lundi 20 décembre 2010

L'Autorité Palestinienne et le problème de la réforme sous occupation

Palestine - 19-12-2010
Par Mohsen Mohammed Saleh

Le Docteur Mohsen Mohammed Saleh, directeur général du Centre Al-Zaytouna, est professeur agrégé d'histoire arabe moderne et contemporaine, avec une spécialisation sur la question de la Palestine. Il a été directeur de la faculté d'histoire et de civilisation à l'Université islamique internationale, en Malaisie. 
Une réelle réforme de l'Autorité Palestinienne est-elle possible ? Ou bien la réforme n'est-elle qu'une manière de "faire les quatre volontés de l'occupation" ? Les différents types de réforme peuvent-ils être divisés et distingués de telle façon que quelques réformes administratives, économiques, éducatives et sociales puissent être accomplies, tout en sachant que les réformes politiques et sécuritaires sont bien plus difficiles, voire impossibles ? Ou bien la réforme ne fera qu'améliorer l'image de l'occupation et prolonger son existence, qui est en elle-même considérée comme une déviation à l'objectif premier pour la réalisation duquel l'Autorité palestinienne a été créée, à savoir mettre fin à l'occupation et non pas optimiser le statu quo sous son règne ?!















28.09.1995 - Yitzhak Rabin, Hosni Mubarak, Hussein de Jordanie, Bill Clinton et Yasser Arafat avant la cérémonie de signature de la phase II des Accords d'Oslo. (Photo bureau de Presse de la Maison Blanche)
Le problème de l'Autorité Palestinienne et de la réforme
Le problème de l'Autorité Palestinienne découle du fait qu'elle a été établie sur la base des principes des Accords d'Oslo de 1993, dans lesquels l'AP ne s'est pas seulement laissé confisquer son droit aux Territoires occupés en 1948, mais elle a aussi fait des erreurs fondamentales.
Ces erreurs les plus criantes sont :
• Le report de la recherche de solution aux questions palestiniennes centrales telles que le droit au retour des réfugiés, Jérusalem, l'expansion de la colonisation, l'autonomie palestinienne sur sa propre terre et la détermination des frontières de l'Etat palestinien.
• Aucun mécanisme contraignant ni ultimatum n'a été mis en place pour obliger Israël à se retirer des territoires occupés en 1967 ou à résoudre quelqu'une des questions palestiniennes centrales.
• L'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) (et l'Autorité Palestinienne) a gelé le droit du peuple palestinien à résister à l'occupation, a renoncé au "terrorisme" et s'est attachée à résoudre ces questions centrales avec Israël seulement par des moyens pacifiques.
• Beaucoup d'autres accords et mesures politiques, économiques et sécuritaires, qui renforçaient l'hégémonie d'Israël, ont été prises ensuite sur les principes des Accords d'Oslo. De plus, aucun de ces accords ultérieurs n'a garanti la moindre base réelle vers l'indépendance ni posé les fondements de la création d'un environnement sûr et stable, au sein duquel l'Autorité, et ses organismes, aurait pu se développer pour travailler à l'établissement d'un Etat palestinien.
• En même temps, le "sale boulot" relatif à l'écrasement de toute résistance palestinienne armée, ainsi que la collecte des impôts et l'aide sociale municipale ont été rejeté sur l'Autorité. En outre, Israël pouvait pénaliser l'Autorité pour toute négligence apparente dans l'accomplissement de ses engagements.
En bref, la manière dont l'Autorité palestinienne a été établie ressemblait plus à un "piège" qu'à une solution ou à une sortie de conflit, et le chemin qu'elle a pris s'apparentait davantage à une errance sans but dans un "labyrinthe" qu'à une marche naturelle et logique vers l'indépendance. Il n'est pas étrange qu'un grand intellectuel et écrivain comme Edward Said ait dit, au sujet des Accords d'Oslo, que Abu 'Ammar avait "attiré son peuple dans un piège sans issue."
Par conséquent, le problème réside dans les "règles du jeu", dont les tenants et les aboutissants sont complètement contrôlés par le côté israélien. Le coté palestinien, toutefois, doit gérer la vie quotidienne, les affaires économiques, les importations et les exportations et les relations extérieures au travers de la fenêtre étroite qu'Israël lui concède. La situation actuelle ressemble à un groupe de prisonniers à qui on a assigné un gardien pour gérer les affaires courantes, et ce gardien peut leur rendre la vie encore plus misérable s'ils n'obéissent pas à ses règles.
