jeudi 11 février 2010

Israël choisit la ligne dure contre les manifestations en Cisjordanie

publié le mardi 9 février 2010
Isabel Kershner

 
"Israël a compris la menace que représente le mouvement populaire et son potentiel d’expansion"
Nilin ; Depuis plus d’un an, ce village a été au centre des manifestations hebdomadaires contre la barrière de sécurité israélienne, qui traverse ses terres. Maintenant, le village semble être au centre d’une campagne d’arrestations israélienne plus intensive.
Apparemment inquiets que les manifestations pourraient s’étendre, l’armée et les forces de sécurité israéliennes ont récemment commencé à réprimer, à arrêter des organisateurs locaux et des militants ici et à mener des raids nocturnes sur les maisons des autres.
Muhammad Amira, instituteur et membre du comité populaire de Nilin, le groupe qui organise des manifestations, a dit que son domicile a été perquisitionné par l’armée aux premières heures du 10 janvier. Les soldats ont vérifié ses papiers d’identité, ont fouillé la maison et ont vérifié ses enfants qui dormaient.
Il a ajouté : "Ils m’ont dit : « Nous savons qui vous êtes. » "
Les cinq dernières années, chaque vendredi, les Palestiniens manifestent contre la barrière. Ils sont renforcés par des sympathisants israéliens et des volontaires étrangers qui documentent les affrontements qui résultent avec des caméras vidéo, et mettent souvent les images les plus dramatiques sur You Tube.
Israël dit que la barrière, en construction depuis 2002, est essentielle pour empêcher les kamikazes d’atteindre ses villes. Les Palestiniens s’y opposent car la majeure partie de son tracé traverse le territoire de la Cisjordanie.
Alors que les manifestations hebdomadaires sont considérées comme une résistance non-violente, elles se terminent généralement à des affrontements violents entre les forces de sécurité israéliennes et des jeunes lanceurs de pierres palestiniens masqués. "Ce ne sont pas des sit-ins avec des gens qui chantent« We Shall Overcome », a déclaré le major Peter Lerner, porte-parole du Commandement central de l’armée israélienne, qui contrôle la Cisjordanie. "Ce sont des émeutes violentes, illégales et dangereuses."
D’autres Palestiniens sont en train de "se joindre au mouvement" dit-il, et elles les manifestations " pourraient dégénérer ".
Les protestations ont commencé au début dans le village voisin de Bilin, qui est devenu un symbole du défi palestinien après avoir eu gain de cause devant la Cour suprême israélienne stipulant que la barrière doit être réaménagée afin qu’elle prenne moins de terres agricoles. Selon des responsables militaires, les travaux pour déplacer la barrière vont commencer le mois prochain.
Comme une intifada rampante à temps partiel, les protestations du vendredi ont gagné du terrain. Nabi Saleh, un autre village près de Ramallah, est devenu le nouveau centre des affrontements, après que des colons juifs ont pris le contrôle d’une source d’eau naturelle située sur des terres du village.
Récemment, un vendredi, un groupe de villageois âgés a marché vers la source. Ils ont été accueillis par des gaz lacrymogènes et des grenades assommantes, et des échauffourées ont eu lieu avec des soldats sur la route. D’autres villageois ont dévalé les pentes et, utilisant des frondes, ils ont envoyé des volées de pierres sur les Israéliens.
"Israël a compris la menace que représente mouvement populaire et son potentiel d’expansion", a déclaré Jonathan Pollak, un anarchiste israélien, porte-parole du Comité de coordination de la lutte populaire, comité basé à Ramallah. « Je crois que le but est de l’écraser avant qu’il ne devienne incontrôlable ».
Ces derniers mois, le président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, et d’autres leaders du courant dominant Fatah ont adopté Bilin comme modèle de résistance légitime.
Le mouvement a aussi commencé à susciter un soutien international. Le comité de coordination de la lutte populaire reçoit un financement d’une agence gouvernementale espagnole, selon le coordonnateur du comité, Mohammed Khatib de Bilin.
