mercredi 12 mai 2010

Un nuage (de corruption) au-dessus de Jérusalem

mercredi 12 mai 2010 - 03h:13
Uri Avnery
"Holyland", c’est le nom d’un nouveau scandale de corruption financière et immobilière, impliquant de nombreux responsables israéliens. Pendant ce temps, l’annexion et la purification ethnique rampante de Jérusalem Est se poursuit ...
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A Jérusalem-Est, l’Etat d’Israël fait régulièrement détruire des maisons appartenant à des Palestiniens, invoquant un "défaut de permis de construire". Photo Nov. 2009.
TOUT LE MONDE a le droit de changer d’avis. Même Danny Tirzeh.
Le colonel Tirzeh était responsable de projet pour le mur qui “enveloppe” Jérusalem - celui qui sépare la ville de la Cisjordanie pour en faire la Capitale Unifiée d’Israël pour Toute l’Éternité.
Et maintenant, tout d’un coup, Tirzeh apparait comme le principal opposant au mur dont il a lui-même établi le projet. Il veut le déplacer, de façon à laisser les terres du village d’al-Walaja du côté “israélien”.
Le colonel a cessé d’agir pour le compte de l’armée israélienne et représente maintenant des entrepreneurs privés qui veulent construire 14 unités d’habitation pour 45.000 âmes juives. Tout cela, naturellement pour le plus grand bien du sionisme, du peuple juif, de la capitale éternelle d’Israël et pour beaucoup de dizaines de millions de shekels.
LE COLONEL TIRZEH n’est pas n’importe qui. C’est un symbole.
Pendant des années, j’avais l’habitude de le rencontrer dans les couloirs de la Cour Suprême. Il faisait presque partie des meubles : le témoin vedette, l’expert et l’âme de vingtaines d’audiences relatives au mur de séparation et d’annexion.
Il connait tout. Chaque kilomètre du mur et de la barrière. Chaque colline, chaque pierre. Il transporte toujours un grand paquet de cartes qu’il étale devant les juges, expliquant sérieusement pourquoi le mur doit passer ici et pas là, pourquoi la sécurité de l’État impose que les villages palestiniens soient séparés de leurs terres, pourquoi en laissant une oliveraie aux mains de ses propriétaires on ferait courir un danger mortel aux soldats israéliens.
En général, les juges se laissent persuader. Après tout, c’est lui l’expert. C’est l’homme qui sait. Comment pourraient-ils prendre sur eux la responsabilité de modifier le tracé du mur, si cela devait conduire à ce que des Juifs soient tués.
Il y a des exceptions. Au village de Bil’in, la Cour fut convaincue que la clôture pouvait être déplacée de quelques centaines de mètres sans entraîner l’effondrement de la sécurité de l’État et sans que des monceaux de cadavres juifs ne recouvrent le paysage.
Donc, la Cour Suprême a admis l’argumentation des villageois et décidé de déplacer la clôture et - plus rien. La clôture est restée où elle était. Le gouvernement et l’armée ont simplement ignoré la décision de la Cour.
C’est en vain que le président de la Cour Suprême les a avertis que ses décisions “ne sont pas des recommandations”. Comme des dizaines d’autres décisions de justice concernant les colons, celle-ci, aussi, est enterrée.
Le cas de Bil’in est particulièrement remarquable, et pas seulement parce que des protestataires - Palestiniens, Israéliens et autres - y ont été tués et blessés. Il est remarquable parce que la raison qui cherche à se cacher derrière la clôture est tellement évidente.
Ce n’est pas le sionisme. Ce n’est ni la sécurité ni la défense contre les terroristes. Ce ne sont pas les rêves de générations. Ce n’est pas la vision de Théodore Hertzl dont on célèbre le 150ème anniversaire de la naissance.
Tout simplement de l’argent. Des quantités d’argent.
La zone qui s’étend entre la clôture actuelle et le tracé alternatif a été affectée à la colonie orthodoxe Modi’in-Illit. De grandes sociétés doivent y bâtir de nombreuses centaines d’unités d’habitation, une affaire qui vaut beaucoup de millions.
Partout les surfaces volées aux Palestiniens sont transformées immédiatement en propriétés immobiliaires. Ils passent par des voies mystérieuses entre les griffes de trafiquants de terres. Les trafiquants construisent alors de grands ensembles d’habitation et vendent les “unités d’habitation” pour une fortune.
COMMENT EST-CE réalisé ? L’opinion publique reçoit maintenant une leçon sous la forme de l’affaire “Holyland” (Terre Sainte), une leçon sous forme de feuilleton à épisodes - chaque jour de nouveaux détails sont révélés et de nouveaux suspects apparaissent.
Sur le site d’un ancien et modeste hôtel de ce nom, un énorme projet immobilier a jailli - un alignement d’immeubles d’habitation et un gratte-ciel. Ce monstre affreux domine le paysage - mais la partie du projet que l’on peut voir de loin ne représente qu’une fraction de l’ensemble. Les autres parties ont déjà reçu la bénédiction de toutes les autorités municipales et gouvernementales concernées.
Comment cela s’est-il fait ? L’enquête se poursuit encore. Presque chaque jour, de nouveaux suspects sont arrêtés. Presque toute personne impliquée d’une façon quelconque dans l’autorisation du projet, jusqu’au niveau le plus élevé, est suspecte - des ministres, des hauts fonctionnaires du gouvernement, l’ancien maire, des membres du conseil municipal. Actuellement, les enquêteurs essaient de retrouver la trace de l’argent de la corruption dans le monde entier.
Holyland est situé à Jérusalem Ouest (là où se situait avant 1948 le quartier arabe de Katamon).
