiste, antiraciste, morale et efficace. Il est en
passe de devenir l’un des catalyseurs politiques, l’un
180
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page180
des ancrages moraux pour un vaste mouvement social
international capable d’en finir avec la loi de la jungle
et d’imposer le règne de la loi, tout en réaffirmant les
droits de tous les êtres humains à la liberté, l’égalité
et la dignité de la vie.
Notre moment sud-africain est enfin arrivé !
181
BDS : maintenant ou jamais
1. Paulo Freire, Pédagogie des opprimés,
Paris, petite collection Maspero,
1974.
2. http://boycottisrael.info/et
http://www.alternativenews.org/, par
exemple.
3. La Déclaration du Caire, émise et
approuvée par les représentants de
groupes de solidarité de plus de 40
pays qui ont protesté en Égypte dans
le cadre de la Marche pour la Liberté
à Gaza, est un exemple de véritable
solidarité : http://cairodeclaration.org/
4. Plusieurs de ces recommandations
furent adoptées lors du Forum de la
société civile pour la paix et la justice
qui s’est tenu à Bilbao (Pays Basque,
Espagne) en novembre 2008. Des
dizaines d’organisations progressistes
palestiniennes, européennes et israéliennes
soutenant la campagne BDS y
participaient : http://www.bdsmovement.
net/?q=node/213
5. Pour en savoir plus sur le boycott
universitaire, voir : www.PACBI.org.
En outre, une étude récente publiée
par le Centre d’information alternative
(AIC) apporte de nombreuses preuves
de la complicité de l’université israélienne
dans l’oppression du peuple
palestinien:
http://alternativenews.org/publications/
econoccupation/2223-the-economy-
of-the-occupation-23-24-academi
c-boycott-of-israel.html
6. D’éminentes figures palestiniennes
chrétiennes ont récemment publié le
document Kairos Palestine invitant les
Églises du monde entier «à dire une
parole de vérité et à prendre position
pour la vérité concernant l’occupation
israélienne du territoire palestinien»
et approuvant explicitement «le boycott
et le désinvestissement en tant
qu’outils au service de la justice, de la
paix et de la sécurité»:
http://www.kairospalestine.ps/sites/def
ault/Documents/French.pdf
7. L’accord commercial entre l’Union
européenne et Israël et l’accord de
libre-échange entre Le Mercosur et
Israël sont des cibles prioritaires, dans
ce contexte.
8. Voir, par exemple, les propos de
Naomi Klein à cet égard lors d’une
conférence l’an passé à Ramallah,
couverte par Haaretz : Yotam Feldman,
Naomi Klein, «Oppose the State
not the People» (S’opposer à l’État pas
au peuple), Haaretz, 2 juillet 2009:
http://www.haaretz.com/hasen/spages/
1097058.html
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page181
Annexe i
Appel de la société civile palestinienne
au boycott, au désinvestissement, et aux sanctions
contre israël jusqu’à ce qu’il applique les lois
internationales et les principes universels
des droits de l’homme
Bdsmovement.net, le 9 juillet 2005.
Un an après que l’avis consultatif historique de la
Cour internationale de justice (CIJ) a jugé illégal le
mur qu’Israël construit sur le territoire palestinien
occupé, Israël en poursuit la construction. Après
trente-huit ans d’occupation de la Cisjordanie palestinienne
(y compris Jérusalem-est), de la bande de
Gaza et des hauteurs du Golan syriennes, Israël
continue à étendre ses colonies juives. Il a unilatéralement
annexé Jérusalem-est et les hauteurs du
Golan et annexe maintenant de facto de grandes
parties de la Cisjordanie au moyen du mur. Israël
se prépare également – sous couvert du retrait unilatéral
prévu de la bande de Gaza – à étendre ses
colonies en Cisjordanie. Cinquante-sept ans après
que l’État d’Israël s’est établi principalement sur
une terre nettoyée de ses occupants palestiniens, la
majorité de ces derniers sont des réfugiés, la plupart
apatrides. De plus, le système de discrimination
raciale institué par Israël contre ses propres
citoyens arabes palestiniens demeure inchangé.
