mercredi 24 novembre 2010

Le ’plaider coupable’, "seule option" pour le prisonnier politique Ameer Makhoul

publié le mardi 23 novembre 2010
Jillian Kestler-D’Amours

 
Ce qui nous distingue, nous les Palestiniens, c’est notre libre volonté et notre endurance, que nous utilisons pour résister à l’ oppression, aux oppresseurs et à leur supposée justice
Après près de 6 mois d’emprisonnement, le prisonnier politique palestinien Ameer Makhoul a, le 27 octobre, signé un accord de ’plaider coupable’ avec les procureurs israéliens. L’accord implique une réduction de la liste des accusations, qui comprend le contact avec un agent ennemi et espionnage pour le mouvement de résistance libanais Hezbollah. Les accusations entrainent une condamnation de 7 à 10 ans d’emprisonnement au maximum.
Makhoul est le coordinateur de Ittijah, l’ Union des Associations de la communauté arabe, et l’un des dirigeants du mouvement pour la protection des droits des citoyens palestiniens d’Israël. L’accusation initiale contre Makhoul, présentée devant le tribunal du district d’ Haifa, comportait : assistance à l’ennemi en temps de guerre, conspiration pour aider l’ennemi, espionnage aggravé et contact avec un agent ennemi. Makhoul a formellement nié les accusations.
Suite à l’accord de ’plaider coupable’, l’accusation d’assistance à l’ennemi en temps de guerre, qui entraîne la perpétuité, a été enlevée. La prochaine session du tribunal, lors de laquelle les termes exacts de l’accord seront présentés, doit avoir lieu le 5 décembre.
Selon le Dr. Hatim Kanaaneh, président du Comité de Défense d’ Ameer Makhoul, la décision de plaider coupable pour réduire les accusations a été très difficile à prendre pour Makhoul, mais sa famille et l’équipe de ses avocats comme la réalité de la vie des Palestiniens d’Israël en ont fait la seule option possible [1]
"Historiquement, les rapports du système judiciaire israélien montrent que près de 100 % — en tout cas plus de 95 %— des affaires où une personne est accusée ou arrêtée sur la base de violations de la sécurité résultent dans une condamnation et un emprisonnement. Le tribunal les juge coupables. Surtout quand l’accusé est palestinien, bien sûr" explique Kanaaneh .
"Un petit poisson s’en tirerait avec un jugement plus clément mais quelqu’un de l’envergure d’Ameer, avec sa notoriété internationale, ne bénéficiera d’aucune pitié," ajoute Kanaaneh
"La peine maximale pour aide à l’ennemi en temps de guerre est la prison à vie, et c’est ce vers quoi nous allions avant d’accepter de négocier ce plaider coupable qui ’vaut’ de 7 à 10 ans."
Manque de preuves
Le 6 mai à 3 heures du matin, 16 agents de l’Agence de Sécurité d’Israël, aussi connue sous le nom de Shin Bet ou Shabak, ont arrêté Makhoul chez lui. Ils ont confisqué les ordinateurs et téléphones de la famille de même que de nombreux effets personnels et ont procédé à une fouille des bureaux d’Ittijah.
Makhoul fut gardé au secret pendant 12 jours et n’eut pas le droit de voir un avocat. Trois semaines après son arrestation, il fut accusé d’un déluge de délits sécuritaires. Les autorités israéliennes prétendirent que Makhoul était en contact avec un agent du Hezbollah.
Malgré l’examen d’une douzaine de disques durs et de plus de 30 000 conversations téléphoniques, c’est uniquement sur la base de la confession de Makhoul qu’Israël l’a condamné. Et cette confession, selon sa famille et ses avocats, a été obtenue sous la torture.
"L’homme a été soumis à la pression physique et la manipulation mentale, sans doute sous l’effet de drogues. Ils l’ont maintenu sur une chaise basse sans dossier, les bras et jambes liés, et l’ont gardé dans cette position sans dormir pendant 62 heures. L’homme était brisé," a déclaré Kanaaneh [2].
"La seule chose qu’a l’Etat contre Ameer est son aveu . Ils n’ont pas trouvé l’ombre d’une preuve où que ce soit, ni les 10 ordinateurs ni les 30 000 conversations téléphoniques. Ils n’ont trouvé absolument aucune preuve qu’il ait passé des informations à qui que ce soit, comme ils le prétendent," ajoute-t-il.
Orna Kohn, l’une des avoctes de Makhoul, d’ Adalah – le centre légal pour les droits de la minorité arabe en Israël, explique que selon la loi israélienne la définition de ce qui constitue un délit sécuritaire permet à l’Etat de condamner facilement quelqu’un pour ces crimes.
"La loi israélienne définit de façon très large les dits délits sécuritaires, ce qui criminalise des attitudes ou actions que personne ne s’attendrait à voir incluses dans une clause du code criminel. Le résultat c’est qu’il est très facile pour le procureur général de convaincre un tribunal qu’une personne est coupable," dit Kohn.
