mercredi 12 octobre 2011

Desseins palestiniens

Hicham Mourad
La demande d’adhésion de la Palestine en tant qu’Etat membre des Nations-Unies est désormais entre les mains de la commission des admissions, qui doit faire une recommandation au Conseil de sécurité. Mais l’on sait d’ores et déjà que l’admission de la Palestine ne passera pas à l’exécutif onusien : soit l’Autorité palestinienne ne parviendra pas à réunir les neuf voix nécessaires, sur un ensemble de 15 voix que compte le Conseil, en raison des pressions américaines et israéliennes. Soit les Etats-Unis, en cas de majorité en faveur de l’adhésion de la Palestine, useront de leur droit de veto pour bloquer la demande. Dans les deux cas, l’Autorité palestinienne devrait se tourner vers l’Assemblée générale où elle jouit d’une majorité confortable pour réclamer l’amélioration de son statut d’« observateur » à celui d’« Etat non-membre », à l’instar du Vatican aujourd’hui ou, jadis, de la Suisse, de l’Allemagne de l’Ouest ou de la Corée du Sud.
Certains se sont demandé pourquoi l’Autorité palestinienne ne s’est pas adressée directement à l’Assemblée générale puisqu’elle savait que sa demande d’admission était vouée à l’échec au Conseil de sécurité et, en plus, provoquera une dangereuse divergence avec Washington. Le Congrès américain a menacé de couper l’aide américaine de 500 millions de dollars annuels aux Palestiniens s’ils persistaient à vouloir saisir le Conseil de sécurité. La Chambre des députés a déjà élaboré un projet de loi en ce sens.
Deux raisons majeures expliquent la démarche palestinienne. La première est de forcer les Etats-Unis à faire une proposition sérieuse pour débloquer l’impasse que connaît le processus de paix, en panne depuis septembre dernier. L’Autorité palestinienne sait que les Etats-Unis cherchent à tout prix à éviter l’usage de leur droit de veto, car cela marquera leur isolement croissant, avec Israël, au sein de la communauté internationale, au sujet de la question palestinienne. Plus important, un tel veto les placera en porte-à-faux dans un monde arabe en pleine ébullition populaire où ils perdent du terrain à la faveur du « printemps arabe », en raison notamment de leur soutien indéfectible à l’Etat hébreu.
Lorsque le président Barack Obama a voulu, au début de son mandat, redorer le blason de son pays dans le monde arabe et islamique, il s’est rendu au Caire en juin 2009, où il a prononcé un discours dans lequel il a prôné, entre autres, l’établissement d’un Etat palestinien indépendant et l’arrêt de la colonisation israélienne. Son opposition aujourd’hui à la reconnaissance d’un Etat palestinien par l’Onu contredit sa position solennellement annoncée au Caire. Elle contraste surtout avec la faiblesse de la position américaine face à la poursuite de la colonisation israélienne.
Quatre jours à peine après l’appel lancé le 23 septembre par le Quartette international sur le Proche-Orient (Etats-Unis, Russie, Union européenne, Onu) pour une reprise des négociations de paix — et qui était destiné à dissuader les Palestiniens de continuer dans leur quête d’une admission à l’Onu, Israël a annoncé la construction de 1 100 nouveaux logements juifs à Jérusalem-Est,  là où les Palestiniens veulent faire la capitale de leur futur Etat. C’était une façon de dire qu’Israël ne ferait pas la moindre concession pour une reprise des pourparlers, au grand dam de leur allié américain qui, une fois de plus, a fait preuve d’une impuissance totale face au lobby pro-israélien, à un an des présidentielles.
La deuxième raison de la démarche palestinienne a trait aux difficultés que rencontre le président Mahmoud Abbass auprès de son opinion publique. Abou-Mazen, qui prône la voie de la négociation et récuse la lutte armée face à Israël, a vu sa popularité et sa crédibilité dégringoler, car sa stratégie n’a jusqu’ici rien rapporté. Menacé par le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza depuis juin 2007, Abbass devait prendre une mesure courageuse pour reprendre l’initiative. En tenant tête aux Etats-Unis à l’Onu, le président palestinien a gagné en stature et en crédit dans les territoires palestiniens. Pour la première fois, il a tourné le dos aux négociations avec Israël et a défié les Etats-Unis sur une question majeure. Un tel changement de politique était d’autant plus urgent que le « printemps arabe » rendait de plus en plus dangereux pour la direction palestinienne d’accepter la poursuite du statu quo.
Au-delà de ces considérations expliquant la démarche palestinienne, l’objectif stratégique de l’Autorité d’autonomie est de se voir conférer le statut d’« Etat » — quoique non-membre — de l’Onu. Ce qui ouvrira aux Palestiniens la porte d’un nouveau front de lutte, juridique cette fois, pour recouvrer leurs droits. Si l’Assemblée générale reconnaît la Palestine en tant qu’Etat (une majorité aux deux tiers suffira), cela lui permettra d’adhérer à d’autres organisations internationales, où elle peut faire avancer ses intérêts et défendre sa cause.
La Cour Pénale Internationale (CPI) est d’une importance particulière dans ce sens, car elle permettrait à l’Autorité palestinienne de livrer une bataille juridique à l’Etat juif, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’Autorité palestinienne avait déjà sollicité la CPI en octobre 2009 contre les responsables israéliens, auteurs de l’agression meurtrière contre la bande de Gaza en décembre 2008-janvier 2009. Mais les juges de la CPI n’ont jamais statué afin de déterminer si l’« entité palestinienne » avait effectivement le pouvoir de saisir la Cour.
La reconnaissance du statut d’« Etat » à la Palestine pourrait, en revanche, modifier radicalement cet état de fait et influencer grandement la décision des juges à l’avenir. Et c’est ce que craignent les responsables israéliens. Ils ont averti que cette « guerre juridique » pourrait isoler davantage Israël sur la scène internationale et empêcher ses responsables politiques et militaires de voyager librement à l’étranger, sous peine d’être arrêter pour crimes de guerre. Car même si l’Etat hébreu n’est pas signataire du traité de Rome instituant la CPI, les 117 Etats membres sont tenus à lui livrer les accusés. Des responsables militaires israéliens, qui avaient participé à l’agression contre la bande de Gaza, avaient annulé leurs déplacements en Grande-Bretagne et en Espagne, de peur d’être arrêtés pour crimes de guerre. Le premier ministre Benyamin Netanyahu a également fait récemment part de ses craintes de voir les Palestiniens accuser les colons israéliens de violer la Convention de Genève, une convention qui interdit les déplacements forcés des populations.
Il ne faut cependant pas accorder trop d’importance à cette bataille juridique contre Israël, dont la CPI serait le théâtre. Les procédures de saisine de la Cour contiennent suffisamment d’obstacles qui sont susceptibles de faire avorter les démarches palestiniennes. En outre, la CPI est une instance internationale aussi bien politique que juridique, où les considérations de politique internationale jouent un rôle considérable. Mais cette réalité n’enlève rien à la justesse de la démarche palestinienne à l’Onu, dont la force majeure est d’agir dans le respect du droit et de la légalité internationale.
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