mardi 10 novembre 2009

Héros malgré lui

Par Christian Merville | 10/11/2009
LE POINT
Cet invitation à « reconsidérer sa décision », le pauvre Mahmoud Abbas s'en serait volontiers passé. Malheureusement, de même que ses ennemis, on ne choisit pas ces bien étranges amis qui, histoire de vous embrasser pour mieux vous étouffer, vous lancent publiquement : « Je lui dis en collègue : ne partez pas. » Et pourquoi donc qu'il reviendrait sur son annonce de ne pas se présenter aux élections du 24 janvier qui devraient permettre aux Palestiniens de se doter d'un nouveau président et d'un nouveau Législatif ? Parce que, a fait valoir Shimon Peres, auteur de l'appel en question, « connaissant mon peuple et ce gouvernement (celui de Benjamin Nentanyahu...), nous voulons une paix véritable ». L'État hébreu est prié de préciser le sens qu'il donne à ces deux derniers mots.
Le caillou dans la mare - tout de même, on ne saurait parler de pavé - à peine lancé par Abou Mazen que ses concitoyens descendaient dans les rues de Hébron pour le supplier de ne pas s'en aller, reprenant pour l'occasion le refrain préféré des Arabes dans les heures de grande épreuve : « Ne démissionne pas ; tu es notre base. » Le lendemain, c'était au tour des braves habitants de Ramallah de prendre le relais pour « renouveler leur hommage » au héros de la nation, victime de la plus formidable indigestion de couleuvres de l'histoire contemporaine, avec pour résultat un blocage sans pareil d'un processus dont Hillary Clinton signait la semaine dernière l'acte de décès en faisant siennes les idées de Tel-Aviv sur la question. Bonne âme, Washington a entrepris depuis, sans grand succès à ce jour, de réhabiliter l'actuel locataire de la Mouqataa. En fait, tout le monde ou presque semble s'atteler à cette tâche impossible. Même l'intransigeant Khaled Mechaal, hier encore grand pourfendeur des thèses de l'Autorité, a feint de lui tendre la main « afin de réaliser notre projet national ».
C'est mus sans doute par cette même farouche volonté de défendre les innombrables acquis de la résistance que le bon peuple de Cisjordanie descend dans la rue, avec slogans adéquats et calicots sur lesquels il a suffi de remplacer un nom. Dans la mémoire de certains, tout cela devrait réveiller des souvenirs que l'on croyait effacés. Rappelez-vous ce 9 juin 1967, au troisième jour qui consacra la débâcle arabe quand, des rives du Nil à celles de l'Oronte, des millions de manifestants appelaient Gamal Abdel Nasser à rester fidèle au poste, lui qui, vaincu, brisé, humilié, venait de démissionner. En quelques heures, les dix-sept aéroports égyptiens avaient été rendus impraticables ; l'aviation de guerre était annihilée ; 15 000 militaires avaient trouvé la mort dans les pires conditions ; les soldats ennemis lavaient leur linge dans les eaux du canal de Suez ; la partie arabe de Jérusalem était tombée, de même que la Cisjordanie et le Golan syrien. Tout cela n'empêchait pas les foules de déferler sur Le Caire, emmenées par autobus entiers réquisitionnés pour l'occasion par Ali Sabri, hurlant à l'adresse de leur raïs : « Ne nous quitte pas, nous avons besoin de toi. » Éric Rouleau, alors correspondant du Monde, câblait à son journal : « Les femmes se jetaient à terre ; les hommes pleuraient. » Il y eut aussi des suicides et, à Beyrouth, des automobiles et des devantures vandalisées parce que leurs vitres ne portaient pas le nom de Nasser.
On n'ira pas jusque-là, cette fois, dans les localités de la rive occidentale du Jourdain. Du moins veut-on l'espérer. Il est de bon ton ces jours-ci de dauber Barack Obama pour son faux pas. Il était pour le moins maladroit, en effet, de poser, comme préalable à la reprise des pourparlers de paix, le gel des implantations pour laisser sa secrétaire d'État revenir à des sentiments nettement plus pro-israéliens, faire de « Bibi » le héros de son pays en même temps qu'un négociateur intraitable sur les points de peuplement, le mur de séparation - quand l'Occident célébrait hier le vingtième anniversaire du démantèlement d'un autre mur, celui de Berlin -, la partie arabe de Jérusalem, le droit au retour des réfugiés arabes - quand l'État sioniste a été bâti sur la notion d'une récupération de « la terre des ancêtres -, pour ne citer que quelques points de divergence.
Ce que nul ne veut admettre, c'est que, supposition impensable dans les circonstances présentes, même si le dialogue venait à reprendre demain, il ne saurait déboucher sur un résultat tangible en l'absence d'un aval du Hamas. L'autre évidence, qu'il vaut mieux ne pas rappeler au président américain, c'est que sa cote de popularité en Israël atteint péniblement les 4 pour cent sans pour autant grimper parmi les Palestiniens. Cela s'appelle se brûler les doigts au chaudron proche-oriental.