mardi 16 novembre 2010

Trop tard pour une solution à deux Etats

mardi 16 novembre 2010 - 00h:48
Robin Yassin-Kassab - Al Jazeera.net
Les Palestiniens disent qu’il peut y avoir aucune résistance significative tant que leurs dirigeants resteront divisés, écrit Robin Yassin-Kassab.
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Les habitants de Naplouse, coincés entre les tours, les checkpoints et colonies juives, expliquent qu’il est trop tard pour une solution au conflit israélo-palestinien basée sur l’existence de deux Etats - Photo : Gallo-Getty
Naplouse est construite sur le fond de la vallée étroite entre le mont Jarizeem et le mont Aybaal. Ses ruelles sentent le café moulu et les épices - avec des bouffées brusques d’anis et de tabac au miel bouillonnant dans les narguilehs - et les vapeurs de la viande sur les grils, les émanations de la circulation automobile, les odeurs de cuisson, les ordures et la poussière des chaussées. Le jour, il y a beaucoup de bruit sympathique « arabe ». La nuit les aboiements et le chant du coq prennent le relais.
Bien qu’elle soit une ville de plus de 130 000 habitants, tout le monde semble connaître tout le monde. Plus profond que cela, il y a quelque chose dans l’air qui exprime la solidarité.
Le labyrinthe de la Vieille Ville, et la vue sur la montagne couleur ocre m’ont rappelé Damas. En fait, Naplouse était connue comme la Petite Damas. Avant que MM Sykes, Picot et Balfour aient haché menu le monde, il y avait une route pour le commerce allant de Naplouse (Cisjordanie) via Irbid (Jordanie) jusqu’à Damas (Syrie). Les habitants de Naplouse et ceux de Damas se mariaient entre eux. En Syrie aujourd’hui la célèbre pâtisserie, le knafeh, est simplement connue sous le nom de nabulsiyeh, la douceur de Naplouse.
Naplouse est également célèbre pour son savon à l’huile d’olive. Malgré l’éblouissement local pour des produits « modernes » et (surtout) les obstacles de l’occupation israélienne qui ont limité l’industrie, les usines fonctionnent encore dans la Vieille Ville et elles s’approvisionnent dans des villages semi-assiégés dans les collines avoisinantes.
Ces jours-ci, la vie est un peu plus facile qu’elle ne l’a été. Les Palestiniens peuvent se rendre assez rapidement à Ramallah. Ils ne peuvent pas se rendre à Jérusalem, à Gaza ou Haïfa, mais s’ils sont chanceux, ils peuvent bénéficier de certaines retombées en cash de l’argent distribué par l’Union européenne à l’Autorité palestinienne. Ils peuvent même faire un bout de conduite jusqu’au point de vue sur Naplouse à Sama et y boire du thé sans se faire tirer dessus depuis la base militaire qui située au-dessus.
Mais les Naboulsis [habitants de Naplouse] restent encerclés, et ils le sont chaque jour davantage. Le village de Samaritains en haut de la colline est vidé de ses habitants (les Samaritains, qui sont des Palestiniens, sont autorisés à traverser le point de contrôle pour aller au travail ou à l’école à Naplouse). Irak Burin, un village à proximité au sommet de la montagne, subit constamment le vol de ses terres ainsi que les attaques physiques des colons et des soldats. En mars dernier, deux adolescents du village ont été assassinés.
Jérusalem interdite
Sur chaque colline, il y a une colonie juive.
Près de Nabi Saleh dans la région de Ramallah, j’ai vu une colonie - les caravanes, les fondations en béton et des terres agricoles clôturées - construite au cours du récent « gel ». Alors que j’étais en Palestine, le « gel » s’est entièrement décongelé, provoquant une poussée de nouveaux bâtiments et des orgies de mises à feu de vergers.
La moitié des terres agricoles du village de Nabi Saleh, et maintenant son approvisionnement en eau agricole, ont été volés par des hommes armés d’Halamish, la colonie voisine.
