jeudi 5 août 2010

Nayef Rajoub : "Le sionisme porte en lui les germes de sa propre disparition", entretien avec Khalid Amayreh

Palestine - 05-08-2010

Par Nayef Rajoub 
Nayef Rajoub, 52 ans, est l’un des leaders islamiques les plus populaires en Palestine occupée. Sa promotion courageuse des droits palestiniens, dont le droit au retour des réfugiés palestiniens, a attiré l’attention non désirée des services de la sécurité israélienne. Il totalise huit ans passés dans les geôles israéliennes, principalement sur des accusations mensongères comme « incitation contre l’Etat israélien ». M. Rajoub a été libéré il y a quelques semaines, après avoir été incarcéré pendant 50 mois pour le « crime » d’avoir participé aux élections palestiniennes de 2006. A Al-Khalil (Hébron), Rajoub a remporté plus de voix que n’importe quel autre candidat. Les élections avaient obtenu le feu vert d’Israël et des Etats-Unis dans l’espoir que le Fatah gagnerait. Cependant, lorsque le Hamas a remporté une victoire écrasante, les Etats-Unis et la plupart des pays européens, ainsi que les régimes marionnettes des Etats-Unis au Moyen-Orient, furent hostiles au nouveau gouvernement palestinien, et ont imposé un siège financier (suivi par le siège total de Gaza) visant à rendre les territoires occupés ingouvernables par les nouveaux dirigeants islamiques.
Au nom de Middle East Monitor, Khalid Amayreh a interviewé Nayef Rajoub dans son bureau, à Dura, au sud de la Cisjordanie.










Nayef Rajoub, libéré de sa dernière incarcération, le 20 juin 2010.

Khalid Amayreh : Comment voyez-vous la cause palestinienne d’ici vingt ans ?
Nayef Rajoub : Je pense que l’Autorité Palestinienne de Ramallah continuera à marcher sur son chemin stérile de concessions et de capitulation jusqu’à ce qu’il ne reste rien, ou si peu, en termes de droits palestiniens. Israël peut accepter de donner à l’AP un Etat kafkaesque dépourvu de dignité, de viabilité et de souveraineté.
Pour ce qui est de la fin du conflit, personne n’a de certitude, mais je suis sûr que le conflit ne se terminera qu’avec la disparition de l’idéologie du sionisme, qui fait d’Israël un Etat colonial. Ce n’est pas un vœu pieux : le sionisme porte en lui les germes de sa propre disparition et Israël est un Etat fondé sur la dépossession d’un autre peuple. Il est donc fondé sur l’oppression et l’injustice. En tant que tel, sa durée de vie ne sera pas très longue.
KA : Voyez-vous une possibilité de coexistence entre les Juifs et les Arabes en Palestine ?
NR : Tant que le sionisme sera l’idéologie qui sous-tend Israël, la coexistence est impossible. Comment pouvons-nous coexister avec une communauté qui s’acharne à nous asservir et à nous persécuter ? En outre, les sionistes (juifs et non juifs de même) ne veulent pas de coexistence ; ils veulent la suprématie juive en Palestine et le nettoyage ethnique du peuple indigène, les Palestiniens.
KA : Mais le scénario de l’Afrique du Sud n’a-t-il pas fait la preuve que la coexistence était possible entre des communautés auparavant irréconciliables ?
NR : La comparaison avec l’Afrique du Sud est intrinsèquement fausse. Israël est une entité fondée sur le nettoyage ethnique et le vol de la terre, et il n’acceptera en aucune circonstance que la majorité gouverne, contrairement aux Sud-Africains.
KA : Etant donné la faiblesse de la position arabe globale, pensez-vous qu’Israël puisse recourir à une provocation majeure, comme la démolition de la Mosquée Al-Aqsa ?
NR : Oui ; si l’Autorité Palestinienne et les Etats arabes continuent avec leur politique de capitulation, y compris de conspiration avec Israël et les Etats-Unis contre les droits légitimes des Palestiniens, l’establishment sioniste se sentira encouragé et Israël s’embarquera dans des crimes plus audacieux, et la destruction de la Mosquée Al-Aqsa pourrait en être un.
KA : Pensez-vous que le temps d’un processus de paix est passé, à la lumière de l’échec chronique de ce processus, à aujourd’hui ?
NR : Ce qui est appelé, de façon erronée, « le processus de paix » est en fait une série de diktats israéliens imposés aux Palestiniens, qui ont été réduits au statut de mendiant vaincu quémandant ce qu’Israël condescend à donner. Malheureusement, cette situation est susceptible de perdurer dans un avenir prévisible, du moins jusqu’à ce que la Oumma musulmane puisse générer assez de volonté dans la communauté internationale pour faire quelque chose de plus positif.
KA : Que voulez-vous dire par « quelque chose de plus positif » ?
NR : Parvenir à une position où nous pourrons négocier en position de force ; le faire d’une position de faiblesse finit par mendier.
KA : Le Président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas a averti qu’il se tournerait vers une stratégie de solution à Un Etat si Israël continue à construire des colonies juives en Cisjordanie, en particulier à Jérusalem Est. Qu’en pensez-vous ?
NR : C’est la reconnaissance claire que la folie appelée « processus de paix » a échoué. L’AP s’est livrée à des gesticulations futiles et a échoué ces vingt dernières années. Cela montre aussi que les Etats-Unis ne cherchent pas sérieusement un accord qui mettrait fin au conflit arabo-israélien.
Je ne pense pas qu’un Etat unitaire, ou les menaces d’établir une telle entité, ont une réelle chance de succès dans les circonstances présentes. Israël ne permettra pas qu’une majorité arabe détermine la direction d’un tel Etat, et en outre le côté palestino-arabe n’est pas assez fort pour obliger Israël à accepter une solution démocratique.

