mardi 16 novembre 2010

L’impossible tandem

Lors de sa visite à Washington, le premier ministre israélien, avec ses prises de position contradictoires, a contribué à compromettre les timides efforts américains pour parvenir à un règlement. Un défi qui correspond à sa vision d’ultrasioniste.
Netanyahu est-il un partenaire valable pour réaliser la paix entre Palestiniens et Israéliens ? La question se pose alors que le premier ministre israélien s’est rendu à Washington, parrain du processus de règlement en état de léthargie. Une visite qui, somme toute, n’a rien donné. Et c’est en l’absence du locataire de la Maison Blanche, parti en Asie suite aux déboires électoraux de son parti, que le premier ministre israélien a fait ce déplacement. Obama voulait-il bouder celui qui ne cesse de placer des obstacles face à ses initiatives visant à trouver une solution à une crise qui perdure et qui ne fait que se compliquer ? Netanyahu n’ayant donc pas rencontré Obama, il s’est entretenu avec le vice-président Joe Biden. Et quelques heures après la rencontre, la Commission régionale israélienne de planification et de construction a décidé de publier un appel d’offres pour la construction de la troisième phase du quartier de Har-Homa, un projet qui comprend 1 000 nouveaux logements. La commission a également annoncé la validation de 330 nouveaux logements à Jérusalem-Est.
Tous ces nouveaux projets sont situés au-delà de la « ligne verte ». Mettre l’administration américaine devant le fait accompli et persister dans ces vues qui constituent le principal obstacle face au moindre progrès : le vice-président Biden a eu connaissance de ces décisions, alors qu’il s’exprimait devant les représentants des Fédérations juives d’Amérique du nord, réunis à la Nouvelle-Orléans. Et à l’heure où le premier ministre Netanyahu prononçait son propre discours dans cette même ville, le porte-parole du département d’Etat à Washington, Philip Crowley, a tenu un point de presse au cours duquel il s’en est vivement pris à la décision israélienne. « Nous avons été profondément déçus de la promotion et de la planification de nouveaux logements à Jérusalem-Est. C’est un acte qui sape la confiance et rend encore plus difficile l’avancée des pourparlers. Très machiavélique, l’establishment israélien a tenté de convaincre que Netanyahu n’était pas, peut-être, au courant de cette mesure et les Américains se sont fait plus ou moins prendre. Il est possible que quelqu’un en Israël ait voulu mettre le premier ministre dans l’embarras et nuire au processus (de paix) », a souligné Crowley. Une déclaration peu convaincante qu’il fait suivre de cette phrase exprimant une sorte de fatalisme : « C’est précisément pour cela que nous encourageons les parties à reprendre les pourparlers directs et à surmonter ces problèmes en discutant face à face ». Le vice-président Biden a, lui, affirmé ne pas comprendre « ce que veut Netanyahu ».
Lors d’une rencontre avec des dirigeants d’organisations juives, il a déclaré : « Je ne sais vraiment pas dans quelle mesure Netanyahu est sérieux quand il parle de paix. Nous ne savons pas ce qu’il a voulu dire quand il a affirmé être prêt à conclure un accord de paix et à payer un prix douloureux ». Biden a toutefois indiqué que le gouvernement américain et le président Obama prennent les propos de Netanyahu au pied de la lettre, et que c’est sur cette base qu’ils continuent à promouvoir le processus de paix.
Opposition aux « mesures unilatérales »
Et c’est toute une valse hésitation qui s’engage, la diplomatie américaine tentant de comprendre ce que cache le premier ministre israélien. Mais elle se laisse avoir comme d’habitude avec la colonisation qui dure. Un processus jugé illégal par le droit international et l’Onu. Et lorsque les Palestiniens tentent de réagir, ils se heurtent à une Amérique passive. La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, interrogée sur l’appel des Palestiniens à l’Onu face à la colonisation juive, a réitéré l’opposition des Etats-Unis aux « mesures unilatérales » dans le dialogue israélo-palestinien. « Les négociations entre les parties sont le seul moyen de résoudre toutes les questions associées au conflit. (...) Nous ne soutenons les mesures unilatérales d’aucune des parties », a-t-elle déclaré lors d’un point de presse commun avec son homologue égyptien, Ahmad Aboul-Gheit. Discret sur différents aspects de cet entretien, le chef de la diplomatie égyptienne a déclaré à notre correspondant à Washington, Ezzat Ibrahim, que l’entretien avec Mme Clinton a porté sur « la voie suivie par Washington en ce qui concerne la manière de convaincre Israël de geler la colonisation et les alternatives possibles s’il n’arrive pas à réaliser ceci ». De longues discussions ont eu lieu sur cette question, a ajouté le ministre égyptien : « J’estime que les Etats-Unis doivent mettre au point leur vision intégrale d’une issue ». De toute façon, Aboul-Gheit a paru sceptique.
