mercredi 12 mai 2010

« Seules de vraies pressions peuvent faire bouger Israël »

publié le mardi 11 mai 2010.
Deux militantes israéliennes des droits de l’homme sont à Bruxelles. Pour elles, l’économie israélienne profite de l’occupation et seules de vraies pressions pourraient faire bouger Israël.
Deux Israéliennes différentes. Qui se sont écartées du « consensus » qui règne dans leur pays. Dont elles critiquent sévèrement la politique dans le contentieux israélo-palestinien. Esti Micenmacher et Angela Godfrey-Goldstein étaient à Bruxelles ces derniers jours pour participer à diverses conférences, pour appuyer, aussi, l’action en cours contre la continuation du financement de la colonisation des territoires occupés par la filiale israélienne de la banque Dexia. Rencontre avec deux militantes motivées.
« Je suis membre de l’ONG ‘Who Profits’ (1), explique Esti Micenmacher. Nous recensons les firmes israéliennes ou autres qui profitent de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Nous avons répertorié quelque mille firmes dans notre base de données. Cette ONG a été créée il y a cinq ans par une coalition de onze associations israélo-palestiniennes féministes. Au début, nous nous étions concentrées sur les productions des colonies juives, ce qui ne représente finalement que peu d’enjeu financier. En revanche, on s’est aperçu qu’il existait une grande implication de l’économie israélienne dans les territoires occupés. »
Une implication à dimensions multiples. « Beaucoup de secteurs sont concernés : la construction, les infrastructures, les services (banques, téléphone, etc.), les subventions aux zones industrielles. Nous avons aussi identifié les terrains d’exploitation économique de la main-d’œuvre palestinienne – ainsi, les ouvriers palestiniens, faute de travail, sont amenés à bâtir les colonies, et participent ainsi à leur propre dépossession ! –, l’exploitation des ressources naturelles, d’ailleurs également contraire au droit international (eau, carrières diverses, dépôts de déchets, etc.), sans oublier que les accords dits de Paris (1995) après le processus de paix entamé à Oslo en 1993 ont rendu l’économie palestinienne captive de l’économie israélienne. »
Ce n’est d’ailleurs pas tout, selon notre interlocutrice. « Dans la recherche de ‘qui profite de l’occupation’, il faut aussi citer le paramètre ‘contrôle de la population occupée’, qui génère pas mal de fruits économiques en Israël : les check-points ont été souvent privatisés et confiés à des sociétés de gardes armés, tout comme la sécurité des colonies ; le long du mur de séparation, les autorités ont installé des appareils de détection sophistiqués ; elles sont de même très fières d’un nouvel appareil appelé ‘Elle-voit-elle-tire’ déployé sur la barrière autour de Gaza et qui permet à un opérateur travaillant à Tel-Aviv d’abattre des cibles en appuyant sur un bouton… L’économie israélienne est ainsi très présente dans ces territoires occupés et les vingt familles qui contrôlent 50 % de la bourse israélienne en profitent donc. »
Une campagne de boycott controversée
Esti Micenmacher et Angela Godfrey-Goldstein font partie de la très petite minorité d’Israéliens qui appuient la campagne mondiale menées par des organisations palestiniennes ou sympathisantes sous la dénomination BDS (boycott, désinvestissement, sanctions). Même la gauche radicale israélienne n’est pas unie sur ce thème. « Pourtant, sans pressions réelles de la communauté internationale, il n’y aura pas de progrès, estime Esti Micenmacher, éditrice de son état. Le fait qu’Israël a été accepté ce lundi 10 mai au sein de l’OCDE n’est pas un bon signal : c’est comme si le monde assurait ce pays d’une impunité totale, renonçait aux pressions. »
Pour sa part, Angela Godfrey-Goldstein travaille à plein-temps depuis six ans pour le Comité israélien contre la démolition de maisons (2), qui travaille non seulement sur le terrain mais tente en même temps un travail d’explication dans la communauté internationale, notamment à travers la campagne BDS susmentionnée.
« Les décideurs européens savent très bien de quoi il retourne, confie-t-elle. Ils disposent de bons rapports, comme celui des consuls généraux de Jérusalem. Malgré quoi, ils choisissent d’aborder les questions sensibles avec Israël avec une extrême prudence, comme s’ils n’avaient que des carottes à montrer et aucun bâton. Ils se rassurent en disant que les Américains, avec Obama, feront bouger les choses. Mais c’est inexact. Seules les vraies pressions fonctionnent. »
Angela Godfrey-Goldstein ne cache pas l’ombre qui plane au-dessus des ONG israéliennes comme celle qui l’emploie : « Une prochaine loi veut s’en prendre aux ONG qui travaillent sur les droits de l’homme en s’attaquant aux subventions qui les font vivre. Cette loi rencontre un certain succès dans l’opinion israélienne soumise à un lavage de cerveau qui la convainc par exemple qu’Israël ‘n’a pas le choix’, ‘est entouré d’ennemis pour toujours’. Cette atmosphère ressemble à une forme de maccarthysme et est en réalité destinée à faire pression sur les donateurs, les Etats ou groupements d’Etats. Nous faisons face à ces difficultés qui mettent en lumière la vanité du slogan ‘Israël est la seule démocratie au Proche-Orient’. Dans cette ‘démocratie’, par exemple, une décision de la Cour suprême de détourner ‘le mur de sécurité’ à certains endroits en territoires occupés dans un sens favorable aux Palestiniens lésés n’est tout simplement pas appliquée sur le terrain. »
(1)www.whoprofits.org (en anglais, hébreu et arabe)
(2)www.icadh.org (idem)
LOOS,BAUDOUIN (Le Soir.be)