samedi 1 octobre 2011

Abou-Mazen embarrasse ses adversaires

Le Conseil de Sécurité se retrouve aujourd’hui pour poursuivre les tractations sur l’adhésion de la Palestine aux Nations-Unies, suite à la demande historique faite par Abbass. Washington et Tel Aviv multiplient les pressions. Les Palestiniens sortiront vainqueurs de toute façon, avec un oui ou un non.

Ce n’était guère une surprise. Lorsque les Palestiniens ont décidé de faire appel aux Nations-Unies pour obtenir le statut d’un Etat membre à part entière, ils l’avaient bien annoncé assez tôt pour mettre chacun devant ses responsabilités. Le président Barak Obama, le messie qui venait sauver l’Amérique des péchés de Bush, en avait lui aussi fait un objectif à atteindre  avant 2011.
Le président américain croyait surtout qu’il aurait et le temps et le poids pour convaincre son allié et favori de l’Amérique de signer un nouveau texte avec les Palestiniens. Il croyait avec l’innocence du « fresh graduate » qu’il serait mieux que son prédécesseur. Le processus de paix s’est avéré, aussi sans aucune surprise, un fiasco. Israël a continué dans sa propre logique sécuritaire et a poursuivi la colonisation dans les territoires occupés, au profit d’une décontraction dans ses relations avec un locataire de la Maison Blanche, très peu gêné par l’état des choses. La démission de George Mitchell, envoyé spécial d’Obama dans la région, n’est que synonyme de cet échec des négociations. « Bibi » et Obama ne sont pas cependant en bons termes. Netanyahu mobilise le lobby juif et du coup le Congrès contre lui. « Cela n’a d’ailleurs rien changé sur le terrain », comme l’écrit le politologue Alaa Bayoumi dans sa recherche sur le « lobby israélien et la démarche palestinienne à l’Onu ». Il rappelle pourtant que selon un sondage publié en mai dernier par le Jerusalem Post, 12 % des Israéliens estiment qu’Obama soutient Israël alors qu’ils étaient 31 % avant le discours du président américain au Caire en 2009.
Baisse de popularité aussi chez la « sulta » palestinienne de Mahmoud Abbass. Un président de plus en plus fragilisé par le blocage des négociations et par la chute de son parrain égyptien.
Rien n’est, encore une fois, surprenant. La recette fut similaire pendant des années. La mutation est venue de l’extérieur. Américains et Israéliens l’ont observé, l’examinent, se méfient peut-être, ajustent encore leurs plans, mais les Palestiniens l’ont saisi.
Le printemps arabe. C’est le mot de passe qui a poussé le Fatah d’Abou-Mazen et le Hamas à signer une réconciliation, d’ailleurs froide. Même si les préparatifs palestiniens pour une visite à New York datent d’avant les changements arabes, comme l’a confirmé un diplomate palestinien à Al-Ahram Hebdo il y a plusieurs mois, ces régimes qui s’écroulent ont encouragé l’Autorité palestinienne dans sa démarche. Le moment est certes propice. Pas aux yeux de Washington qui brandit sa menace du veto « protecteur » d’Israël. Obama souhaiterait à tout prix l’éviter. Il ne voudrait pas s’attirer les foudres d’une rue arabe en marche vers la démocratie et déjà irritée par les positions américaines vacillatoires envers les dictateurs Moubarak, Ben Ali, Saleh et autres.
Un discours « plein de mensonges »
Le premier ministre israélien a prononcé un discours qu’il est facile de qualifier de raciste. « plein de mensonges » comme le décrit le quotidien israélien Haaretz. Un discours-riposte, décousu, bouclé à l’évidence en quelques instants, comme le soulignent les analystes. Bibi retenait à peine sa rage et fulminait contre l’islam en se posant en défenseur absolu du monde non musulman, et donc le barrage contre cet islam militant, sans oublier bien sûr les fantasmes sionistes de voir l’Iran assiégé par la communauté internationale. Il mélange toutes les sauces Kadhafi, Saddam, Hezbollah et n’hésite pas à dire du « printemps arabe » qu’il tournera en « hiver nucléaire » avant de s’en prendre aux Palestiniens car « ils incriminent la vente de leurs terres aux juifs » !! Parce que les terres confisquées en Cisjordanie et à Jérusalem ne lui suffisent pas pour implanter des colonies juives ou soit disant des espaces verts. Un discours fanatique dans lequel il exige la reconnaissance d’Israël comme « Etat juif ». Cela équivaut à un non-retour des réfugiés chassés par Israël depuis 1948 et peut facilement se transformer en une demande d’indemnisations par les Palestiniens pour avoir « occupé leurs terres et utilisé leurs eaux », selon Haaretz.