D’une part, il a souligné que « les Etats-Unis déploient de l’effort sans parvenir à un résultat » et d’autre part, il s’est demandé « à quel point Washington est disposé à déployer plus d’efforts ? ». Il a invité Washington à agir avec le soutien du quartette international, de manière à ce que les négociations se déroulent sur la base de la création d’un Etat palestinien dans les frontières de juin 1967. Evidemment, c’est ce que réclament les Palestiniens et ce que rejettent les Israéliens, sans que les Etats-Unis ne réagissent. Ainsi, le président palestinien, Mahmoud Abbass, en a appelé mercredi dernier au Conseil de sécurité de l’Onu, face à la poursuite de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, où Israël affirme vouloir continuer à construire sans restriction.
Accent sur la question iranienne
Abbass a donné instruction au représentant palestinien aux Nations-Unies de réclamer une réunion d’urgence du Conseil de sécurité sur la colonisation « rampante à Jérusalem et en Cisjordanie », a déclaré à l’AFP son porte-parole, Nabil Abou-Roudeina. Alors pour trouver un autre échappatoire, Netanyahu met l’accent sur la question iranienne. Il affirme ainsi aux Américains que « la seule manière de s’assurer que l’Iran ne deviendra pas une puissance nucléaire est de créer une menace crédible d’action militaire à son encontre s’il continue d’avancer vers l’arme nucléaire ». Louvoyer, c’est la doctrine d’un Netanyahu peu enclin à la paix. Un petit rappel de ses idées et de sa carrière le confirme. En 1996, il est élu premier ministre. Opposé à l’origine aux Accords d’Oslo, il les considérera pour autant comme « un fait accompli » dès le début de son mandat, à l’exception de la négociation du statut de Jérusalem qui était pourtant prévu dans les engagements. D’obédience maximaliste sur le plan territorial, il a eu pour objectif de maintenir un contrôle sur la « Judée-Samarie » (Cisjordanie) en favorisant la construction de nouvelles implantations israéliennes sur ce territoire. Opposé à la création d’un Etat palestinien, il était favorable à un statut d’autonomie étendu, tel que déjà prévu dans les Accords d’Oslo.
Ces différentes positions ont marqué un tournant majeur par rapport à la politique menée jadis par les Travaillistes et ont fait l’objet d’une dégradation des relations avec l’Autorité palestinienne qui soulignait ses efforts pour geler le dialogue pour la paix. Au niveau des relations avec la Maison Blanche et l’Union européenne, les positions de Benyamin Netanyahu à l’égard de l’Autorité palestinienne ont souvent été critiquées. Dès 1996, la communauté internationale s’émeut des blocages récurrents des territoires palestiniens qui minent le processus de paix et les petites avancées. Jusqu’en 1999, et au retour au pouvoir des Travaillistes sous la houlette d’Ehud Barak, ces relations seront assez conflictuelles. Il mène ensuite la campagne du Likoud lors des élections législatives de 2009. En obtenant 27 sièges sur les 120 de la Knesset, il est cependant devancé d’un seul siège par Kadima. Néanmoins, le président Shimon Pérès le charge de former un nouveau gouvernement, Tzipi Livni ayant annoncé son intention de rester dans l’opposition. S’il forme un gouvernement ancré à droite, il parvient également à convaincre les Travaillistes d’Ehud Barak de rejoindre sa coalition. Le 1er avril 2009, le lendemain de l’investiture de son gouvernement par la Knesset et jour de sa prise de fonction en tant que premier ministre, un sondage démontre que 54 % des Israéliens s’affirment mécontents de ce gouvernement, contre seulement 30 % qui pensent le contraire.
Il n’empêche que le 6 juillet 2009, Benyamin Netanyahu, dans un entretien avec le ministre des Affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, confie que le retrait des colonies israéliennes de Cisjordanie, demandé par les Palestiniens, conduirait à rendre ce territoire « Judenrein », qualificatif historiquement utilisé par les Nazis pour parler des territoires dont ils avaient expulsé la population juive. A cette position, s’ajoute le massacre de Gaza de décembre 2009 à janvier 2010. Tout témoigne d’un ultra-sionisme évident qui rend difficile, sinon impossible, de considérer Netanyahu comme un partenaire valable. D’ailleurs, à peine de retour à Tel-Aviv après sa visite aux Etats-Unis, il a poursuivi les mêmes manœuvres. « Les Etats-Unis et Israël doivent négocier et compléter un accord sur une alliance sécuritaire et politique américaine renforcée, en échange d’un nouveau gel de la colonisation juive en Cisjordanie », a-t-il dit. Et les Américains auraient demandé à Israël un nouveau gel limité de la colonisation de 90 jours en Cisjordanie, mais pas à Jérusalem-Est, en échange d’une généreuse enveloppe de mesures de soutien politique et militaire.
Ahmed Loutfi