jeudi 28 octobre 2010

Une place pour M. Meshaal

mercredi 27 octobre 2010 - 07h:19
Babak Dehghanpisheh - Newsweek
Le Hamas parle déjà avec Washington par le biais de canaux officieux, notamment celui de l’ancien président Jimmy Carter. « Mais cela ne suffit pas » dit Khaled Meshaal à Newsweek vers la fin d’une interview de deux heures. « L’administration US devrait nous entendre directement ».
Personne ne veut le dirigeant du Hamas à la table des négociations de paix au Moyen-Orient. Pourtant, ils ont tous besoin de lui.
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Khaled al-Hariri / Reuters-Corbis
Dégoûté, le dirigeant du Hamas, Khaled Meshaal, détourne les yeux du grand écran plat de sa télévision dans son bureau fortement gardé à Damas. Depuis des semaines, il suit les bulletins de nouvelles, en fait depuis que le président Obama a annoncé qu’il avait organisé des entretiens directs entre le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, et le président palestinien, Mahmoud Abbas.
Le dirigeant du Hamas ne s’attendait certes pas à ce que les réunions produisent une percée et il a été à peine étonné quand Netanyahu a balayé du revers de la main la demande de Abbas pour une extension de 10 mois du gel israélien de la construction de colonies en Cisjordanie. Toutefois, Meshaal est manifestement irrité par la nouvelle selon laquelle un sommet de la ligue Arabe a conseillé à Abbas de ne pas quitter les négociations et d’accepter plutôt une suspension d’un mois. « Ce n’est pas ça qui résoudra le problème » se plaint Meshaal. « Cela ne fera que reporter le problème ».
Beaucoup diront que le dirigeant du Hamas lui-même est une partie énorme du problème. Le gouvernement US désigne Meshaal comme un « terroriste mondial » et prétend que les attaques à la roquette de son groupe contre des civils israéliens en 2008 ont provoqué une invasion causant la mort de plus de 1300 Palestiniens. La charte du Hamas qui dénonce les « initiatives et les prétendues initiatives et conférences de paix internationales » continue à appeler à la destruction d’Israël. Mais le fait est que devant des négociations de paix trébuchantes, Meshaal désire désespérément une place à la table. Le Hamas parle déjà avec Washington par le biais de canaux officieux, notamment celui de l’ancien président Jimmy Carter. « Mais cela ne suffit pas » a-t-il dit à Newsweek vers la fin d’une interview de deux heures. « L’administration US devrait nous entendre directement ».
Pour l’heure, le Hamas fait un pas beaucoup plus petit en cherchant à mettre fin à son conflit avec le Fatah de Abbas soutenu par les USA. Des représentants des deux groupes se sont réunis à Damas le mois dernier et une autre session était prévue pour le 20 octobre. En ce qui concerne Meshaal, ce sont ces entretiens qui comptent maintenant. Le Hamas est en conflit avec le Fatah depuis 2006, depuis que les électeurs palestiniens, excédés par la corruption constante et la mauvaise gestion du Fatah, ont accordé une victoire inattendue à ce parti. Une guerre civile a fait rage l’été suivant laissant Gaza aux mains des islamistes et la Cisjordanie sous contrôle du Fatah.
La situation actuelle est intenable. « Nous comprenons tous que la réconciliation nationale est obligatoire si nous voulons jamais obtenir un État libre et indépendant » dit Ahmed Youssef, conseiller principal du dirigeant du Hamas à Gaza, Ismaël Haniya. « Nous ne voulons pas faire obstacle ».
Le porte-parole du département d’État, P. J. Crowley, dit que le Hamas s’exclut lui-même en refusant d’accepter l’existence d’Israël et de renoncer à la violence. Mais le fait est que personne n’est pressé de faire appel à Meshaal. D’une part, les officiels US ne veulent pas saper la position de Abbas, lui qui offre selon eux le plus de chances d’arriver à la paix. En outre, personne ne veut récompenser l’intransigeance du Hamas, ce que Abbas considérerait certainement comme une trahison. Et sa réaction serait modérée par rapport à celle d’Israël. « Ne fût ce que suggérer une ouverture vers le Hamas ferait péter les plombs à tout l’établissement politique israélien » dit un officiel de l’administration commentant les politiques d’un allié US et qui a demandé à garder l’anonymat. À ce sujet, même sans parler avec les terroristes, Obama lui-même a déjà assez d’opposants chez lui. « Le retour de manivelle ici serait terrible » dit Robert Malley, ancien membre de l’équipe de paix au Moyen-Orient du président Clinton et à présent membre du groupe de crise internationale.
