lundi 20 décembre 2010

Israël/Cisjordanie : Deux populations séparées et inégales

lundi 20 décembre 2010 - 00h:53
Human Rights Watch
Dans un contexte de politiques discriminatoires, les colons prospèrent alors que les Palestiniens souffrent.
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Des écoliers bédouins palestiniens se dirigent vers leurs tentes plantées dans un camp situé près de la colonie israélienne de Ma’ale Adumin, en Cisjordanie, le 15 septembre 2010. Israël ne reconnaît pas le droit de propriété des Bédouins et a démoli plusieurs maisons et écoles à cet endroit.
2010 Getty Images
Les politiques israéliennes en Cisjordanie sont sévèrement discriminatoires à l’encontre des résidents palestiniens, les privant de produits de première nécessité tout en permettant aux colonies juives de jouir d’un confort de luxe, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le rapport recense des pratiques discriminatoires non justifiées par des motifs sécuritaires ou d’un autre type, et demande à Israël non seulement de démanteler les colonies de peuplement conformément à ses obligations légales internationales, mais aussi de mettre fin aux violations des droits des Palestiniens.
Le rapport de 166 pages, intitulé Separate and Unequal : Israel’s Discriminatory Treatment of Palestinians in the Occupied Palestinian Territories (Séparés et inégaux : le traitement discriminatoire des Palestiniens par Israël dans les territoires palestiniens occupés) montre comment Israël a établi un système de traitement des populations de la Cisjordanie à deux niveaux dans les larges zones où le gouvernement exerce un contrôle sans partage. Le rapport est basé sur des études de cas comparant le traitement âprement différent réservé aux colonies de peuplement et aux communautés palestiniennes les jouxtant. Le rapport appelle les États-Unis, les États membres de l’UE et les entreprises travaillant dans les zones d’implantation à éviter de soutenir toute politique de peuplement israélienne qui est intrinsèquement discriminatoire et contraire au droit international.
« Les Palestiniens sont victimes de discrimination systématique du seul fait de leur race, de leur origine ethnique et de leur nationalité d’origine. Ils sont privés d’électricité et d’eau, d’écoles et de routes tandis que, tout près, des colons juifs jouissent de tous ces avantages fournis par l’État  », a déclaré Carroll Bogert, Directrice générale adjointe chargée des relations extérieures à Human Rights Watch. « Alors que les colonies israéliennes prospèrent, les Palestiniens vivent sous contrôle israélien dans des conditions d’un autre temps, non seulement séparés, non seulement inégaux, mais parfois même évincés de leurs terres et de leurs maisons. »
Le rapport constate qu’en rendant leurs communautés pratiquement inhabitables, les politiques discriminatoires d’Israël ont souvent pour résultat de forcer les Palestiniens au départ. Selon une enquête de juin 2009 dans des foyers de la « zone C », zone qui couvre 60 % de la Cisjordanie et qui est sous contrôle exclusif d’Israël, et dans des foyers de Jérusalem-Est, annexé unilatéralement par Israël, 31 % des résidents palestiniens ont été déplacés depuis 2000.
Human Rights Watch a étudié la zone C et Jérusalem-Est et observe que le système à deux niveaux en vigueur, d’un côté génère une manne d’avantages financiers et un soutien généreux aux travaux d’infrastructure pour encourager la migration de colons et, de l’autre, mesure chichement aux communautés palestiniennes les services de base, entrave délibérément leur croissance et contraint ses habitants à de pénibles conditions d’existence. Une telle différence de traitement fondée sur la race, l’ethnie, l’origine nationale, sans être strictement adaptée à des objectifs légitimes, viole l’interdiction fondamentale de toute forme de discrimination selon le droit relatif aux droits humains.
Les politiques israéliennes régissent de nombreux aspects de la vie quotidienne des Palestiniens vivant dans la zone C et à Jérusalem-Est. L’expropriation des terres des Palestiniens et leur attribution aux colonies de peuplement et à leurs infrastructures, le déni d’accès aux routes vers les terres agricoles, le refus d’accès à l’électricité et à l’eau, le rejet des permis de construire pour des logements, des écoles, des cliniques et des infrastructures, la démolition de maisons et d’entière zone d’habitation sont autant de brimades discriminatoires infligées aux Palestiniens, observe Human Rights Watch. Ces mesures ont limité l’expansion des villages palestiniens et rendu la vie très difficile aux résidents, notamment en limitant leur accès aux soins médicaux.
