« Vous allez toucher  plusieurs oiseaux d’une seule pierre, » proclamait Tzachi Hanegbi,  président de la Commission des Affaires étrangères et de la Sécurité de  la Knesset, lors du débat sur le projet présenté par le ministre des  Affaires étrangères Avigdor Lieberman, dont l’objectif est de détacher  Israël de la bande de Gaza. En dépit des affrontements politiques et des  divergences entre le parti Kadima et Lieberman, le chef de file de  Israël Beiténu, les avantages du projet du ministre des Affaires  étrangères ont convaincu son adversaire.
Selon le projet, élaboré au Conseil pour la Recherche  politique au ministère des Affaires étrangères israélien, Israël se  séparera totalement de la bande de Gaza, tant économiquement que  politiquement. Cette séparation devra être reconnue internationalement,  et selon le journal Yediot Aharonot, le projet inclut les points  suivants :

 une  séparation économique se traduisant par un financement international de  la construction d’une centrale électrique, d’une usine de dessalement  et d’installations pour le traitement des eaux usées, afin de permettre à  Israël de ne plus fournir la bande de Gaza en énergie ;

 les  ports maritimes israéliens cesseront d’accueillir les navires qui se  dirigent vers Gaza, les contrôles sécurité de ces navires étant assurés  dans le port chypriote de Limassol, sous surveillance de l’Union  européenne ;

 l’envoi  de forces européennes aux passages frontaliers entre l’Egypte et la  bande de Gaza, de même qu’entre la bande de Gaza et Israël ;

 la reconnaissance internationale – dont celle les Nations-Unies – de la fin de l’occupation israélienne de la bande de Gaza ;

 un  effort diplomatique à fournir par Israël pour convaincre  l’Administration US et d’autres pays à adopter ce projet et à le  transformer en un plan de travail.
Lieberman va présenter son projet à ses homologues  européens, dont certains se méfient des intentions du ministre  israélien. Des spécialistes sur les questions israéliennes et  palestiniennes estiment que le projet vise à atteindre les objectifs  suivants :

 mettre  fin aux questions posées par la relation d’Israël avec la bande de Gaza  et Israël, lesquelles ont placé Tel-Aviv sous forte pression  internationale pour qu’il soit mis fin au siège de Gaza ;
-         étouffer toute possibilité de créer un Etat  palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ceci surtout du  fait que le projet institutionnalisera une séparation définitive entre  la Cisjordanie et la bande de Gaza ;

 créer  un climat politique favorable à Israël, en lui laissant la main libre  en Cisjordanie et à Jérusalem sous occupation, particulièrement en  termes de projets de colonisation ;