Dans la région de Salfit, la colonie juive d’Ariel coupe la Cisjordanie en deux entre le sud et au nord. Avec sa propre université et son complexe de théâtre, la colonie constitue une véritable ville.
Les colonies sont reliées par de clinquantes autoroutes à Jérusalem et Tel Aviv. Mais ces routes sont réservées aux seuls juifs. Les routes palestiniennes n’ont accès qu’à des portions du territoire et elles sont contrôlées par des barrages et fermées par des fossés.
Les panneaux sur les bords de ces routes indiquent les colonies juives, mais pas les villes palestiniennes. La Jérusalem interdite est indiquée sous le nom hébreu Urushaleem et seulement entre parenthèses comme « al-Qods » [la Sainte] - son nom arabe, ancien comme contemporain.
Montagne de feu
Telle est la situation, et pour l’instant les Naboulsis supportent. Des exemples de ce qui se passera la prochaine fois qu’ils se rebifferont ne sont pas seulement visibles sur les ondes en provenance de la bande de Gaza, mais sont immédiatement à portée de main, intégrés dans la structure de la ville elle-même.
Il y a des impacts de balles dans les ornements des fenêtres de l’Hôtel Yasmeen, des cicatrices provoquées par Israël lors de la réoccupation du centre-ville en 2002, quand au moins 80 Palestiniens ont été assassinés et que des dizaines de bâtiments historiques ont été détruits, dont des anciennes mosquées et une église orthodoxe.
Il y a les ruines, vidées aujourd’hui, de blocs entiers de maisons détruites par des F16. Il y a une plaque commémorative sur le site occupé par une maison qui a été détruite au bulldozer avec toute une famille emprisonnée à l’intérieur. Huit personnes y ont été assassinées, neuf si l’on compte le fœtus dans le ventre de Nabila Shubi...
Connu sous le nom de Jabal an-Naar, la Montagne de Feu, la région de Naplouse a perdu 1600 martyrs dans la dernière décennie. Chaque quartier a une plaque commémorant les noms locaux et les visages des combattants ornent les remparts de la Vieille Ville.
Faisant un étrange écho à ces affiches - ce qui semble a preuve que la présence de la mort est inéluctable à Naplouse - une icône dans l’église byzantino-croisée restaurée construite sur le puits de Joseph (où Jésus s’est révélé comme étant le Messie à un Samaritain) montre l’Archimandrite Philoumenos Khassapis tranché 36 fois par la hache d’un colon fanatique en 1979 (1).
Des touristes grecs et des Palestiniens chrétiens prient sur le sanctuaire de l’Archimandrite.
« La famille de Martyrs »
Après la prière du vendredi, j’ai visité la tombe de la mère d’un ami, Shaden al-Saleh. Shaden était une enseignante et une organisatrice de la communauté. Elle a été assassinée par des soldats israéliens alors qu’elle faisait de la broderie à l’étape de sa maison. Après que nous nous soyons recueillis, son fils et moi-même avons enlevé les feuilles et brindilles de la tombe de Jihad al-Alul, qui a été tué d’une balle dans la tête le premier jour de la deuxième Intifada, il y a dix ans.
Le jeune homme âgé de 20 ans faisait partie d’une foule désarmée face à des soldats au checkpoint d’Hawwara qui bloque la sortie sud de la ville. Après que nous ayons nettoyé le Mémorial de Djihad, nous avons discuté avec Abu Fadi, dont les deux fils martyrs sont à proximité. Homme chaleureux, et triste, Abu Fadi a fait un jardin de leurs tombeaux. Mon ami le connaît bien, comme il connaît toutes les familles qui visitent ces tombes. Il me dit que quand sa mère est morte, il a alors fait partie de la grande famille des martyrs.
