mercredi 12 mai 2010

Achetez des produits palestiniens

10/05/2010

Supposons qu’un groupe palestinien réussisse à fonder une nouvelle colonie sur des terres abandonnées par les réfugiés de la guerre de 1967, dans la Vallée du Jourdain. Qu’est-ce que vous, patriote israélien moyen, diriez d’un entrepreneur israélien qui a accepté de la construire, ou d’ouvriers juifs juchés sur des échafaudages palestiniens ? À quelle levée de boucliers de la droite israélienne contre ces traîtres nous assisterions ! N’ayez crainte, nos forces ne laisseraient jamais les non-circoncis changer ne serait-ce qu’une vis en territoire occupé sous contrôle israélien absolu (environ 60% de la Cisjordanie). Ce scénario où des Juifs construisent des maisons pour les Palestiniens n’a été imaginé que pour alimenter la discussion —spécifiquement sur les protestations israéliennes contre l’interdiction de travailler dans les colonies récemment imposée aux Arabes par l’Autorité Palestinienne.
Il faut une bonne dose de toupet pour menacer les Palestiniens de s’en prendre à leur économie s’ils refusent de continuer à construire des colonies israéliennes sur leurs propres terres. Nous seuls avons le droit de menacer un jour sur trois de boycotter les pays qui osent nous critiquer. Après tout, c’est bien connu, nous avons le monopole du patriotisme. Vous vous rappelez le traitement que les milices clandestines Etzel et Lehi infligeaient aux jeunes Juives qui couchaient avec les soldats britanniques ?
"Acheter israélien" —avec le mot "israélien" souligné— est important : [c’est pourquoi] beaucoup d’Israéliens, dont moi-même, et de partisans de la paix partout dans le monde boycottent les produits fabriqués dans les colonies. Mais si les ouvriers d’usine palestiniens osent quitter leur emploi de la zone industrielle de Barkan en Cisjordanie, le président de l’Association des Fabricants, Shraga Brosh, dit qu’il s’assurera que le gouvernement ferme le port de Haïfa aux marchandises palestiniennes.
Le monde entier, nos amis américains en tête, insiste sur le fait que renforcer les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est n’est en aucun cas conciliable avec la solution "deux états pour deux peuples". Comment peut-on espérer que les dirigeants palestiniens restent les bras croisés pendant que 25 000 ouvriers palestiniens ratifient l’occupation en travaillant pour elle à la sueur de leur propre front ? Tout comme le Protocole de Paris (accord économique entre Israël et l’AP) n’oblige pas Israël à employer des travailleurs palestiniens à Kfar Sava, il n’interdit pas non plus aux Palestiniens d’imposer des restrictions aux Arabes qui travaillent à Ariel.
L’émoi que suscite la campagne économique de l’AP contre les colonies indique, plus que toute autre chose, à quel point la conscience israélienne est imprégnée de colonialisme. Les protestations contre la perte des coupeurs de bois et des creuseurs de puits qui menace montre combien il est difficile de se défaire du fonctionnement maître-serviteur qui a pris racine ces 43 dernières années. L’écart entre l’économie d’Israël et celle des territoires occupés, les restrictions sécuritaires d’entrée en Israël et de mouvement dans les territoires ainsi que la discrimination en faveur des marchandises israéliennes ont obligé la main-d’œuvre cisjordanienne à s’embaucher dans les colonies. Les colons sont également devenus dépendants de cette relation asymétrique entre les autochtones et eux : pourquoi installeraient-ils des travailleurs chinois sur leur sainte terre s’ils peuvent avoir à bon marché des ouvriers palestiniens qui rentrent chez eux à la fin de la journée.
Si le gouvernement d’Israël était réellement décidé à partager les terres, il suivrait l’exemple de l’AP et se couperait des colons. En plus de geler la construction dans les colonies, il pourrait annuler les avantages spéciaux dont bénéficient les zones industrielles dans les territoires, qui attirent les entrepreneurs cupides. Au lieu d’encourager la colonisation au-delà de la Ligne Verte, le gouvernement israélien promulguerait des lois permettant d’offrir des compensations aux colons qui veulent se réinstaller en Israël. Au lieu de se dédouaner et de prétendre jouer les bons samaritains en disant qu’il offre un moyen de subsistance à des milliers d’ouvriers dans l’indigence, que le gouvernement ouvre le marché israélien à davantage de produits et de travailleurs des territoires.
En même temps, qu’adviendra-t-il des travailleurs que l’Autorité Palestinienne obligera à quitter les chantiers, les champs et les usines que les colons ont établis sur les terres des Palestiniens ? Qui nourrira les dizaines de milliers de familles dont le soutien va perdre son emploi ? Le ministre de l’économie palestinien, Hassan Abu Libdeh, a promis qu’avant l’entrée en vigueur des réglementations de boycott, le gouvernement de Salam Fayyad aidera ceux qui travaillent dans les colonies à trouver un emploi au sein de l’AP. Le boycott des produits des colonies, dit-il, a déjà augmenté la consommation de produits fabriqués par les usines palestiniennes ainsi que la demande de main-d’œuvre locale.
Le divorce économique des Palestiniens d’avec les colonies juives est une étape importante vers le divorce d’avec les pratiques de l’occupation israélienne.
Achetez palestinien.