». 
 Le sionisme, colonialisme de peuplement 
  
Ainsi était présentée la septième conférence annuelle de la 
School of Oriental and African Studies (SOAS) 
Palestine  Society, association étudiante britannique dont l’activité principale  est l’organisation d’événements, politiques et universitaires, en lien  avec la question palestinienne. Durant deux jours, une trentaine  d’universitaires, britanniques, états-uniens, australiens, palestiniens,  israéliens… ont animé diverses tables rondes : « 
Empire, colonialisme de peuplement et sionisme », « 
Une économie politique du colonialisme de peuplement », « 
Les répercussions du colonialisme de peuplement sur la vie indigène »,  etc. La SOAS 
Palestine  Society a enregistré plus de 300 inscriptions payantes : un public  composé d’étudiants, d’universitaires et de militants du mouvement de  solidarité. 
 Les intervenants (Ilan Pappe, Gilbert Achcar, Omar Bargouthi, Naseer Aruri, As’ad Ghanem, Gabriel Piterberg…) ont proposé des exposés sur des thèmes aussi variés que complémentaires : « 
La carte du sionisme : l’Empire britannique et le Moyen-Orient », « 
Le marché du travail palestinien et la politique sioniste de colonialisme de peuplement », « 
Nettoyage ethnique dans le Naqab : les destructions du village bédouin d’al-Araqib »…  Exposés historiques, sociologiques, économiques, voire philosophiques  qui, des études de cas concrets à des considérations plus théoriques et  conceptuelles, ont largement démontré la pertinence et l’utilité du  paradigme du « Colonialisme de peuplement » dans l’analyse du conflit  opposant 
Israël aux Palestiniens.   
« 
Le colonialisme de peuplement a deux caractéristiques principales.  Premièrement, il est gouverné par une logique d’élimination. Les colons  viennent pour rester. Leur mission première n’est pas d’exploiter les  autochtones mais de les remplacer. Deuxièmement, l’invasion n’est pas  événementielle, mais structurelle. Au-delà de la violence fondatrice de  l’expropriation territoriale, les autochtones qui ont survécu sont  soumis à une variété de stratégies au moyen desquelles la société  coloniale cherche à les éliminer », selon les termes de Patrick Wolfe, chercheur en Histoire à l’Université La Trobe (
Australie). D'après lui, le paradigme du colonialisme de peuplement, habituellement utilisé pour les Etats-Unis et l’Australie, peut également s’appliquer à 
Israël. Pour Wolfe, le 
sionisme n’est pas seulement « 
un autre racisme » ou « une autre forme de colonialisme » : « 
le sionisme porte en lui l’élimination des autochtones ».   
Une logique d’élimination que l’on a retrouvée dans nombre des  interventions de la Conférence : politiques de nettoyage ethnique dans  le Néguev (intervention de Mansour Nsasra) ; confiscation, lors de la  Nakba, du patrimoine culturel des Palestiniens de
 Jérusalem-Ouest (Gish Amit) ; stratégie d’inclusion de terres /exclusion des Palestiniens (Gilbert Achcar)… Une logique qui porte néanmoins son lot de contradictions : le statut des Palestiniens d’
Israël,  victimes de discriminations mais alibi démocratique (As’ad Ghanem), ou  les aléas de l’exploitation économique des Palestiniens, révélatrice des  désaccords entre projet 
sioniste et besoins du capital israélien (Shir Ever).   
Changer de cadre conceptuel   
Il est bien évidemment impossible de résumer ici l’ensemble des  communications, qui seront bientôt en ligne sur le site de la SOAS 
Palestine  Society, tant elles étaient riches et variées. Les intervenants se sont  retrouvés sur plusieurs points : la pertinence du cadre conceptuel du  colonialisme de peuplement souligne la faiblesse, voire l’inopérabilité,  des paradigmes dominants dans la recherche universitaire sur la  question palestinienne.   
Ainsi en va-t-il de l’approche en terme de « conflit de légitimité », qui entend appréhender le « conflit » opposant 
Israël  au Palestinien comme une lutte entre deux nationalismes représentant  les aspirations de deux peuples. Peut-on en effet tracer un trait  d’égalité entre, d’un côté, le nationalisme d’une société coloniale et  d’un Etat conquérant et, de l’autre, le nationalisme d’un peuple opprimé  et dépossédé ? De même, l’approche en termes de « peacebuilding », qui  s’est largement développée durant les années 90, dans la foulée de la  signature des Accords d’Oslo, a montré ses limites : le « processus de  paix » ne s’est avéré être, à l’épreuve des faits, que la poursuite de  l’occupation et de la colonisation par d’autres moyens. Comment, dans de  telles conditions, continuer à raisonner dans un cadre théorique qui se  focalise sur la « résolution pacifique du conflit » sans reposer la question de la nature du conflit et de ses formes actuelles ?   
Les questions posées ne concernent pas seulement le champ académique.  Les approches que nous venons d’évoquer sont en effet à l’image des  perceptions diplomatiques dominantes, qui conduisent nombre de pays à  refuser de se confronter aux faits et à tenter de ranimer des  « solutions politiques » qui ont pourtant largement démontré leur  inanité. De la non-reconnaissance de la victoire du 
Hamas en janvier 2006 à l’aveuglement face à la fuite 
en avant d’
Israël, tout indique que les chancelleries, notamment occidentales, largement influencés par les universitaires 
mainstream, tentent désespérément de soumettre la réalité aux concepts, et non l’inverse.   
