jeudi 11 février 2010

Derrière l’écrasement de la Palestine, une falsification des histoires et des identités juives

mercredi 10 février 2010 - 10h:57
Pierre Stambul - Alternative Libertaire/UJFP
Le sionisme est à la fois criminel pour les Palestiniens et suicidaire pour les Israéliens. Sans rupture avec le sionisme ou passage à un post-sionisme, il n’y aura pas de paix.
Qu’est-ce que le sionisme ?
C’est un nationalisme particulier puisqu’il a inventé une histoire, une langue et une identité. Comme tous les nationalismes, il pratique la négation de « l’autre ». C’est un colonialisme sans métropole qui ne vise pas à asservir le peuple colonisé mais à l’expulser. C’est une forme de messianisme dévoyé qui a créé un « homme nouveau » en éradiquant son passé. C’est une idéologie qui instrumentalise l’antisémitisme et le génocide nazi : les sionistes cultivent le « complexe de Massada » (*). Ils ont « peur de ne plus avoir peur » et la peur permet toutes les exactions. L’idéologie sioniste a créé un Etat sur des bases contraires à l’égale citoyenneté de tou-te-s et en a fait un pion avancé de l’Occident au Proche-Orient.
Une histoire « merveilleuse » mais fausse.
Les fondateurs du sionisme pour la plupart n’étaient pas croyants, mais ils sont allés chercher dans la Bible les justifications d’un projet colonial. L’archéologie a établi avec certitude que les Hébreux sont un peuple autochtone. Ils ne sont pas venus de Mésopotamie et n’ont jamais été en esclavage en Egypte. Les trompettes n’ont jamais sonné à Jéricho. La conquête sanglante de Canaan par Josué qui sert aujourd’hui de justification aux colons religieux de Cisjordanie est une fiction. Le grand royaume unifié de David et Salomon que les sionistes ont voulu reconstruire n’a pas existé. À l’époque présumée de Salomon et de son temple, Jérusalem n’était qu’un village. Tout n’est pas faux dans le discours biblique. La Palestine antique a toujours été peuplée par plusieurs peuples (Hébreux, Cananéens, Moabites, Iduméens, Philistins...) avec de religions différentes (**), mais cette réalité contredit le récit sioniste.
Pour les sionistes, le peuple juif a été expulsé de sa terre en 70 ap JC par les troupes de Titus et s’est dispersé dans le monde. Or la religion juive était déjà présente dans différentes régions, de Babylone à Alexandrie ou Rome. C’est la religion qui s’est dispersée, pas le peuple. La religion juive a été prosélyte pendant des siècles et c’est la victoire du christianisme qui l’a obligée à cesser de l’être. Les conversions au judaïsme se sont poursuivies en Afrique du Nord (les Berbères) ou entre Caspienne et Mer Noire (les Khazars) très tard. Bref, les Juifs d’aujourd’hui sont majoritairement des descendants de convertis. Il n’y a eu ni exil, ni retour (***). Et les descendants des Hébreux de l’Antiquité sont essentiellement... les Palestiniens.
Une réponse fausse à l’antisémitisme
Le centre des histoires juives, c’est la diaspora. Les langues, les traditions, les rites et les cultures des différentes communautés juives viennent de Pologne, du Maghreb, d’Espagne, d’Allemagne, de Salonique ou du Yémen. Dans le monde chrétien, les Juifs ont vécu massacres, expulsions, discriminations, enfermement. Avec le début de l’émancipation des Juifs en Europe à partir de la fin du XVIIIe siècle, cet antijudaïsme chrétien s’est transformé en antisémitisme racial, les Juifs personnifiant pour tous les nationalismes l’obstacle à tous les rêves fous de nations ethniquement pures. Les références des Juifs à la Palestine sont purement symboliques. D’ailleurs, quand l’empire ottoman a ouvert ses portes aux Juifs espagnols, très peu sont allés en Palestine.
À la fin du XIXe siècle, la moitié des Juifs vivent dans un seul pays : l’empire russe. Ils se sont prolétarisés. Beaucoup ont abandonné la religion et ont adhéré à diverses idéologies socialistes dont celle du Bund (****). C’est dans ce contexte que naît le sionisme. Parodiant les nationalismes européens qui vont mener à la boucherie de 1914 ou au nazisme, les sionistes considèrent que l’antisémitisme est inéluctable et renoncent a priori à tout combat pour l’émancipation ou l’égalité des droits.
Une théorie de la séparation et un effaceur d’identité