Abbass, lui, en dépit de certaines phrases assez longues, a prononcé son « premier discours politique ». Beaucoup moins charismatique que celui d’Arafat porteur du « Rameau de l’olivier et du pistolet ». Il a usé d’assurance, de références, de dates, de détermination, en faveur de la paix, dans une allocution interrompue plusieurs fois par les applaudissements.
Les Palestiniens ne risquent rien
Pourquoi Abbass a saisi les Nations-Unies ? Les analyses ne manquent pas. Faire pression sur Israël pour un retour à la table, sauver son pouvoir qui s’écroule ? Une démarche symbolique ? Sur le fond, les Palestiniens ne risquent rien. La Palestine est reconnue par 131 pays du monde. Elle est membre de la Ligue arabe, de l’Organisation de la Conférence islamique, du G77… et jouit du statut d’« entité » aux Nations-Unies et donc bénéficie d’une invitation permanente « à participer en qualité d’observateur aux sessions et aux travaux de l’Assemblée générale ». Elle peut présenter des motions sur les questions relatives à la Palestine. Elle est pourtant invitée à assister aux réunions du Conseil de sécurité en fonction de l’article 38 (état membre de l’Onu et non membre du Conseil) et non en fonction de l’article 39 (entité ou individu) lorsque le sujet de discussion concerne le Proche-Orient. Elle n’a pas « le droit de vote ». « Concrètement, la Palestine est reconnue. La cause de son peuple et la terre qu’il revendique est déclarée sous occupation israélienne », explique l’avocat palestino-jordanien Anis Qassem. Ce n’est donc pas la reconnaissance que cherchent les Palestiniens. « Devenir membre, c’est passer d’un territoire occupé à un Etat sous occupation. C’est être protégé par cette institution et s’en servir en tant que créneau », estime Qassem dans une étude publiée par le Centre arabe des recherches politiques à Doha. Mais, c’est surtout accéder à la Cour pénale internationale. Jusqu’à maintenant, cette Cour n’a pas la capacité juridique de se prononcer sur les crimes du conflit israélo-palestinien, car Israël n’a pas ratifié le statut fondateur de Rome, et la Palestine n’est pas reconnue comme un Etat.  « Des poursuites juridiques », c’est ce que craint le plus l’Etat hébreu. Après la demande d’adhésion déposée par Abbass au secrétaire général, le Conseil de Sécurité s’est réuni à huit clos dans la nuit de lundi à mardi et se retrouvera ce mercredi afin de décider de la remise ou non de la demande palestinienne au comité d’experts du Conseil pour examiner le dossier. Une réunion informelle est prévue vendredi. Et n’importe quel pays des 15 membres pourrait appeler au vote avec un avis de 24 heures. Le Liban qui préside la session serait le plus probable à le faire. Théoriquement, le dossier est complet, plus intègre qu’est le dossier israélien. « une population permanente, un territoire défini, un gouvernement et la capacité à entrer en relation avec les autres Etats ». La Jordanie a pourtant passé environ 10 ans pour être reconnue, le Koweït aussi s’est vu opposé un veto au début. Indépendamment du veto américain, la Palestine a besoin de 9 voix sur les 15 du Conseil pour être reconnue. Six sont déjà en poche. La direction palestinienne a fait savoir qu’en cas d’échec, elle pourrait user de l’option d’un vote direct à l’Assemblée générale. Américains, Israéliens et Européens aussi, ceux qui s’opposent au droit, sont peut-être appelés à revoir leurs positions. Une deuxième lecture de la Palestine. Tous avaient mal lu la rue arabe. Tous avaient écarté des soulèvements, des mobilisations de masse. La jeunesse en Egypte, en Tunisie ou en Syrie a son équivalent en Palestine. Les jeunes du Fatah, du Front populaire, du Hamas ne sont pas satisfaits de leur chef et le pouvoir d’Abbass diffère peu de ces confrères qui tombent l’un après l’autre dans le monde arabe. Les Palestiniens finiront-ils par réagir ? Et ce ne serait guère une surprise.
Samar Al-Gamal
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