Vu les violations persistantes des lois internationales
par Israël,
Attendu que depuis 1948, des centaines de résolutions
de l’ONU ont condamné sa politique coloniale
et discriminatoire parce qu’illégale et ont
appelé à des réparations immédiates, proportionnées
et efficaces,
182
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page182
Attendu que toutes les interventions internationales
et les initiatives de paix ont, jusqu’à présent, échoué
à convaincre Israël ou à le forcer à se conformer au
droit humanitaire, à respecter les droits de l’homme
fondamentaux et à mettre fin à l’occupation et à
l’oppression du peuple de Palestine,
Considérant le fait qu’au sein de la communauté
internationale, des hommes et des femmes de
conscience ont historiquement endossé la responsabilité
morale de combattre l’injustice, comme l’a
montré la lutte pour abolir l’apartheid en Afrique
du Sud grâce à diverses formes de boycott, de désinvestissement
et de sanctions,
Inspirés par la lutte des Sud-Africains contre
l’apartheid et dans un esprit de solidarité internationale,
de cohérence morale et de résistance à l’injustice
et à l’oppression,
Nous, représentants de la société civile palestinienne,
invitons les organisations des sociétés civiles
internationales et les hommes et les femmes de
conscience du monde entier à imposer des boycotts
significatifs et à mettre en oeuvre des initiatives de
désinvestissement contre Israël semblables à ceux
qui furent dirigés contre l’Afrique du Sud à l’époque
de l’apartheid. Nous leur demandons de faire pression
sur leurs États respectifs afin qu’ils imposent
un embargo et des sanctions contre Israël. Nous
invitons également les Israéliens de conscience à
soutenir cet appel au nom de la justice et d’une véritable
paix.
Ces mesures punitives non violentes devront être
maintenues jusqu’à ce qu’Israël reconnaisse le droit
inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination
et respecte complètement les dispositions des lois
internationales en :
1. mettant fin à l’occupation et à la colonisation
de toutes les terres arabes et en démantelant le mur,
183
Appel de la société civile palestinienne
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page183
2. reconnaissant le droit fondamental des citoyens
arabo-palestiniens d’Israël à une égalité totale,
3. respectant, protégeant et soutenant le droit des
réfugiés palestiniens à revenir dans leurs foyers
comme le stipule la résolution 194 de l’ONU.
Approuvé par :
Les partis politiques, les syndicats, les associations,
les groupements et les organisations palestiniens
qui représentent les trois groupes qui font intégralement
partie du peuple de la Palestine : les réfugiés
palestiniens, les Palestiniens sous occupation
et les citoyens palestiniens d’Israël.
184
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page184
Annexe ii
Appel au boycott universitaire et culturel d’israël
Pacbi.org, le 21 décembre 2008.
Attendu que l’oppression coloniale, fondée sur l’idéologie
sioniste, qu’Israël exerce sur le peuple palestinien
comporte les éléments suivants :
– le déni de sa responsabilité dans la Nakba –
notamment dans les vagues d’épuration ethnique et
les spoliations qui sont à l’origine du problème palestinien
– et, en conséquence, son refus de reconnaître
les droits inaliénables des réfugiés et des personnes
déplacées tels que définis et protégés par les lois internationales,
– l’occupation militaire et la colonisation de la Cisjordanie
(y compris Jérusalem-est) depuis 1967, en
violation des lois internationales et des résolutions de
l’ONU,
– la mise en place d’un système de discrimination
raciale et de ségrégation des Palestiniens citoyens
d’Israël, comparable à l’ancien système d’apartheid
en Afrique du Sud,
Attendu que les institutions universitaires israéliennes
(la plupart contrôlées par l’État) et la majorité
des intellectuels et universitaires israéliens,
contribuent directement au maintien, à la défense et
à la justification des formes d’oppression décrites cidessus
ou s’en rendent complice par leur silence,
Attendu que toutes les interventions internationales
n’ont pas réussi à contraindre Israël à respecter le
droit humanitaire ou à mettre fin à l’oppression du
185
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page185
peuple de Palestine, oppression qui s’exerce de multiples
façons, notamment en assiégeant, en tuant indistinctement,
en détruisant gratuitement, en construisant
ce mur raciste,
Considérant le fait qu’au sein de la communauté
universitaire et intellectuelle internationale, des
hommes et des femmes de conscience ont historiquement
endossé la responsabilité morale de combattre
l’injustice, comme l’a montré leur lutte pour abolir
l’apartheid en Afrique du Sud grâce à diverses formes
de boycott,
Conscient que l’expansion du mouvement de boycott
international contre Israël rend nécessaire la
rédaction de ses lignes directrices,
Dans un esprit de solidarité internationale, de
cohérence morale et de résistance à l’injustice et à
l’oppression,
Nous, universitaires et intellectuels palestiniens,
appelons nos collègues de la communauté internationale
à boycotter toutes les institutions universitaires
et culturelles israéliennes, afin de contribuer à la lutte
pour mettre fin à l’occupation israélienne, à la colonisation
et au système d’apartheid, en adoptant les
pratiques suivantes :
– s’abstenir de toute participation, sous quelque
forme que ce soit, à la coopération universitaire et
culturelle, à des collaborations ou des projets communs
en partenariat avec les institutions israéliennes,
– plaider en faveur du boycott complet des institutions
israéliennes aux niveaux national et international,
y compris la suspension de toute forme de
financement et de subvention de ces institutions,
– encourager les désinvestissements et le désengagement
vis-à-vis d’Israël de la part des institutions
universitaires internationales,
– oeuvrer en faveur de la condamnation de la politique
d’Israël en incitant les associations et des orga-
186
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page186
nisations universitaires, professionnelles ou culturelles,
à adopter des résolutions,
– soutenir directement les institutions universitaires
et culturelles palestiniennes sans faire de leur éventuel
partenariat avec leurs homologues israéliens une
condition implicite ou explicite de ce soutien.
