lundi 10 octobre 2011

Le problème israélien d’Obama

08/10/2011
Lors d’une rare sortie hors de son Texas natal, le gouverneur Rick Perry a accusé le président américain Barack Obama de mener une politique « d’apaisement » à l’égard des Palestiniens. De son côté, l’ancien maire de New York Edward Koch, juif et démocrate, a soutenu la candidature au Congrès d’un républicain catholique face à un candidat démocrate juif, parce que le républicain a fait part de son soutien sans réserve à Israël – et parce qu’Obama a émis des réserves concernant la poursuite des implantations en Cisjordanie. Selon les termes employés par Koch, Obama « a trahi Israël ». Le candidat républicain a remporté l’élection.
Quant au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, en général très sensible à l’intervention d’étrangers dans les affaires intérieures israéliennes, il courtise ouvertement et systématiquement des députés républicains en critiquant Obama. Et quelle est la réponse d’Obama à ces attaques ? Un discours devant les Nations unies, dans lequel il réitère son soutien à Israël et sa compréhension des peurs et de la vulnérabilité des Israéliens, en ne mentionnant qu’au passage les peurs et la vulnérabilité des Palestiniens.
Pour quelle raison la question d’Israël transforme-t-elle le président américain en une gelée amorphe ? Et pourquoi d’ailleurs les politiciens américains craignent-ils autant de critiquer la politique israélienne ? Est-ce par peur d’être qualifiés d’antisémites? Ou s’agit-il plutôt du « vote juif » ?
À première vue, les démocrates n’ont pas grand-chose à craindre. Les sondages montrent qu’une majorité de juifs américains (qui représentent à peine 1,7 pour cent de la population) continuent à voter pour le parti démocrate.
Pour ce qui est du soi-disant lobby israélien à Washington, qui est bien organisé et très bien financé, il faut noter que les chrétiens évangélistes y jouent également un rôle important. Mais ceux-ci votent républicain à une majorité écrasante, si bien qu’Obama n’ait pas grand-chose à perdre de ce côté-là.
Il est par contre vrai que certaines organisations pro-israéliennes, et en particulier le Comité aux Affaires publiques israélo-américaines (AIPAC), peuvent réunir des fonds considérables pour faire, ou défaire, des candidats politiques, qui seront jugés uniquement sur leur attitude vis-à-vis d’Israël. Et l’argent, disponible ou non, ainsi que les voix de juifs qui votent contre Obama par dépit pourraient faire toute la différence dans des États « pivots »-clés comme la Floride.
Indépendamment de l’argent, de l’électorat et des lobbys, une évolution fondamentale est intervenue ces dernières années, qui inquiète fortement les démocrates : le conflit israélo-palestinien est aujourd’hui utilisé par la droite américaine pour attaquer les démocrates.
Cette conjoncture est inédite. Durant les premières décennies de son existence contemporaine, lorsqu’il était surtout gouverné par des socialistes, l’État hébreu était généralement soutenu par la gauche progressiste mondiale. En fait, la dernière administration américaine qui se soit montrée relativement dure envers Israël a été celle du républicain George H. W. Bush.
Les juifs, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, votaient généralement à gauche. Les politiques appliquées par la droite, en particulier quand elles sont basées sur le nationalisme ethnique, ne sont pas très favorables aux minorités, qui vivent mieux dans un environnement plus ouvert et cosmopolite. Les juifs furent parmi les plus fervents défenseurs de la lutte des Afro-Américains pour leurs droits civiques dans les années 1950 et 1960.
Tant qu’Israël était un État progressiste, il était facile, voire naturel, pour la plupart des juifs américains de le soutenir. Il n’y avait pas de conflit entre le cœur et la raison, entre le lien émotionnel avec Israël et l’engagement politique en faveur de causes progressistes.
Mais la situation a commencé à changer lorsque le Parti travailliste israélien a progressivement perdu du terrain face au Likoud, partisan d’une ligne plus dure. Israël devint de plus en plus soumis aux politiques mêmes que rejetaient traditionnellement les juifs, et en particulier le nationalisme ethnique.
En partie à cause de l’hostilité des pays arabes voisins et en partie à cause de l’intransigeance des dirigeants palestiniens, Israël a opéré un net virage à droite. Cette évolution est également due à des facteurs démographiques : les juifs du Proche-Orient étaient plus viscéralement antiarabes que leurs coreligionnaires européens, et les immigrants juifs de Russie étaient viscéralement opposés à la gauche. Dans le même temps, le nombre de juifs orthodoxes n’a cessé de croître rapidement.
Israël perdit en conséquence la sympathie de la gauche européenne et se fit de nouveaux amis au sein de la droite – et même de l’extrême-droite. Des politiciens européens populistes, dont certains représentent des partis avec un passé antisémite marqué, proclament aujourd’hui fièrement leur soutien aux Israéliens colonisant les territoires palestiniens. Et aux États-Unis, une alliance particulière entre les juifs jusqu’au-boutistes et les chrétiens évangélistes – qui pensent que tous les juifs doivent retourner à la terre promise et se convertir au christianisme – est devenue la base du soutien à Israël dans ce pays.
Une situation très étrange a ainsi été créée. Des politiciens conservateurs du sud des États-Unis, aux côtés de populistes autrichiens, allemands, français et hollandais, accusent les démocrates et les politiciens de gauche de mener une politique d’apaisement de « l’islamo-faschisme ». Ces héritiers politiques de traditions profondément racistes sont les nouveaux champions de l’État hébreu, dont les politiques sont aujourd’hui plus proches du chauvinisme ethnique du XIXe siècle que de ses racines sionistes socialistes.
Céder aux politiques intransigeantes d’Israël pourrait être le moyen le plus simple pour le président démocrate américain de ne pas se mettre en difficulté en une année électorale. Obama a certainement besoin de rallier tous les amis qu’il peut à ses côtés. Mais le prix à payer sera élevé. Forcés de soutenir Israël, à tort ou à raison, les États-Unis perdent rapidement toute crédibilité et influence dans un Proche-Orient instable.
Exercer des pressions sur Israël pour que cessent les implantations de colonies et qu’un État palestinien viable voie le jour sera sans doute très difficile. Mais c’est la seule manière de mettre fin au cycle permanent de violence. Résister à Israël et à ses nouveaux amis fanatiques ne signifie pas être antisémite. Au contraire, cela signifie défendre la tradition progressiste à laquelle de nombreux juifs continuent à croire.
© Project Syndicate, 2011.
Traduit de l’anglais
par Julia Gallin.