mercredi 4 août 2010

Les Palestiniens face à l’option zéro

Face à de fortes pressions américaines et européennes, les Arabes et l’Autorité palestinienne ont accepté une reprise des pourparlers directs dont rien n’assure le succès.
Trois mois après le lancement des négociations indirectes au Proche-Orient et un mois avant l’expiration de l’échéance fixée par la Ligue arabe, les ministres des Affaires étrangère de 13 pays arabes ont, en présence d’Abou-Mazen, donné leur feu vert à un tête-à-tête palestino-israélien pour discuter d’une potentielle « paix » dans la région. Palestiniens et Israéliens se débarrasseront ainsi du parrainage de George Mitchell et passeront aux négociations « directes », même si dans les « indirectes » aucune avancée n’a été enregistrée.
Barack Obama, le président américain, aurait fait pression pour faire reprendre les discussions en gel depuis deux ans. De fortes pressions même. Abbass ne le cache pas : « Je subis une pression comme jamais je n’en ai subi de toute ma vie ».
C’est ce qui vient d’être dévoilé en détail trois jours après l’aval arabe. Selon un haut responsable de l’Organisation de libération de la Palestine, le maître de la Maison Blanche aurait ainsi averti le président palestinien Mahmoud Abbass que les relations entre Washington et l’Autorité palestinienne pourraient se détériorer si le leader palestinien refusait de reprendre les pourparlers directs avec Israël. Des pressions en provenance du vieux continent également. Abou-Mazen a reçu des appels téléphoniques des dirigeants britannique, allemand et italien pour le convaincre de reprendre les négociations directes.
Selon ce même responsable palestinien, Obama a envoyé à son homologue palestinien, mi-juillet, une lettre pour le « rassurer » de son soutien mais avec en filigrane des « avertissements des plus sérieux » que tout refus d’une reprise des négociations directes avec Israël pourrait « nuire » aux relations palestino-américaines.
Dans la même lettre, le président américain affirme qu’en cas de reprise du dialogue, il veillerait à une extension du moratoire sur la colonisation juive en Cisjordanie qui expire le 26 septembre. Il ménage le bâton et la carotte.
Un diplomate arabe assistant à cette réunion la semaine dernière au Caire affirme que Abbass a montré la lettre aux chefs des diplomaties présents. Ils ont décidé par la suite d’écrire une lettre, eux aussi, adressée à Obama, et qui a été remise à l’ambassadrice américaine au Caire Margaret Scobey, pour lui exposer leur position sur les négociations directes et leurs exigences. La position définitive de la Ligue arabe sur la question devra être adoptée en septembre par la totalité des 22 ministres membres.
Les Arabes, qui ont laissé au président palestinien Abbass de déterminer « les conditions nécessaires pour le lancement du dialogue », comme l’a déclaré le chef de la diplomatie égyptienne Ahmad Aboul-Gheit, demandent « le gel de la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens occupés avant la reprise des négociations directes ». Le gel partiel de la construction des colonies en Cisjordanie décrété en novembre dernier sous pression américaine s’achève le 26 septembre et Tel-Aviv affirme que les travaux sur le chantier reprendront à l’expiration de ce moratoire.
Les Palestiniens réclament aussi « des garanties sur les frontières » du futur Etat palestinien, soit une reconnaissance de la part d’Israël des lignes de 1967 comme base de discussion.
Dans l’entourage de Mahmoud Abbass, on estime que le leader palestinien a perdu foi en le processus de paix et croit que les pressions américaines et européennes aussi qui s’exercent sur lui pour accepter les négociations directes n’ont pour objectif que de donner davantage de temps aux Israéliens pour créer le fait accompli en multipliant les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem, et par la suite, modifier la carte. Il est davantage convaincu que la coalition très à droite que dirige Netanyahu ne fera aucune concession en sa faveur.
Le scepticisme des Palestiniens est légitime, les négociations indirectes pendant trois mois n’ont enregistré aucun progrès, et en l’absence de garanties sur la fin du jeu, les directes peuvent facilement subir le même sort.
Palestiniens et Israéliens ont discuté, négocié et marchandé pendant une vingtaine d’années sans résultat tangible. Annapolis, et bien avant Camp David II en passant par Wye River et Charm Al-Cheikh. Les Palestiniens ne veulent pas recommencer à zéro, mais là où ils se sont arrêtés fin 2008, alors qu’Ehud Olmert était chef du gouvernement.
Le premier ministre israélien, lui, veut négocier sans « cadre » et sans « conditions préalables ». Le vice-premier ministre israélien, Sylvan Shalom, juge « impossible » d’accepter les conditions des Palestiniens.
