jeudi 18 novembre 2010

Education et résistance

publié le mardi 16 novembre 2010
Mireille Fanon Mendès France

 
Allocution prononcée dans le cadre du Forum mondial l’éducation en Palestine, 30 octobre 2010.
L’éducation doit être une arme stratégique de résistance à l’oppression et le moyen le plus efficace pour garantir la libération en vue de l’émancipation, car sans éducation il y a bien risque d’’aliénation, au sens large que lui donnait Frantz Fanon, c’est à dire qu’elle est nourrie par le retard culturel voulu et organisé par les forces qui ont intérêt à la poursuite de la domination.
L’éducation attendue dans le contexte actuel est celle de la résignation alors que devrait avec l’éducation se construire des pensées qui pensent et surtout qui prennent le risque de penser et qui n’auraient pas peur d’être « sur une ligne de sorcière » comme le souligne Gilles Deleuze.
C’est bien ce qu’avaient compris ceux qui ont lutté par la résistance armée et politique lors des luttes de libération, et qui ont érigé en priorité l’éducation des populations. Du Vietnam à l’Algérie, l’alphabétisation et la généralisation de l’enseignement ont été très rapidement reconnues en tant que dimensions fondatrices de la résistance à l’oppression.
Ainsi le peuple palestinien qui figure parmi les peuples les plus alphabétisés et les plus éduqués n’ignore pas l’importance décisive de la formation et surtout face à un colonialisme, qui, sous ses formes classiques, a pour l’essentiel disparu de la surface de la planète, sauf en Palestine.
Cette occupation-colonisation, qui a bien senti les dangers d’un peuple palestinien éduqué, tente de régulièrement délégitimer l’éducation dispensée en Palestine. Pour les tenants de cette occupation-colonisation, hier comme aujourd’hui, les stratégies de domination s’appuient sur le maintien des plus larges catégories des peuples dans l’ignorance et l’obscurantisme. Et si cela ne suffisait pas, il suffit alors de délégitimer l’éducation dispensée par le ministère de l’éducation palestinien. L’objectif étant de refuser aux Palestiniens de se servir des mêmes références que celles utilisées par les autres. Pour l’Etat israélien, le « eux, Palestiniens » ne sert qu’à faire exister le « nous, Israéliens ». Il s’agit avant tout de « naturaliser » les différences culturelles, ce qui n’est ni plus ni moins qu’une démarche reposant précisément sur les idéologies racistes modernes.
La déculturation et l’ignorance permettent aux théoriciens de la domination de justifier l’asservissement et la dépossession en oblitérant la mémoire des peuples et en interdisant la transmission de l’histoire et sa connaissance. Permettez-moi de citer encore Frantz Fanon « Le peuple colonisé est idéologiquement présenté comme un peuple arrêté dans son évolution, imperméable à la raison, incapable de diriger ses propres affaires, exigeant la présence permanente d’une direction.
L’histoire des peuples colonisés est transformée en agitation sans aucune signification et, de ce fait, on a bien l’impression que pour ces peuples l’humanité a commencé avec l’arrivée de ces valeureux colons[1] ». C’est exactement la teneur du tristement célèbre discours prononcé à l’Université de Dakar en janvier 2007 par le Président Sarkozy. Pour ce porte-parole du néocolonialisme, l’homme africain, représenté de manière aussi fantasmagorique qu’insultante, est un homme arrêté sur le chemin d’une Histoire dans laquelle il ne veut ou ne peut entrer.
Dès lors, l’éducation est aussi un moyen d’émancipation des consciences qui se libèrent de la volonté d’asservissement et de l’oubli imposé en réifiant la mémoire qui devient ainsi un enjeu politique majeur justifiant à lui seul l’impératif de formation et sa généralisation.
Le discours « historique » des maitres libéraux du monde n’est pas seulement l’expression de leur mépris et de leur ignorance, très connoté idéologiquement, il a une vocation claire : celle de soutenir le redéploiement, sous des formes actualisées, de la domination et donc de la fabrique de la marginalisation, de l’exclusion pour des raisons dites de sécurité.
Les nouvelles formes d’exploitation et de domination facilitées -ou rendues possibles- par l’effondrement du socialisme bureaucratique à la fin des années quatre-vingt prétendent à la seule validité du modèle ultralibéral et de la suprême efficacité du marché qui ne peut survivre sans le soutien militaire pour vivre dans un soit disant « More safe World » comme l’a si bien dit l’ancien secrétaire général des Nations Unies !
Le crédo des évangélistes du marché consiste essentiellement en la suprématie de la loi de la jungle où seuls les plus forts peuvent diriger un monde, pour ce faire le rôle de l’Etat doit se réduire à la portion la plus congrue possible. Dans ce schéma, le rôle social de l’Etat est ramené à sa plus simple expression, toutes les activités sont marchandes par nature, et l’Education en est une des cibles privilégiées.
Les théories ultralibérales, propagées par le FMI et appliquées sous sa supervision tatillonne à la faveur des crises de la dette, ont affecté de très nombreux pays du sud. Les « conditionnalités » des Programmes d’Ajustement Structurel ont consisté à imposer la privatisation, la déréglementation et des coupes sombres dans les budgets sociaux, ceux de l’éducation et de la santé au premier chef. Les conséquences de cette politique criminelle sont dévastatrices dans des pays déjà très en retard aux plans économiques et socioculturels. En Afrique, continent martyr à cet égard également, l’analphabétisme de masse bloque le développement et affaiblit gravement des sociétés aux élites trop peu nombreuses. Seuls ceux qui peuvent payer une éducation privée peuvent espérer un avenir moins sombre, les autres sont livrés au charlatanisme et aux sectes religieuses...Les peuples sans formation sont les plus vulnérables à toutes les manipulations. Les recettes du FMI, appliquées avec constance en Haïti par exemple, font que la population de ce pays, qui produit de très brillants intellectuels, est analphabète à 85% ; sur 1 000 enfants entrant dans le cycle scolaire, seul 1,7% arrive à l’université. Ce monstrueux gâchis explique pour une large part l’interminable tragédie de ce pays.
Face aux agissements des gendarmes du libéralisme, la mobilisation de tous est indispensable. Si la formation et l’éducation ne suffisent pas à émanciper les peuples, elles sont les préalables à une libération véritable. Encore faut-il que l’éducation trouve ses racines dans la culture et l’histoire du pays et se fonde sur des principes moraux et politiques clairement définis. Le colonialisme, qui n’a formé que ceux dont il avait besoin pour maintenir et reproduire sa domination, inspire ceux qui, aujourd’hui, tentent de former des élites contre les peuples. L’éducation pour le peuple et au service de tous est la réponse à ces manœuvres. L’exigence d’une éducation obligatoire généralisée, massive et à la portée de tous est le pré-requis absolu à l’édification d’une société plus juste et plus humaine.
publié par l’UJFP le 11 novembre