lundi 12 octobre 2009

Une occupation insidieuse, rampante et omniprésente

Palestine - 11-10-2009
Par Pete Jones
Pete Jones est londonien et fait des études de journalisme. Il a passé une année en France avant de partir en Palestine avec ISM
J’ai passé une partie de l’été 2009 en Cisjordanie. Au début, j’avais programmé un séjour de 3 semaines en Palestine, mais au dernier moment (le matin de mon vol, en fait), j’ai changé mon billet pour ne rentrer que le 24 septembre. J’ai donc vécu 7 semaines parmi les Palestiniens.























Première chose, le sentiment étrange qu'on ressent de retour en Europe, même si je n’ai passé que 7 semaines en Palestine. L’expérience fut tellement intense, elle m’a semblé plutôt durer 7 mois, bien que mon séjour là-bas me semble, en même temps, comme une espèce de rêve, ou hallucination !

Je ne vais pas raconter tout ce que j’ai vu. Il est probable que vous avez déjà une connaissance de la situation, et même si vous n’en avez pas, il n’est pas trop difficile de trouver des comptes-rendus sur l’internet, etc. Raconter des épisodes de l’agression israélienne, ça ne servirait à rien. Pour comprendre tout ça, il faut y aller. Et malheureusement, je ne peux rien dire à propos de Gaza, ce qui serait plus intéressant actuellement puisque personne ne peut y entrer.

Mais je peux donner une idée, brièvement, de la vie sous l’occupation. Actuellement, les Israéliens sont en train d’asphyxier la Palestine et les Palestiniens, au point de la faire disparaître, mais ils le font tellement subtilement et sournoisement que personne en dehors de Cisjordanie ne peut le savoir.

En 2000-2006, il y a eu la deuxième intifada – la résistance palestinienne à main armée – et, alors, les chars israéliens étaient dans les rues arabes, les F-16s lançaient des missiles sur des villes palestiniennes, et le monde était choqué. Plus ou moins. Encore plus important était le fait que les Palestiniens pouvaient voir, clairement, leur ennemi. Il était dans le char, là.

La résistance, bien sûr, (était) a été écrasée. Et depuis de ce moment-là, les Israéliens sont été en train de construire leur mur en Cisjordanie. Ce mur était censé suivre la Ligne Verte – la limite du territoire palestinien comme il existait (suivant) avant la guerre de 1967. Mais le mur suit un chemin qui annexe des domaines palestiniens énormes ; à Bil’in, où j’ai travaillé pendent 5 semaines, ils ont annexé plus de 60% de la terre appartenant aux habitants du village.

Et sur cette terre volée, les Israéliens ont construit des colonies – ce qui est illégal selon la loi internationale. On ne peut pas transférer une population civile dans un territoire sous une occupation militaire. C’est il-lé-gal.

Aujourd’hui, il y a à peu près 400.000 colons en Cisjordanie. Ils ont le droit de porter des armes, et ils l’exercent, bien sûr. Normalement les colons sont les Israéliens les plus extrémistes (à Tel-Aviv, par exemple, j’ai rencontré pas mal de gens qui pensent que les colons sont complètement fous, et ils ont raison) et il est habituel de trouver des groupes de colons en train de tirer sur un groupe de Palestiniens, ou au moins jeter des pierres, même aux enfants palestiniens sur le chemin de l’école…

Un boulot qu’on fait à Hébron est d’accompagner les enfants à l’école car c’est trop dangereux pour eux et même pour leurs parents sans une présence internationale. La situation à Hébron est incroyable… C’est le seul endroit où les colons et les Palestiniens habitent la même ville. La tension est insupportable, et là j’ai vu des atrocités commises par les colons. Trois jeunes ont donné des coups de ceintures à une mère qui était avec son enfant. Nous avons dû appeler l’armée israélienne pour les disperser. L’armée a arrêté la Palestinienne.

