mardi 10 novembre 2009

Gaza mis à sec

dimanche 8 novembre 2009 - 07h:22

Christophe Ayad - Libération

La maison de Walid Hamad a un avantage et un inconvénient. L’avantage, c’est que sa bicoque faite de moellons assemblés à la hâte donne sur la mer, ce qui n’est pas rien quand on vit dans cette prison à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza. L’inconvénient, c’est que les égouts du camp de réfugiés de Chati se jettent juste là, sans aucun traitement. « L’été, l’odeur est insupportable », se plaint le policier, qui vit là avec sa femme et ses 7 enfants. La mer à ses pieds a la couleur de la boue. « Je ne laisse jamais les enfants approcher du rivage », explique Walid Hassan.

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Une jeune palestinienne remplit des bidons d’eau dans le camp de réfugiés de Khan Yunis dans le sud de la bande de Gaza le 27 octobre 2009 (AFP Said Khatib)

La maison de Walid Hamad a un avantage et un inconvénient. L’avantage, c’est que sa bicoque faite de moellons assemblés à la hâte donne sur la mer, ce qui n’est pas rien quand on vit dans cette prison à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza. L’inconvénient, c’est que les égouts du camp de réfugiés de Chati se jettent juste là, sans aucun traitement. « L’été, l’odeur est insupportable », se plaint le policier, qui vit là avec sa femme et ses 7 enfants. La mer à ses pieds a la couleur de la boue. « Je ne laisse jamais les enfants approcher du rivage », explique Walid Hassan.

Nitrates

A quelques dizaines de mètres, des pêcheurs jettent leurs filets. « Les égouts ? C’est bon pour nous, ça attire le bolti, rigole Ahmed, un pêcheur en parlant du poisson le moins cher et le plus consommé à Gaza. On ne peut pas pêcher au large, Israël nous interdit de dépasser 3 miles nautiques [5,4 km], sinon, leurs vedettes nous tirent dessus. » Pas très sain ces poissons nourris à la sortie des bouches d’égouts ! Ahmed hausse les épaules : « Pendant la guerre, on a survécu au phosphore blanc et aux munitions à l’uranium appauvri, alors la pollution... »

Le problème de l’eau dans la bande de Gaza était déjà aigu avant l’offensive israélienne de janvier, il est devenu dramatique. Canalisations écrasées par les tanks, stations d’épuration endommagées par les bombardements ou à l’arrêt à cause du blocus israélien : le tableau dressé par Saadi Ali, responsable de la Palestinian Water Autority pour la bande de Gaza, est catastrophique. « Cette guerre est venue déstabiliser une situation déjà très précaire et qui se dégrade depuis des années. Il y a d’abord la pression démographique, qui fait que la population augmente sans cesse, alors que les ressources en eau sont les mêmes. » La bande de Gaza compte 1,5 million d’habitants pour 360 km2, soit l’une des densités les plus élevées au monde. « A force d’être sollicitées, les nappes phréatiques ne se renouvellent pas et sont de plus en plus infiltrées par l’eau de mer, toute proche », explique Saadi Ali. La bande de Gaza souffre d’un déficit annuel d’eau douce de 100 millions de m3.

Si la quantité est un problème, la qualité est encore bien plus préoccupante. Les centres de traitement des eaux, en capacité insuffisante, tournent au ralenti quand ils ne sont pas carrément à l’arrêt. Tous les projets de rénovation et de construction de stations, lancés dans les années 90, ont pris du retard à cause de l’Intifada, à partir de septembre 2000. Puis ont été carrément gelés avec la victoire électorale du Hamas en 2006. L’année suivante, le coup de force militaire des islamistes a entraîné un blocus quasi-total par Israël. Le ciment, nécessaire à la construction, les produits chimiques, qui servent à traiter les eaux usées et même les tuyaux ne sont plus entrés qu’au compte-gouttes. Résultat, les eaux usées sont directement rejetées à la mer ou stockées dans des réservoirs de retenue d’eau nauséabonds. « Moins de 10% de l’eau à Gaza respecte les normes de l’Organisation mondiale de la santé, révèle Saadi Ali. Le taux de nitrates est jusqu’à six fois supérieur au maximum conseillé. »

En 2007, l’un de ces lacs, près de Beit Lehya, dans le nord de la bande de Gaza, a débordé à cause de pluies diluviennes. Cinq habitants d’un petit village bédouin sont morts noyés. Pendant l’offensive israélienne de janvier, une nouvelle catastrophe a été évitée de justesse : les pompes, qui vidaient le trop-plein des réservoirs d’eaux usées se sont arrêtées de fonctionner, faute d’électricité. Finalement, les lacs ont été vidés et les eaux usées retraitées par une station d’épuration bâtie un peu plus à l’Est. Ce projet, mené durant l’été, est le seul succès à Gaza de Tony Blair, qui est le représentant spécial du Quartet (Etats-Unis, UE, Russie et ONU).

Projets

Plus au Sud, la situation reste catastrophique : le wadi Gaza, une rivière qui coule depuis la Cisjordanie, est devenu un égout noirâtre. L’essentiel de l’eau est capté bien en amont, par les kibboutz israéliens. Les projets ne manquent pas, mais ils sont tous à l’arrêt : la réparation de la station d’épuration de Cheikh Ajlin, qui dessert Gaza-ville et qui a été endommagée par Tsahal pendant la guerre ; la rénovation de la station qui dessert le sud de la bande ; la construction d’une usine de dessalement promise par Bill Clinton en son temps ; le raccordement, du nord au sud, du réseau hydraulique...

En attendant, les Gazaouis restent condamnés à boire de l’eau sommairement filtrée au prix d’un shekel (0,18 euro) pour un jerrycan de 25 litres et à prendre des douches salées... quand il n’y a pas de coupure d’eau.

6 novembre 2009 - Libération - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.liberation.fr/monde/0101...