L'aggravation du problème et le besoin de réforme
L'OLP a considéré que l'établissement de l'Autorité Palestinienne pourrait être sa chance pour la création d'un Etat palestinien sur les territoires occupés en 1967. Cette idée lui semblait raisonnable car elle a cru que les questions du statut permanent seraient résolues dans les cinq ans, au cours desquels elle pourrait mettre en place l'infrastructure d'un nouvel Etat palestinien. Toutefois, les événements se sont déroulés d'une façon qui a ruiné le rêve de l'organisation et a fait stagné toute réforme réelle et durable. Ci-dessous les faits les plus notables :
1. C'est Israël (et non l'OLP) qui s'est empressé d'imposer ses propres faits accomplis sur le terrain et a étendu ses plans de judaïsation et la construction des colonies ; c'est cette stratégie qui a rendu le processus de négociation interminable. Par exemple, le nombre de colons juifs en Cisjordanie s'est multiplié, passant de 180.000 colons en 1993 à 540.000 au début 2010. De plus, des opérations rapides et larges pour judaïser Jérusalem et effacer son aspect arabe ont été lancées et sont toujours en cours. En même temps, le mur israélien de séparation a été construit en expropriant la terre palestinienne et en déchirant le tissu social et démographique palestinien, etc.
2. Le Fatah, qui dirige l'OLP, l'Autorité Palestinienne et le processus de règlement de paix avec Israël, s'est retrouvé seul face à une large opposition de près de 10 factions palestiniennes – la plus remarquable étant le Hamas. Le Fatah avait établi l'Autorité avant que tout réel effort de "mettre la maison palestinienne en ordre" soit exercé. En conséquence, les institutions de l'Autorité ont été principalement composées de membres du Fatah et de ses partisans – sans parler d'opportunistes et exploiteurs sans vergogne.
Paternalisme, clientélisme, corruption administrative et financière, émergence d'une classe de nouveaux bureaucrates, vieux révolutionnaires et VIP – qui ont profité des nouvelles circonstances pour servir leurs propres intérêts – se sont tous répandus comme un cancer dans les ministères et les institutions de l'Autorité. En même temps, des mesures politiques, sécuritaires et administratives ont été mises en place pour exclure les travailleurs compétents et la main d'œuvre favorable aux factions palestiniennes dissidentes (en particulier les Islamistes) et peu importe leur niveau de qualification.
3. Il y eut une inflation importante et des "gonflements malins" du corps sécuritaire palestinien : car, outre le fait que la majorité de ses commandants et recrues était subordonnée à une seule faction palestinienne, à savoir le Fatah, des forces de sécurité en masse ont aussi été recrutées, à tel point que leur proportion par rapport à la population locale est la plus élevée du monde (il y a 1 officier de police pour 84 Palestiniens, contre 1 policier pour 3.200 individus à Londres, par exemple). Le plus gros problème, cependant, est le rôle que ces forces de sécurité ont à jouer – volontairement ou non – en écrasant la résistance palestinienne armée et en pourchassant les éléments dissidents, en conformité avec les Accords d'Oslo.
4. Dans les zones sous autorité palestinienne, l'économie a souffert de problèmes structurels majeurs, principalement liés à la continuation de l'occupation et à sa capacité à imposer des barrages et des bouclages, à détruire l'infrastructure, à exproprier la terre, à détruire les récoltes, à établir des checkpoints fixes et mobiles, à faire obstruction aux importations et exportations des marchandises, à priver les usines de matériaux bruts, à les empêcher de faire la promotion de leurs propres produits, et même à les détruire quand Israël le juge opportun – sans mentionner le fait que l'occupation contrôle tous les mouvements de fonds, le travail et les ressources humaines, etc.
En ce qui concerne le budget de l'Autorité, une moyenne de 50 à 55% vient de pays donateurs – l'Union européenne et les Etats-Unis étant les contributeurs principaux. D'un autre côté, les accords de paix ont donné à Israël le droit exclusif de collecter les droits de douane palestiniens, et de les transférer à l'Autorité seulement après avoir effectué ce qu'on appelle le "dédouanement des recettes fiscales". Cette source de revenus représente 30 à 35% du budget de l'autorité. En d'autres termes, 80% du budget de l'Autorité est à la merci de l'humeur politique d'Israël et de l'Occident, qui exigent des concessions politiques et sécuritaires strictes de la part de quiconque désire gérer l'Autorité.