J’étais venu à Naplouse pour faire un cours d’écriture créative. Comme exercice, j’ai demandé aux élèves d’écrire sur un moment qui décrit un fait en relation avec l’Histoire. Une jeune femme a écrit sur son petit frère serrant sa radio alors que les bombes rasent les bâtiments environnants. Un autre écrit un article sur son grand frère, pas l’histoire de son assassinat, mais l’histoire de son savoir. Un autre écrit sur l’enterrement de son neveu de 12 ans. Il avait été abattu dans une rue déserte. Sa tante a éclaté en sanglots, en lisant le texte.
Je craignais d’être allé trop loin, en leur imposant une discipline à laquelle ils sont constamment confrontés. Mais la classe me rassurait. L’une des étudiantes a employé le mot « thérapie ». « Nous n’avons jamais eu l’occasion de parler normalement de ces fait », m’a-t-elle dit.
Double occupation
Une des raisons de la réticence à parler est le froid jeté sur le discours public par la scission entre les dirigeants palestiniens.
Le gouvernement assiégé du Hamas dans la bande de Gaza s’en prend aux militants du Fatah, tandis que l’Autorité palestinienne (PA) soutenue par l’occident et Israël arrête les sympathisants du Hamas en Cisjordanie. Six cents Nabulsis sont actuellement détenus à Junaid, la prison de l’Autorité palestinienne.
Les gens parlent avec prudence en public, comme ils le font dans tous les états policiers du monde arabe. Mais beaucoup de Palestiniens qualifient le système actuel de double occupation.
Quand les Israéliens le décident, ils ordonnent à la police palestinienne de vider les rues, puis ils enlèvent les hommes dans leurs maisons. Cela s’est produit plusieurs fois au cours de ma visite, toujours de nuit - un soir, deux frères ont été kidnappés au bout de ma rue.
Les gens du camp de Balata - un lieu plus éprouvant que le cimetière - m’ont dit que les soldats faisaient une descente quasiment chaque nuit.
Les réfugiés de Balata ont leur propre cimetière, avec une proportion de jeunes martyrs qui défit l’entendement. Mais ce qui est plus douloureux que la mort dans Balata est la densité de la vie dans cette cage - les personnes nombreuses entassées dans des pièces étroites, la forte proportion d’hommes en fauteuil roulant, les visages brisés de ceux qui ont prématurément vieilli. Ces gens sont venus de Haïfa, Jaffa, Acre. Ils vivaient dans des fermes, des villes et villages face à la mer. Aujourd’hui, ils ne sont nulle part en sécurité, pas même dans leurs cellules en parpaing. Pendant la dernière Intifada, les troupes israéliennes avaient l’habitude d’entrer dans leurs maisons en perçant les murs avec des explosifs.
Pas de résistance sans unité
J’ai assisté à une conférence donnée par Haneen al-Zoabi. Elle est la députée de la Knesset qui était sur la flottille pour Gaza et elle a été grossièrement malmenée lors de sa tentative de donner sa version des événements devant le parlement israélien. A Naplouse, elle a parlé avec émotion de la situation des Palestiniens-Israéliens, les descendants de ceux qui ont échappé au nettoyage ethnique de 1948.
Citoyens, mais pas ressortissants [nationaux] de l’Etat (la nationalité est seulement pour les juifs), les Palestino-israéliens reçoivent une fraction des services offerts aux Juifs. Il leur est interdit d’enseigner l’histoire palestinienne à l’école et ils sont tout aussi susceptibles d’être victimes de la confiscation des terres que leurs frères palestiniens vivant en Cisjordanie. 83% des terres d’Israël sont hors de portée des non-Juifs et la moitié des familles palestiniennes en Israël vivent en dessous du seuil de pauvreté.
