L’homme-clé s’appelle George Mitchell, un ancien sénateur et un important négociateur. C’est lui qui avait contribué à ramener la paix en Irlande. Mais l’émissaire américain au Proche-Orient s’est impliqué dans une mission encore plus difficile cette fois-ci et a lancé cette semaine des négociations « indirectes » entre Palestiniens et Israéliens.
L’annonce du coup d’envoi a été faite dimanche dernier à Ramallah par le principal négociateur palestinien Saëb Erakat. « Aujourd’hui 9 mai, les négociations ont commencé », a-t-il déclaré à l’issue d’un entretien avec le négociateur américain.
Des discussions qui démarrent cependant dans un climat de grand scepticisme, tant chez les Palestiniens que chez les Israéliens, que chez les parrains américains ou les Arabes (lire page 5). Les deux parties ne s’étaient même pas mises d’accord sur le démarrage de la mission Mitchell. Chacune a pris sa décision à part. Les Israéliens ont considéré la rencontre de leur premier ministre Benjamin Netanyahu, mercredi, comme la relance du processus en panne, alors que les Palestiniens n’avaient pas donné leur aval jusqu’à dimanche.
Le négociateur américain fera ainsi la navette entre le bureau du président palestinien Mahmoud Abbass dans la Moqataa à Ramallah et le siège du gouvernement israélien à Jérusalem. Quant aux observateurs, ils se demandent ce qu’est au juste l’agenda de ce processus. A cet égard, on assure, côté américain, que l’objectif premier est de passer de ces pourparlers « de proximité », comme les nomment les Israéliens, à des négociations directes.
Réunir uniquement les deux camps autour d’une même table serait considéré comme un pas positif, au moins aux yeux des Américains.
Tensions entre Washington et Tel-Aviv
Barack Obama cherche à débloquer la situation pour marquer une première réussite diplomatique dans la région, s’ajoutant à d’autres succès sur d’autres dossiers. Les tensions entre son administration et le cabinet israélien ne sont plus un secret, et si les Israéliens ont accepté de faire un pas aussi minime, c’est parce qu’ils pensent que leur image sur la scène internationale est de plus en plus ternie.
Ainsi, Mitchell aurait conseillé à Netanyahu une libération des prisonniers politiques et un allégement de déplacements des Palestiniens, bref, des gestes symboliques ou de « bonne volonté », qui encourageraient les Palestiniens à se mettre autour de la table des négociations. Ces derniers ont finalement accordé 4 mois aux Américains pour enregistrer des avancées significatives. « Après quoi, nous consulterons la Ligue arabe pour décider ou non de poursuivre les négociations », a déclaré Abou-Mazen. Parce qu’il avait demandé d’abord l’aval du comité du suivi de la Ligue, afin de fournir une couverture arabe à des pourparlers aux « conséquences dangereuses » (lire page 5).
L’Organisation panarabe a accepté, sans garanties, les propositions américaines de négociations indirectes. Seule la Syrie a rejeté l’idée en l’absence de « garanties solides, écrites, publiques et internationales ». Le comité de suivi a justifié sa position en indiquant avoir pris cette décision « en fonction des nouvelles garanties de Washington et du contenu des messages adressés par le président américain, Barack Obama, au président palestinien, Mahmoud Abbass ».
Ces quatre mois fixés par les Arabes représentent, en effet, le délai qui reste des neuf mois durant lesquels Israël avait décidé de geler les colonies juives, uniquement en Cisjordanie.
L’obstacle principal
Mais à peine commencées, ces discussions ont buté sur ce contentieux explosif de la colonisation juive à Jérusalem-Est. Un haut responsable israélien, proche du premier ministre Benjamin Netanyahu, a démenti qu’Israël se soit engagé à geler pendant deux ans la colonisation dans la partie arabe de la ville sainte occupée par Israël, comme l’avait annoncé juste un peu plus tôt le Département d’Etat américain. « Aucun engagement israélien n’a été donné sur cette question », a insisté la source israélienne, selon laquelle « si ces constructions ne commenceraient pas avant deux ans, c’est parce qu’il s’agissait d’un délai habituel pour la mise en œuvre d’un tel projet ».