"[Avec] ce genre d’accusations, surtout ce qu’on appelle ’être en contact avec un agent ennemi’, la charge de la preuve est déplacée," ajoute Kohn. "Ainsi c’est l’accusé qui doit convaincre la cour qu’il n’avait aucune intention d’attenter à la sécurité de l’Etat. Le résultat c’est qu’une fois que quelqu’un est accusé de cela, il est quasiment impossible de ne pas être déclaré coupable."
Cibler la société civile palestiniennes
Selon Nadim Nashif, directeur de Baladna, l’ Association pour la Jeunesse arabe, un organisme de développement et de renforcement des capacités pour les jeunes Palestiniens d’Israël basé à Haifa, la persécution d’ Ameer Makhoul et d’autres dirigeants de la société civile palestinienne met en évidence la politique israélienne de plus en plus extrême qui vise à intimider les militants palestiniens qui se trouvent à l’intérieur d’Israël.
"Je pense que le message essentiel est qu’il y a une limite à notre liberté de militer et que si nous, militants ou personnes qui travaillons dans des ONG, ou les ONG elles mêmes, dépassons ces lignes, alors nous serons punis ou on nous stoppera,"dit Nashif.
Nashif explique qu’en plus de cibler les dirigeants comme Makhoul, beaucoup de jeunes militants palestiniens ont été interrogés et intimidés par les autorités israéliennes au cours des derniers mois
"C’est le sentiment général, pas seulement pour l’affaire d’Ameer, mais en général. Nous ressentons qu’il y a beaucoup plus d’interrogatoires de jeunes militants par le Shabak. Nous avons dénombré des centaines de cas l’an passé" dit-il.
"Les gens sont plus conscients. Et en ce sens, je pense que ce que le gouvernement veut faire, c’est nous ramener à la situation passée, quand les gens avaient peur de faire quoi que ce soit, quand ils se sentaient inférieurs. Je pense que c’est la direction générale. C’est un gouvernement fasciste net ils appliquent leur politique clairement, sans chercher de prétextes."
"Jamais déclaré innocent"
Le 26 octobre Makhoul a écrit une lettre ouverte au Conseil international du Forum social mondial et au Comité national palestinien du Forum mondial de l’Education qui s’est tenu en Palestine du 28 au 31 octobre.
"5 mois ont passé depuis [mon arrestation en mai 2010], mais tout ce à quoi je dois faire face aujourd’hui — l’emprisonnement injuste, les procédures judiciaires et le procès— n’est pas une moindre oppression que la torture physique et psychologique que j’ai du subir," a écrit Makhoul.
"Cependant, ce qui nous distingue, nous les Palestiniens, c’est notre libre volonté et notre endurance, que nous utilisons pour résister à l’ oppression, aux oppresseurs et à leur supposée justice. Nous ne nous laissons pas berner par l’idée qu’il y aurait une justice israélienne ; au contraire, nous considérons les tribunaux comme des opportunités pour consolider la mobilisation populaire et internationale et la lutte déjà engagée- ce sont les pierres angulaires de la défense de nos droits et les outils qui empêchent que l’Etat d’occupation ne nous les vole."
Makhoul ajoute : "Les tribunaux israéliens et le système judiciaire sont de simples manifestations de l’injustice de l’Etat israélien. C’est pourquoi nous ne recherchons pas la justice dans ces systèmes mais nous choisissons de leur faire face et de leur résister, et aussi de les accuser d’être des instruments d’oppression, pas de justice. Un prisonnier palestinien dans une prison israélienne ne se verra jamais déclaré innocent."
[1] c’est aussi la décision prise par l’avocate de notre jeune compatriote Salah Hamouri, accusé sans un soupçon de preuve d’une intention délictueuse et condamné à une lourde peine. Qui plus est par un tribunal militaire d’exception de la puissance occupante, donc illégal. Il ne fera ainsi « que 7 ans » pour un crime inexistant. L’injustice est le fil conducteur du système judiciaire israélien dès lors que des Palestiniens sont concernés.
[2] c’est également ce qui a été infligé à Marwan Barghouthi, kidnappé à Ramallah par les forces d’occupation israéliennes en avril 2002, condamné par un tribunal militaire à 5 fois la prison à vie et détenu illégalement dans des prisons israéliennes depuis lors
Originaire de Montreal, Jillian Kestler-D’Amours est reporter et auteure de documentaires basée à Jérusalem-Est occupée.
Publié par the Electronic Intifada
traduction et notes : C. Léostic, Afps