Néanmoins, Meshaal a l’air plus modéré ces jours-ci qu’auparavant. Bien qu’il réclame toujours des concessions plus importantes que celles qu’Israël est susceptible de fournir, ses propositions s’inscrivent dans un débat rationnel. « Il y a une position et un programme auxquels adhèrent tous les Palestiniens » dit-il à Newsweek. « Accepter un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem comme capitale. Et le droit au retour. Cet État devrait avoir une souveraineté réelle sur cette terre et sur ses frontières. Et il n’y aurait pas de colonies ».
On est loin des objectifs drastiques énumérés dans la charte du Hamas, mais Meshaal dit que son groupe accepterait un tel accord si la majorité des Palestiniens l’approuvaient : « lorsque ce programme sera mis en oeuvre... nous respecterons la volonté du peuple palestinien ». Paul Scham, un des spécialistes les plus éminents sur le Hamas, est d’avis que les vues actuelles du groupe se sont éloignées de sa charte violemment anti-israélienne et que le Hamas est maintenant disposé à agir en tant que partenaire tacite du Fatah lors des entretiens visant la réalisation de l’État palestinien.
Abbas est néanmoins sous forte pression de la part des officiels étasuniens et israéliens pour maintenir le Hamas dans son isolement. Le dirigeant du Fatah est peu enclin à discuter avec Washington : les USA ont fourni plus de 74 millions de dollars à l’Autorité palestinienne cette année - plus qu’à tous les autres pays arabes combinés. Mais le maintien du Hamas dans l’isolement donne au groupe de Meshaal toutes les raisons de faire le trouble-fête. À lui seul, le Fatah ne pourrait jamais mettre fin à la violence. « Il est évident qu’aucun accord sur ce conflit ne peut être mis en application sans la participation des principales forces palestiniennes » dit Mouin Rabbani, membre éminent de l’Institut des études palestiniennes.
Quiconque visite Gaza ces jours-ci peut voir pourquoi Meshaal adoucit le ton. L’économie est en ruines et plus d’un tiers de la population est au chômage. L’alcool a été éliminé des menus dans les restaurants, et dans les vitrines des magasins on ne voit plus de lingerie féminine. Dans un nouveau sondage réalisé par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, 70 % des personnes interrogées ont dit que la situation à Gaza était « mauvaise » ou « très mauvaise ». Quelque 66 % ont dit qu’elles ne pourraient pas critiquer les autorités sans crainte, mais même les officiels du Hamas reconnaissent que la vie à Gaza est difficile. « C’est comme se trouver dans une énorme prison pratiquement fermée de tous les côtés » dit Ghazi Hamad, porte-parole du Hamas.
Une bonne partie du budget de Gaza arrive en espèces dans des sacs introduits en fraude par les tunnels aux environs du passage de Rafah. Meshaal reconnaît volontiers qu’une bonne partie de ces sommes proviennent d’Iran : « le Hamas est reconnaissant de tout soutien financier de n’importe quelle partie du monde, du moment que celui-ci est accordé sans conditions ».
Ces sommes sont habituellement insuffisantes au regard des besoins de Gaza. Le mois dernier, le gouvernement a déduit grosso modo 45 dollars de chaque fiche de salaire pour quelque 50 000 fonctionnaires afin de faire face à l’actuelle pénurie d’électricité. Parfois, la situation est si mauvaise que le Hamas accepte de travailler avec son ennemi déclaré : selon le journal de langue arabe de Londres Asharq Al-Awsat , au plus fort d’une crise des eaux usées au début de l’année, des officiels de la municipalité de Gaza ont rencontré des spécialistes israéliens pour recevoir des conseils sur le traitement des eaux usées.
Meshaal reconnaît que la popularité du Hamas a souffert. Malgré cela prétend-il, la situation lamentable de Gaza ne fait que prouver la force de l’appui fondamental au Hamas : « quand certains gouvernements augmentent le prix du pain ou de l’essence, ils provoquent une révolution » dit-il. « La question n’est pas de savoir si la popularité monte ou descend. La question est de savoir comment notre population de 1,5 million de personnes a pu résister à quatre années de siège tout en restant pro Hamas ? »
Pour l’heure, Meshaal veut gagner du temps ». Quiconque néglige le Hamas découvrira qu’il a fait une erreur » dit-il. « Le Hamas n’englobe pas tous les Palestiniens. Mais il représente un élément principal et important du peuple palestinien ». Quand on lui demande quel poste il pourrait occuper un jour au gouvernement dans un État palestinien, Meshaal qui a presque été assassiné par le Mossad en 1997, rit doucement. « Je ne peux pas vous garantir que je serai encore en vie » dit-il.
* Avec la collaboration de Joanna Chen à Jérusalem et de John Barry à Washington
18 octobre, 2010 - Newsweek - Cet article peut être consulté ici :
http://www.newsweek.com/2010/10/18/...
Traduction : Anne-Marie Goossens
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