mercredi 2 juin 2010

GAZA • L’insupportable silence des politiciens occidentaux

publié le mercredi 2 juin 2010
Robert Fisk
Face à l’assaut israélien contre des bateaux apportant de l’aide humanitaire à la population du territoire palestinien, la réaction des dirigeants occidentaux est molle et lâche, s’indigne Robert Fisk dans The Independent.
L’Etat hébreu aurait-il perdu la boule ? [1] La guerre de Gaza de 2008/2009 (1 300 morts) et celle du Liban en 2006 (1 006 morts), et toutes les autres guerres, et maintenant, le massacre du 31 mai [assaut israélien contre la "flottille de la paix"], tout cela signifie-t-il que le monde ne va plus tolérer qu’Israël fasse la loi ? Ne nous emballons pas. Il suffit de lire la molle réaction officielle de la Maison-Blanche — qui a annoncé que le gouvernement Obama s’efforçait de “comprendre les circonstances qui entourent la tragédie”. Pas un mot de condamnation. Et c’est tout. Neuf morts. Un chiffre de plus qui vient s’ajouter à la liste des victimes au Moyen-Orient. Or, c’est bien plus que cela.
En 1948, nos politiques, américains et britanniques, ont mis en place un pont aérien pour Berlin. La population, affamée (et qui, trois ans plus tôt, était encore notre ennemie), était encerclée par une force armée sans pitié, les Russes, qui avaient imposé un blocus à la ville. Le pont aérien pour Berlin a été l’un des grands moments de la guerre froide. Nos soldats et nos aviateurs ont pris des risques et donné leur vie pour ces Allemands qui mouraient de faim. Incroyable, non ? En ce temps-là, nos hommes politiques prenaient des décisions ; nos dirigeants prenaient des décisions afin de sauver des vies. MM. Attlee et Truman savaient que Berlin était important sur le plan moral et humain autant que politique.
Et aujourd’hui ? Ce sont des gens simples, des Européens, des Américains, des rescapés de l’Holocauste, oui, grands dieux, des rescapés des nazis, qui ont pris la décision de se rendre à Gaza parce que leurs politiciens et leurs hommes d’Etat ne se sont pas montrés à la hauteur [2]. Où étaient-ils, nos politiciens, ce 31 mai ? Eh bien, nous avons eu droit au ridicule Ban Ki-moon, à la déclaration pathétique de la Maison-Blanche et à l’excellent Tony Blair qui a exprimé son “profond regret et sa stupeur face à ces pertes tragiques”. Où était M. Cameron [le nouveau Premier ministre conservateur britannique] ? Où était M. Clegg [le vice-Premier ministre du parti libéral britannique] ?
Remarquez, en 1948 aussi, nous aurions ignoré les Palestiniens. Sinistre ironie de l’histoire, le pont aérien pour Berlin a coïncidé avec la destruction de la Palestine arabe. Mais le fait est qu’il s’agit de civils, de militants, appelez-les comme vous voulez, qui maintenant décident de changer le cours des choses. Nos politiques sont trop mous, trop lâches, pour prendre les décisions qui sauvent des vies.
Car le fait est que, si des Européens (eh oui ! les Turcs sont des Européens, n’est-ce pas ?) avaient été abattus par une autre armée du Moyen-Orient (et l’armée israélienne en est une, n’est-ce pas ?), on aurait entendu un concert assourdissant de protestations. Par ailleurs, que dénote l’attitude d’Israël ? La Turquie n’est-elle pas un proche allié d’Israël ? Est-ce ce à quoi peuvent s’attendre les Turcs ? Maintenant, le seul allié d’Israël dans le monde musulman parle de massacre — et Israël s’en moque apparemment.
Mais Israël s’en moquait déjà quand Londres et Canberra ont expulsé des diplomates israéliens après que de faux passeports britanniques et australiens eurent été fabriqués puis remis aux assassins du commandant du Hamas, Mahmoud al-Mabhouh. L’Etat hébreu se moquait bien de l’opinion mondiale quand il a annoncé la création de nouvelles colonies juives dans les Territoires occupés à Jérusalem Est, et ce malgré la présence en ville de Joe Biden, le vice-président de son allié jusqu’ici, les Etats-Unis. Alors, pourquoi Israël ne s’en moquerait-il pas maintenant ?
Comment en est-on arrivé là ? Sans doute parce que nous nous sommes habitués à voir les Israéliens tuer des Arabes, sans doute parce que les Israéliens se sont habitués à tuer des Arabes. Maintenant ils tuent des Turcs. Ou des Européens. Quelque chose a changé au Moyen-Orient ces dernières 24 heures — et les Israéliens (compte tenu de leur réaction extraordinairement idiote au massacre) ne comprennent visiblement pas ce qui s’est passé. Le monde en a assez de ces scandales. Seuls les politiques gardent le silence [3].
[1] voici ce qu’écrivait Gideon Levy à la veille de l’attaque des commandos contre les pacifistes :