À la base du sionisme, il y a le postulat de l’impossibilité du mélange, l’idée que les Juifs ne peuvent vivre qu’entre eux, l’idée que la diaspora n’est qu’une parenthèse. Les sionistes ne combattent pas l’antisémitisme, ils l’utilisent pour convaincre les Juifs de partir.
Le sionisme repose sur toute une série de mensonges fondateurs : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », « En 1948, les Arabes sont partis d’eux-mêmes », « du désert, nous avons fait un jardin » ...
Pour créer l’Israélien nouveau, il a fallu tuer la figure du Juif cosmopolite, universaliste, engagée dans la société et dans les luttes et le remplacer par un nationaliste militariste, chauvin et imbu de sa supériorité. Il a fallu inventer une « solution » territorialiste. Il a fallu un véritable processus de conquête colonial, de négation, de marginalisation et d’expulsion de « l’indigène » palestinien. Il a fallu effacer les langues, les traditions et les cultures juives. Le sionisme a dès le début instrumentalisé l’antisémitisme, chaque acte antisémite renforçant l’émigration. Balfour qui crée en Palestine un foyer juif était un antisémite. Son but était à la fois d’implanter un morceau d’Occident au Proche-Orient et de se débarrasser de ses Juifs.
Le courant « révisionniste » du sionisme qui naît vers 1930 avec Jabotinsky a imposé ses idées aujourd’hui : le « transfert » de tous les Palestiniens au-delà du Jourdain. En fait, le sionisme a gommé les différences idéologiques. Toutes les institutions qu’il a créées, y compris le syndicat Histadrouth n’ont eu qu’un seul but : créer et renforcer un Etat pour les Juifs excluant et expulsant les autochtones.
Retour au crime fondateur
L’ouverture des archives a établi avec certitude ce que les Palestiniens ont toujours dit. L’expulsion de 800 000 Palestiniens de leur pays en 1948 était délibérée et il n’y aura pas de solution à cette guerre sans réparation de ce crime. La confiscation des terres palestiniennes, les villages rasés dont les traces ont été effacées et le refus du retour des expulsés étaient prémédités. Le « remplacement » des Palestiniens par les Juifs venus du monde arabo-musulman a été organisé. Le sionisme a construit un Etat « ethnique » où les non-juifs sont des sous-citoyens. Il a fait de cet Etat une tête de pont de l’Occident. La conquête de 1967 n’est pas accidentelle, c’est la « gauche sioniste » qui a décidé la colonisation et qui a aidé à la création du courant « national-religieux » pour la réaliser. La colonisation est devenue le centre de la politique israélienne et 500 000 Israéliens habitent aujourd’hui les territoires conquis en 1967.
Le sionisme ne s’est pas achevé avec la création d’Israël. Ce qui est à l’oeuvre aujourd’hui, c’est « l’achèvement de la guerre de 48 », la tentative de faire en sorte que les Palestiniens, comme les Aborigènes d’Australie ne puissent plus jamais revendiquer leurs droits.
Ce qui rend le crime possible, c’est un travail idéologique en profondeur, la destruction des identités juives, le complexe de Massada qui persuade les Israéliens que les Palestiniens poursuivent l’oeuvre des nazis et que les seules victimes, ce sont les Juifs. C’est une exploitation organisée de la mémoire du génocide alors que la résistance juive au nazisme n’était en général pas sioniste (*****). C’est la certitude entretenue « qu’il n’y a pas de partenaire pour la paix » et que tout compromis signifie « Les Juifs à la mer ».
Le sionisme est à la fois criminel pour les Palestiniens et suicidaire pour les Israéliens. Sans rupture avec le sionisme ou passage à un post-sionisme, il n’y aura pas de paix.
Pierre Stambul
(*) À Massada, les zélotes révoltés contre Rome en 74 ap JC ont préféré le suicide à la reddition.
(**) Voir « La Bible Dévoilée » de I. Finkelstein et N.A. Silberman.
(***) Voir le livre de Shlomo Sand Comment le Peuple Juif fut inventé : http://www.info-palestine.net/artic... de Shlomo Sand, et http://www.info-palestine.net/artic... (de Michel Staszewski) .
(****) Parti révolutionnaire juif en Europe orientale très hostile au sionisme.
(*****) Futur premier ministre israélien, I. Shamir, à la tête du groupe Stern a fait tuer des soldats britanniques jusqu’en 1943.

(JPG) Du même auteur :
Sur l’auteur :
-  Pierre Stambul : "Moi, juif antisioniste..." - de Keltoum Staali (Le Matin)
février 2010 - UJFP - pdf - publié le 9 février 2010 par UJFP écrit pour Alternative Libertaire
 http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8149