mercredi 28 septembre 2011

Novembre 1947 / Septembre 2011 : le crime était presque parfait !

Palestine - 25 septembre 2011
Par Pierre-Yves Salingue
Le scénario avait été particulièrement travaillé. 64 ans après le vote par l’ONU du plan de partage de la Palestine en faveur de l’entreprise coloniale sioniste et contre la volonté et les intérêts des peuples arabes de la région, on allait liquider la cause palestinienne en faisant croire que « la solution évidente des deux Etats » avait enfin été acceptée par tous. Les déclarations optimistes d’Abbas et de Fayyad, autorisées et confortées par divers discours d’Obama en 2009 et 2010, avaient ancré dans les esprits l’idée de « l’Etat palestinien en septembre 2011 ». Les dirigeants israéliens eux-mêmes avaient émis quelques propos élogieux sur l’excellence de la coopération sécuritaire pour réprimer la résistance et sur les convergences des initiatives de Fayyad avec le plan de « paix économique » de Netanyahu.
Novembre 1947 / Septembre 2011 : le crime était presque parfait !
Avant même la mort d’Arafat, les dirigeants impérialistes avaient assuré la continuité d’une représentation palestinienne qui leur convienne. Après avoir été imposé comme Premier ministre, Abbas avait été élu Président de l’Autorité en 2005. Certes, en 2006, le vote démocratique en faveur du Hamas des Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza avait mis la manœuvre en péril. Mais les arrestations par l’armée d’occupation des parlementaires Hamas nouvellement élus et le blocus imposé aux Palestiniens qui prétendaient choisir leur gouvernement avaient permis d’imposer une équipe menée par Fayyad et présentant les garanties exigées par les bailleurs occidentaux de l’Autorité palestinienne.
Conscient de l’absence totale de légitimité politique de Fayyad pour les Palestiniens (2% aux élections de 2006 !), les dirigeants impérialistes ont fermé les yeux sur la prolongation unilatérale par Abbas de son mandat présidentiel expiré depuis janvier 2009 !
Quant au fait que sa « légitimité révolutionnaire » au sein de l’OLP tient d’une part à un congrès du Fatah tenu à Bethléem en 2009 sous contrôle de l’armée d’occupation et d’autre part à l’absence totale de fonctionnement démocratique de l’OLP, dont l’instance suprême de décision ne s’est pas réunie depuis plus de 10 ans…, ils n’en ont évidemment cure, tant que l’actuelle direction autoproclamée leur est utile.
On s’acheminait donc vers l’adoption de « la seule solution possible, connue de tous, la solution à deux Etats, israélien et palestinien, vivant côte à côte en paix et en sécurité. »
On allait enfin connaître la fin d’un « drame de plus de 60 ans » grâce à la générosité occidentale qui octroyait un Etat à des Palestiniens méritants et aux « saCRIFices douloureux » des Israéliens qui renonceraient (provisoirement !) aux 10 à 15 % de la Palestine mandataire laissés aux Palestiniens.
A défaut de pouvoir rentrer chez eux, dans leurs foyers, les réfugiés pourraient voyager grâce à un passeport, les Palestiniens discriminés en Israël seraient invités à rejoindre l’un des bantoustans constituant l’Etat palestinien, ce bantoustan pouvant d’ailleurs être le résultat d’un échange de territoires permettant à Israël d’annexer les blocs de colonies.
La pièce était jouée ! A l’occasion de cet « évènement historique », on ne parlerait ni du siège de Gaza, ni des 12.000 prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes, ni de la construction à un rythme effréné des colonies, ni de la multiplication des agressions armées des colons fanatiques en Cisjordanie , ni de la judaïsation accélérée de Jérusalem, ni de l’aggravation de la situation des réfugiés dans les camps…
Tous les projecteurs seraient braqués sur la proclamation de l’Etat de Palestine et peu importe que celui-ci soit vide de toute souveraineté et sans conséquence aucune sur la réalité de l’occupation. On maintiendrait à distance les victimes de l’ultime braderie des exigences palestiniennes, réfugiés sans droit au retour réel, Palestiniens expulsés de Jérusalem, Palestiniens de 48 soumis à l’apartheid en Israël, etc. dont on couvrirait les cris de colère par les slogans des manifestants soutenant le spectacle : enfants des écoles dont les cours sont suspendus le temps du rassemblement, employés de l’Autorité contraints d’interrompre le travail et d’aller manifester pour toucher le salaire, chômeurs qui se voient offrir un sandwich et du soda en échange de leur participation… Et dans les mosquées, à la fin de la prière, on ferait lire un texte appelant à soutenir les efforts extraordinaires du Président !