L’hystérie israélienne a eu raison de la flottille

Un commando de Tsahal a attaqué, le 31 mai, les bateaux qui se dirigeaient vers le territoire palestinien chargés de matériel humanitaire et de biens de consommation. Dans un éditorial écrit quelques heures avant l’assaut, Ha’Aretz dénonce l’emballement israélien.
31.05.2010 |  Gidéon Lévy | Ha’Aretz
La machine de propagande israélienne a atteint de nouveaux sommets dans son hystérie désespérée. Elle a distribué des menus des restaurants de Gaza, accompagnés de fausses informations [afin de montrer que les Gazaouis ne manquent de rien]. Elle s’est couverte de ridicule en se lançant dans une bataille futile dans le secteur des relations publiques, une bataille qu’il aurait mieux valu ne pas déclencher. Ils veulent maintenir le siège inefficace, illégal et immoral de Gaza et ne pas laisser la “flottille de la paix” aborder sur la côte ? Il n’y a rien à expliquer, certainement pas à une communauté internationale qui n’est pas prête à avaler ce brouet fait de justifications, de mensonges et de tactiques dilatoires. Il n’y a plus qu’en Israël que les gens acceptent ces marchandises avariées. Rappelant ces rituels antiques qui précédaient les batailles, le chœur a clamé son enthousiasme sans se poser de question. Des soldats en uniformes blancs se sont préparés en notre nom.
Des porte-parole ont fourni des explications fallacieuses en notre nom. Toute cette scène grotesque se déroule à nos dépens. Et presque aucun d’entre nous n’est venu perturber le spectacle. Le chœur a entonné des chants de tromperie et de mensonges. Nous en sommes tous, nous qui affirmons qu’il n’y a pas de crise humanitaire à Gaza. Nous faisons tous partie de ce chœur qui prétend que l’occupation de Gaza est terminée, et que la flottille représente une agression violente contre la souveraineté israélienne — le béton va servir à bâtir des bunkers et le convoi est financé par les Frères Musulmans turcs. Mais, le siège israélien de Gaza va faire tomber le Hamas et libérer Gilad Shalit. Yossi Levy, porte-parole du ministère des Affaires Etrangères, un des plus risibles parmi les propagandistes, s’est surpassé en déclarant sans sourciller que le convoi d’aide à destination de Gaza constituait une violation du droit international. Mais bien sûr. C’est exactement ça. Ce n’est pas le siège qui est illégal, c’est la flottille.
L’opération de propagande a cherché à nous vendre, à nous et au reste du monde, l’idée que l’occupation de Gaza est finie, mais que de toute façon, Israël dispose de l’autorité juridique pour interdire toute aide humanitaire. Tout cela n’est qu’un tas de mensonges. Une voix, et une seule, est venue un peu gâcher la fête : un rapport d’Amnesty International sur la situation à Gaza. Quatre habitants sur cinq y ont besoin d’une assistance humanitaire. Des centaines attendent de bénéficier de traitement médicaux, et 28 sont déjà morts. Et ce en dépit de briefings de l’armée israélienne sur l’absence de siège et la présence d’une aide, mais qui s’en soucie ? Quant aux préparatifs de l’opération, ils ne sont pas sans rappeler une farce particulièrement désopilante : le débat ministériel enflammé ; le déploiement de l’unité Masada, commando du service carcéral spécialisé dans la pénétration des cellules de prison ; des commandos de marine appuyés par l’équipe de lutte antiterroriste de la police et l’unité cynégétique Oketz de l’armée ; la mise en place d’un site de détention spécial dans le port d’Ashdod ; et le bouclier électronique censé interdire la diffusion de toute information sur la saisie du navire et sur l’arrestation de tous ceux qui se trouvent à bord.
Publié en français par Courrier international
[2] Etait également à bord, un ancien soldat am"ricain, déjà victime de la violence militaire israélienne en 1967 : Gaza : un ancien de l’US Navy, victime des Israliens en 1967, était à bord de la flottille
[3] Il semblerait que la situation évolue un peu en cette fin de journée (1 juin), de nombreux dirigeants européens, dont la France, et même l’Otan demandent la libération immédiate des militants pacifistes kidnappés par les forces d’occupation israéliennes, de même que -grande première depuis 2007, la levée du blocus illégal et criminel de la bande de Gaza.
publié par the Independent et en français par Courrier international
(ajout de vidéo et de) notes : C. Léostic, Afps