jeudi 5 novembre 2009

« Le déséquilibre des forces retarde le règlement du conflit palestino-israélien »

publié le jeudi 5 novembre 2009

entretien avec Lakhdar Brahimi
Ancien secrétaire général adjoint des Nations-Unies et ex-ministre algérien des Affaires étrangères, Lakhdar Brahimi a été l’envoyé spécial de cette organisation internationale dans plusieurs zones de conflit. Il livre son expérience dans la résolution des conflits, notamment celui entre Palestiniens et Israéliens.

Al-ahram hebdo : Vous étiez l’envoyé spécial des Nations-Unies dans plusieurs conflits du monde, dont ceux de l’Iraq (janvier-juin 2004) et de l’Afghanistan (juillet 1997-octobre 1999). Quelles leçons tirez-vous de cette vaste expérience dans la résolution de conflits, tel celui entre Palestiniens et Israéliens ?

Lakhdar Brahimi : La première leçon que l’on apprend lorsque nous avons affaire à des conflits c’est qu’il n’y a pas deux situations que l’on peut comparer ou résoudre de la même manière. Donc, il n’y a pas de formule qu’on ait pu utiliser quelque part et qu’on pourra répéter ailleurs. Chaque nouvelle situation demande que l’on s’y adapte. Il y a parfois des éléments de ressemblance, mais la question fondamentale est que les situations sont toujours différentes les unes des autres, et donc, on ne peut pas les comparer. Dans le cas spécifique du conflit israélo-palestinien, la question la plus difficile c’est que les rapports de force ne changent jamais. En Afghanistan, par exemple, on voit par moments que les talibans deviennent de plus en plus forts, même face aux forces américaines et celles de l’Otan. Mais dans le cas des Palestiniens, cela ne se passe pas de cette manière. La situation de conflit dans ce cas ne coûte pas beaucoup aux Israéliens, et cela fait qu’ils ne se sentent pas pressés de le résoudre.

Y a-t-il un moyen de changer cet équilibre de forces ?

— Il est vrai que la majorité des Israéliens se sentent très à l’aise dans cette situation. Mais il y a quand même une minorité d’Israéliens très inquiète et qui pense que la paix est dans leur propre intérêt, surtout à long terme. Mais en même temps, il faut renforcer le côté palestinien, et pour cela, il faut qu’il y ait de l’unité dans les rangs palestiniens. De plus, je dis toujours que les Arabes semblent, depuis longtemps, avoir abandonné les Palestiniens. Il est temps qu’ils raffermissent leur attitude vis-à-vis d’Israël.

Vous étiez aussi l’émissaire du secrétaire général de l’Onu en Afrique du Sud à la veille de la fin du régime de ségrégation raciale et l’accession de la majorité noire au pouvoir en 1994. Quelles sont les différences entre le cas sud-africain et celui des Palestiniens dans les territoires occupés ?

— En Afrique du Sud, il y avait une résistance armée, mais il y avait aussi un soutien international très important que l’on ne voit pas tellement dans le cas de la Palestine. Le support que les pays africains apportaient alors à l’ANC (Congrès national africain) était beaucoup plus fort et important que celui que les pays arabes accordent aux Palestiniens. L’ANC était à 100 % soutenu par la totalité des pays de l’Afrique. Aussi dans le cas de l’Afrique du Sud, il n’y avait pas de luttes internes comme on le voit aujourd’hui chez les Palestiniens.

L’une des raisons qui fait que l’Etat hébreu refuse toute solution à son conflit avec les Palestiniens est qu’il se sent invincible, étant donné sa détention de l’arme nucléaire. Une situation qui crée des émules puisque l’Iran semble, lui aussi, chercher la possession de l’arme atomique. Que pensez-vous de l’effet de cette course à l’armement nucléaire dans la région ?

— Je pense que cette région doit être dépourvue de l’arme nucléaire. Il faudrait peut-être organiser une conférence internationale où Israël et l’Iran participeraient et accepteraient de dénucléariser la région. Si cela ne se passe pas, l’Iran va essayer d’avoir l’arme nucléaire et tout autre Etat arabe essayera de faire la même chose. Mais de toute manière, s’agissant de la question du nucléaire, il y a actuellement un mouvement qui est en faveur du désarmement nucléaire. Il devra y avoir une conférence sur cette question à la fin de cette année ou au début de l’année prochaine. Il y a un très grand intérêt autour de cette question et une pression palpable aux Etats-Unis pour le désarmement nucléaire.

Et comment ce courant en faveur d’une dénucléarisation va-t-il se répercuter sur les pays qui ont déjà l’arme nucléaire, comme Israël, l’Inde ou le Pakistan ?