Insensiblement, au fur et à mesure qu’on se rapprochait de l’échéance de septembre 2011, les choses se sont gâtées. Le scénario consensuel s’est délité et la direction palestinienne s’est retrouvée dans cette situation ubuesque de devoir justifier les raisons pour lesquelles elle demandait l’Etat croupion qui lui avait été antérieurement consenti par le parrain US à qui elle avait une fois de plus fait confiance.
Pour le coup, l’or s’est changé en plomb et ce qui devait être un acte historique a été remplacé par une polémique saugrenue où le sort de millions de Palestiniens est réduit au dilemme suivant : la proclamation de l’Etat de Palestine et son admission à l’ONU doit-elle précéder la reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens ou la négociation doit-elle forcément reprendre avant la proclamation de l’Etat ?
La frénésie des rencontres bilatérales, des voyages éclair, des réunions d’urgence, des initiatives de la dernière chance, etc. semble sans effet sur la possibilité de trouver une solution à cette variante onusienne du fameux dilemme de la poule et de l’œuf : c’est l’Etat qui précède la négociation ou c’est la négociation qui engendre l’Etat ?
Un instant déstabilisé, on pense inévitablement à la tirade de Macbeth : serions-nous en présence d’ « une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien » ?
Mais en étant attentif, on constate que les acteurs qui s’écharpent devant les caméras sont toutefois d’accord sur un point : tout ceci n’aura en réalité aucune conséquence sur le quotidien des Palestiniens qui resteront soumis demain aux mêmes injustices qu’hier. Les prisonniers resteront prisonniers, les réfugiés resteront dans leurs camps, le blocus de Gaza ne sera pas levé, le mur de bougera pas d’un pouce, d’autres colonies sionistes seront construites sur les terres palestiniennes, etc.
On comprend alors qu’à l’ONU, la ligne de partage n’est pas entre ceux qui défendent les droits nationaux des Palestiniens et ceux qui soutiennent l’état colonial sioniste.
Le désaccord « qui fait craindre le pire » n’est en réalité qu’une divergence tactique entre ennemis du peuple palestinien.
Il y a ceux qui disent : « la situation dans la région menace de devenir de plus en plus instable, il faut essayer de tromper les Palestiniens tout de suite, demain on n’aura peut-être plus un Abou Mazen sous la main pour essayer de faire passer la pilule » et ceux qui répondent : « c’est justement parce que c’est instable qu’on doit se donner un peu de temps, on peut encore faire vivre l’industrie de la paix en attendant de voir comment ça évolue notamment en Egypte, et si Abou Mazen nous lâche, on se servira d’un autre aujourd’hui en réserve ».
Mais tous sont d’accord pour empêcher le peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination.
On pense alors à ces évènements extraordinaires en Tunisie, en Egypte, au Bahreïn, au Yémen, au Maroc… qui ont illuminé ces derniers mois le ciel obscur du désespoir palestinien.
Par ses excès mêmes, la dramatisation du dérisoire spectacle onusien témoigne de l’état de panique suscité par la mise en mouvement des masses arabes. On comprend que ce désordre général au sein du camp impérialiste est le résultat de l’affolement de chacun des acteurs qui concouraient au dispositif d’asservissement des peuples arabes en général et à l’oppression du peuple palestinien en particulier.