J’ai entendu parler Jamal Hwayil. Il était le chef des brigades des Martyrs al-Aqsa, affiliées au Fatah, à Jénine au moment du massacre israélien de 2002, et maintenant il est un membre indépendant du parlement palestinien. Il a pris une position claire sur la division palestinienne : « Les arrestations politiques sont mauvaises à Gaza et mauvaises en Cisjordanie. Les arrestations politiques n’ont pas leur place dans une lutte de libération... »
Un peu plus tard, il a ajouté : « Il ne peut y avoir ni des négociations sérieuses, ni de résistance armée productive tant que les dirigeants politiques sont divisés ».
Assis à côté de cet ancien combattant de la résistance armée se trouvaient Ayed Morrar et Muhammad Khatib, les dirigeants de la résistance « populaire » et non-violente dans les villages de Budrus et Bil’in, respectivement. Morrar est la star du film Budrus, qui le montre non seulement unissant les militants du Hamas et du Fatah dans son village, mais mobilisant aussi les femmes du village, les militants internationaux et même certains Israéliens contre le mur de séparation qui ronge les oliveraies de Budrus. Budrus a réussi à conserver 95% des terres menacées.
Sur l’estrade, Jamal Hwayil a félicité Morrar pour avoir atteint 95% de son objectif immédiat, mais il a rappelé que la victoire était incomplète : 5% de la terre avait disparu, le mur était toujours debout et l’occupation continuait.
Hwayil, Morrar et Khatib ont convenu que la résistance armée et non armée se complétaient mutuellement et que la question de savoir laquelle employer dans un contexte donné n’était pas une question morale mais tactique.
En plus de ces résistants, d’autres personnes ont animé la discussion : des jeunes intellectuels engagés présentant l’occupation comme un système d’apartheid, demandant que le système soit remplacé par la démocratie, faisant la promotion d’un boycott d’Israël par l’occident comme moyen d’atteindre cet objectif. De telles idées sont de plus en plus influentes dans la société civile, mais elles n’ont pas de parti puissant pour les représenter.
Réticences de la Cisjordanie
En attendant, comme Neta Golan - une habitante de la Cisjordanie d’origine juive - me l’a dit : « Ils ont fait en sorte qu’il soit très facile d’obtenir des prêts bon marché à Ramallah. Les gens ont acheté des voitures. Les loyers atteignent des sommets. Les prochaines années les gens vont tout simplement être contents de pouvoir rembourser ces prêts. »
C’est le plan concocté par Tony Blair et Salam Fayyad pour la Cisjordanie. Selon les mots du géographe politique Saed Abu Hijleh le message est : « Mange, boit, va aux toilettes et ferme-la ».
Le paysage apporte la preuve, pour toute personne qui vit ici - coincée entre les tours, les checkpoints et les logements rouges situés plus haut et exclusivement juifs - qu’il est trop tard pour deux Etats.
Pour les réfugiés en cage dans des camps, gardant toujours les clés de leurs maisons qui étaient près de la mer et qui ont été détruites, la solution à deux Etats n’a jamais semblé une solution. La Palestine-Israël a toujours été le même pays.
Du village de Refaat je pouvais voir les lumières des tours de Tel-Aviv luttant contre la morosité du soir, très proches. La pluie venue d’Israël tombe là où je suis, sur le premier groupe de collines à l’est de la Méditerranée, sur la Cisjordanie.
Notes :
(1) Extrait : « Le 16/29 Novembre 1979, ils ont fait irruption dans le monastère et massacrés à coups de hache l’Archimandrite Philoumenos, le mettant sous la forme d’une croix. Avec un trait vertical ils ont fendu son visage, avec un autre trait horizontal ils ont coupé ses joues allant jusqu’aux oreilles. Ses yeux étaient arrachés. Les doigts de sa main droite ont été coupés en morceaux et son pouce a été coupé et envoyé au loin. Ce sont les doigts avec lesquels il faisait le signe de la croix. »
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* Robin Yassin-Kassab est l’auteur de The Road From Damascus [La route de Damas], un roman publié chez Penguin. Il co-édite http://www.pulsemedia.org et blogue sur http://www.qunfuz.com.
14 novembre 2010 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Claude Zurbach
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