"Bilin n’est plus seulement la lutte pour Bilin", a déclaré M. Khatib, qui a été arrêté en août et est en attente d’un procès pour incitation [à manifester]. « Cela fait partie d’une lutte nationale", a-t-il dit, ajoutant que la fin de l’occupation israélienne était le but ultime. Jeudi, avant l’aube, les soldats sont venus au domicile de M. Khatib à Bilin et l’ont emmené à nouveau.
Les responsables de la sécurité d’Israël nient avec véhémence qu’ils agissent pour réprimer la désobéissance civile, affirmant que la sécurité est leur seule préoccupation. Entre autres, ils affirment que les comités populaires encouragent les manifestants à saboter la barrière, barrière qu’Israël considère comme un outil de sécurité indispensable.
Les autorités israéliennes ont également porté leur attention sur les militants étrangers, expulsant ceux qui ont dépassé la durée du visa ou qui n’ont pas respecté leurs modalités. Dans un cas, les soldats ont effectué un raid dans le centre de Ramallah, où l’Autorité palestinienne a son siège, pour enlever une femme tchèque qui travaillait pour le « International Solidarity Movement », un groupe pro-palestinien.
Les groupes israéliens de défense des droits de l’Homme comme B’Tselem et Yesh Din se plaignent depuis longtemps des mesures sévères utilisées pour réprimer les protestations, y compris des balles en caoutchouc et des munitions réelles de calibre .22. Les autorités israéliennes disent que les tirs réels sont destinés à être utilisés uniquement dans des situations dangereuses, et non pas pour contrôler la foule. Mais les groupes des droits de l’Homme disent que les armes sont parfois mal utilisées, apparemment en toute impunité, avec des membres des forces de sécurité qui sont rarement tenues de rendre des comptes.
Environ une centaine de soldats et de policiers des frontières ont été blessés dans les affrontements depuis 2008, selon les militaires. Mais les manifestants ne sont pas armés, ont fait valoir leurs avocats, alors que les Israéliens réagissent parfois avec une force potentiellement meurtrière.
Tristan Anderson, 38 ans, un militant américain d’Oakland, en Californie, a été grièvement blessé quand il a été frappé au front par une bombe lacrymogène à grande vitesse au cours d’un affrontement dans Nilin au mois de Mars.
Après des mois dans un hôpital israélien, M. Anderson a retrouvé un certain mouvement d’un côté, et a commencé à parler. Mais il a des lésions cérébrales graves, selon sa mère, Nancy, et le pronostic est incertain.
L’avocat israélien des Anderson, Michael Sfard, est convaincu que le projectile de gaz lacrymogène a été tiré directement sur les manifestants, contrairement aux règlements. Pourtant, les autorités israéliennes qui ont enquêté sur l’épisode ont récemment décidé de classer l’affaire sans qu’il y ait des poursuites.
Selon des responsables israéliens, l’enquête a révélé que les forces de sécurité israéliennes avaient agi en conformité avec la réglementation. Mais des témoins insistent que le projectile a été tiré d’un monticule distant de moins de 60 mètres de l’endroit où était M. Anderson . S’il avait été tiré correctement, en arc, soutiennent-ils, il aurait volé des centaines de mètres. Dix-neuf Palestiniens ont été tués dans des affrontements autour de la barrière de sécurité depuis 2004. Un mois après que M. Anderson a été blessé, Bassem Abou Rahma, un militant connu de Bilin, a été tué lorsque le même type de projectile de gaz lacrymogène l’a frappé à la poitrine.
Aqel Srur, de Nilin, l’un des trois Palestiniens qui ont témoigné devant la police israélienne dans l’affaire Anderson, a été tué par une balle de calibre .22 en Juin.
Jusqu’à présent, les militants semblent déterminés. Salah Muhammad Khawajeh, un membre du comité populaire de Nilin et un autre témoin local dans l’affaire Anderson, a raconté que, lorsqu’il a été convoqué pour un interrogatoire, il y a deux mois, il a été averti qu’il pouvait finir comme M. Srur.
Le fils de M. Khawajeh, 9 ans, a été blessé à l’arrière de la tête par une balle en caoutchouc lors d’une manifestation ce mois.
Mais, comme M. Khawajeh l’a dit, « Nous continuons à venir. »
Publié par le New York Times le 28 janvier 2010
traduction : RN (et CL)