A l’opposé, Israël promeut et encourage l’expansion des colonies juives dans la zone C et à Jérusalem-Est, en utilisant souvent des terres et d’autres ressources dont les Palestiniens ne disposent pas. Le gouvernement israélien incite à l’implantation de colonie par de nombreux moyens : aides au logement, à l’éducation, subventions à des travaux d’infrastructure, comme des routes toute spécialement construites. Ces avantages ont conduit à l’expansion rapide et continue des colonies de peuplement, dont la population est passée d’environ 241 500 habitants en 1992 à environ 490 000 en 2010, Jérusalem-Est compris.
« Tandis que les décideurs politiques israéliens se mobilisent pour la "croissance naturelle" des colonies illégales, ils étranglent les communautés palestiniennes installées de longue date, interdisent aux familles d’agrandir leurs maisons et rendent la vie invivable aux populations », a observé Carroll Bogert. « Les politiques israéliennes relatives aux implantations sont injustes et constituent un obstacle majeur à la capacité des Palestiniens à mener une vie normale. »
Jubbet al-Dhib, un village de 160 habitants au sud de Bethléem, fondé en 1929, est l’une des communautés palestiniennes étudiées par Human Rights Watch dans son rapport. Le village n’est souvent accessible qu’à pied parce que son seul lien avec une route en dur est une piste cahoteuse d’un 1,5 km. Les enfants de Jubbet al-Dhib se rendent à pied dans les écoles d’autres villages car leur propre village n’a pas d’école. Jubbet al-Dhib n’a pas l’électricité. Les autorités israéliennes ont rejeté de nombreuses demandes de connexion à leur grille. Elles ont également rejeté un projet financé par des bailleurs de fonds pour éclairer les rues du village avec des panneaux solaires. Les habitants du village doivent consommer la viande et le lait le jour même, faute de réfrigération, et s’alimentent souvent de conserves. Les villageois s’éclairent à la chandelle ou avec des lampes à pétrole et, quand ils ont les moyens d’acheter de l’essence, ils font tourner un petit groupe électrogène.
A environ 350 mètres se trouve la communauté juive de Sde Bar, fondée en 1997. La colonie d’environ 50 personnes est reliée par une bretelle asphaltée à une autoroute flambant neuve vers Jérusalem, dont le coût est estimé à plusieurs millions de dollars : c’est la « Lieberman Road » ; elle contourne les villes, les bourgs et les villages palestiniens comme Jubbet al-Dhib. Sde Bar a une école secondaire mais les adolescents de Jubbet-Dhib ne peuvent pas s’y inscrire. Les colonies sont des zones militaires où l’ont ne peut entrer qu’avec un permis spécial délivré par les militaires. Les résidents de Sde Bar, comme les habitants de toutes les villes israéliennes, ont l’électricité et jouissent de tout le confort moderne. Les habitants de Jubbet-Dhib le constatent de leurs maisons quand vient la nuit.
« Les enfants palestiniens dans les zones sous contrôle israélien étudient aux chandelles et voient les fenêtres des colons éclairées à l’électricité », a commenté Carroll Bogert. « Soutenir que l’on prive les enfants palestiniens de l’accès aux écoles, à l’eau ou à l’électricité pour des motifs sécuritaires est absurde. »
Dans la plupart des cas dans lesquels Israël a reconnu que les Palestiniens subissent un traitement différent - par exemple quand un écriteau qui dit « colons seulement » leur interdit l’accès à une route - le gouvernement a affirmé que de telles mesures sont nécessaires pour protéger les colons juifs et d’autres Israéliens victimes d’attaques périodiques par des groupes armés palestiniens. Toutefois aucun motif sécuritaire ou autre motif légitime ne peut justifier l’ampleur de la différence de traitement réservé aux Palestiniens, comme le refus des permis pour améliorer ou construire des maisons, des écoles, des routes et des citernes, ainsi que l’a souligné Human Rights Watch.
