mercredi 11 août 2010 - 06h:20
Abdel Bari Atwan
L’amiral Mike Mullen,  président du collège des Chefs d’état-major [Joint Chiefs of Staff], a  annoncé dimanche que les Etats-Unis ont depuis quelques temps déjà mis  au point un plan pour une frappe sur l’Iran. Il semblerait que nous  devons nous attendre à une autre guerre majeure qui changera la carte  politique et la vie des peuples de cette partie du monde, et pour des  décennies.
 
Avec l’avantage de la rétrospective, il s’agit  clairement d’une pratique israélienne et américaine de vouloir  recueillir une approbation publique avant de lancer la première attaque,  trouvant des prétextes pour la guerre comme ils l’ont fait avec  l’invasion du Sud du Liban en 2006 (qui d’après Israël était une guerre  de représailles contre le Hezbollah qui avait capturé deux de ses  soldats) et la sinistre farce des Armes de Destruction Massive [ADM]  avant l’invasion de l’Irak en 2003 par une coalition sous commandement  des Etats-Unis.
 
Le Président Bush avait réellement décidé - au cours des  discussions avec son allié Tony Blair, alors premier ministre de la  Grande-Bretagne - du moment de la guerre contre l’Irak huit mois avant  de lancer l’opération. Ces deux-là ont alors entamé le processus de  démonisation, nécessaire pour convaincre leurs publics que l’action  militaire était justifiée. Les politiciens, les médias et les  porte-parole aux Nations Unies faisaient tous partie des pièces  composant cette machinerie.
 
Il y a plusieurs indicateurs montrant que des  préparatifs sont en cours pour une nouvelle guerre et que la question  est à présent concentrée sur le fait de trouver un prétexte pour lancer  les bombardiers et missiles à long portée israéliens et américains.  Voici lesquels :
 
Premièrement : la décision du Tribunal international  spécial pour le Liban sur l’assassinat de Rafic Hariri sera rendue  publique le mois prochain. Des fuites suggèrent que le Hezbollah sera  accusé d’être impliqué. Son dirigeant Sayyed Hassan Nasrallah a déjà  insisté sur le fait qu’il ne tiendrait pas compte des accusations,  expliquant que le Tribunal était politisé, et que les preuves ont été  fabriquées. Cela signifie qu’une position peut être prise au niveau  international pour condamner le Hezbollah, donnant ainsi un feu vert à  une agression israélienne contre lui.
 
Deuxièmement : les États-Unis ont exercé de très fortes  pressions - caractérisées par des menaces et des intimidations - sur  l’Autorité palestinienne de Ramallah pour qu’elle revienne à des  négociations directes avec Israël. Le 29 Juillet, lors de sa réunion au  Caire, le Comité pour l’Initiative de paix arabe a exhorté le président  Abbas à entamer des pourparlers directs, en dépit du fait que la partie  israélienne n’ait fait aucune concession sur l’une des questions  majeures, telle que celle des illégales activités de colonisation. Nous  avons constaté que chaque fois que Washington préparait Israël à la  guerre, il y avait une série de rencontres israélo-égyptiennes à Charm  el-Cheikh, des coups d’envoi pour des négociations  israélo-palestiniennes, le tout avec des promesses d’un engagement  américain en faveur d’un très prochain Etat palestinien indépendant.
 
Troisièmement : le mois dernier Netanyahu, premier  ministre d’Israël, a tenu une réunion extrêmement cordiale avec Barack  Obama à la Maison Blanche. C’était très différent d’une rencontre  antérieure caractérisée par l’absence de résultats et des antagonismes.  Les deux hommes ont convenu de relancer les négociations de paix,  présentant Israël comme voulant la paix malgré son massacre, le 31 mai  dernier, de militants pacifistes sur la Flottille de la Liberté pour la  bande de Gaza.
 
Quatrièmement : Six soldats israéliens ont été récemment  tués en Roumanie lorsque leur engin s’est écrasé lors de manoeuvres  conjointes... Il y a des spéculations selon lesquelles la Roumanie et la  Géorgie ont pris la place de la Turquie comme allié d’Israël et comme  pont vers l’Europe. La Turquie a fermé son espace aérien à Israël pour  protester contre le massacre de la Flottille et contre le blocus de la  bande de Gaza.
 
Cinquièmement : Les Émirats arabes unis et l’Arabie  saoudite ont interdit l’utilisation du téléphone mobile BlackBerry du  fait que ses scripts de communication ne sont pas soumis à la  surveillance des services de sécurité. Ils ont expliqué que  l’interdiction se justifiait par les préparatifs pour des mesures  d’urgence en cas de guerre. Il y a plus de 400 000 Iraniens dans la  région du Golfe, et les journaux répandent des rumeurs sur des cellules  dormantes iraniennes parmi eux.
 
