jeudi 3 juin 2010

Les biceps et les neurones

Par Christian Merville | 03/06/2010
Leur septième rencontre, le 1er juin, en trois ans n'a finalement pas eu lieu. Quelques heures auparavant, les gros bras d'Ehud Barak s'étaient mis à l'œuvre, pour un ratage qui en dit long sur l'état d'esprit (et d'impréparation) qui caractérise désormais une armée donnée jadis pour la plus performante du monde. Tant mieux, qu'il s'agisse du rendez-vous manqué ou de la piteuse expédition de mardi matin.
Dans sa dernière livraison, l'hebdomadaire Time consacre à « Bibi and Barack » un article étalé sur cinq pages. Édifiant. On ne peut, à sa lecture, que souscrire à ce qui s'annonçait au départ comme une évidence : ces deux-là sont faits pour ne pas s'entendre.
Il y a, pour commencer, une certaine idée de l'État. Pour réparer la barbarie perpétrée par le nazisme à l'encontre des juifs d'Europe - louable objectif dans l'absolu - on a commis une injustice envers les Palestiniens, sous un slogan fallacieux, mais nul ne voulait en convenir à l'époque, celui qui prétendait octroyer à « un peuple sans terre, une terre sans peuple », créant du même coup de nouvelles générations, d'« Arabes errants » cette fois, avec une partie d'entre eux parquée dans des réserves. Et l'on vient aujourd'hui reprocher aux pays de la Ligue d'avoir rejeté la résolution 181 adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 29 novembre 1948... Facile quand on songe rétrospectivement que la guerre de 1948 n'était pas loin, inscrite déjà dans les esprits après la détérioration des rapports entre les deux parties. N'en déplaise à certains, les États-Unis, ce n'est pas cela. Il suffit pour le comprendre de relire la Déclaration d'indépendance élaborée par les 55 Pères fondateurs. Il suffit de se rappeler l'inscription figurant sur la statue de la Liberté, l'admirable « Donnez-moi vos pauvres, vos exténués... ». Ou encore de penser aux leçons tirées par Tocqueville de ses voyages au Nouveau Monde.
Mais il n'y a pas que l'Histoire... Il y a l'autre histoire, celle, personnelle c'est-à-dire familiale, de Benjamin Netanyahu et de Barack Obama, qui a forgé hier leur caractère et qui guide aujourd'hui leur comportement. Il est inconcevable de croire que le reître arrogant, convaincu, à tort, de tout connaître d'un pays où il a longtemps vécu, et l'universitaire policé, ouvert à toutes les religions, puissent dialoguer en toute sérénité sur un thème aussi complexe et imprégné de passions que le conflit du Proche-Orient. L'un bande ses biceps dès qu'il sent venir le danger ; l'autre mobilise tous ses neurones pour riposter aux arguments de la partie adverse. Habile, trop habile, le Premier ministre israélien, mais surtout confiné dans un rôle plutôt étriqué. Fort de son bon droit, le président américain, de la justesse des causes qu'il défend, et se comportant en représentant de l'unique superpuissance après l'effondrement de l'Union soviétique mais d'une manière habilement humble, comme on l'a vu à l'occasion du discours du Caire.
Fort bien, dira-t-on, mais de ce choc, de plus en plus frontal, quelle sera la conséquence pour l'avenir de la région ? À court terme, il est probable que se poursuivra le désespérant surplace de George Mitchell. Rien n'interdit cependant de penser qu'à moyen terme, avec l'usure du pouvoir qui devrait se manifester à Tel-Aviv et la patience de la Maison-Blanche, qui est censée porter ses fruits, on est en droit d'assister au retour d'une diplomatie de véritable « honest broker ». L'autre jour, un quotidien US reproduisait la lettre d'un lecteur y allant de son conseil à l'administration démocrate : « Peut-être est-il temps pour nous, écrivait ce brave homme, de comprendre que le meilleur argument consisterait à refermer notre chéquier. » Ce n'est pas George H. Bush qui dirait le contraire, encore que l'on voit mal l'actuel président américain resserrer les cordons de la bourse.
Il reste que, pour la première fois peut-être depuis des années, le temps travaille pour Washington. Comptez sur, entre autres, la maladresse propre à une certaine classe d'irresponsables israéliens. Tel le Dr Hagaï Ben-Artzi, beau-frère du chef du gouvernement, qui a eu cette réflexion dans le cadre d'une interview à la radio de l'armée, le 17 mars dernier : « Ce n'est pas Bibi qu'il (Obama) déteste, c'est notre pays. » Certes, le propos a été très vite désapprouvé par le Premier ministre, mais le mal était fait. Où s'arrêtera la propension compulsive d'Israël à défaire des amitiés tissées au fil des décennies, comme c'est le cas pour la Turquie ? Aucun psychiatre ne serait en mesure de le prédire. L'affaire de la flottille pour la liberté est venue confirmer une tendance déjà manifeste sous l'administration Clinton.
Les Arabes seraient peut-être tentés d'attendre que les fruits tombent de l'arbre, en essayant, si possible, d'éviter les impairs. Ce qui est loin d'être sûr.