En outre, le gouvernement israélien, quand il prend des mesures pour sa sécurité, agit souvent comme si tous les Palestiniens constituaient une menace en raison de leur race, de leur ethnie et de leur l’origine nationale, plutôt que de circonscrire les restrictions à des individus présumés dangereux. L’interdiction légale de la discrimination proscrit les restrictions indifférenciées d’une telle portée.
« Le monde a convenu il y a bien longtemps de l’inanité des arguments justifiant le traitement différent d’un groupe de personnes en raison de leur race, de leur ethnie ou de leur origine nationale », a déclaré Carroll Bogert. « Le moment est venu pour Israël de mettre fin à ses pratiques discriminatoires et de cesser de réserver aux Palestiniens sous son contrôle un traitement nettement inférieur à celui réservé aux résidents juifs dans la même zone. »
La plus haute juridiction d’Israël a jugé que certaines mesures contre les citoyens palestiniens d’Israël étaient illégales parce qu’elles étaient discriminatoires. Cependant, Human Rights Watch n’a pas connaissance qu’un tribunal ait jugé discriminatoires envers les Palestiniens les agissements d’Israël en Cisjordanie, bien qu’ils aient été présentés comme tels dans un certain nombre d’affaires.
Human Rights Watch affirme que les pratiques discriminatoires d’Israël sont suffisamment flagrantes pour que les pays bailleurs de fonds évitent urgemment de contribuer à toute violation du droit international provoquée par les implantations, voire d’être complice de telles violations. Ces pays doivent prendre des mesures significatives pour inciter le gouvernement israélien à respecter ses obligations, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch réitère sa recommandation aux États-Unis, un pays qui verse 2,75 milliards de dollars d’aide à Israël chaque année, de suspendre cette aide d’un montant équivalant aux subventions d’Israël en faveur des colonies de peuplement, estimées, selon une étude de 2003, à 1,4 milliard de dollars. De même, sur la base de nombreux rapports qui établissent que les organisations américaines exonérées d’impôt subventionnent substantiellement les colonies de peuplement, le rapport demande instamment au gouvernement américain de vérifier que ces exonérations fiscales sont compatibles avec l’obligation souscrite par les États-Unis de veiller au respect du droit international qui proscrit notamment la discrimination.
Human Rights Watch demande à l’Union européenne qui est un marché d’exportation de première importance pour les produits des colonies de peuplement, de s’assurer qu’elle n’encourage pas l’exportation de tels produits par le biais de tarifs préférentiels, et d’identifier les cas où la discrimination contre les Palestiniens a pu contribuer à la production de certaines marchandises. Par exemple, le rapport montre comment les cultures d’exportation des colonies de peuplement, irriguées par des puits forés par les Israéliens, assèchent les puits palestiniens voisins, ce qui limite la capacité des Palestiniens à cultiver leurs propres terres, voire leur accès à l’eau potable.
Le rapport décrit également comment des entreprises contribuent ou bénéficient directement de la discrimination envers les Palestiniens, par exemple grâce à des activités commerciales sur des terres qui ont été illégalement confisquées à des Palestiniens au profit des colons, sans compensation. Ces entreprises bénéficient également de subventions du gouvernement israélien, d’abattements fiscaux, d’un usage privilégié des infrastructures, de permis et de canaux d’exportation. Human Rights Watch appelle les entreprises à s’informer sur toute pratique constituant une violation de droits, à empêcher de telles violations et à diminuer leur impact, notamment en mettant fin à toutes les opérations qui ne peuvent pas être séparées des pratiques discriminatoires israéliennes.
«  La discrimination du type de celle pratiquée quotidiennement en Cisjordanie devrait être inadmissible dans tout lieu », a conclu Carroll Bogert. « Les gouvernements étrangers tout comme les entreprises internationales dont la réputation risque d’être ternie par les pratiques illégales du gouvernement israélien devraient identifier leurs propres politiques et actions qui soutiennent ces pratiques, et y mettre fin. »
Jérusalem, le 19 décembre 2010 - Human Rights Watch
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