— Il ne s’agit pas de faire une révolution, mais c’est quand même significatif que, pour la première fois, il y a eu une résolution internationale de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) qui demande à Israël, par exemple, de se soumettre au contrôle de l’AIEA.

Pensez-vous que l’Iran cherche à se doter de l’arme nucléaire et que son programme civil cache d’autres intentions plus belliqueuses ?

— Les Iraniens disent qu’ils ne sont pas intéressés à la bombe. Ce qu’ils font est certainement légal, tout à fait autorisé par l’AIEA. S’ils cachent quelque chose ou s’ils ont des intentions pour plus tard, on n’en sait rien. Mais pour le moment, ce qu’ils font est légal.

Où en est-on de la réforme tant attendue des Nations-Unies ?

— Le mouvement de réforme des Nations-Unies, c’est comme un cheval de mer. Quelque chose dont on parle tout le temps. Cela a commencé avec l’ancien secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, continué avec Kofi Annan et se poursuit maintenant avec Ban ki-Moon. Dans cette question, il y a deux choses. D’abord, il y a l’aspect facile qui intéresse même les grandes puissances : la réforme administrative. Il s’agit par exemple de la diminution du personnel et des dépenses. On nous disait à un moment qu’il ne fallait pas, par exemple, imprimer sur le papier. Si on souhaitait le faire, il fallait sortit à l’extérieur. C’est ce que j’appelle les réformes pour amuser la galerie.

Mais il y a les réformes fondamentales, qui concernent notamment le Conseil de sécurité. Tout le monde est maintenant d’accord que celui-ci a été dépassé par les événements. Il a été constitué en 1945, après la deuxième guerre mondiale. Le monde a changé depuis, pas le Conseil de sécurité. Jusqu’à présent, les efforts pour élargir le Conseil de sécurité ont été un échec. Il est vrai qu’ils continuent encore, mais je n’ai pas l’impression qu’on soit proche d’une solution ou d’un changement. Le Conseil de sécurité ne reflète plus du tout la réalité du monde d’aujourd’hui qui possède de nouvelles dimensions, avec l’émergence de nouveaux pôles régionaux.

Etant donné cette incapacité à réformer le Conseil de sécurité, l’on parle de plus en plus aujourd’hui de créer de nouveaux organismes, comme celui du G20 dans le domaine économique. Mais cela ne va pas remplacer le manque existant au Conseil de sécurité, car les questions de paix et de sécurité ne peuvent pas être données au G20.

Pourquoi ?

— Parce que la charte des Nations-Unies dit que c’est au Conseil de sécurité de traiter ces questions. Pour charger le G20 des questions de la paix et de sécurité, il faut changer la charte. Et les cinq pays permanents, qui ont une position clef, et en particulier le droit de veto, ne vont pas accepter la réforme de la charte. Ce qu’on est en train d’essayer de faire c’est changer la charte pour que la composition du Conseil de sécurité soit modifiée, mais on n’arrive pas à se mettre d’accord sur cela. Et il sera encore plus difficile de se mettre d’accord sur la création d’un organisme qui dépossédera le Conseil de sécurité actuel de ses prérogatives. Là, il y a deux problèmes. Le premier c’est le P5, les cinq pays permanents qui sont très contents et très heureux de cette situation et ne veulent pas qu’elle change. Mais il y a malheureusement aussi le désaccord entre les pays du Sud. Les pays de l’Amérique latine ne sont pas d’accord pour que le Brésil les représente, les pays africains ne sont pas d’accord pour que l’Afrique du Sud ou le Nigeria les représente. Pour les pays asiatiques, il y a des pays qui s’opposent à la candidature de l’Inde. Même en Europe, il y a des divergences terribles. L’Italie a combattu ouvertement pour que l’Allemagne ne devienne pas membre permanent du Conseil de sécurité. Il y a aussi des gens qui disent que l’Union européenne a déjà deux pays membres du Conseil de sécurité et qu’il ne faut pas en rajouter un troisième, etc.

Le monde arabe devrait-il avoir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’Onu ?

— Je pense que le monde arabe est trop affaibli pour pouvoir prétendre à un siège permanent au Conseil de sécurité de l’Onu. La coopération entre les pays arabes est tellement faible que l’on parle beaucoup plus aujourd’hui d’une représentation islamique, pas d’une représentation arabe. Alors, nous avons l’Iran qui a annoncé publiquement qu’il voulait un siège au Conseil de sécurité. Et il y a aussi l’Indonésie, ils n’ont rien dit, mais il y a des gens qui disent que l’Indonésie est le pays musulman le plus peuplé du monde. On parle donc d’une représentation de ce pays. Je regrette de dire que, pour le moment, on ne parle pas beaucoup d’une représentation arabe.

Propos recueillis par Randa Achmawi

publié par al-Ahram hebdo en français

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