mercredi 9 février 2011

Le conflit israélo-palestinien raconté aux lycéens

publié le mardi 8 février 2011
Clarisse Fabre

 
A tous les professeurs d’histoire qui souhaitent traiter le conflit israélo-palestinien sous un jour nouveau, un conseil : invitez l’auteur palestinien Taher Najib, faites lire aux élèves sa pièce de théâtre A portée de crachat (Editions théâtrales, 2009, 37 p., 11 €), et laissez la discussion se nouer.
Au lycée Antoine-de-Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie (Yvelines), lundi 31 janvier, elle fut passionnante. Dans la salle 301, tapissée d’affiches de spectacles, la curiosité des élèves de l’option théâtre était sans borne. De l’artistique, les questions ont glissé vers le politique. L’auteur, qui est aussi comédien, danseur et metteur en scène, a déployé un humour féroce, et fait rire autant que réfléchir.
La rencontre avait lieu dans le cadre de la Biennale de création théâtrale du Centre dramatique national (CDN) de Sartrouville (Yvelines), qui s’est ouverte le 25 janvier - Odyssée en Yvelines, jusqu’au 2 avril. Mise en scène par le directeur du CDN, Laurent Fréchuret, la pièce A portée de crachat est l’une des sept créations qui vont sillonner le département.
Né en 1970, Taher Najib est un Arabe israélien : sa famille avait décidé de rester dans les frontières de l’Etat hébreu après la guerre de 1948. Lui vit dans le district d’Haïfa, en Israël. Il se définit comme "un Palestinien avec un passeport israélien", ce qu’il vit très mal. La question de l’identité est la trame de sa pièce, autobiographique, long monologue d’un acteur palestinien - interprété par Mounir Margoum - qui ne sait plus qui il est. Où qu’il se trouve, à Paris, à Ramallah ou à Tel-Aviv, il se comporte comme on attend de lui qu’il se comporte, ce qui est "la négation de la liberté" : en Cisjordanie, le public le voit comme un guerrier arabe vengeur. En Israël, comme un terroriste potentiel. Il a la malchance d’embarquer dans un vol Paris - Tel-Aviv... le 11 septembre 2002. "Pourquoi deux nationalités ?", lui demande l’hôtesse. "Deux ? Je n’en ai même pas vraiment une", répond-il.
Les deux camps font jeu égal
Les élèves du lycée Saint-Exupéry pourront voir la pièce au mois de mars, au lycée. Salle 301, une jeune fille demande à Taher Najib : "Etes-vous un auteur engagé ?" "Oui. Je ne suis pas né en Israël. Israël est né chez moi", lance le militant de la cause palestinienne. Toutefois, ajoute-t-il, sa pièce n’est pas teintée d’idéologie et les deux camps font jeu égal, condition nécessaire, dit-il, "pour créer un bon conflit au théâtre". "Les Israéliens ont besoin des Palestiniens pour exister, et vice-versa. C’est un peu comme Antigone et Créon. On vit chacun dans ce rôle de composition."
Question d’un autre élève : "Comment la pièce a été perçue dans votre pays ?" Réponse, du tac au tac : "Elle a reçu le premier prix au festival israélien Teatroneto (en 2006). Mais aucun théâtre israélien ne l’a programmée."
Taher Najib avait pourtant pris soin d’écrire sa pièce d’abord en hébreu, comme une main tendue aux Israéliens. La pièce a été traduite en arabe palestinien, en français... et en arabe littéraire, afin que des élèves de l’option arabe d’un autre lycée - Evariste-Gallois, à Sartrouville - puissent en interpréter des extraits. Rares sont les lycées du département qui accueillent la pièce de Taher Najib. Beaucoup de proviseurs ont refusé, de peur de raviver des tensions entre les jeunes issus du Maghreb ou des pays arabes. Organiser des ateliers autour de la pièce, oui. La programmer, non...
Situé à l’entrée du quartier "sensible" du Val-Fourré, le lycée Saint-Exupéry est un peu à part. Il compte parmi ses professeurs d’histoire Valérie Pouzol, spécialiste du conflit israélo-palestinien et chercheuse à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Depuis plusieurs années, elle plaide pour renouveler l’enseignement de ce conflit en terminale. "Certains collègues n’osent plus aborder le sujet. Il y a la crainte des dérapages en classe. Et les enseignants ne disposent que de trois heures, au mieux, pour aborder un dossier aussi complexe", explique Valérie Pouzol. Il ne reste aux adolescents que "les images de la résistance palestinienne", celles "véhiculées par les chaînes arabes et internationales", enfants jetant des pierres contre l’armée israélienne, candidats au martyre, constate Valérie Pouzol, dans une tribune publiée par Mediapart. "Leur connaissance du conflit s’arrête là, et ils ne savent pas clairement expliquer son origine", écrit-elle. Avec Taher Najib, les élèves de Saint-Exupéry ont découvert "la résistance par le plaisir", une définition du théâtre selon le metteur en scène Laurent Fréchuret.
publié par le Monde
Article paru dans l’édition du 05.02.11