Nombre d’intervenants de la Conférence de Londres l’ont souligné : la  réalité s’impose à nous, et il s’agit d’en tirer les conclusions,  théoriques et pratiques. L’Autorité palestinienne (AP), qui s’est de  fait substituée à l’Organisation de Libération de la 
Palestine  (OLP), est intégrée structurellement au dispositif d’occupation et joue  un rôle de « subcontractor », de « sous-traitant » de certaines des  tâches anciennement dévolues aux autorités militaires israéliennes.  Comme l’a très justement fait remarquer Mouin Rabbani, dans une  intervention sur les forces de sécurité de l’AP, « 
l’ironie  fondamentale de l’expérience palestinienne est que le mouvement national  palestinien, qui avait réussi par le passé à empêcher l’émergence  d’institutions servant d’intermédiaires à l’administration israélienne, a  engendré, avec l’Autorité palestinienne, l’un des sous-traitants  coloniaux les plus efficaces et les plus malléables de l’histoire ». Certains, dont 
Ilan Pappe,  ont même suggéré de rebaptiser la « Palestinian National Authority »  (PNA) en « Palestinian Zionist Authority » (PZA), avec une ironie toute  relative.   
Même si elle n’était pas au cœur de la Conférence, la question de « l’Etat palestinien aux côtés d’
Israël » a été posée à de multiples reprises. Et de nouveau, les conférenciers ont été unanimes : 
il n’y aura pas d’Etat palestinien indépendant.  Au-delà des raisons conjoncturelles (disparition des bases matérielles  de « l’Etat indépendant » en raison de la digestion de la 
Cisjordanie  et de
 Jérusalem-Est par 
Israël,  position des Etats-Unis et de l’Union Européenne, divisions au sein du  mouvement national palestinien…), ce sont les raisons structurelles qui  ont été mises en avant : le sionisme, colonialisme de peuplement, porte  en lui la négation des droits des Palestiniens. Il est en ce sens  illusoire d’imaginer la possibilité d’un « partage » ou d’un compromis  acceptable entre les droits des Palestiniens et 
la survivance de l’Etat d’
Israël tel qu’il s’est constitué au milieu du 20ème Siècle. La décolonisation de la 
Palestine implique une désionisation de l’Etat d’
Israël :  tant que ce dernier prétendra être « l’Etat des Juifs », il n’y aura  pas de solution juste et donc durable. Etat unique ? Confédération avec  la Jordanie ? Etat laïque et démocratique ? Etat binational ? Sur les  solutions à long terme, les approchent divergent. Mais, chacun l’aura  compris, les intervenants se sont accordés pour dire que la solution des  deux Etats avait fait long feu, pour des raisons théoriques et  pratiques.   
Théorie et pratique   
La table ronde qui concluait l’événement a donné lieu à une discussion  essentielle, qui a traversé les deux jours de la Conférence. Quel lien  entre le travail universitaire, la requalification théorique et  conceptuelle de la question palestinienne, et l’action pour le  changement ? Les intervenants n’ont en effet à aucun moment caché la  dimension 
de facto militante  de leur participation à la Conférence. Aucun d’entre eux n’a revendiqué  une pseudo-neutralité qui, dans des situations où le déséquilibre dans  les rapports de forces est aussi flagrant que dans le conflit opposant 
Israël  aux Palestiniens, équivaut à un accompagnement, conscient ou non, des  mécanismes de domination. L’engagement intellectuel n’est pas  incompatible avec la rigueur scientifique, et même avec l’objectivité  telle que Paul Ricoeur la définit dans 
Histoire et vérité : « 
L'objectivité  ici doit être prise en son sens étymologique strict : est objectif ce  que la pensée méthodique a élaboré, mis en ordre, compris et ce qu'elle  peut ainsi faire comprendre ».   
« Comprendre le monde pour le changer », c’est-à-dire offrir aux  organisations et associations militantes des outils théoriques, des  analyses rigoureuses, tout en reconnaissant l’apport de ces groupes au  champ de la recherche universitaire : une relation dialectique, un  enrichissement mutuel, fait d'échanges, de critiques et d'initiatives  communes. Nombre d’intervenants l’ont souligné : les 
révolutions  dans le monde arabe sont l’expression de bouleversements profonds, qui  ne manqueront pas d’avoir des répercussions sur la question  palestinienne. Des changements d’ampleur sont en cours, il est d’autant  plus urgent d’être armé théoriquement pour pouvoir les comprendre et,  dans le respect de l’indépendance de la décision des populations  concernées, construire une solidarité utile et efficace avec les peuples  en lutte.   
Le peuple palestinien est de ceux-là. Il ne peut donc y avoir  d’étanchéité entre le champ universitaire « spécialiste de la question  palestinienne » et le champ militant « en solidarité avec les droits des  Palestiniens ». Diverses propositions ont émergé, dont celle d’
Ilan Pappe :  rédiger, dans l’esprit de la Conférence, un dictionnaire, un lexique de  la question palestinienne, destiné à être largement diffusé, mettant à  contribution universitaires de diverses disciplines et activistes. Le  cadre d’analyse du « colonialisme de peuplement » n’a pas vocation à  être un simple moyen de décrire la situation, mais bel et bien un outil  pour la transformer.  Comme les organisateurs l’ont écrit :   
«
 Cette conférence ne se contente pas de montrer qu’il est possible de comprendre la Palestine  grâce à une analyse comparée des colonialismes de peuplement. Elle  cherche également à briser les cadres [d’analyse] qui enserrent la Palestine,  à réintégrer le mouvement palestinien au cœur d’une histoire  universelle de la décolonisation, et à imaginer de nouvelles voies pour  la résistance palestinienne, la solidarité et la lutte commune ».