mardi 16 novembre 2010

Liban / Israël : la guerre du renseignement bat son plein

publié le lundi 15 novembre 2010
Paul Khalifeh

 
Entre le Liban et Israël, les canons se sont tus mais une guerre d’un autre type se poursuit, celle du renseignement. Ces deux dernières années, des dizaines de personnes ont été arrêtées dans les deux pays pour espionnage. Au Liban, ce phénomène a atteint des proportions gigantesques. Presque aucun secteur de la société n’a échappé aux recruteurs israéliens, pas même l’armée.
Le Tribunal militaire libanais a condamné à mort, vendredi 5 novembre 2010, un homme, Gergès Farah, pour espionnage au profit d’Israël. Il s’agit de la sixième peine capitale prononcée cette année contre des suspects en détention, en plus d’une dizaine d’autres verdicts similaires prononcés par contumace contre des collaborateurs présumés toujours en fuite.
Fin octobre en Israël, un tribunal condamnait un citoyen israélien d’origine arabe, Amir Makhlouf, à une lourde peine de prison pour « collaboration avec l’ennemi », en l’occurrence le Hezbollah. Le 1er juillet dernier, les autorités israéliennes annonçaient l’arrestation de six personnes, dont un sous-officier, suspectées de fournir des informations sensibles au Hezbollah.
Israël déploie de sérieux efforts pour renforcer ses réseaux au Liban
Ces incidents, et beaucoup d’autres encore, sont des épisodes connus de la guerre du renseignement que se livrent le Liban et Israël. Une guerre plus silencieuse que les conflits armés, mais non moins féroce.
Au Liban, il ne se passe pas une semaine sans l’annonce de l’arrestation par l’un des trois services de sécurité actifs d’un collaborateur présumé d’Israël. Depuis 2008, près de 150 personnes ont été arrêtées ou identifiées. Beaucoup sont de simples citoyens originaires de la banlieue sud de Beyrouth ou du Sud-Liban, des fiefs du Hezbollah. Ils sont surtout chargés de la collecte d’informations sur des membres du parti chiite. Mais d’autres ont des positions sociales plus importantes. Ils sont officiers de l’armée ou de la police, cadres dans des banques, hauts responsables dans des compagnies de téléphonie mobile, concessionnaires de voitures, voire hommes politiques.
Ce nombre important de suspects arrêtés prouve qu’Israël déploie de sérieux efforts pour renforcer ses réseaux au Liban après ses déconvenues lors de la guerre de l’été 2006. La commission Winograd, formée pour définir les raisons de cet échec, avait pointé la faiblesse et l’inexactitude des renseignements collectés au sujet des capacités du Hezbollah. Visiblement, l’Etat hébreu a tiré les leçons de ses déboires et a multiplié ses efforts à ce niveau.
Approcher les hauts dirigeants du Hezbollah
Après l’arrestation, en avril 2009, d’un général à la retraite de la Sûreté générale, Adib al-Alam, et l’enlèvement d’un ingénieur employé à l’Aéroport international de Beyrouth, Joseph Sader, des réseaux entiers ont commencé à tomber dans les filets des services de sécurité : le colonel de l’armée Chahid Toumiyé livrait aux Israéliens des documents militaires classés confidentiels ; le colonel Mansour Diab, directeur de l’Ecole des commandos de marine, exfiltrait les agents et réceptionnait du matériel envoyé par Israël ; Philopos Hanna Sader surveillait la résidence du président de la République Michel Sleiman ; le général Fayez Karam, ancien général à la retraite et cadre supérieur au Courant patriotique libre du leader chrétien Michel Aoun, se servait de ses relations et de sa position pour approcher les hauts dirigeants du Hezbollah.
Il y a aussi un ancien maire, Ziad Homsi, membre du parti du Premier ministre Saad Hariri. Les interrogatoires donnent une idée des objectifs visés par Israël : surveiller les lieux de résidence de personnalités politiques libanaises, repérer les dépôts d’armes du Hezbollah et les rampes de lancement des roquettes, surveiller l’aéroport, les ports, les services des passeports, des douanes, les compagnies de télécommunication. Rien n’est épargné par l’employeur.
L’une des plus grosses prises cette année aura été l’arrestation d’un haut responsable de l’une des deux compagnies de téléphonie mobile. Charbel Kazzi, ainsi que deux complices, auraient implanté des logiciels permettant aux Israéliens de placer sous surveillance des dizaines de milliers de lignes téléphoniques et d’accéder aux bases de données. Deux autres employés de la compagnie de télécommunication publique, Ogéro, dont le responsable des communications internationales, sont également sous les verrous.
« Actes de piraterie, de sabotage »
Le Liban a pu obtenir, début octobre, une condamnation d’Israël de la part de la plus haute autorité internationale en matière de télécommunications pour avoir « infiltré le réseau libanais, ainsi que pour ses actes de piraterie, de sabotage et ses tentatives de semer la discorde sur les réseaux de téléphonie », a déclaré le ministre des Télécommunications, Charbel Nahas.
Il ajoute que « ce type de violations est destiné à collecter des données d’une haute importance, et peut conduire à des actes d’agression. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé au cours des dernières années en matière d’espionnage, de parasitage, de manipulation des données et de diffusion de messages par Israël en vue de semer la zizanie parmi les Libanais ». Charbel Nahas a révélé que le Liban avait pu localiser quelque 21 postes de surveillance électronique du côté israélien de la frontière méridionale du pays.
Le matériel livré par la France
Le phénomène est tellement important que le Liban a constitué un dossier qui a été envoyé au Conseil de sécurité des Nations unies. D’ailleurs, le secrétaire général Ban Ki-moon mentionne dans son dernier rapport sur l’application de la résolution 1701, rendu public la semaine dernière, les plaintes libanaises d’une recrudescence des actes d’espionnage israéliens au Liban. Il ne préconise, toutefois, aucune mesure.
Les collaborateurs présumés appartiennent à toutes les catégories sociales et aux différentes communautés religieuses et régions du pays. Ces succès sans précédent enregistrés par les services de sécurité libanais sont surtout dus à une meilleure maitrise de la technologie et au matériel livré par la France, entre autres, dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Cet équipement de pointe a aussi été utilisé pour identifier, surveiller et traquer les personnes suspectées d’espionner pour le compte d’Israël.
publié par RFI le 8 novembre 2010