Au-delà des colonies, les israéliens sont en train de classer toutes les rues et régions de Cisjordanie. On a zone A, zone B et zone C. Les zones classées ‘A’ sont dirigées par l’Autorité palestinienne et (in) habitées par les Palestiniens. ‘B’ (égal) équivaut à une région dirigée par l’armée israélienne mais habitée par les Palestiniens, et ‘C’ désigne les colonies. En classant une région ou une rue en ‘C’, les Israéliens découpent la Palestine en petits cantons. Ils diront, par exemple, qu’ils ont trouvé des tombes juives sur la route principale d’une ville et, par conséquence, cette route est maintenant classée en ‘zone C’. Une fois qu’un endroit est classé ‘C’, aucun Palestinien n’a le droit d’y aller, d’y être. C’est exactement ce qui arrive à Naplouse, et à Hébron, où il y a de vastes quartiers où les Palestiniens ne peuvent jamais aller.

Avec les 400.000 colons déjà installés sur le territoire palestinien, et la taille de ce territoire en train de se réduire chaque jour grâce aux petits actes bureaucratiques comme la reclassification des rues/régions, les Israéliens sont en train de rendre impossible un Etat palestinien à l’avenir. Et ce processus est appelé « l’occupation invisible » ; il n’y a pas de chars, pas de F-16s, pas de guerre. Mais la vie pour les Palestiniens devient plus en plus difficile, voire impossible. Cette occupation invisible est bureaucratique ; c’est ça qui est ingénieux de la part des Israéliens. Tout le monde en Europe se fiche de la reclassification d’une rue à Naplouse, mais l’effet pour les habitants est énorme ; ils ne peuvent plus aller à leur magasin, leur école ou université, ni voir leur famille. Et, ce qui est vachement important, c’est que les Palestiniens ne voient pas leur ennemi. Il est trop vague, nébuleux… c’est difficile d’entourer, de soutenir une résistance contre une occupation qui est largement cachée, bureaucratique. Un problème considérable est la désunion palestinienne. La résistance est devenue sans gouvernail, on pourrait dire.

Et, bien sûr, chaque jour apporte des actes brutaux de la part des militaires israéliens. Mais parce qu’il n’y a pas de combat, il n’y a pas d’histoires à raconter dans les journaux en Europe. Par exemple, il y a quinze jours un petit garçon de 14 ans est tué par l’armée. Vous en avez entendu parler ? Il était devant son école à Jenin quand il a été renversé par 4 soldats dans une jeep. Vous imaginez si c’était arrivé de l’autre coté, si un garçon israélien avait été tué comme ça ? Voilà ce qui se passe chaque jour en Cisjordanie. Les enfants sont régulièrement interpellés (c’est la loi militaire pour les Palestiniens, pour que les Israéliens puissent arrêter qui ils veulent et les garder en prison pendant 6 mois sans charge), ils écrasent des manifestations non-violentes avec des gaz lacrymogènes et même des munitions réelles, et les Palestiniens n’ont pas le droit de traverser leur territoire librement ou de travailler sur leur terre.

Les forces israéliennes ont lancé à Bil’in une campagne de terreur contre les habitants car l’armée ne parvient pas à réprimer la résistance ingénieuse des Bil’iners. Il y a 4 mois, l’armée israélienne a commencé une série de raids nocturnes dans le village. Une trentaine, une quarantaine, même quelquefois une centaine de soldats viennent au village pendant la nuit, tous armés, pour arrêter les leaders de la résistance et des enfants. Ils prennent des enfants pour les forcer à écrire des « confessions » qui reconnaissent que les leaders de la résistance leur ont demandé de jeter des pierres pendant les manifestations. Les leaders sont tous contre les manifestations violentes et, chaque vendredi, pendant la manifestation, ils préconisent aux jeunes de ne pas jeter de pierres. Mais ces « confessions » servent à condamner ces leaders ; c’est l’excuse employée par l’armée pour justifier ces raids.

Les raids servent à terrifier la population du village et à saper la force de la résistance ; les Bil’iners sont moins prêts à rejoindre la lutte, étant donnée l’ampleur de la terreur occasionnée par ces raids.

Voilà, c’est tout pour l’instant. Malgré tout, malgré le désespoir, j’ai passé 7 semaines formidables en Palestine. J’ai travaillé avec des gens incroyablement inspirants, surtout du côté palestinien, mais aussi quelques activistes internationaux, et c’est sans doute l’expérience la plus impressionnante, et touchante, de toute ma vie.