On comprend que la panique a gagné tous ces grands et petits bénéficiaires du dispositif de domination : la direction sioniste avide de poursuivre son plan de nettoyage ethnique, qu’elle doit parfois mettre en veilleuse mais qu’elle n’a jamais abandonné ; les dirigeants US qui voudraient créer les conditions leur permettant de rétablir un équilibre menacé par l’essor du processus révolutionnaire arabe notamment en Egypte, condition nécessaire au déploiement de l’ordre néolibéral sur la région du « Grand Moyen Orient » ; les dirigeants européens avant tout soucieux de la stabilité dans la partie arabe d’une zone méditerranéenne déjà fragilisée par la crise du capitalisme qui menace plusieurs Etats de l’Europe du Sud ; les Etats de la Ligue arabe menacés par la mise en mouvement de leurs peuples qu’ils pensaient avoir définitivement neutralisés ; et bien sûr, pièce indispensable de l’édifice, la petite élite palestinienne issue d’Oslo, et d’abord les dirigeants de l’OLP et de l’AP de Ramallah, qui n’ont d’autre horizon stratégique que celui de négocier, avec les dirigeants sionistes et sous patronage US, les conditions d’une reddition qui leur laissent quand même quelques privilèges matériels et symboliques.
Depuis plus de 20 ans, le terme attendu du « processus de paix » était la normalisation entre le monde arabe et l’Etat sioniste, « une intégration pleine et entière, consentie par ses voisins ».
L’état indépendant palestinien dans les frontières de 67 était la monnaie d’échange de cette intégration, alibi nécessaire à la normalisation des relations avec Israël pour tous les régimes arabes décidés à prendre leur place dans l’ordre néolibéral.
Mais la dynamique politique du sionisme et sa logique de colonisation ininterrompue ont détruit les bases mêmes de l’existence de cette monnaie d’échange : à force de coloniser, il ne reste plus rien à offrir !
C’est maintenant qu’éclate cette vérité parfois ignorée et toujours niée au sein du mouvement qui affirme sa solidarité avec le combat des Palestiniens : le rejet populaire d’Israël de la part de l’immense majorité des peuples arabes qui n’ont jamais accepté l’Etat sioniste imposé par la force au sein de l’Orient arabe. La réalité, c’est qu’il n’y a jamais eu d’adhésion populaire aux sempiternels discours de paix qui exprimaient seulement la soumission d’une élite occidentalisée ou la collaboration de régimes corrompus et soumis aux exigences impérialistes d’accepter « le partenariat avec Israël ».
Aujourd’hui, les questions se bousculent : Comment parvenir à faire oublier cette plaie ouverte depuis 1948 ? Comment faire pour supprimer ce ferment de révolution qui fait dire à tant d’Arabes que le moment est venu de balayer tous ces régimes arabes soumis et de poursuivre la lutte jusqu’à la libération de toute la Palestine ? Comment faire pour assurer la victoire de la normalisation alors que, du Caire à Amman, la colère populaire a remis l’Etat sioniste au centre de la cible de la révolution ? Comment faire pour stopper ce mouvement dont témoignent les actions déterminées contre les ambassades israéliennes, l’affirmation du refus de la normalisation avec Israël dans la plate-forme de la fédération des syndicats indépendants d’Egypte, la montée de l’exigence d’une véritable ouverture de Rafah, la remise en cause des accords économiques et politiques de l’Egypte et de la Jordanie avec l’Etat sioniste ?
Tel est le vrai dilemme des dirigeants impérialistes.
La colère qui couve en Palestine et au sein des peuples arabes n’éclatera pas en raison d’une prétendue frustration d’avoir été injustement privé d’un « Etat ». Ce qui provoquera demain la colère, ce seront les agressions de l’armée israélienne dans le Sinaï, la poursuite du blocus de Gaza et notamment le scandale de la prétendue ouverture de Rafah, les agressions croissantes des colons sionistes contre les villages palestiniens en Cisjordanie , la judaïsation accélérée de Jérusalem, les provocations contre le peuple du Liban, la répression des mouvements de réfugiés, la poursuite de l’occupation de l’Irak, les menaces d’intervention impérialiste en Syrie, etc.
Ce qui provoquera la colère, c’est la volonté impérialiste de priver les peuples arabes de leur droit de prendre en main leur propre destinée, de disposer des ressources de leur sol et, s’agissant du peuple palestinien, d’exercer son droit à l’autodétermination au sein de toute la Palestine, partie intégrante du Machrek.
Quand le pitoyable spectacle de « Palestine 194 » sera terminé, on pourra peut-être revenir au sujet oublié : celui de la libération de la Palestine.
