vendredi 11 février 2011

Retour de la démocratie à son statut de propagande

Par Mohamed Bouhamidi 
La vérité sera sortie de la bouche d’Israël ! La réalité de la sécurité et de l’hégémonie de cet Etat a renvoyé à leur statut d’aimable fiction propagandiste les «valeurs universelles», et «universellement désirables» de la démocratie. La stabilité régionale, entendez la sécurité et l’hégémonie d’Israël, vaut infiniment plus que la démocratie pour les Egyptiens.
Le peuple égyptien les met à nu
Et d’ailleurs qu’en feraient-ils puisqu’elle n’est pas dans leurs traditions historiques ? De Netanyahou à Shimon Peres en passant par tout l’arc-en-ciel de la «démocratie» israélienne, l’appel est unique : il faut soutenir Moubarak, à défaut lui substituer Souleïmane, le si docile Dahlan égyptien, mais en tout cas arrêter l’angélisme de croire à une démocratie réelle qui n’en serait pas automatiquement l’ennemi d’Israël et des intérêts occidentaux. La notion de démocratie ne sert que si elle reste dans sa fonction de culpabilisation des peuples arabes et africains incapables d’accéder à la modernité capitaliste et donc dans sa fonction de suggestion d’un statut de supériorité de l’«homme occidental» ; donc l’alpha et l’oméga politiques et philosophiques restent l’«homme israélien». C’est la nouvelle version, avec la notion de modernité, des fonctions jouées par les notions de civilisation et de missions civilisatrices. Tant que la mission de démocratisation du monde arabe signifiait clairement et sans ambages l’installation musclée de régimes inféodés à l’impérialisme, la démocratie a servi de légitimation aux pires crimes de guerre et aux pires crimes contre l’humanité en Irak comme en Afghanistan et comme demain en Iran. Cette arme de propagande de la démocratie a été exclusivement dirigée contre les régimes qui gênaient les plans occidentaux et, comme nous le révèle encore une fois l’histoire se faisant sous nos yeux, l’Occident s’est parfaitement accommodé des dictatures arabes, africaines et latinos. L’appareil de propagande et de diffusion de la pensée unique est tellement puissant et si bien réglé que l’expérience latino, y compris pour le tout récent coup d’Etat au Honduras, semble ne laisser de traces nulle part dans les consciences. Le formatage et le lavage des cerveaux est tel par cet immense appareil de propagande, qui vous fait oublier le lendemain ce qui s’est passé la veille, que le vote palestinien reconnu sincère pour le Hamas a valu à ce peuple les politiques de punition les plus inhumaines.   En quelques jours, la révolte déterminée du peuple égyptien a  ruiné cet édifice et des années de propagande occidentale sur les valeurs universelles de la démocratie que nous devions adopter sans restriction ni louvoiement. Israël sera passé par là ! Personne parmi les dirigeants ou les idéologues de ces valeurs universelles ne nous précisait que par démocratie ils entendaient le libéralisme économique. Libéralisme économique et démocratie représentative devenaient les «horizons indépassables» dès la chute du mur de Berlin et Fukuyama qui a cru à «la fin de l’histoire» n’était pas le seul à voir, dans la chute du Mur, la victoire définitive du libéralisme économique qui a pour corollaire le triomphe du capitalisme dans sa version libérale. Dans le partage des tâches des institutions internationales du capitalisme tombées sous l’unique autorité du capitalisme financier, la besogne des ajustements structurels, des ouvertures de marché, de privatisation généralisée des biens et outils nationaux de développement revenait au FMI, à la Banque mondiale et autres G6, G8 puis G20.  Il revenait aux idéologues de nous faire passer l’amertume de la médication capitaliste sous la grandeur «morale» de retrouvailles avec «une nature de l’homme» en tous points compatible avec le seul capitalisme et qui fait de l’homme un loup pour l’homme. D’une façon ou d’une autre, depuis la chute du mur de Berlin, «le talon de fer» du capitalisme financier a écrasé l’écrasante majorité de la planète et n’y ont échappé totalement ou en partie que des pays qui ont développé des résistances acharnées mais épuisantes à l’image de Cuba qui plus fait pour les Haïtiens sinistrés que l’armada américaine. Cette période historique a vu le reflux de la plupart des luttes extraordinaires contre le colonialisme et la trahison des aspirations des peuples colonisés. La voie chinoise vers le développent, l’émergence d’une alliance entre luttes indigènes pour la terre et luttes sociales contre la mainmise américaine sur les richesses minières en Amérique latine, la résistance de Cuba n’ont pas semblé vraiment remettre en cause l’hégémonie américaine et occidentale en général, l’hégémonie du capitalisme financier, ni remettre en cause les thèmes de sa propagande. La révolte du peuple égyptien, en voie de devenir une révolution, a réussi à le faire. Les experts et les commentateurs maison des médias dominants ont un peu reproché à la Maison-Blanche d’avoir changé plusieurs fois de position sur l’Egypte. La Maison-Blanche n’a jamais changé de position ! Les interventions d’Israël sur la question ont unifié le discours des Occidentaux et rééquilibré les formules sur la notion de stabilité. En apparence, Israël a fait changer d’avis tout le camp occidental et donné le feu vert aux «intellectuels cathodiques» de mettre sur le tapis une nouvelle approche de la démocratie. Bernard Henri Lévy,  Alexandre Adler, Finkielkraut se sont vite mis au