Approuvé par :
La Fédération palestinienne des syndicats des professeurs
et salariés des universités, la Fédération générale
palestinienne des syndicats, le réseau des
organisations non gouvernementales palestiniennes,
la Fédération des enseignants de Cisjordanie, la Fédération
des écrivains palestiniens, la Ligue des artistes
palestinienne, la Fédération des journalistes palestiniens,
l’Union générale des femmes palestiniennes,
l’Association des juristes palestiniens, et des dizaines
d’autres fédérations, associations palestiniennes et
organisations de la société civile.
187
Appel au boycott universitaire et culturel d’israël
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page187
Chez le même éditeur
Tariq Ali, Bush à Babylone.
La recolonisation de l’Irak.
Bernard Aspe, L’instant d’après.
Projectiles pour une politique
à l’état naissant.
Alain Badiou, Petit panthéon portatif.
Moustapha Barghouti,
Rester sur la montagne.
Entretiens sur la Palestine
avec Eric Hazan.
Zygmunt Bauman,
Modernité et holocauste.
Jean Baumgarten,
Un léger incident ferroviaire.
Récit autobiographique.
Walter Benjamin, Essais sur Brecht.
Daniel Bensaïd, Les dépossédés.
Karl Marx, les voleurs de bois
et le droit des pauvres.
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Sexpolitique. Queer Zones 2.
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de concentration en Argentine.
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de papiers. Paroles d’étrangers.
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Halimi, L'histoire cachée du nihilisme.
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L’industrie de l’holocauste.
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de la souffrance des Juifs.
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Françoise Fromonot,
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la pensée embarquée.
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La république mise à nu par
son immigration.
Amira Hass, Boire la mer à Gaza,
chroniques 1993-1996.
Eric Hazan, Chronique
de la guerre civile.
Eric Hazan, Notes sur l’occupation.
Naplouse, Kalkilyia, Hébron.
Henri Heine, Lutèce. Lettres
sur la vie politique, artistique
et sociale de la France.
Victor Hugo, Histoire d’un crime
Rashid Khalidi, L’identité palestinienne.
La construction d’une conscience
nationale moderne.
Sadri Khiari, La contre-révolution
coloniale en France. De de Gaulle
à Sarkozy.
Yitzhak Laor, Le nouveau
philosémitisme européen
et le «camp de la paix» en Israël.
Gideon Levy, Gaza. Articles pour Haaretz
(2006-2009).
Laurent Lévy, “La gauche”, les Noirs et
les Arabes.
Pierre Macherey, De Canguilhem à
Foucault, la force des normes.
Gilles Magniont, Yann Fastier,
Avec la langue. Chroniques du
«Matricule des anges»
Karl Marx, Sur la question juive.
Présenté par Daniel Bensaïd.
Karl Marx, Friedrich Engels,
Inventer l’inconnu. Textes et
correspondance autour de
la Commune. Précédé de «Politique
BDS:KARL MARX 09/03/10 20:49 Page188
de Marx» par Daniel Bensaïd.
Joseph A. Massad, La persistance
de la question palestinienne.
Louis Ménard, Prologue d’une
révolution (février-juin 1848).
Présenté par Maurizio Gribaudi.
Elfriede Müller & Alexander Ruoff,
Le polar français. Crime et histoire.
Ilan Pappé, La guerre de 1948
en Palestine. Aux origines du conflit
israélo-arabe.
Ilan Pappé,
Les démons de la Nakbah.
François Pardigon, Épisodes
des journées de juin 1848.
Jacques Rancière,
Le partage du sensible.
Esthétique et politique.
Jacques Rancière,
Le destin des images.
Jacques Rancière,
La haine de la démocratie.
Jacques Rancière,
Le spectateur émancipé.
Jacques Rancière, Moments politiques.
Interventions, 1977-2009.
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A. Faure, La parole ouvrière
1830-1851.
Amnon Raz-Krakotzkin,
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Tanya Reinhart, Détruire la
Palestine, ou comment terminer
la guerre de 1948.
Tanya Reinhart, L’héritage de Sharon.
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Cet ouvrage a été reproduit et achevé d’imprimer par l’Imprimerie Floch à Mayenne en mars 2010.
Numéro d’impression : XXXXXXXX
Dépôt légal : avril 2010.
Imprimé en France