Israël s'est arrangé pour lier l'économie palestinienne à la sienne propre, puisque 85% des exportations de l'Autorité vont en Israël, tandis que 70% de ses importations viennent d'Israël. D'un autre côté, l'Autorité elle-même souffre de corruption généralisée dans ces ministères et institutions, et une relation "clientéliste" basée sur le paternalisme et le favoritisme a été mise en place entre l'Autorité et ses citoyens. On a beaucoup écrit sur le sujet, mais il suffit de diriger le lecteur sur le rapport diffusé en mai 1997 par le Comité de Suivi du Conseil de Libération de la Palestine (dirigé à l'époque par le Fatah), qui déclarait que la corruption financière au sein de l'Autorité avait conduit à une perte de plus de 326 millions de dollars (sur un budget total de 1.500 millions de dollars). Lors de la diffusion de ce rapport, le CLP avait voté une motion de défiance du gouvernement Arafat (à 56 votes contre 1).
Lorsque la question de la réforme de l'Autorité Palestinienne a été soulevée en 2003 et a bénéficié du soutien israélien et américain, le travail s'est centré sur la réduction de l'autorité du Président Arafat à cause de son soutien à l'Intifada, et la création du poste de Premier Ministre, ainsi que la réforme des forces de sécurité de manière à ce qu'elles soient plus à même de répondre aux engagements sécuritaires du règlement de paix et qu'elle réprime les éléments résistants. Pour ce qui concernait la réforme économique, l'objectif était d'améliorer les performances économiques et de fournir un niveau raisonnable de services après que la corruption et le laxisme aient dépassé toutes les bornes. Toutefois, aucun des problèmes structurels majeurs liés à l'occupation n'ont été résolus.
Le gouvernement de Salam Fayyad et la réforme
Salam Fayyad a eu l'occasion de réaliser sa vision de la réforme depuis qu'il est devenu Premier Ministre du gouvernement palestinien à Ramallah à la mi-juin 2007 jusqu'à ce jour. Il a construit son programme sur la mise en œuvre stricte de la "Feuille de Route" et les concessions du règlement de paix, à commencer par les engagements sécuritaires, s'acharnant à obtenir d'Israël une coopération qui ouvrirait la voie à l'établissement d'un Etat palestinien. En août 2009, Fayyad a révélé son plan gouvernement de 2 ans pour créer les institutions d'un Etat palestinien indépendant. Ce plan comprend des projets pionniers comme la construction d'un aéroport et d'un chemin de fer, la sécurisation des ressources énergétiques et de l'eau, l'amélioration de l'habitat, l'éducation et l'agriculture, l'encouragement des investissements et l'amélioration de la performance des forces de sécurité.
De plus, en réponse aux accusations qui lui étaient adressées, et qui affirmaient que ses plans étaient conformes à la "paix économique" que Netanyahu réclamait (appelée aussi "le luxe sous occupation"), Fayyad a déclaré que son plan était intégré et lié au développement en nature et que son objectif était de mettre fin à l'occupation – pas de la renforcer. Cependant, le problème de Fayyad est qu'il traite avec un côté israélien qui exige des concessions totales de la part des Palestiniens, sans s'engager à quoi que ce soit en échange. La frustration du gouvernement de l'Autorité et de ses dirigeants est devenue évidente au fur et à mesure que les projets de judaïsation et l'expansion des colonies se poursuivaient, que des centaines de barrières et de barrages étaient érigés et que de nombreuses restrictions étaient imposées aux importations et aux exportations palestiniennes, ainsi qu'aux mouvements de fonds, etc. En outre, le gouvernement Fayyad a payé un lourd prix politique parce qu'il s'était engagé à affronter et à réprimer le Hamas et les autres factions palestiniennes résistantes, ainsi qu'à neutraliser le rôle de l'assemblée législative. De plus, la survie du gouvernement Fayyad est subordonnée à la division politique palestinienne actuelle et au désaccord sur une plateforme nationale palestinienne unifiée.