boulot, toute mémoire démocratique liquidée, car pourquoi discuter une prédisposition démocratique aux Egyptiens et l’accorder aux Iraniens tout en prenant ces derniers pour raison visible, presque palpable du danger de l’usage démocratique chez les peuples arabes, musulmans, noirs, métèques, bicot-nègres, etc. ?Israël là-dedans n’y est pas pour beaucoup. La réalité est plus simple même si elle est relativement cachée : les Etats-Unis veulent des régimes légitimes au Moyen-Orient pour passer de la domination de la région à l’hégémonie sur la région. Les Etats-Unis pensent que seuls des régimes élus avec une façade démocratique peuvent imposer à leurs peuples des relations de sujétion à la fois aux Etats-Unis et à Israël garant nécessaire des intérêts occidentaux  face à d’éventuelles velléités même chez des peuples subjugués.  Comme pour la Tunisie, les actes américains visaient un déverrouillage de la situation vers cette apparence de démocratie qui leur semblait préférable à la situation de dictature plus confortable pour eux mais moins rentable sur le plan politique. Il fallait pour cela sacrifier Moubarak pour sauver le système Moubarak. Quand ils ont constaté que le peuple égyptien ne «jouait» pas à la revendication démocratique mais voulait réellement s’approprier la souveraineté démocratique en dehors des plans américains et israéliens, les médias ont donné plus de place aux déclarations israéliennes pour préparer les volte-face occidentales sur la préférence de la stabilité à la démocratie. Merveilleux peuple égyptien qui a dévoilé que la démocratie ne signifie jamais pour les peuples la soumission au capital. Si les Egyptiens ont pu faire chavirer cet édifice idéologique construit autour du thème de démocratie, c’est parce qu’ils sont en train de faire chavirer l’édifice politique et militaire qui soumet tous les peuples de la région aux intérêts de l’impérialisme américain et aux dictateurs qui appliquent leurs orientations et relayent leur propagande.
De la démocratie chez nos démocrates
Pourquoi la propagande «démocratique» des pays impérialistes marche malgré la mise à nu égyptienne et malgré toutes les autres expériences qui montrent à l’envi que derrière le slogan de révolution démocratique se cache à peine l’exigence de plus de libéralisme ? Elle marche dans les couches moyennes cultivées qui ont fait des cursus universitaires contrariés par le chômage et par leurs salaires médiocres imposés par les ajustements structurels de ceux qui les invitent à la révolution démocratique pour plus d’ajustements structurels. Dans ces couches que les politiques impérialistes, celles du FMI, de la Banque mondiale, de l’accord d’association avec l’Union européenne, celles des zones de libre-échange, celles de la suprématie d’Israël a empêché de s’épanouir et de bien vivre alors même que ces couches moyennes regardent les richesses  s’accumuler chez la bourgeoise et l’intelligentsia compradores. Ces couches moyennes cultivées croient au chant des sirènes qui les a déjà envoyées sur les récifs de division internationale du travail et des appétits insatiables du capitalisme financier. C’est parce que l’ascenseur national est bloqué qu’elles croient en trouver un qui marche pour leur promotion sociale avec plus de politique impérialiste. Cela devient une question
technique, une question de mécanique : celle du système. Change-t-on de politique quand on change de système et si oui quelle politique à la place de quelle politique ? Une personnalité et une toute petite organisation de jeunes ont osé répondre. Hocine Zahouane a replacé le débat dans le sens qu’il fallait, celui de l’affrontement entre  révolutions et contre-révolutions dans le monde arabe. A son intérêt politique la démarche de Hocine Zahaouane ajoute son intérêt culturel. Face au bloc monolithique qui veut nous faire croire qu’aux fléaux du libéralisme, il n’existe que la solution du libéralisme, Hocine Zahouane nous rappelle la mémoire des luttes acharnées autour de nos ressources naturelles, minières et pétrolières que des pays hautement démocratiques entendaient nous subtiliser. Perdue dans des recoins d’Internet, une déclaration de jeunes Algériens que les sirènes ultralibérales de la marche du 12 février n’aura pas subjugués, nous rafraîchit l’air avec un autre langage, s’opposer au pouvoir oui, mais du point du vue des intérêts étrangers : «Nous avons expliqué que notre rejet du régime ne se conjugue pas avec celui des patrons et des importateurs. Nous le rejetons pour sa politique de paupérisation, antisociale, antidémocratique, capitaliste aux ordres des grandes puissances impérialistes et de la bourgeoisie locale. Si les mesures de la loi de finances 2009 ne nous ont pas satisfaits, parce qu’elles tendent en réalité à gérer la crise et rencarder l’économie capitaliste en vue d’assurer sa pérennité, mais en aucun cas à satisfaire les besoins de la population. Si nous contestons les timides mesures du gouvernement qui a essayé d’imposer des impôts aux patrons et aux importateurs, parce que nous jugeons qu’il est grand temps de finir avec l’évasion fiscale et la bazardisation du commerce extérieur par l’imposition de plus d’impôts, par l’expropriation des entreprises réfractaires et par le monopole de l’Etat sur le commerce extérieur sous le contrôle des travailleurs.»Vous ne trouverez ce son de cloche dans aucun média dominant parce que la patrie n’a d’autre refuge que sa propre terre et la poitrine ouverte de ses révoltes.