jeudi 5 novembre 2009

La fin du « tout est permis » ?

jeudi 5 novembre 2009 - 06h:21

As’ad AbuKhalil - Al Jazeera

Un Etat qui a déclaré avec arrogance être une « lumière pour les nations » est devenu un symbole d’agression, de crimes de guerre, et de discrimination ethnique et religieuse, écrit As’ad Abu Khalil.

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10 janvier - Manifestation à Barcelone contre les crimes israéliens à Gaza - Photo : AP

Plus de 60 années après avoir été fondé en lieu et place d’une nation existante, Israël fait face à d’inhabituelles circonstances.

Cet Etat a amassé un énorme arsenal d’armes de destruction massive et a construit un appareil militaire impressionnant (en grande partie grâce à des soutiens extérieurs venus d’abord de France puis des États-Unis). Il a aussi remporté des guerres successives contre les régimes arabes.

Pourtant, Israël fait face à de nombreux défis politiques et même existentiels. Un Etat qui a déclaré avec arrogance être une « lumière pour les nations » est devenu un symbole d’agression, de crimes de guerre, et de discrimination ethnique et religieuse.

Un Etat qui a toujours bénéficié du soutien américain pour maintenir sa supériorité militaire sur les régimes arabes a été humilié par quelques centaines de jeunes combattants sur le champ de bataille du sud-Liban en 2006.

Un Etat qui se vante depuis des décennies des compétences et de la supériorité de son appareil de renseignement, a loupé une tentative d’assassinat contre Khaled Mishaal, le dirigeant du Hamas, et ont enlevé un agriculteur libanais en 2006 parce que son nom était Hasan Nasrallah (et il a fallu des « experts » israéliens et plusieurs jours pour réaliser que ce n’était « pas le bon » Hasan Nasrallah).

Un Etat qui a signé des traités de paix avec plusieurs régimes arabes et qui entretient des relations secrètes avec beaucoup d’autres, reste haï par le public arabe et musulman.

Il semble que plus Israël devient fort, plus il devient impuissant à faire changer son statut dans la région.

L’opinion dans le monde a changé

Le rapport Goldstone n’a fait qu’ajouter aux problèmes d’Israël.

Israël a d’abord compté sur les États-Unis pour couvrir ses crimes de guerre et les Etats-Unis se sont toujours précipités, que ce soit au Nations Unies ou au Congrès, pour sauver Israël de la condamnation et la honte.

Les États-Unis ont le plus souvent utilisé leur droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies au bénéfice d’Israël.

Israël a compris, en particulier depuis la Guerre froide, qu’il pouvait toujours compter sur son allié américain pour le sauver de poursuites internationales pour crimes de guerre, pouvant en particulier venir de la Cour pénale internationale (CPI).

Mais Israël est également conscient que l’opinion publique à l’égard d’Israël a changé partout dans le monde. Même le gouvernement turc (un allié stratégique clé depuis des décennies) a été obligé de prendre ses distances, en grande partie pour répondre aux pressions de son opinion publique.

L’opinion publique dans les pays européens a changé en faveur des Palestiniens, même dans les pays - comme l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark - où le soutien fanatique à Israël a été une constante politique de la part des gouvernements depuis des dizaines d’années.

Les votes concernant Israël à l’Assemblée générale des Nations Unies sont tout à fait indicatif. Année après année, Israël se retrouve dans un petit groupe qui comprend les États-Unis, les Îles Marshall et la Micronésie. Le reste du monde est de l’autre côté, bien que certains alliés européens des Etats-Unis s’abstiennent souvent de voter par peur de mesures de rétorsion.

Erreur de calcul

Quand Israël a demandé l’aide des États-Unis, l’administration de Barack Obama, le président américain, a cru que la question serait simple.