Le Hamas, la réforme et le changement
Pendant les premières années de la création de l'Autorité, le Hamas n'était pas convaincu qu'une action législative ou politique au travers de l'Autorité vaille la peine, et il a donc boycotté les élections palestiniennes de 1996. Néanmoins, le mouvement s'est retrouvé dans un nouvel état des choses avec la fin de l'Intifada, la mort d'Arafat et l'élection de Mahmoud Abbas au poste de Premier Ministre, et la signature de l'Accord du Caire qui offrait l'opportunité d'une réforme de l'OLP et de la tenue d'élections municipales et parlementaires. Le Hamas, dont la popularité avait monté en flèche, a senti que les prochaines concessions acceptées par l'Autorité viseraient et écraseraient la résistance palestinienne. En conséquence, il a estimé qu'en participant aux élections, il se doterait d'un forum important pour contrecarrer ce plan et renforcer la position palestinienne à l'égard du processus de paix. Le Hamas a également pensé que la défense des intérêts des citoyens palestiniens par la lutte contre la corruption administrative et financière coïncidait avec la plupart de ses objectifs.
Bien que le projet de participer aux élections n'ait pas reçu un soutien unanime dans les rangs du Hamas, le mouvement y a pourtant participé sous la bannière de "Réforme et Changement". Après sa grande victoire aux élections et avoir dirigé les 10ème et 11ème gouvernements palestiniens, le Hamas a réalisé combien il était difficile – voire impossible – de procéder à de réelles réformes ou changements sans faire de concessions. En outre, le Hamas a réalisé que l'entrée dans le processus politique ne lui donnait pas l'opportunité d'induire une réforme réelle mais qu'il était plutôt soumis aux conditions des Accords d'Oslo. En d'autres termes, le Hamas ne pouvait lancer aucune réforme économique, administrative ou sécuritaire sans faire d'énormes concessions politiques (c'est-à-dire les conditions du Quartet), qui dépouillaient littéralement le mouvement de son identité et de ses objectifs. De plus, lorsque le Hamas a voulu changer les "règles du jeu" et s'affranchir des conditions contraignantes des Accords d'Oslo, il a été accueilli par un blocus asphyxiant, l'arrestation de ses députés et l'interdiction de ses programmes et activités.
Ce que montre clairement l'expérience des 5 dernières années (après que le Hamas ait remporté les élections), c'est que quiconque veut lancer une réforme sous l'occupation doit "faire ses quatre volontés". En d'autres termes, le processus de réforme – malgré sa faible probabilité de succès – est fortement lié au fait de payer de lourdes concessions politiques au côté israélien, un prix à payer beaucoup trop élevé pour n'importe quel groupe palestinien de résistance.
On peut faire valoir que la Hamas a peut-être réussi à saisir une légitimité politique, comme il a saisi une légitimité révolutionnaire pendant l'Intifada al-Aqsa. De plus, il a réussi à mettre au grand jour le côté sombre des Accords d'Oslo, et il a été en mesure de diriger la Bande de Gaza selon ses propres conditions, sans faire aucune concession politique exigée par Israël et l'Occident. Cependant, le statut du blocus imposé en cours, la fracture politique et géographique existante et les souffrances terribles auxquelles sont confrontés les partisans de la résistance en Cisjordanie, etc., tout ceci semble être des prix dont l'ampleur était inconnue lorsque le Hamas s'est lancé dans la voie politique et a dirigé le gouvernement de l'Autorité.
S'il doit y avoir une paix nationale dans un avenir proche, alors le Hamas doit répondre à cet appel avant quiconque : il doit présenter sa plateforme politique sous les auspices de nouvelles élections législatives ; il doit expliquer comment il gèrera les concessions attendues s'il gagne ou perd les élections ; il doit décrire comment il prévoit de réaliser son programme qui appelle aux réformes et aux changements, en particulier en Cisjordanie, où aucun changement ni réforme ne peut se faire en dehors des limites des Accords d'Oslo. Ou bien affirmer sa légitimité politique et son soutien populaire est tout ce que le Hamas souhaite faire ?
Ce qui importe maintenant est de mettre de l'ordre dans la maison palestinienne, définir ses priorités en accord avec ses intérêts majeurs et, en conséquence, revisiter et réévaluer le rôle que l'Autorité doit jouer – si son existence a un quelconque réel intérêt !
L'article original en arabe est paru sur Al-Jazeera.net le 24.11.2010
Il a été traduit en anglais par Al-Zaytouna Centre for Studies and Consultations  
Traduction : MR pour ISM