KA : Le mouvement islamique en Palestine croit-il à la possibilité de la création d’un Etat viable en Cisjordanie à l’intérieur des frontières de 1967 ?
NR : Non, pas dans les circonstances actuelles, étant donné la faiblesse de la position arabe globale et à cause de la collusion et de l’alliance des Etats-Unis avec Israël.
KA : Si vous étiez à la place du Président de l’AP, que feriez-vous ?
NR : Je pense que quiconque à ce poste doit accepter d’abandonner les principes ; je ne serai jamais prêt à ça, dont je ne serai jamais président de l’AP.
KA : Si vous aviez su en 2006 ce que vous savez aujourd’hui, le mouvement islamique aurait-t-il participé aux élections législatives ?
NR : Oui, nous l’aurions fait. Nous savions depuis le début que notre chemin ne serait pas bordé de roses. Nous devions participer aux élections pour mettre un terme à l’avalanche de corruption et de concessions aux sionistes. Pour le dire simplement, quelqu’un devait arrêter la pourriture.
KA : Qui est responsable de la fracture nationale entre le Fatah et le Hamas ?
NR : Ceux qui sont responsables de la fracture sont ceux qui n’ont pas respecté le résultat des élections. Ce sont le Fatah, les Etats-Unis, l’Union Européenne et Israël, en plus des régimes arabes aux ordres de l’Amérique.
KA : Les Etats-Unis et leurs alliés insistent pour que le Hamas reconnaisse Israël avant d’accepter le mouvement islamique comme partenaire politique légitime. Le Hamas doit-il reconnaître Israël, en toutes circonstances envisageables ?
NR : C’est à la fois déraisonnable et illogique de demander aux victimes de reconnaître la légitimité de ses bourreaux. C’est à Israël de reconnaître d’abord les droits légitimes des Palestiniens, dont le droit à l’autodétermination et le droit à la liberté.
KA : Comment voyez-vous le soi-disant document égyptien qui vise à parvenir à la réconciliation entre le Fatah et le Hamas ?
NR : Le document est une recette concoctée par le Fatah et l’Egypte destiné à servir les intérêts du Fatah. Ce dont la Palestine a besoin, c’est d’une réconciliation sans conditions.
De plus, j’aimerais dire que ce que l’AP fait en Cisjordanie, c’est-à-dire la persécution continuelle du Hamas, souligne le manque de sérieux du Fatah quant à la réconciliation nationale.
KA : Le Fatah accuse le Hamas de soumission à l’Iran. Est-ce vrai ?
NR : Le Hamas n’est inféodé à aucun pouvoir terrestre, sauf au peuple palestinien. Toute autre suggestion ou insinuation doit être comprise dans le contexte de la propagande contre le mouvement islamique.
En outre, la cause palestinienne est la cause de tous les peuples arabes et islamiques. C’est donc un devoir religieux de tous les Musulmans et de tous les Etats musulmans de soutenir la cause palestinienne. C’est loin d’être déshonorant, pour les Etats arabes et musulmans, de soutenir notre constance, alors qu’il est vraiment déshonorant de se jeter aux genoux de nos ennemis.