jeudi 18 novembre 2010

« La dernière ville divisée dans le monde »

mercredi 17 novembre 2010 - 03h:45
Justin Giovannetti
The Link
Alors qu’il y avait près de 200 000 Palestiniens dans Hébron, 500 Israéliens gardés par 2000 soldats israéliens se sont installés partout au cours des 30 dernières années.
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Sur les terrasses des maisons dans la vieille ville d’Hébron,
les colons ont monté leurs miradors.
(Photo 17è mission civile CCIPPP)

Hébron sous une grêle de pierres et d’ordures
Les 165 000 habitants d’Hébron vivent dans une métropole arabe animée, pleine de ronds-points où règnent la pagaille et le vacarme des klaxons et des cris des marchands. En dépit de cette agitation de la vie, le centre de la cité est tranquille et certaines rues sont abandonnées.
Dans cette ville de contradictions, 500 colons israéliens se sont installés sur des terrasses d’immeubles dans le vieux quartier central avec 2000 soldats israéliens pour les défendre.
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(Photo Justin Giovannetti)
« C’est significatif des relations des colons avec la communauté locale, » dit Ahmad Jaradat, membre de l’association Alternative Information Center (AIC), alors qu’il montre du doigt une grille métallique au-dessus de sa tête.
A douze pieds (environ 3,5 m) au-dessus des boutiques palestiniennes, dans un marché très fréquenté, la grille a été posée sur toute la largeur de la rue étroite et elle enjambe le marché. Elle est jonchée de pierres, de briques, de bouteilles cassées et de toutes sortes d’ordures, même une télévision.
« La communauté locale s’est réunie et elle a installé cette grille après que les colons israéliens aient commencé à agresser la population sur le marché depuis le haut des immeubles, » dit Jaradat. « Douze habitants ont été blessés, certains sont décédés, frappés par des objets à la tête, avant que la grille ne soit installée. »
Membre de l’AIC, organisation binationale qui se consacre à la publication d’informations et analyses sur les sociétés israélienne et palestinienne et l’occupation qui touche les deux, Jaradat a beaucoup écrit sur le conflit à Hébron.
« Bienvenue dans la dernière ville divisée dans le monde, » dit Jaradat.
En 1997, Israël et l’Autorité palestinienne ont signé l’Accord d’Hébron, par lequel ils divisent la ville en deux, H1 sous contrôle palestinien, et le plus petit, H2, sous contrôle israélien.
Dans le H2 fortifié, 40 000 Palestiniens sont passés sous la loi militaire israélienne alors que les 500 nouveaux implantés israéliens - que les habitants aborigènes appellent les colons - sont séparés de la ville environnante.
« Certaines familles palestiniennes n’étaient séparées que par une dizaine de mètres, mais maintenant un check-point les sépare, » dit Jaradat. « Et elles doivent faire une heure de route désormais pour se voir. Quelquefois, elles se font refouler aux check-points et il leur faut attendre des jours. »
Pour entrer dans H2, les gens doivent passer par 16 check-points « électroniques », qui vont des check-points pour véhicules qui ressemblent à des postes-frontières militarisés, ou des remorques disposées à travers les rues, à des détecteurs de métaux tenus par des soldats israéliens dans les ruelles.
La plupart des ruelles et des routes qui bordent H2 s’arrêtent brusquement, les soldats israéliens ayant posé de hautes plaques de béton, des clôtures et des barbelés. Au fur et à mesure que les colonies d’Israël à Hébron s’agrandissent, de nouvelles barrières sont érigées, parfois en une nuit.
« Là c’était ma boutique, mais les soldats israéliens sont venus un matin et ils ont soudé la porte refermée, » dit Muhammad, dans une ruelle où on peut voir que chacune des portes d’entrée des magasins a été soudée refermée. « Les soldats m’ont dit que ma boutique était dans une zone militaire. Ils ne m’ont donné aucune explication.
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(Photo 136è mission civile CCIPPP)
« Ils ont pris ma vie, maintenant, je dois quémander pour avoir de l’argent, » dit Muhammad qui s’est fait colporteur en bracelets et autres babioles bon marché pour touristes.
La boutique aux volets clos de Muhammad donne sur une ruelle fermée, à quelques pas d’une vaste place abandonnée. Une haute barrière a été montée à deux mètres de sa porte et des feuillards sont dispersés au hasard à travers la ruelle.
« Avant c’était un dépôt d’autobus et un marché aux légumes, » dit Jaradat, en montrant la grande place déserte de l’autre côté des barbelés. « Quand les Israéliens s’en sont emparés, les habitants ont refusé de créer un nouveau marché, car pour eux, ils ont déjà un marché. Ils vendent leurs légumes dans les rues en attendant de récupérer leur marché. »
Beaucoup de rues près de H2 sont complètements désertes, avec des dizaines de boutiques fermées pour des raisons militaires.
Sur un marché voisin, les commerçants ont commencé à couvrir de bâches le devant de leur boutique. Ils affirment que les colons israéliens se sont mis à déverser de l’huile bouillante à travers la grille qui les surplombe. Installés sur les terrasses de maisons à trois étages des colons, des soldats israéliens, dans des miradors, gardent un œil sur le marché.
« Je ne vais pas de l’autre côté, » dit Muhammad, le doigt pointé sur H2. « Il est impossible de faire la différence entre les civils et les civils armés ».
La peur des colons est un thème commun à tous les marchés qui bordent H2.
Quand H2 a été créé, plus de 1200 magasins ont été fermés et la principale rue commerçante, la rue Shuhada, a été fermée aux Palestiniens. Plus de dix ans après, seuls 800 de ces magasins ont rouverts, mais la rue Shuhada reste toujours interdite aux Palestiniens.
Les internationaux et les colons israéliens peuvent descendre Shuhada mais les Palestiniens qui habitent sur la rue doivent, pour sortir, passer par les portes de derrière pour éviter la voie principale.
Entre H1 et H2, se trouve le Tombeau des Patriarches, site important pour les juifs et les musulmans. Pour se rendre à la mosquée et au temple qui sont construits sur la grotte, les gens doivent passer par trois check-points.
« La mosquée est pour 12 000 personnes, et il y a trois check-points sur 15 mètres, » dit Jaradat. « Pour aller prier, les musulmans doivent passer ces 15 check-points chaque jour. C’est un gros inconvénient. »
En sortant de la zone qui borde H2 et en retournant au vacarme de l’heure de pointe dans Hébron, je tombe sur une patrouille israélienne qui avance doucement sur un marché palestinien. Le marché est étrangement calme pendant le passage des soldats qui pointent leurs fusils en direction des rues étroites.
« Rendez-vous en enfer, » me crie l’un des soldats israéliens qui portent des casques Mitz’nefet [larges casques de camouflage utilisés par les soldats de l’occupation - ndt] alors que je passe devant eux.
« La situation à Hébron est catastrophique, » me dira Jaradat plus tard. « Tout le monde le reconnaît, même les soldats ».
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Les grilles ont été installées quand les colons israéliens ont commencé à agresser la population depuis le haut des immeubles.
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Quand H2 a été créé, plus de 1200 magasins ont été fermés.
(Photo 140è mission civile CCIPPP)
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L’un des check-points à Hébron, où les Israéliens passent librement.
(Photo 140è mission civile CCIPPP)
Du même auteur :
9 novembre 2010 - The Link - publié initialement par The Link, volume 31, issue 13 - traduction : JPP
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