Et si les Arabes estiment que les négociations ne devraient pas démarrer immédiatement, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu vient pourtant de déclarer qu’il négociera « à proximité » avec les Palestiniens à la mi-août. Ce que les Israéliens omettent c’est que les Palestiniens ne sont plus capables de faire davantage de concession, simplement parce qu’il n’en existe plus. Ils ont subi de la pression, simplement car ils ne peuvent pas dire « non » à la volonté américaine.
Les Arabes, qui ont soutenu Abbass dans sa démarche, argumentent en effet que finalement, ce ne serait pas une mesure purement négative, car une fois autour de la table, Washington réalisera que c’est Israël qui représente un obstacle à la paix. Puisqu’il semble clair qu’Israël est loin d’approuver une solution qui inclut, entre autres, la création d’un Etat palestinien.
On va quand même à ces négociations directes pour prouver au monde qu’Israël n’est pas sérieux à entendre le chef de la Ligue arabe, Amr Moussa.
Les Arabes acceptent donc les négociations pour les négociations, pas un iota de plus. Ils ne veulent surtout pas d’affrontement diplomatique avec les Etats-unisiens.
Et en poussant vers des négociations directes, les Américains omettent, et avec eux les Israéliens, que les Palestiniens ne peuvent pas faire davantage de concessions, simplement car il n’y en a plus à faire. Le président Hosni Moubarak, qui a reçu dimanche à Charm Al-Cheikh le président israélien Shimon Pérès, avec lequel il a débattu notamment de cette reprise des négociations, a bien dit qu’avec la colonisation, il ne restera pas de territoires pour les Palestiniens. Donc quels autres sacrifices peut-on leur demander encore ?
Ainsi nombre de Palestiniens, dont des intellectuels, ne cachent pas leur crainte que l’Autorité Palestinienne soit entraînée vers des « sacrifices majeurs », surtout en l’absence d’assurance « écrite » de la part des Américains, au moins sur les lignes de démarcation de 1967. Netanyahu exclut en effet que son pays renonce au contrôle de Jérusalem-Est.
Abbass serait satisfait d’assurances venant aussi bien de Netanyahu que de l’Egypte ou la Jordanie qui toutes deux font office de médiateurs entre les deux parties. Le Caire dit avoir reçu des assurances américaines, mais il a refusé d’en rendre les détails publics.
Autour de la table de négociations, que fera et que pourra dire Israël s’il rejette d’emblée les droits palestiniens ? Un document publié le mois dernier par le Centre de Jérusalem pour les affaires publiques apporte en grande partie la réponse. Ce texte, dont l’auteur principal est le vice-premier ministre israélien Moshe Ya’alon, parle d’« arrangements de sécurité en Cisjordanie, après la création d’un Etat palestinien sur ce territoire » sans préciser c’est quoi comme territoire. Le texte, auquel ont contribué des généraux de l’armée israélienne, appelle à transformer la Cisjordanie en une autre Gaza, un Etat démilitarisé où Israël continuera à contrôler air et terre.
Au fil des pages, le document élabore une liste des contrôles qui devront être imposés aux Palestiniens pour garantir une « démilitarisation », qui dépasse la définition classique du terme comme dit le texte.
Des mesures qui simplement priveront un futur Etat palestinien de sa qualité d’Etat, c’est-à-dire d’être souverain et d’être traité avec respect.
Et les Palestiniens, auxquels on n’a rien promis, obtiennent une petite récompense diplomatique. Les Etats-Unis ont ainsi décidé de relever le statut du représentant de l’OLP à Washington, de chargé d’affaires à « quasi-ambassadeur », et le drapeau palestinien a été hissé sur DC pour la première fois.
Des capitales européennes envisagent des mesures similaires, dit-on.
Les Palestiniens n’ont-ils pas besoin de voir ce drapeau hissé d’abord à Jérusalem ? Obama aurait les yeux braqués ailleurs, sur un scrutin législatif et dans lequel il peut se prévaloir d’un important succès diplomatique et il se concilie le lobby juif prosioniste.
Abbass en est conscient. Il semble pourtant vouloir passer à l’action. Selon son négociateur en chef Saëb Erakat, l’Autorité palestinienne a envoyé à l’administration américaine des propositions détaillées munies de cartes et documents en vue d’un règlement définitif. A la question de savoir ce qu’il ferait en cas d’impasse dans les négociations indirectes, Abou-Mazen avait déclaré : « Je démissionnerai ». Avec un échec des « directes », que fera-t-il alors ? .
Samar Al-Gamal