jeudi 30 juin 2011

Comment les militants se préparent à l’arraisonnement

publié le jeudi 30 juin 2011
Elise Barthet

 
L’assaut lancé en 2010 par les commandos israéliens contre la première flottille s’était soldé par la mort de neuf passagers turcs. Pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise, les organisateurs du convoi ont mis en place cette année une "formation à l’arraisonnement". C’est Stellan Vinthagen, un grand Suédois de 47 ans aux joues piquées d’une épaisse barbe noire, qui s’est chargé d’initier les militants français rassemblés au premier étage de l’hôtel Iniohos.
Professeur de sociologie à l’université de Göteborg, ce spécialiste reconnu de la résistance non-violente est également un militant aguerri. Arrêté plus d’une trentaine de fois, il a été incarcéré plusieurs mois en Allemagne pour détérioration de lanceurs de missiles nucléaires Pershing II. De quoi acquérir une certaine expérience des techniques de répression musclées. Sa méthode pour apprendre à y faire face consiste en une série d’exercices pratiques suivis de longues séances de discussions.
Pour commencer, le formateur demande aux "flottileurs" en herbe de former des petits groupes de trois ou quatre personnes. "Ces équipes fonctionneront comme autant de "cellules d’affinités" une fois que vous aurez embarqué", explique-t-il. Leur but : souder entre eux les passagers afin qu’ils soient capables, le moment venu, de veiller les uns sur les autres. "Pour se rassurer, ajoute avec malice le professeur, les militants suédois, ont pris l’habitude de se masser la nuque". Une technique, paraît-il, efficace et que les Français auraient tort de ne pas adopter.
Alignés ensuite les uns en face des autres, les militants doivent s’entraîner à dire "oui" ou "non" en alternant calme et fermeté. "Vous avez affaire à de jeunes militaires gavés de propagande et sur-entraînés, explique Stellan Vinthagen. Ils sont persuadés que vous êtes des antisémites convaincus, décidés à en finir avec l’Etat d’Israël. Maîtrisez vos gestes. Le simple fait de mettre la main dans une poches peut leur sembler suspect".
Le scénario suivant se révèle un peu plus éprouvant. "Imaginez, dit Stellan Vinthagen, que les soldats israéliens ont pris d’assaut votre bateau. Ils ne contrôlent pas encore complètement la situation et deux militants qui ont essayé de s’interposer pacifiquement sont pris à part et battus. Vous les entendez hurler. Certains d’entre vous sont bouleversés, prêts à en venir aux mains. Les autres doivent les calmer." A la ligne des sages de contenir les forte-têtes :
En quelques secondes, le ton monte au point que l’exercice vire littéralement au pugilat. Particulièrement convaincante dans le rôle de la passagère en colère, la porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, Annick Coupé, se débat comme une diablesse. "On ne peut pas les laisser faire ça, on est des lâches ", crie-t-elle à la figure de la députée européenne, Nicole Kil-Nielsen, qui essaie désespérément de la raisonner.
Satisfait, Stellan Vinthagen, met fin aux hostilités. "Quelles conclusions tirez-vous de ce corps-à-corps ?", demande-t-il. Un peu perturbés, les militants hésitent. Ils ont essayé d’immobiliser leurs équipiers, de les regarder dans les yeux, d’en appeler à leur responsabilité... "Mais allez neutraliser un bonhomme plus grand et plus lourd que vous", sourit une militante. "Je crois que les plus énervés doivent surtout comprendre qu’ils mettent vraiment nos vie en danger".
Plus théâtral encore, le dernier tableau de la formation met aux prises des militants déguisés en soldats israéliens et de simples passagers. Le visage masqué par des keffiehs faute de cagoules appropriées, les assaillants sont censés débarquer sur le pont avec des tubes en plastique dans les mains en guise d’arme de poing. Ce sont Jean-Paul-Lecoq, Stellan Vinthagen et Annick Coupé (encore) qui s’y collent. Cette fois, on nous interdit de les photographier de crainte que les images ne soient détournées. C’est vrai qu’ils ressemblent d’avantage à des fédayins, qu’à des recrue de Tsahal... Plaqués au sol, les passagers n’opposent aucune résistance.
La réunion s’achève par une discussion à bâtons rompus sur les meilleures techniques de protection contre les gaz lacrymogènes. Oignon, citron, sérum physiologique ou Maalox dilué… Toutes les recettes sont bonnes à prendre. "A Tunis par exemple, pendant la révolution, les gens se mettaient du Coca-Cola sur le visage, explique l’une des représentantes du syndicat des travailleurs tunisiens. Ça marchait bien et ça peut nous être utile parce que les policiers utilisaient des gaz israéliens".