dimanche 21 février 2010

Sumud : L’âme du peuple palestinien

samedi 20 février 2010 - 07h:05
Toine van Teeffelen 
Sumud désigne la qualité et l’expérience principale du Palestinien moderne, judicieusement rendu par la double signification de son équivalent anglais : détermination.
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D’un côté, il s’agit de préserver une présence dans le territoire Palestinien, et de l’autre, de conserver une présence temporelle en observant la patience. Le terme “en dépit” est aussi un élément essentiel. Sumud veut dire persévérer malgré toutes les oppressions et les épreuves auxquelles les Palestiniens doivent faire face.
Les exemples ne manquent pas : les paysans et les familles qui s’agrippent à leurs terres malgré les expropriations ou la construction du Mur, la mère qui continue d’élever sa famille en dépit des couvre-feux, les propriétaires qui reconstruisent « illégalement » leur maison pour l’énième fois, l’étudiant qui aspire à l’obtention d’un certificat, malgré les peines de prison ou le temps d’attente quotidien aux postes de contrôle pour aller à l’école ou à l’université, sans oublier de mentionner la continuité de la vie quotidienne malgré les massacres aux alentours, comme à Gaza.
En tant que projet national, Sumud souligne l’importance de préserver les communautés sur le territoire palestinien que soit ce soit en Cisjordanie, à Jérusalem, à Gaza ou dans les territoires de 1948. L’essence du Sumud : c’est résister à la continuité du sionisme et de la politique de l’Etat israélien qui vise à denier et éliminer la présence palestinienne sur les terres, que ce soit en planifiant des mesures physiques et violentes, par une division sociale ou un anéantissement culturel. Sumud signifie supporter et ne pas abandonner les droits politiques et humains.
Sumud a acquis une importance parmi les Palestiniens parce que c’est l’affirmation de la présence collective sur le territoire. Elle reconnaît l’importance du nombre et de la portée démographique dans la décision de l’avenir du pays, mais sert aussi à soutenir le moral et à maintenir l’espoir. Nous sommes là et nous le resterons, mais pas en tant que peuple soumis. Peut-être que la domination extérieure de la Palestine pendant des siècles ou par des pouvoirs d’occupation a renforcé le caractère des Palestiniens et leur obstination, typique pour le trait insoumis du paysan à se cramponner à son territoire. En 2002, lorsque Moshe Yaalon le chef d’état-major de l’époque disait que « les Palestiniens doivent se faire à l’idée au plus profond de leur conscience qu’ils sont un peuple déchu », il avait sous-estimé le Sumud palestinien.
En tant que terme clé dans le discours national, Sumud a été introduit à la fin des années 70, lorsque le fond Sumud a été établi en Jordanie pour soutenir économiquement la présence des Palestiniens en Cisjordanie, à Jérusalem Est et à Gaza. Dans l’analyse politique des années 70 et du début des années 80, il s’agissait de garder la communauté palestinienne intacte lors de la construction de la communauté, alors qu’à cette époque, il n’y avait pas encore de grand mouvement de lutte soutenu contre l’occupation israélienne. Sumud a souvent été perçu comme la contribution à la lutte nationale par les Palestiniens qui sont restés en Palestine, complétant une lutte armée à l’extérieur.
Parmi les militants politiques, le débat que soulevait Sumud, était de savoir s’il ne fallait pas considérer le terme plus comme une forme de résistance trop passive voir même statique désignant un effort plutôt de survie que de défi de l’ennemi ? Mais pour de nombreux Palestiniens, aujourd’hui exister en Palestine est une forme de résistance. En effet, l’attitude du Sumud peut facilement être attribuée à des formes actives de résistance non-violentes qui, après tout, sont comprises comme une stratégie majeure autant théorique que pratique de refus de coopérer avec l’ennemi.
Le concept ressemble à d’autres utilisés dans la résistance de base contre la domination ; par exemple les paysans en Amérique latine où ils ont utilisé le terme comparable de « persistance implacable » pour se référer à leurs luttes pour la paix, la justice et la dignité humaine, combinant amour pour leur terre et de leurs communautés avec la protection active de leurs droits.
En même temps, le concept a voyagé au delà de la politique au sens strict du terme. Dans la culture, l’art et la conception palestinienne, Sumud est devenu un symbole par l’olivier qui est profondément enraciné à la terre par le cactus qui survit à la rudesse des circonstances et aussi par la femme palestinienne et mère comme symbole de la continuité et lien à travers les générations.
Ces symbolisations soulignent non seulement la force du Sumud, mais aussi l’amour pour leur terre souvent exprimé par les images silencieuses des communautés rurales, incluant celles détruites en 1948. La vie de la communauté rurale de la Palestine, dans l’ombre des oliviers et des figuiers. Lisez le poète national Palestinien Mahmoud Darwish pour les belles et douloureuses expressions de cette nostalgie.
Alors que peintures et poèmes créent des images, d’autres genre de supports tels que les journaux intimes et documentaires rapportent des récits témoignant des expériences du Sumud de nombreux Palestiniens. Des journaux intimes publiés tels que ceux de l’avocate Raja Shehadeh, de l’architecte Suad Amiry, et du pasteur Mitri Raheb véhiculent l’effort humain de garder le train de la vie quotidienne face à toutes les épreuves imaginables, petites ou grandes telles que les sièges, les couvre-feux permanents, les tirs de balles et de fusées et bien sûr les postes de contrôles.
Qui d’autre peut faire face à de telles circonstances sur une aussi longue période ? Parfois je dis à ma femme palestinienne : si des citoyens hollandais étaient amenés à être déportés collectivement pour vivre sous l’occupation israélienne, ils ne pourraient pas y survivre, même pas quelques jours.
En lisant des journaux palestiniens, vous pouvez sentir que Sumud est aussi une conception accueillante. Ce qui importe n’est pas seulement de continuer à protéger le bien-être physique de la famille, mais également les petites choses de base de la vie quotidienne : le café, l’accueil, les relations mutuelles entre voisins, le soin de la belle-mère. En fait, dans son premier journal intime avec pour titre la « Troisième voie » (1982), Shehadeh décrit le Sumud comme un troisième moyen entre la subordination à l’oppression d’un côté et être emprisonné de l’autre par le réflexe de la violence.
A son fondement, Sumud signifie garder son humanité et son âme et c’est cependant aussi une conception éminemment éducative. Entre injustice et oppression, lutter pour ses droits, mais rire, observer l’espoir et même garder la foi en l’humanité, c’est ce qui prévaut encore dans la vie palestinienne, malgré les circonstances impossibles où rien de moins que l’existence d’une belle communauté est en jeu.
* Toine van Teeffelen est anthropologue et Directeur de Développement l’Institut Arabe d’Education (AEI-Open Windows) à Bethlehem. Contact : tvant@p-ol.com
Octobre 2009 - This Week in Palestine - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.thisweekinpalestine.com/...
Traduction de l’anglais : Sarah Bouachacha
 http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8196