La question qui vient naturellement à l’esprit : si les choses se font de cette façon dans la partie ouest de la ville, que se passe-t-il à l’est ? Si ces politiciens et ces fonctionnaires osent voler et toucher des pots-de-vin à Jérusalem Ouest - que se permettent-t-ils à Jérusalem Est, dont les habitants n’ont aucune représentation ni dans la municipalité ni dans le gouvernement ?
QUELQUES minutes de voiture seulement séparent Holyland du village de al-Walaja.
On pourrait écrire des volumes sur ce petit village qui a pendant plus de 60 ans a été l’objet d’exactions.
En bref : le village d’origine fut occupé et annexé à Israël lors de la guerre de 1948. Les habitants furent expulsés et fondèrent un nouveau village sur la partie de leurs terres qui restaient de l’autre côté de la Ligne Verte. Le nouveau village fut occupé pendant la guerre de 1967 et annexé à Jérusalem qui fut elle-même annexée à Israël. Selon la loi israélienne, les maisons sont illégales. Les habitants vivent dans leurs propres maison sur leur propre terre, mais sont officiellement considérés comme des résidents illégaux susceptibles d’être expulsés d’un moment à l’autre.
Maintenant, les trafiquants de terres sont en train de lorgner cette savoureuse portion de terre, qui vaut beaucoup d’argent pour des projets de construction. Ils suivent le schéma sioniste éprouvé. En tout premier lieu, le nom arabe de l’endroit est remplacé par un nom purement hébreu, de préférence emprunté à la Bible. Tout à fait comme le Jebel-Abu-Ghneil voisin est devenu Har Homa, avant que l’horrible projet immobilier monstrueux n’y fut érigé, c’est ainsi que al-Walaja est devenu maintenant Giv’at Yael. Il est clair qu’un endroit appelé Colline de Yaël doit appartenir au peuple juif, et c’est un devoir sacré que d’y construire une nouvelle colonie.
Alors, où est le problème s’il faut pour cela déplacer le mur ? On peut toujours trouver un officier complaisant de l’armée pour justifier cela par des raisons de sécurité.
CELA FAIT DES ANNÉES que je demande que cet aspect de l’entreprise de colonisation soit examiné de plus près.
Le débat public a toujours porté sur des idéaux nobles. La promesse divine opposée à la vision humaine. Le Grand Israël opposé à la solution à deux États. Les valeurs du sionisme opposées à la valeur de la paix. Le fascisme contre l’humanisme.
Et quelqu’un se félicitait du profit qu’il en retirait.
Les colonies se développent rapidement en permanence. Dans l’ensemble de la Cisjordanie et à Jérusalem Est, les colonies jaillissent comme des champignons vénéneux, empoisonnant les projets de paix. En la matière, il n’y a jamais eu de différence entre Golda Meir et Menachem Begin, Ehoud Barak et Ariel Sharon, Shimon Péres et Benjamin Nétanyahou.
Parmi les colons, on trouve un noyau dur de zélotes idéologiques. Mais beaucoup des constructeurs sont simplement des hommes d’affaires avisés, dont le seul dieu est Mammon. Ils n’ont pas de peine à se lier d’amitié avec les dirigeants du Likoud et les chefs du parti travailliste, sans parler de la masse de Kadima.
Les colonies massives de Jérusalem Est - celles qui existent déjà et celles qui sont encore en projet - se développent suivant les mêmes modalités que le monstre de la colline de Holyland, et il leur faut les mêmes permis délivrés par les mêmes autorités municipales et gouvernementales. Jérusalem, après tout, a été unifiée. Par conséquent les mêmes nuages sombres planent sur eux.
Ce qu’il faut, c’est une commission d’enquête judiciaire pour examiner tous les permis accordés à Jérusalem au cours des années récentes, certainement depuis le début du mandat d’Ehud Olmert comme maire. Olmert s’est battu comme un tigre pour la création de Bar Homa et les autres grandes colonies de Jérusalem Est. Tout cela au nom du sionisme et de l’autorité juive sur la Ville Sainte. C’est maintenant le suspect N° 1.
Tout doit faire l’objet d’enquêtes depuis le début. Et tout nouveau projet doit être bloqué jusqu’à ce que son titre de propriété ait été authentifié de façon indubitable.
CES CHOSES sont suffisamment graves en elles-mêmes, et elles sont encore plus sérieuses lors qu’elles sont au centre du conflit israélo-palestinien et de la crise entre Israël et les États-Unis.
Pour le profit des projets immobiliers israéliens à Jérusalem Est, le gouvernement Nétanyahou est en train de mettre en danger notre lien vital avec les États-Unis. Le maire d’extrême droite déclare qu’il n’a rien à foutre des ordres du gouvernement et qu’il va continuer à construire partout, quoique puisse dire ou ne pas dire Nétanyahou. Les Palestiniens, de façon compréhensible, refusent de négocier avec le gouvernement israélien tant que des activités de construction se poursuivent à Jérusalem Est.
Allons-nous mettre en danger l’avenir d’Israël pour des générations, simplement pour que des trafiquants de terres puissent amasser davantage de millions ?
Est-ce que parce que les patriotes qui se partagent Jérusalem Est comprennent des personnalités élues ou des fonctionnaires qui attendent de généreux pots-de-vin de la part des constructeurs ?
Y a-t-il un lien entre la corruption rampante dont l’affaire Holyland n’est que la partie émergée de l’iceberg et des décisions nationales historiques ?
Bref, permettrons-nous que l’avenir de la terre sainte soit sacrifié sur l’autel impie des profits de la corruption ?
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* Uri Avnery est un écrivain et journaliste israélien militant de Gush Shalom (le Bloc de la Paix).
1° mai 2010 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.lepost.fr/groupe/la-paix...
Traduction : LG pour France Palestine Solidarité-38
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8693