 relier  définitivement la bande de Gaza à l’Egypte, en transférant à celle-ci  les responsabilités politiques, sécuritaires et économiques d’Israël.
Sans aucun doute, l’initiative de Lieberman porte un  coup sévère à l’Autorité palestinienne car elle reconnaît en elle-même  le contrôle du Hamas sur la bande de Gaza, et ce à un moment où les  conditions sont remplies pour saper la crédibilité de l’AP et du  gouvernement de Salam Fayyad. En conséquence, l’AP a brièvement rejeté  le projet.
Nabil Abu Rudeina, porte-parole du président  palestinien, affirme que l’initiative relancerait ce « projet déjà ourdi  pour un Etat provisoire ». « Le projet de Lieberman vise à diviser la  terre de Palestine, » soutient Abu Rudeina. « Il implique pour nous  l’abandon de Jérusalem, par conséquent nous le rejetons avec vigueur et  aussi parce qu’il va à l’encontre des accords signés et de la légitimité  internationale. Lieberman a présenté un plan réchauffé qui relance  l’idée d’un Etat provisoire que nous avons déjà rejetée dans le passé et  que nous continuerons à rejeter au nom du peuple palestinien ».
Abu Rudeina estime en outre que le projet met fin à  toute chance de création d’un Etat palestinien indépendant avec  Jérusalem pour capitale. Il met en garde toute partie palestinienne ou  internationale contre la prise en compte de ce projet, car celui-cil  contrevient aux ambitions du peuple palestinien pour son unité, sa  liberté et son indépendance, et il répond uniquement aux objectifs de  l’extrême droite israélienne.
Le Hamas rejette lui aussi le projet de Lieberman,  disant refuser toute idée de séparation de la bande de Gaza d’avec la  Cisjordanie. « Nous nous opposons à toute tentative de détacher la bande  de Gaza de tout territoire de la Palestine occupée, » affirme Sami Abu  Zahra, porte-parole du parti, disant que l’occupant doit être tenu  responsable aussi longtemps que durera l’occupation de la terre  palestinienne. « Bien que la bande de Gaza ait été libérée sur son sol  de la présence de l’armée et des colonies, elle est restée juridiquement  et dans les faits sous occupation, » déclare Abu Zahra.
Abu Zahra insiste bien pour qu’il ne soit fait aucun  lien entre le projet israélien et la levée du siège de Gaza, y compris  avec la fin des fermetures de la frontière, des routes et des ports et  l’amélioration du ravitaillement de Gaza en électricité et carburants.
Le projet Lieberman sur l’avenir de Gaza « est dangereux  et vise à institutionnaliser (la séparation de) Gaza de la Cisjordanie,  et à permettre (à Israël) de se consacrer à Jérusalem et à la  Cisjordanie, », selon le parlementaire et ancien ministre de  l’Information palestinien, Mustafa Al-Barghouti. Al-Barghouti, qui est  aussi membre du Comité central du Front populaire pour la libération de  la Palestine, a déclaré à Al-Ahram Weekly, qu’il s’agit-là d’une  tentative de se débarrasser du poids démographique palestinien en  séparant la bande de Gaza du reste des territoires palestiniens.
Gaza ne représente pas plus de 1,3% du territoire de la  Palestine historique, mais en s’en séparant, Israël se débarrasse en  même temps de 30% de la population palestinienne, surtout maintenant  que, d’après Al-Barghouti, le nombre de Palestiniens à vivre dans la  Palestine historique est égal à celui des Israéliens. Il estime que le  processus vise encore à transformer l’occupation israélienne en une  « occupation financée par les fonds internationaux », pendant qu’Israël  continuera à dominer les territoires palestiniens.
« Le projet Lieberman met en lumière les véritables  intentions de la politique israélienne qui cherche à dissiper toute idée  d’indépendance et du droit du peuple palestinien à décidere de son  avenir. Il transfert aussi la responsabilité de Gaza à l’Egypte, et  transforme le problème de la Cisjordanie au seul problème de citoyens  vivant dans des bantoustans tout en en transférant également la  responsabilité à la Jordanie. Le but ultime est d’anéantir toute  possibilité de création d’un Etat palestinien indépendant », affirme  Al-Barghouti.
Al-Barghouti met en garde encore, car l’initiative de  Lieberman dégagerait Israël de toute responsabilité envers la bande de  Gaza, et « ferait de celle-ci une entité indépendante et complètement  séparée, ce qui s’inscrit dans la tentative de Tel-Aviv de supprimer le  droit du peuple palestinien à un Etat indépendant et souverain. » Et il  ajoute, « Lieberman veut disperser les Palestiniens et les séparer les  uns des autres, bloquant ainsi toute solution politique possible pour un  Etat ou pour le retour des réfugiés. »
Le ministre des Affaires étrangères allemand, Guido  Westerwelle, a exprimé ses préoccupations alors qu’il participait à une  rencontre informelle des ministres des Affaires étrangères de l’OSCE  (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) à Almaty,  Kazakhistan. « Nous ne voulons pas que l’idée d’un Etat palestinien soit  compromise par la création de plusieurs régions de l’Etat, et en les  séparant dans une certaine mesure les unes des autres et peut-être en  les opposant en un conflit politique, » a-t-il déclaré. « Nous pensons  que ceci ne conduira pas, politiquement, à une paix permanente. »
Le dirigeant allemand réitère son soutien à une solution  à deux Etats, notant, « Nous voulons qu’Israël vive dans des frontières  sûres, mais aussi que les Palestiniens aient un Etat sûr et  indépendant. »
Dès que Lieberman a eu lâché sa bombe, l’ancien ministre  de la Défense et personnalité éminente du Likoud, Moshe Arens, qui fut  aussi autrefois ministre des Affaires étrangères, dévoila à son tour son  idée explosive. Arens suggère qu’on donne aux Palestiniens qui vivent  en Cisjordanie la citoyenneté israélienne et qu’on leur garantisse  l’égalité de droits dans le cadre d’un Etat unique. Dans un article  publié dans plusieurs journaux israéliens, Arens déclare que, « négocier  avec Abbas ne sert à rien », « Abbas représente à peine la moitié des  Palestiniens – s’il représente quelqu’un. » Et d’ajouter, « Si la  Jordanie était prête à accepter d’assumer son autorité sur un territoire  et une population élargis, en Cisjordanie, cela serait simple et se  passerait sans heurts. Mais la Jordanie ne veut pas. Par conséquent, je  pense qu’il faut envisager une autre option, à savoir qu’Israël prenne  en charge l’application de la loi (la gouvernance) en Cisjordanie, et  garantisse la citoyenneté israélienne à son un million et demi de  Palestiniens. »
Arens, un faucon du Likoud, pousse pour que des  alternatives politiques au statu quo actuel soient envisagées et que les  « tabous » en politique israélienne soient bousculés, comme transformer  les Palestiniens de Cisjordanie en Israéliens. Il est resté  imperturbable devant ceux qui l’accusent de promouvoir l’idée d’un Etat  binational incorporant Palestiniens et juifs. « Le binationalisme existe  déjà en Israël, il est également multiculturel et il a plusieurs  origines ethniques, » répond-il.
Ce qui est étonnant, c’est que l’idée soit acceptée par  le président de la Knesset, Reuben Rivlin, qui dit « préférer donner la  citoyenneté israélienne aux Palestiniens que de disperser le pays. »  Tzipi Hotovely, députée Likoud à la Knesset, avait mené campagne à la  Knesset en 2009 sous la bannière « L’alternative à une solution à deux  Etats », où elle appelait à l’octroi petit à petit de la citoyenneté  israélienne aux Palestiniens.
Il semble que certains dirigeants colons aient aussi  approuvé l’idée. Uri Elitzur, président du Conseil de Yesha des  colonies, qui était directeur du cabinet de Netanyahu lors de son mandat  précédent comme Premier ministre, a publié un article appelant à donner  aux Palestiniens une carte d’identité israélienne et le droit de voter  aux élections législatives.
De son côté, Emily Amrusi, ancienne porte-parole du  Conseil de Yesha des colonies, qui participe à des réunions entre colons  et Palestiniens, parle ouvertement d’ « un pays où les fils de colons  iraient à l’école avec les enfants palestiniens dans le même bus ».
Ces deux initiatives visent principalement à échapper au  coût de l’élaboration d’une solution politique au combat  israélo-palestinien.