vendredi 4 juin 2010

"Et puis on a fait feu sur nous !"

publié le jeudi 3 juin 2010
Charlotte Noblet

 
Cinq Allemands rescapés, dont deux députées du Bundestag, se trouvaient sur le bateau turc de la flottille humanitaire sur lequel le commando israélien a tiré. Ils ont été expulsés hier vers Berlin par les autorités israéliennes.
« La brutalité des soldats israéliens était telle que nous avions l’impression d’être en situation de guerre », décrit Inge Höger, cinquante-neuf ans, hier midi à Berlin, juste après son rapatriement. La députée du parti de gauche, Die Linke, était à bord du ferry turc Mavi Marmara, une des six embarcations affrétées par l’organisation Free Gaza afin d’apporter de l’aide humanitaire à Gaza, malgré le blocus israélien imposé depuis 2007.
« une barbarie incroyable  ! »
« L’action commando menée à bord par les soldats israéliens a été d’une barbarie incroyable  ! Lundi soir, on comptait déjà seize morts et une cinquantaine de blessés parmi les 600 passagers des bateaux affrétés par Free Gaza », précise sa collègue Annette Groth, autre députée de Die Linke, également à bord du Mavi Marmara. « Les soldats israéliens se sont livrés à un acte de piraterie d’une violence inouïe en eaux internationales et envers un convoi d’aide humanitaire », dénonce également Norman Paech, soixante-douze ans, ancien député de Die Linke, lors de la même conférence de presse, hier midi, au Bundestag.
Aux côtés des trois députés, deux autres Allemands, rescapés et expulsés le matin même par les autorités israéliennes, sont venus témoigner  : Matthias Jochheim, président adjoint de l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW), et Nader El Sakka, président de la communauté palestinienne de Hambourg.
Ces cinq témoins directs de la tragédie qui s’est jouée au large des côtes de Gaza ont été dépossédés de leurs affaires personnelles. Ils apparaissent vêtus de simples T-shirts et chaussées de sandales ou de baskets. Dans une allure à mille lieux de l’image qu’ont voulu imposer initialement les autorités israéliennes qui n’ont pas hésité à les présenter comme une « armada de haine et de violence ». « La légitime défense invoquée par le gouvernement israélien n’a jamais eu lieu d’être », pointe Norman Paech. « Il n’y avait pas d’armes à bord », assure l’ex-député. « J’ai vu, dit-il, quelques militants réagir en se saisissant de bâtons de bois lorsque les soldats israéliens sont montés à bord, mais il n’avait même pas un couteau, même pas une barre de fer à opposer aux fusils mitrailleurs. » Et de montrer la taille des dits bâtons  : « Une cinquantaine de centimètres, pas plus. Et en face, des guerriers équipés de la tête aux pieds… »
Norman Paech déplore qu’on lui ait confisqué son appareil photo  : « Pour avoir une idée des soldats qui nous sont tombés dessus, explique-t-il, pensez aux images que vous connaissez d’Afghanistan ou d’Irak. C’était comparable  : une situation de guerre contre un convoi humanitaire. Et on a fait feu sur nous  ! »
Annette Groth et Inge Höger écoutent le témoignage de leur collègue. Comme la plupart des femmes à bord, les deux députées n’ont pas pu suivre toutes les opérations, enfermées une bonne partie de l’après-midi dans les cabines du ferry, aux étages inférieurs. « Nous avions enfilé les gilets de sauvetage, raconte Inge Höger. Nous ne savions pas ce qui se passait, si le ferry était déplacé. » Briser le silence sur le blocus de Gaza
« Nous nous attendions bien sûr à des contrôles », ajoute Annette Groth. Avant son départ, la responsable politique pour les droits de l’homme de Die Linke s’était expliquée sur les intentions de la flottille Free Gaza  : non seulement apporter de l’aide matérielle et humanitaire à Gaza en forçant le blocus, mais également briser le silence des médias et atteindre l’opinion publique afin de faire pression au niveau de la politique internationale et d’obtenir la levée du blocus israélien. « Il y avait une quarantaine de nationalités à bord. La communication était parfois difficile, mais les grandes lignes étaient claires  : les militants présents étaient pacifistes et voulaient agir en plein jour. Nous nous attendions à des contrôles mais pas à un tel sommet de brutalité  ! » Israël avait déclaré le port d’Ashdod comme zone militaire interdite d’accès. Le ministère des Affaires étrangères avait également recommandé aux citoyens allemands de ne pas participer à l’opération Free Gaza. « C’est pourquoi nous espérions augmenter la sécurité du convoi humanitaire par notre présence en jouant sur notre statut de parlementaires », explique Inge Höger. Après plusieurs heures d’incertitude, les deux députées interpellées par les autorités israéliennes furent autorisées à appeler des représentants de l’ambassade d’Allemagne, à 20 h 30, lundi soir.
« Nous avons finalement décidé de signer le “deportation paper” (acte d’expulsion) qui attestait de notre volonté de quitter le territoire israélien. C’était la seule manière d’assurer le suivi de l’information sur la tournure prise par les événements. » Le ton du récit de l’experte en désarmement de Die Linke traduit aussi, à ce moment, la difficulté qui fut la sienne de quitter ainsi ses compagnons de route restés, eux, aux mains des autorités israéliennes. Ces autres passagers étaient hier soir encore détenus dans la prison d’Al-Khiyam, dans le port d’Ashdod, donc interdite d’accès. D’autres, comme l’écrivain suédois Henning Mankell, seraient emprisonnés à Beerscheva, dans le désert du Néguev. Les traits tirés, les cinq rescapés revendiquaient, hier, le soutien de leur gouvernement comme de l’Union européenne  : « Nous sommes rentrés pour pouvoir mieux venir en aide à ceux qui sont restés prisonniers des forces israéliennes et nous demandons aux diplomates d’entrer en jeu au plus vite », déclare Annette Groth. Déjà, les premières réactions se sont fait entendre. Le ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, s’est même prononcé en faveur de la levée du blocus israélien sur Gaza. « C’est un progrès par rapport à la position habituelle de l’Allemagne vis-à-vis de l’Israël », déclarait, hier soir, Gesine Lötzsch, nouvelle coprésidente du parti Die Linke. Elle précisait  : « La réaction de la chef de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton, choquée par l’action commando, laisse bon espoir quant à la mise en place d’une commission d’enquête sur les événements. Mais il faut aller plus loin et porter le blocus criminel de Gaza à l’agenda politique. » Pour l’ex-député de Die Linke Norman Paech, qui suit de près le conflit au Proche-Orient depuis 1965, les gouvernements doivent faire enfin face à leurs responsabilités  : « La situation est dramatique, avec tous ces morts et ces blessés. Mais comme disait Johnson lors de la guerre du Vietnam, il faut parfois atteindre le pire pour obtenir le meilleur. De l’échec du convoi humanitaire doit maintenant naître la levée du blocus israélien. »