dimanche 29 novembre 2009

La CIA recrute chez les Arabo-Américains

La campagne de recrutement, appuyée par des spots publicitaires à la télévision et à la presse écrite, ne semble pas trouver d’écho

DEARBORN, Michigan (Reuters) — Dearborn, petite ville du Michigan. Cent mille habitants, dont un tiers d'origine arabe — un record pour une localité des Etats-Unis. Et Dearborn intéresse la CIA.

Avec la guerre qui s’éternise en Afghanistan, l’occupation qui se poursuit en Irak, l’agence de renseignement a besoin d’agents qui parlent l’arabe, qui connaissent la culture et la mentalité arabes.

Mais cette campagne de recrutement, appuyée par des spots publicitaires à la télévision et dans la presse écrite, ne semble guère trouver d’écho.

"Tout le monde en parle, dans les magasins, chez le coiffeur, mais personne n’en veut",déclare Hamze Chehade, un Libano-Américain de 48 ans qui croque dans son chawarma au poulet chez Tuhama, l’un des nombreux restaurants libanais de la ville.

"J’ai dit à mon grand fils que s’il était tenté de signer, les gens ici le haïraient", poursuit-il.

La Central Intelligence Agency n’a pas ménagé son argent pour mener cette campagne en vue de recruter des agents d’origine arabe ou iranienne.

A Dearborn, l’activité économique n’est pas des plus florissantes, le taux de chômage est élevé mais les offres alléchantes promettant une vie d’espion rencontrent peu d’écho.

"Si quelqu’un accepte de travailler pour la CIA, ce sera pour l’argent, certainement pas de gaieté de cœur", ajoute Chehade, un ébéniste arrivé du Liban il y a 21 ans.

Henry Medina, responsable du recrutement de la CIA pour le Proche-Orient, est conscient de la nécessité d’avoir dans l’"Orient compliqué"des agents rompus aux subtilités de la région, connaissant parfaitement la langue et la culture des pays concernés, capables de comprendre ce que pense et recherche l’ennemi.

Une publicité télévisée montre un dîner dans une famille arabo-américaine avec en voix "off": "Votre nation, votre monde. Il faut les défendre. Carrières dans la CIA".

Une autre présente cinq Américains d’origine arabe - un ingénieur, un scientifique, un économiste, un avocat et un universitaire - qui, ensuite réunis, proclament en chœur: "Nous travaillons pour la CIA".

«L’Amérique nous aime-t-elle?»

"Nous essayons de sortir du mythe, nous ne voulons pas que les gens nous voient comme les agents secrets et les espions dans les films et les romans", explique l’un des agents chargés du recrutement, Zahra Roberts.

La CIA garde secret le coût de cette campagne, ainsi que le nombre d’agents qu’elle cherche à embaucher.

Mais à Dearborn, la population se montre sceptique. Le renforcement des lois sur l’immigration, les contrôles souvent tatillons, voire mesquins, dans les aéroports laissent un goût amer.

"On dit aux gens: ’vous vous appelez Mohamed, vous vous appelez Ahmed, vous devez être un terroriste’", dit Oussama Siblani, un journaliste d’origine libanaise. "Comment voulez-vous qu’ensuite ils travaillent pour le gouvernement?".

"Pour faire de telles choses, il faut vraiment croire que la cause est la bonne, sinon vous n’êtes qu’un porte-flingue."

Siblani, dont le journal diffuse les publicités de la CIA, a rencontré en septembre dernier le directeur de l’agence fédérale, Leon Panetta, qui s’est rendu à Dearborn. "Je lui ai dit: ’Traitez-nous comme des Américains. Nous aimons l’Amérique, mais est-ce que l’Amérique nous aime ?".

Dawoud Walid, qui dirige dans le Michigan le Conseil des relations américano-islamiques, reconnaît que de nombreux Arabo-Américains sont partagés entre le patriotisme et le ressentiment causé par la politique de Washington dans le monde arabe.

"Au lieu de faire de la publicité à la télévision, ce serait bien plus judicieux d’avoir un peu plus de transparence. Face au gouvernement, il y a beaucoup de peur et de méfiance", dit-il.

La population d’origine arabe a commencé à s’installer à Dearborn il y a un siècle, quand Henry Ford embauchait des ouvriers libanais pour travailler dans son usine de River Rouge.

Plus récemment sont arrivés des réfugiés irakiens.

Sur Warren Avenue, où les panneaux en arabe sont plus nombreux que ceux en anglais, les habitants interrogés doutent que la CIA puisse trouver de nombreuses recrues dans la ville.

"Ce n’est pas que les gens ne sont pas patriotes. Le problème, c’est la politique menée par les Etats-Unis envers les pays arabes", dit Mohamed, un étudiant de 24 ans d’origine libyenne.

http://www.lapresse.tn/index.php?opt=15&categ=6&news=105538