Mahmoud Abbas, le président palestinien, ne peut refuser aucune demande venue des États-Unis, peu importe l’humiliation imposée. Ainsi, M. Abbas a succombé aux pressions américaines et a demandé à son ambassadeur à Genève d’écarter tout débat sur le rapport Goldstone au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

Les Etats-Unis (et le régime d’Abbas, ironie du sort) ont fait un mauvais calcul. Ils ne se rendaient pas compte qu’il y avait des limites que même la direction du Fatah ne pouvait franchir. Mais, il était trop tard pour inverser la tendance : Le gouvernement israélien a dû choisir entre permettre à la discussion d’aller de l’avant ou saper la crédibilité - ou le peu qu’il en reste - du régime d’Oslo de Ramallah.

Et Israël est confronté à d’autres dilemmes sur cette question. Il peut insister en disant que le rapport est partial, mais cette fois il ne peut pas accuser son auteur d’antisémitisme. On ne peut pas accuser Goldstone de sympathiser avec l’islam ou l’intégrisme islamique. Le juge, comme sa fille en a informé les médias israéliens, est un sioniste qui se soucie Israël, mais les preuves de crimes de guerre ont été écrasantes.

Le gouvernement israélien ne peut pas recourir à la propagande avec les clichés utilisés pendant des décennies au complet mépris des lois et du droit au niveau international.

Les États-Unis ne devrait pas pouvoir tirer Israël d’affaire cette fois-ci, car de nombreux pays ont vu de leurs yeux les scènes de l’agression brutale contre Gaza et sa population civile.

Un nouveau cadre moral

Israël sait aussi qu’il y a un nouveau cadre moral qui émerge au niveau international : un cadre qui a produit la CPI, aussi faible qu’elle puisse encore être.

La capacité d’Israël à lancer des guerres et des invasions, sans aucun égard pour le droit international ou la moindre morale de base sera plus limitée dans le temps, même si le soutien américain à Israël reste constant.

L’Union Européenne a fait avancer l’idée d’une intervention internationale au nom d’une morale internationale dans les cas où des crimes de guerre se produisent, surtout s’ils se répètent sur une même modèle sur toute une période.

Il est possible que la sauvagerie des attaques israéliennes sur le Liban en 2006 et sur Gaza en 2008, puissent être plus difficile à renouveler dans l’avenir, ce qui ne fera qu’aggraver la situation problématique d’Israël, un État qui a toujours considéré que seule la force brute peut résoudre ses problèmes.

Israël prétend (comme les États-Unis) qu’aucun organisme international n’a le droit d’enquêter, de lancer des poursuites ou de juger sa conduite de la guerre parce qu’elle est une « démocratie ».

Cette ligne de défense a une faible résonance aujourd’hui, et pas seulement parce que le racisme de l’Etat d’Israël (qui se manifeste à plusieurs niveaux : au gouvernement et dans le discours officiel) est plus visible, mais aussi parce que la conduite de la guerre israélienne ne se distingue pas de celle des régimes les plus brutaux. Israël ne peut pas non plus faire valoir d’enquêtes internes crédibles sur le comportement de ses forces armées.

Des champs de bataille aux tribunaux

Il est peu probable que la défaite du projet sioniste qui se passera dans la façon dont les Arabes ont espéré depuis des décennies. Toutefois, il est possible - surtout si les États-Unis perdent leur suprématie internationale - qu’Israël puisse être forcé de reconnaître les aspirations politiques fondamentales des Palestiniens, et même leur droit au retour, sur injonction de la communauté internationale.

Les options israélienne options, excepté les invasions et les bombardements brutaux, sont en nombre plutôt limité.

L’ironie de la situation est que l’influence d’Israël n’a pas grandi en même temps que sa puissance militaire, et sa puissance militaire n’a pas réussi à faire une brèche dans le rejet populaire d’Israël dans la région.

De toute évidence, les Arabes - du moins la populaire à défaut des régimes - ne sont toujours pas prêts à accepter les diktats israéliens et les « faits accomplis sur le terrain ».

Il est possible que la prochaine phase du conflit israélo-arabe puisse se déplacer du champ de bataille vers les organisations internationales et les tribunaux. Dans un tel cadre, la supériorité militaire israélienne est plutôt obsolète.

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As’ad AbuKhalil

* As’ad AbuKhalil est professeur en sciences politiques à la « California State University, Stanislas », et auteur du blog Angry Arab

4 novembre 2009 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/focus/...
Traduction : Nazim