Peut-être sera-t-il alors possible de comprendre que la faillite totale et définitive du projet d’une « Palestine partagée entre deux peuples » est tout simplement l’aboutissement logique du plan de colonisation sioniste qui n’a pas commencé en 1967 et qui ne s’arrêtera jamais tant qu’existe un Etat sioniste qui est d’abord l’incarnation d’une idéologie coloniale réactionnaire, fauteur de guerre et facteur de haine, établi pour contrôler et diviser les peuples, au service de la domination impérialiste.
La prochaine débandade de la direction palestinienne illégitime annoncera probablement son acte de décès et c’est tant mieux !
La fin de ce projet est en réalité une chance pour l’immense majorité des Palestiniens : un Etat croupion palestinien, dépourvu de toute souveraineté et légitimant l’existence de l’Etat d’Israël, eut été une étape supplémentaire dans la fragmentation territoriale et la division du peuple arabe.
La disparition de la perspective des deux Etats mettra un terme à une séquence historique porteuse d’illusions et de défaites. La suppression de cet obstacle est indispensable pour renouer le fil de l’Histoire du combat anti-impérialiste et anti-colonial mené pendant des décennies par les peuples de l’Orient arabe.
L’essor de la révolution arabe va bouleverser les termes de la lutte des Palestiniens en lui permettant de renouer avec la dimension anti-impérialiste et révolutionnaire qui a failli être détruite par les accords d’Oslo.
La question palestinienne va reprendre sa place centrale au sein de la question arabe : il ne s’agit pas d’une lutte pour « le partage de la terre entre deux peuples » mais de la remise en cause d’un Etat pivot de l’impérialisme au Moyen Orient et d’un combat pour l’émancipation.
L’affrontement n’est pas entre les 5 millions de Palestiniens et les 6 millions de Juifs israéliens présents sur la terre de l’ancienne Palestine mandataire mais entre le puissant essor des révolutions arabes en cours et l’Etat sioniste d’Israël, projection de l’Impérialisme occidental dans l’Orient arabe.
Cette modification du rapport des forces va entraîner une transformation radicale des termes de l’affrontement et de ses issues politiques possibles. Il entrainera aussi une remise en cause profonde de la représentation palestinienne.
Ceux qui pensent que c’est seulement « de son plein gré qu’Israël évacuera les territoires occupés », ceux qui approuvent Abbas quand il affirme « notre objectif n’est pas d’isoler ou de délégitimer Israël » vont devoir s’effacer, emportés par le naufrage de la stratégie qui a conduit aux accords d’Oslo.
C’est à la question du partage qu’il faut revenir en effet, mais en comprenant que le problème n’est pas l’absence d’un Etat palestinien.
Le conflit prend racine dans la création de l’Etat colonial et c’est pour cette raison que la solution n’est pas d’appliquer le plan de partage mais de l’annuler totalement, au nom de l’émancipation des peuples arabes contre le projet impérialiste d’accaparement des richesses et de contrôle stratégique de l’Orient arabe et au nom de la révolution arabe qui s’est remise en marche et qui se heurtera nécessairement à l’Etat sioniste partie intégrante de la contre révolution.
Pour celles et ceux qui soutiennent les droits des Palestiniens, le combat pour la Palestine n’est certes pas de soutenir une supplique visant à obtenir une quelconque reconnaissance de l’ONU qui a légitimé en 1947 un projet de nettoyage ethnique et a donné le feu vert aux troupes sionistes pour mener la guerre coloniale de dépossession et d’expulsion des Palestiniens, guerre qui se poursuit encore aujourd’hui.
Le combat pour la Palestine est dans la poursuite de l’action visant à isoler l’Etat sioniste, notamment en poursuivant la campagne BDS.
Il est dans le développement de l’action contre le blocus de Gaza, en prenant place aux côtés des révolutionnaires égyptiens dans la campagne pour l’ouverture totale de Rafah.
Il est dans l’engagement de forces militantes dans les actions des réfugiés aux frontières de la Palestine occupée, au Liban, en Jordanie et en Syrie.
Et il est, bien sûr, dans le soutien aux révolutions arabes, en solidarité notamment avec les révolutionnaires égyptiens en première ligne de la confrontation qui vient.
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