Sixièmement : la visite commune surprise de la semaine  dernière du roi saoudien Abdullah bin Abdul Aziz et du président syrien  Bachar al-Assad à Beyrouth ; ils y ont exhorté les dirigeants des  organisations rivales à convenir d’une trêve, face à l’anxiété  croissante au sujet une nouvelle guerre civile si le Hezbollah se  retrouvait accusé de l’assassinat de Rafic Hariri. Cela met en évidence  un plan israélien pour attaquer le Liban.
 
Septièmement : Israël a achevé les essais de son système  de défense anti-missile, « le dôme de fer », le 20 juillet. La Syrie a  été récemment accusée d’avoir fourni des missiles Scud au Hezbollah .
 
Huitièmement : pour la première fois depuis plusieurs  années, des roquettes ont été lancées contre Israël depuis le désert du  Sinaï. On pense qu’il s’agissait de fusées à longue portée de type Grad  (russe). Ceci survient comme un avertissement à Israël, disant que la  réplique à une agression ne viendrait pas seulement du Sud-Liban mais  aussi du Sinaï et de la bande de Gaza.
 
L’amiral Mullen faisait preuve de raison quand il a dit  être préoccupé par les coûts élevés d’une autre guerre à la fois en  termes de vies humaines et en termes économiques. Les résistants  islamistes et les troupes iraniennes sont de redoutables combattants qui  sont prêts à mourir plutôt que de hisser le drapeau blanc, au contraire  des régimes arabes si friands de capiutaltions. La guerre en  Afghanistan dure depuis neuf ans, et depuis sept ans en Irak. Le  Hezbollah a résisté à l’agression israélienne pendant plus de  trente-quatre jours et n’a pas été brisé, et le Hamas n’a pas été vaincu  après plus de trois semaines de guerre lorsque Israël a envahi Gaza  l’hiver 2008-2009. Ce fut le début d’un tournant dans l’opinion  mondiale, Israël se révélant être un Etat voyou raciste qui commet des  crimes de guerre et viole toutes les lois internationales.
 
Le président Obama a annoncé hier que toutes les troupes  américaines en première ligne quitteront l’Irak en Septembre. Il ne  veut pas que ses troupes deviennent des otages en cas de guerre avec  l’Iran. Dans ce qui se révèle être d’une grande ironie historique, les  Iraniens sont le plus fort contingent dans l’actuel régime irakien sous  l’égide des Etats-Unis.
 
La récente réconciliation saoudo-syrienne n’est pas une  garantie de stabilité au Liban, ces pays exerçant une moins grande  influence comparée à celle de l’Iran dont les liens avec les branches  politiques et militaires du Hezbollah sont bien connus.
 
Mohammad Baqer Zolghadr, vice-ministre iranien dans les  affaires de sécurité intérieure a averti hier que dans le cas d’une  attaque, l’Iran ripostera contre Israël comme contre les intérêts  américains dans le Golfe. Ses missiles Shahab-3 à longue portée de 2000  km sont certainement capables de cela.
 
Nous n’excluons pas la possibilité que toutes ces  menaces soient tout simplement un autre chapitre dans la longue guerre  psychologique entre Téhéran et Washington. Mais la résistance des  Talibans et le retrait des Néerlandais, des troupes polonaises et  australiennes du théâtre afghan commencent à ressembler à une défaite  pour l’OTAN.
 
Se pourrait-il que, après avoir fait machine arrière en  Irak et avoir échoué à apporter la paix en Palestine, les Etats-Unis et  les États arabes dits modérés souhaitent affronter un nouveau champ de  bataille ? Telle est la stratégie d’un joueur qui face à ses pertes,  prend des risques encore plus grands dans l’espoir de tout gagner, alors  qu’il finit par tout perdre.
 
Les guerres en Irak et en Afghanistan n’ont en rien  contribué à améliorer la sécurité américaine, bien au contraire : les  Etats-Unis sont entraînés dans des guerres coûteuses et épuisantes, le  processus de paix s’est effondré en même temps que l’économie et,  surtout, la menace d’Al- Qaida n’a pas diminué mais s’est au contraire  renforcée, et cette organisation n’a cessé de s’étendre à travers le  monde.
 
 
* Abdel Bari Atwan est  palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand  quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est  considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la  presse arabe.