L’annonce d’un projet semblable dans le quartier de colonisation juive de Ramat Shlomo avait torpillé en mars une précédente tentative de lancement de pourparlers indirects entre Israéliens et Palestiniens. Israël avait alors dévoilé un projet de construction de 1 600 colonies, créant une grave crise diplomatique entre Tel-Aviv et l’administration Obama, obligeant le gouvernement israélien à présenter ses excuses. Aujourd’hui encore, les Etats-Unis mettent en garde les Israéliens et les Palestiniens contre tout acte qui « saperait la confiance au Proche-Orient », mais ils ne disent pas comment ils entendent réagir face à l’abstention israélienne sur la question de la colonisation qui érode les terres palestiniennes. « Nous réagirions en les tenant pour responsables », s’est contenté de déclarer dans un communiqué le porte-parole du département d’Etat, Philip Crowley, en parlant des futurs « sapeurs » des pourparlers.
Les Palestiniens l’ont fait savoir. Ils conditionnent la reprise des négociations directes à un arrêt des colonisations. « Les questions de moindre importance, nous en avons suffisamment parlé lors des précédentes négociations », a déclaré Abbass.
Le président palestinien veut que ces discussions via l’émissaire américain abordent les questions-clés de Jérusalem, des réfugiés et des frontières, surtout que la semaine prochaine, les Palestiniens commémorent la nakba, le jour qui entérine cette lente disparition de la Palestine des cartes avec la création d’Israël en 1948.
Netanyahu veut entamer un dialogue direct sans lequel, croit-il, il sera impossible de s’accorder sur les questions-clés. « Il est impossible d’instaurer la paix à distance, parce que nous sommes des voisins », dit-il.
Et Netanyahu est bien connu par ses manœuvres. Il a été testé plusieurs fois durant sa prise au pouvoir de 1996 à 1999, comme l’explique le chercheur spécialiste des affaires israéliennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, Emad Gad. « Il n’a jamais tenu ses promesses », explique-t-il. Pourtant, « c’est un pragmatique qui recule à la dernière minute devant les pressions ». C’est lui qui avait signé l’accord de Wye River et accepté de se retirer de Hébron, un accord rejeté par le Travailliste de l’époque Ehud Barak.
Un Obama fin psychologue ?
Obama comprend ce caractère chez Netanyahu, croit Gad, ce qui explique pourquoi il a exercé tant de pressions, laissant planer le doute que Washington allait retirer son appui « inconditionnel » à Israël et appeler l’Onu à proclamer unilatéralement l’Etat palestinien. « Ceci a suscité la panique à Tel-Aviv », croit encore le rédacteur en chef d’Israeli Digest. Les plus alignés sur la droite dans son gouvernement sont partis pour mettre en garde contre « un différend avec Washington », privant Netanyahu de son excuse selon laquelle son gouvernement allait s’effondrer s’il gelait les colonies et s’il entamait des négociations sur le statut final avec les Palestiniens. Netanyahu, explique Gad, sait bien aussi que les Américains peuvent chercher à soutenir le chef travailliste Ehud Barak comme ils l’avaient fait en 1999, s’il continue à mettre les bâtons dans les roues de l’administration américaine.
Pourtant, le chef du gouvernement israélien aurait du mal à avancer sur le chemin de la paix, c’est quelqu’un qui préfère « les lignes larges et les cadres généraux », explique un diplomate européen au Caire.
Washington, qui veut restructurer ses relations dans la région, pourrait finir par le contourner au profit de « l’intérêt de la sûreté américaine ». Mitchell est attendu en principe la semaine prochaine dans la région pour poursuivre sa médiation, avec des mises en garde répétées et des espoirs encore limités.
Un premier pas dans un nouveau marathon où les coureurs semblent s’essouffler déjà et où les promoteurs trouvent des difficultés à imposer leur discipline. Mais dans tout cela, n’est-ce pas cette population palestinienne qui est la principale victime, la laissée-pour-compte justement depuis la nakba ?
Samar Al-Gamal