lundi 12 octobre 2009

Retranché à Gaza, le Hamas attend son heure

publié le dimanche 11 octobre 2009

Laurent Zecchini
Le Hamas veut changer son image de marque.

La maison de Fathi Hamad, ministre de l’intérieur du gouvernement du Hamas à Gaza, est située à Beit Lahiya, au nord du territoire, un bourg proche de la limite avec Israël. Ses gardes du corps, tous vêtus de noir, sont nombreux mais discrets, presque accueillants. Peu d’armes sont visibles. On y entre par le garage, en longeant une Mercedes rutilante. Le ministre offre du thé et des gâteaux, il sourit et contrôle son verbe.

Le Hamas veut changer son image de marque. Son pouvoir dans la bande de Gaza n’est guère contesté, il profite des erreurs répétées du Fatah, le mouvement palestinien historique qui contrôle l’Autorité palestinienne, et résiste tant bien que mal au blocus économique imposé par Israël grâce à "l’économie des tunnels" (entre le sud de la bande de Gaza et l’Egypte), mais il lui manque une légitimité internationale.

En attendant, il estime que les événements tournent en sa faveur. Fathi Hamad exulte presque en soulignant l’attitude des "traîtres" du Fatah, qui ont fait en sorte que le rapport d’enquête de la commission présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone, qui dénonçait les "crimes de guerre" commis notamment par Israël lors de la guerre de Gaza (27 décembre-17 janvier), soit enterré devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies.

Quelle meilleure preuve, demande-t-il, que le Fatah a tout fait pour inciter Israël à anéantir le Hamas pendant la guerre ? Le Fatah, insiste-t-il, est "lié à la vision israélo-américaine" du conflit. Dans les rues de Gaza, des affiches dénonçant l’attitude de son président, Mahmoud Abbas, ont été collées sur les murs, mercredi 7 octobre, et le Hamas aurait demandé le report de la réunion de réconciliation interpalestinienne prévue au Caire le 26 octobre.

Plus que jamais, le Hamas estime être le seul mouvement palestinien à incarner la résistance à Israël, même s’il a accepté une "pause" dans les hostilités, afin que la population de Gaza souffle un peu après un conflit qui l’a durement éprouvée. Mais la "guerre sainte reprendra", pour libérer "toute la Palestine historique", insiste Fethi Hamad. Et peut-être d’abord à Jérusalem, où "les juifs veulent détruire la mosquée (Al-Aqsa) pour reconstruire leur temple".

Face à cette situation, estime Fethi Hamad, les Palestiniens "doivent résister et, s’il le faut, mourir pour Al-Aqsa". Dans son bureau situé près du camp de réfugiés de Bourej, au sud de la ville de Gaza, la députée Huda Naïm est nettement plus explicite : "Il faut que le peuple se manifeste, que les résistants lancent des opérations contre les Israéliens. Il faut que la facture soit chèrement payée par les Israéliens ; il faut que les soldats israéliens aient peur."

Coiffée d’un foulard blanc, la députée du Hamas frappe son bureau du plat de la main : "Tout soldat qui se trouve sur les territoires occupés de 1967 doit être une cible !" Elle reprend bien vite son calme, souligne que le Hamas n’a pas pris la décision de déclencher une troisième Intifada, et reconnaît que la population palestinienne est fâchée "parce qu’on a oublié Jérusalem au profit de Goldstone".

Disant cela, Huda Naïm pointe du doigt l’un des principaux défis que doit relever le mouvement de la résistance islamique, confronté à la surenchère de jeunes militants pour qui le Hamas, en acceptant une trêve de fait avec Israël, a abandonné "la lutte contre l’ennemi sioniste". Ce sont ces déçus du Hamas qui ont grossi les rangs de groupes radicaux, comme le mouvement salafiste Jund Ansar Allah, dont la rébellion a été réprimée dans un bain de sang à la mi-août, et dont le dernier chef, Mahmoud Taleb, a été arrêté mercredi.

Inspirés par Al-Qaida mais non affiliés à l’organisation terroriste, ces groupuscules ne représentent pas une menace militaire pour le Hamas. Politiquement en revanche, leur jusqu’au-boutisme islamiste gêne les efforts du Hamas pour redorer son image de marque internationale. "Le mouvement leur laisse la bride sur le cou et, lorsqu’ils vont trop loin, il frappe", résume Issam Younis, directeur du centre pour les droits de l’homme Al-Mezan.

"Le Hamas, ajoute Omar Shaban, directeur de l’Institut d’études stratégiques PalThink, se montrera toujours d’une extrême fermeté avec quiconque se posera en rival sur le plan islamique." Ces deux experts ne croient pas que le mouvement ait été politiquement affaibli par la guerre avec Israël. "Il contrôle toujours tout", insiste Omar Chaban.

Tenant fermement en main le pouvoir, le Hamas peut se permettre de cultiver une apparence de libéralisme : il condamne officiellement les excès de l’islamisation de la société gazaouie prônée par certains éléments soi-disant "incontrôlés", il montre une relative ouverture envers les Occidentaux, et tolère la présence de militants du Fatah à Gaza, pourvu que ceux-ci ne se réorganisent pas.

Rien ne dit que cette stratégie se révélera payante. Le Hamas a toujours bâti sa stratégie sur les erreurs du Fatah et, de ce point de vue, les événements récents le confortent. Quant à une reconnaissance internationale, c’est autre chose : pour les Américains et les Européens, il reste un "mouvement terroriste".