jeudi 5 novembre 2009

Il est temps d’admettre qui sont les véritables victimes

mercredi 4 novembre 2009 - 06h:19

Jerusalem Post
The Palestine Telegraph

Auschwitz, les agneaux allant à l’abattoir. Vous vous rappelez de nous, le peuple de l’Holocauste ? Ce n’est pas la superpuissance du Moyen-Orient que vous avez vu combattre à Gaza. C’était les six millions.

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Netanyahu évoquant Auschwitz à la tribune de l’ONU le 24 septembre 2009 - Photo : Reuters


Le rapport en nombre de morts est de 1 à 100, en notre faveur. S’agissant des destructions, c’est beaucoup, beaucoup plus. A ce jour, des milliers de Gazaouis vivent dans des tentes parce que nous ne leur permettons pas de faire venir le ciment pour reconstruire les maisons que nous avons démolies. Nous avons fait de la bande de Gaza une zone sinistrée, une question humanitaire, et nous la maintenons en l’état avec notre blocus.

Pendant ce temps, ici, du côté israélien de la frontière, nous n’arrivons pas à nous rappeler quand la vie a été aussi tranquille et sécurisée.

Alors décidons : qui ont été les victimes de l’opération Plomb durci, eux ou nous ?

La question ne se pose pas, c’est nous. Nous, les Israéliens, nous avons été les victimes et nous le sommes toujours. En réalité, notre état de victime ne fait qu’empirer de jour en jour. Le rapport Goldstone est le véritable crime de guerre. Le rapport Goldstone, les débats aux Nations unies, Amnesty International, Human Rights Watch, la Croix-Rouge, B’Tselem, les soldats traîtres de Briser le Silence et l’Académie des Rabins - tous sont les vrais crimes contre l’humanité. C’est cela qu’on entend par « la guerre est un enfer ».

C’est nous qui avons traversé l’enfer de la guerre à Gaza. C’est nous qui avons souffert.

Les Gazaouis ? Ils souffrent ? Mais de quoi parlez-vous tous ?

Nous leur permettons de manger, non ?


Ce monologue imaginaire montre en réalité comment nous nous voyons aujourd’hui. Nous avons lancé la guerre à Gaza, nous avons déclanché l’une des campagnes militaires les plus inégales qu’on puisse connaître, mais nous sommes les victimes.

Nous nous battons contre le monde avec l’Holocauste ; à preuve les propos du Premier ministre Binyamin Netanyahu à l’ONU sur Auschwitz. Et son protégé, le ministre des Finances, Yuval Steinitz, qui promet : « Nous n’irons pas à l’abattoir comme des agneaux une fois encore, » lors d’une discussion au cabinet à propos du rapport Goldstone.

Auschwitz, les agneaux allant à l’abattoir, l’opération Plomb durci. Pour les Israéliens aujourd’hui, tout cela forme un tout, une seule histoire, l’héritage ininterrompu d’une vertueuse position de victime.

La vérité c’est que l’Etat d’Israël n’a jamais été une victime, et le fait que nous nous assimilions aux six millions a été gênant dès le début - mais maintenant ? Après ce que nous avons fait à Gaza ? Avec la mainmise que nous avons sur cette société, alors que nous vivons ici libres et tranquilles ?

Des victimes ? Des agneaux à l’abattoir ? Nous ?

Non, et c’est devenu bien plus que gênant, c’est absolument honteux.

Et malgré nos excuses, il n’est pas vrai que nous soyons « traumatisés » par le passé dans la conviction que nous sommes toujours des juifs faibles, apeurés, impuissants, sur le point d’être conduits aux chambres à gaz. Beaucoup de survivants de l’Holocauste gardent cette conviction, et dans une proportion très limitée, ce vestige de peur occupe encore l’esprit israélien.

Mais maintenant, 64 ans après l’Holocauste, 42 ans après avoir vu avec la guerre des Six Jours à quel point nous étions devenus forts, nous savons, que nous nous l’avouions ou pas, que nous ne sommes plus les victimes. Nous savons que nous ne sommes pas la continuité des six millions mais au contraire qu’on s’en éloigne délibérément, purement et simplement.

LA RAISON pour laquelle nous nous disons et que nous disons au monde que nous sommes les victimes, c’est parce que nous savons, que nous en convenions ou pas, que l’état de victime représente un pouvoir. L’état de victime c’est la liberté. On ne peut pas demander à une victime de se contenir. Une victime qui se bat pour sa survie ne peut être accusée d’abuser de son pouvoir puisque après tout, elle a le dos au mur, elle est désespérée.

Au vu des faits, il est très difficile de nous convaincre nous-mêmes, et à fortiori de convaincre les autres, que Gaza et ses Qassams avaient mis la forteresse Israël le dos au mur, que nous étions désespérés, que nous combattions pour survivre. Aussi, pour se convaincre et pour convaincre le monde qu’il en était vraiment ainsi, nous faisons deux choses.

Un, nous refusons de reconnaître le moindre fait qui contredise cette image qui nous montre comme des victimes et, au contraire, nous ressassons encore et encore tout ce qui est conforme à cette image.

Nous parlons uniquement des milliers de Qassams qui furent lancées sur Sderot ; nous ne mentionnons jamais les milliers de Gazaouis que nous avons assassinés dans le même temps.

Nous parlons uniquement de Gilad Shalit ; nous ne mentionnons jamais les 8 000 Palestiniens que nous retenons prisonniers.

Nous ne parlons jamais de notre blocus que nous maintenons sur Gaza, ni des ravages qu’il provoque dans sa population.

La seconde chose que nous faisons pour nous convaincre et pour convaincre le monde que nous sommes toujours les victimes, c’est de ne jamais, au grand jamais, sortir de l’Holocauste - parce que c’est là que nous avons vraiment été des victimes. Des victimes comme personne n’en a jamais eues, des victimes un million de fois pire que les Gazaouis.

Auschwitz, les agneaux allant à l’abattoir. Vous vous rappelez de nous, le peuple de l’Holocauste ? Ce n’est pas la superpuissance du Moyen-Orient que vous avez vu combattre à Gaza.

C’était les six millions.

Alors, vous ne pouvez pas nous blâmer. Nous sommes immunisés contre vos critiques. Nous sommes les plus grandes victimes que le monde ait jamais connues. Nous sommes désespérés, alors ne nous parlez pas de ratios sur le nombre de tués, ni d’usage disproportionné de la force, ni de punition collective. Nous combattons pour notre survie.

C’est ce que nous nous disons à nous-mêmes et que nous disons au monde, et, vu ce que nous avons fait et que nous faisons toujours à Gaza, c’est devenu intolérable. Non, nous ne sommes pas les 6 millions. Les 6 millions était des juifs impuissants, il y a de cela trois générations ; nous ne pouvons pas enrober nos abus de pouvoir de leur tragédie.

Au lieu de cela, jetons un regard, un vrai regard critique sur ce que nous avons fait et faisons toujours à faire à Gaza. Jetons un vrai regard critique dans la glace. Et avouons alors qui est la véritable victime, ici et maintenant.

Et plus important encore, qui ne l’est pas.

1er novembre 2009 - The Palestine Telegraph - traduction : JPP